| BABEL, subst. fém. A.− [P. allus. à la ville qui, selon la Genèse, fut fondée par les descendants de Noé et à la tour que ces derniers tentèrent en vain d'élever pour atteindre le ciel] 1. Ce qui est démesurément grand : 1. Je vois en moi des tours, des Romes, des Cordoues,
Qui jettent mille feux, muse, quand tu secoues
Sous leurs sombres piliers ton magique flambeau!
Ce sont des Alhambras, de hautes cathédrales,
Des Babels, dans la nue enfonçant leurs spirales,
De noirs Escurials, mystérieux séjour,
Des villes d'autrefois, peintes et dentelées,
Où chantent jour et nuit mille cloches ailées,
Joyeuses d'habiter dans des clochers à jour!
Hugo, Les Feuilles d'automne,À mes amis, 1831, p. 767. − P. métaph. : 2. Chaque auteur bénit son destin, de l'avoir fait naître dans le beau siècle des Diderot et des d'Alembert, dans ce siècle où toute la sagesse humaine étoit rangée par ordre alphabétique dans l'Encyclopédie, cette Babel des sciences et de la raison.
Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 7. 3. ... ces programmes iniques que l'orgueil démocratique et le patriotisme bourgeois élevèrent comme les Babels de la cuistrerie.
A. France, Le Jardin d'Épicure,1895, p. 197. 2. Ce qui est vain, inutile : 4. Mais plus tard j'ai voulu formuler ma croyance,
Et, pour rendre ton verbe intime plus distinct,
Faire parler pour toi la raison sans l'instinct;
J'ai voulu te prouver après t'avoir sentie.
Que d'ombre emplit alors ma tête appesantie!
Que j'ébauchai pour toi d'impuissantes Babels!
Comme, pour se bâtir, plus haut que leurs autels,
Un port plus sûr, jadis, dans la nuit des carrières,
Les hommes follement ont remué les pierres,
Ainsi j'ai remué dans leur chantier profond
Les lourds matériaux dont les preuves se font.
Sully-Prudhomme, La Justice,Veille 8, 1878, p. 217. B.− [P. allus. à la confusion des langues qui, après l'effondrement de la tour, régnait parmi les habitants de Babel] 1. Ville où se parlent beaucoup de langues, ville cosmopolite : 5. Paris est devenu une immense tour de Babel, une ville internationale et universelle.
L. Halévy, L'Abbé Constantin,1882, p. 95. 2. Lieu ou assemblée où l'on parle sans se comprendre et où, par conséquent, aucun accord, aucune entente n'est possible : 6. À Guet-n' dar, sur le sable, tapage, confusion de tous les types, babel de toutes les langues du Soudan.
Loti, Le Roman d'un Spahi,1881, p. 261. − P. ext. Lieu où règnent la confusion, le désordre, la disparité : 7. Mon berceau s'adossait à la bibliothèque,
Babel sombre, où roman, science, fabliau,
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient.
Baudelaire, Les Fleurs du Mal,1857, p. 280. 8. ... le cellier (...) qu'était à vrai dire une franche babel. de choses aussi hétérocliss' qu'encombrantes.
M. Stéphane, Ceux du Trimard,1928. − Au fig. : 9. Arrivera-t-on à une entente entre les divers gouvernements sur les autres questions relatives aux échanges intellectuels? Un premier pas a été fait par la création d'un répertoire, qui paraît sous le titre d'Index translationum; c'est une statistique qui permet de s'orienter dans le chaos ou la Babel des publications contemporaines. Les fascicules paraissent depuis deux ans, par les soins de l'Institut de coopération intellectuelle.
La Civilisation écrite,1939, p. 3009. PRONONC. : [babεl]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1555 subst. masc. fig. et péj. « lieu [rempli d'orgueil? p. allus. à la tour de Babel, ou rempli de confusion?] » (Vasquin Philieul, trad. de Pétrarque, L. III, S. 8 ds Hug. : De ce Babel meschant [Rome], d'où est fuye Toute vergongne), attest. isolée; xviies. tour de Babel (Bossuet ds Trév. 1752 : la confusion des langues arrivée à la tour de Babel vint premiérement de l'orgueil et de la foiblesse des hommes); 1752 (Trév. [...] Parce que la tour de Babel étoit fort haute, et que ceux qui la bâtirent vouloient l'élever jusqu'au ciel; le peuple dit quelquefois d'une chose bien grande, ou bien haute, qu'Elle est grande, ou haute comme la tour de Babel. Cela n'est que du discours familier et populaire); 1762 fig. « confusions d'opinions ou de discours » (Ac.); 1803 subst. fém. employé absolument babel « ouvrage de dimensions disproportionnées et d'intentions discutables, comme l'était la tour de Babel » (Chateaubriand, Génie du Christianisme, t. 1, p. 7 : l'Encyclopédie, cette Babel des sciences et de la raison).
Nom hébreu de Babylone, fréquemment empl. par les aut. chrét. avec un sens péj. (v. TLL s.v. Babylon, 1653 à 1655, St Jérôme, Quaest. hebr. in gen., 16, 15, ibid., 1653, 20). STAT. − Fréq. abs. littér. : 15. BBG. − Bach.-Dez. 1882. − Bible 1912. − Dheilly 1964. − Gottsch. Redens. 1930, p. 354. − Michel 1856. − Rog. 1965, p. 115. − Théol. bibl. 1970. |