| BANAL, ALE, AUX, ALS, adj. et subst. I.− Emploi adj. A.− DR. FÉOD. [En parlant d'un obj. concr. ou d'un animal] Qui appartient au seigneur et dont l'usage est imposé à ses sujets moyennant redevance (cf. ban I C) : 1. ... le couvent avait, d'ordinaire, la seigneurie du village sur le territoire duquel il était placé. Il avait des serfs dans la seule partie de la France où il y en eût encore; il employait la corvée, levait des droits sur les foires et marchés, avait son four, son moulin, son pressoir, son taureau banal. Le clergé jouissait de plus, en France, comme dans tout le monde chrétien du droit de dîme.
Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution,1856, p. 94. − Jusqu'au XIXes., vx, droit admin. des communes. [En parlant du bien commun dont les habitants du village ont la libre jouissance] Chasse, forêt, pâture banale; four, moulin, puits banal. Synon. mod. communal. Rem. Dans un autre domaine, plus récemment « les échaudoirs banaux » dans les abattoirs municipaux (cf. L'Œuvre, 15 juill. 1941); la fosse banale ou fosse commune (cf. également l'arbitrage banal dans Ac. 1932). B.− Au fig. 1. Sans nuance péj. [En parlant d'une pers. ou d'une chose] Qui est commun, qui est à la disposition de tout le monde. a) [En parlant d'une pers.] Témoin banal. − P. anal. et parfois avec une nuance péj. Un amant banal, une maîtresse banale; ou p. ext. un cœur banal, une couche banale : 2. ... on doit se donner rarement, ne pas avoir un cœur banal, et hésiter longtemps avant de se livrer.
J. Simon, Le Devoir,1854, p. 186. Rem. À noter dans le même sens un emploi subst. chez P. Borel, Champavert, Passereau, l'écolier, 1833, p. 168 : ,,Sur les ponts publics on ne paie pas, en femmes, c'est le contraire, ce sont les banales qu'on paie.`` b) [En parlant d'une chose] − [En parlant d'un obj. ou d'un ensemble matériel] Qui ne présente aucun élément singulier, qui est conforme à des normes adaptées au plus grand nombre d'usagers. Une banale chambre d'hôtel; un fauteuil, un hall de gare, un parloir banal : 3. Poursuivant l'examen global de mes raisons de dire banale cette chambre, c'est la notion de normal qui me vient maintenant à l'esprit, (...) elle est on ne peut plus normale, en ce sens qu'elle m'offre les commodités qu'on est en droit d'attendre d'une chambre de prix égal dans un établissement de classe égale.
L. Jerphagnon, De la banalité,Paris, Vrin, 1965, p. 51. ♦ Spéc., COMM. Article banal. Article usuel, de vente courante tel que le pain, le sucre, etc., et ne nécessitant donc pas d'information particulière de l'acheteur. Anton. article anomal. − [En parlant d'un événement] Qui peut arriver à tout le monde. Un accident, un événement, un incident banal; p. oppos. un accident, un fait-divers peu banal. ♦ [En parlant d'une maladie] Une fracture, une grippe, une lésion banale et p. ext. un remède banal. − [En parlant des relations hum. cour.] Amabilité(s), civilité(s), politesse(s) banale(s); conseil(s), geste(s), sourire banal(s). Synon. habituel, usuel. Rem. On rencontre fréquemment dans l'expr. écrite ou orale des tournures telles que : dans la plus banale acception du terme, dans son usage le plus banal; l'observation banale formule que; rien que de très banal; rien de plus banal. 2. Avec une nuance péj. a) [En parlant d'une pers.] Qui manque d'originalité, de personnalité. La crainte d'être banal; p. oppos. un être (pas) peu banal. Synon. médiocre, quelconque : 4. Il s'en débarrassa pourtant et courut d'un bond jusqu'à l'hôtel. Emma n'y était plus. Elle venait de partir, exaspérée. Elle le détestait maintenant. Ce manque de parole au rendez-vous lui semblait un outrage, et elle cherchait encore d'autres raisons pour s'en détacher : il était incapable d'héroïsme, faible, banal, plus mou qu'une femme, avare d'ailleurs et pusillanime.
Flaubert, Madame Bovary,t. 2, 1857, p. 133. 5. Piètre figure que fait Goethe devant les Français en 1806. Il pleure d'effroi. Sa platitude, son abaissement, la lettre qu'il écrit au grand chancelier quand il reçoit la Légion d'honneur. Je ne le croyais pas aussi banal.
Green, Journal,1950-54, p. 257. b) [En parlant d'une chose concr. ou abstr.] Qui devient vulgaire, anonyme à force d'être utilisé, vécu, regardé. − [En parlant d'un obj. matériel ou plus gén. d'un cadre de vie] :
6. Il demeure rue Montparnasse. (...). On nous introduit dans un salon au rez-de-chaussée, à papier grenat, aux meubles de velours rouge, à formes Louis XV de tapissier, − salon froid, nu, bourgeois et banal, rappelant assez le salon d'une maison de prostitution d'une ville de province.
E. et J. de Goncourt, Journal,1862, p. 1178. 7. ... ainsi sa compagnie tournait fatalement mon attention vers de menus détails de l'existence quotidienne qui à mes yeux prenaient inopinément une importance significative. Car tout avait un sens, mais il restait indéchiffrable. J'étais peu à peu entouré d'une multitude de figures; l'objet le plus banal se détachait de son néant pour solliciter ma pensée, et tant d'êtres sortaient de l'ombre au passage de Geneviève que tout Théotime s'animait d'une sourde vie morale.
Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 143. SYNT. Un cadre, un cadeau, un décor, un luxe, un modèle, un parfum banal; une ville banale. − [En parlant d'une manière d'être ou d'un style de vie] :
8. Cette ambition l'aveuglait; il en était arrivé à ne plus sentir, autour de lui, la petite allure de la vie, à ne plus voir l'aspect monotone, plat et banal, des choses : le surveillant d'étude qui bâille sur ses auteurs de licence, les paresseux qui bâclent leur thème, et les cancres qui attrapent des mouches, ou qui regardent tristement vers les fenêtres où le ciel de nacre s'approfondit en nuit bleue.
Larbaud, Fermina Marquez,1911, p. 48. SYNT. Un amour, un air, un passe-temps, un projet, un sentiment banal; une passion banale; de banales effusions. − Le plus fréq. [En parlant des formes d'expr. écrite ou orale] :
9. Connaissant tout le monde, dans tous les mondes (...), ils [Mmede Guilleroy et Olivier Bertin] étaient exercés à ce sport de la causerie française fine, banale, aimablement malveillante, inutilement spirituelle, vulgairement distinguée qui donne une réputation particulière et très enviée à ceux dont la langue s'est assouplie à ce bavardage médisant.
Maupassant, Fort comme la mort,1889, p. 12. 10. ... il suffit à l'œuvre littéraire, pour avoir droit à l'existence, de nous fournir sur le monde ou sur l'homme quelque connaissance nouvelle. À l'inverse, le roman est-il inhumain et sans vie, c'est qu'il est banal, déjà vu, fait de lieux communs. Ce que la langue chiffrée des critiques entend de nos jours par vivant, humain, véridique et le reste, c'est d'abord nouveau, inattendu, inexploré.
Paulhan, Les Fleurs de Tarbes,1941, p. 189. SYNT. Un adage, un argument, un compliment, un exemple, un lieu commun, un livre, un point de vue, un prétexte, un propos, un proverbe, un refrain, un style, un sujet, un thème banal; une appellation, une épithète, une excuse, une expression, une formule de politesse, une idée, une louange, une métaphore, une plaisanterie, une phrase, une vérité banale. − PARAD. a) (Quasi-)synon. commun, conventionnel, courant, normal, ordinaire, quelconque, routinier, uniforme; synon. de qualité : ennuyeux, facile, fade, impersonnel, incolore, inconsistant, inintéressant, insignifiant, médiocre, monotone, morne, neutre, niais, pauvre, plat, sans profondeur, prosaïque, stérile, terne, triste, trivial, vague, vide, vulgaire; synon. cour. dans le domaine de la conversation : éculé, rebattu, usé. b) (Quasi-)anton. bizarre, curieux, étrange, extraordinaire, inouï, insolite, nouveau, original, rare, surprenant. Rem. Grev. 1964, p. 293, § 358, écrit au sujet du plur. de l'adj. : Banal, employé comme terme de féodalité, fait au pluriel masculin banaux : Fours banaux. Dans l'emploi ordinaire, il fait généralement banals : Des compliments banals (Ac.). (...) mais, dans cet emploi on dit aussi banaux : Un des banaux accidents (Fr. Jammes, M. le Curé d'Ozeron, p. 218). Pour Gramm. Lar. 1964, p. 196, § 298, ,,l'usage hésite entre banals et banaux``. Cf. aussi Ortho-vert 1966, p. 46 : ,,Il est toute une série d'adjectifs en al qui ne sont pas usités, au masculin pluriel (pénal) ou dont le pluriel est mal défini. Pour cette raison, on évite d'employer ces derniers au masculin pluriel; ce sont : astral, austral, banal, boréal, frugal, jovial, matinal, papal, pluvial, tonal, etc.`` C.− Emplois techn. 1. CH. DE FER. Machine banale. Qui peut être conduite par deux équipes (cf. Ch. Bricka, Cours de ch. de fer, t. 2, 1894, p. 77). − Voie banale. Voie où les trains peuvent circuler dans les deux sens (cf. banalisation et banaliser). 2. ÉCON. Espace banal. Conjonction de données économiques et géographiques en un point du territoire national (cf. Perroux, L'Écon. du XXes., 1964, pp. 127-137). 3. ÉLECTRON. Mémoire banale. Mémoire électronique non spécialisée pouvant enregistrer aussi bien des nombres que des adresses ou des instructions. II.− Emploi subst. A.− Caractère de ce qui est banal. Frôler le banal; descendre, sombrer dans le banal. Synon. banalité* : 11. Shade était là pour chercher du pittoresque ou du tragique, mais son métier lui répugnait : le pittoresque était dérisoire, et rien n'était plus tragique que le banal, que ces milliers d'existences humaines semblables à toutes les autres, que ces faces couvertes de douleur comme toutes l'étaient d'insomnie.
Malraux, L'Espoir,1937, p. 726. B.− Arg. des polytechniciens. Petite table placée dans la salle d'étude et sur laquelle on serre les objets d'un usage commun (Lévy-Pinet 1894, p. 49). Rem. Attesté dans la plupart des dict. d'arg. à notre disposition. PRONONC. : [banal], plur. [-o]. Enq. : /banal/. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1247 dr. féod. bannel « soumis à la banalité (le sujet est un animé) » (Runk., I, 185, 22 dans Leipziger Romanistische Studien, Leipzig, 1937, 16, 112 : les bourgeois de Bourc sunt bannel à mes moulins); 1269 « appartenant à un ban, à une circonscription seigneuriale, et sujet à la banalité (four, moulin, etc.) » (Charmes, 8, A. Meurthe dans Gdf. Compl.), maintenu après la disparition du régime féod. comme synon. de communal « qui est à la disposition de tous les habitants d'une commune » (1866, Lar. 19e); 2. a) 1718 (Ac. : [...] On appelle fig. Tesmoin banal, celuy qui est toujours prest de servir de tesmoin à tout le monde. Et on dit dans le mesme sens, caution banale, galant banal); b) 1798 « extrêmement commun, sans originalité » (Constant, Des Suites de la contre-révolution de 1660 en Angleterre, éd. Buisson, p. 86 : Il faut [...] donner à notre pacte social les moyens d'exécution, qu'on a remplacés jusqu'à ce jour, par des convulsions révolutionnaires, et la garantie sans laquelle une constitution n'est que l'étendart banal des partis, qui se le disputent et se l'arrachent tour-à-tour).
1 dér. de ban* dr. féod. étymol. 2; suff. -al*; à rapprocher du lat. médiév. bannalis « id. », 1032 (Fundatio Barr., éd. Waitz, MG Script. XV, p. 981, 36 dans Mittellat. W. s.v., 1337, 57) et 1223 (Chart. Lux. 11, 158, ibid., 42); 2 p. ext. à partir de 1 (Darm. Vie, p. 78). STAT. − Fréq. abs. littér. : 1 531. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 792, b) 1 738; xxes. : a) 3 131, b) 3 020. BBG. − Darm. Vie 1932, p. 78. − Duch. 1967, § 60. |