| AVORTON, subst. masc. I.− [En constr. autre qu'appos.] A.− Produit de l'avortement : 1. − « Tu ressembles à un enfant qui aurait un cerveau immense. »
− « Je ressemble, dis-tu, à un avorton, à ce que j'ai vu de plus affreux dans le plus affreux bocal de notre musée biologique. »
Jouhandeau, M. Godeau intime,1926, p. 160. − P. ext., TÉRATOLOGIE : 2. Alors lui revint à l'esprit une histoire qui l'avait frappé jadis : celle du bicéphale de Tréguineuc : dans un port breton où les Thibault étaient en vacances, une quinzaine d'années auparavant, la femme d'un pêcheur avait mis au monde un avorton nanti de deux têtes distinctes, parfaitement constituées. Le père et la mère avaient sommé le médecin du pays de ne pas laisser vivre le petit monstre; ...
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Consultation, 1928, p. 1122. B.− Végétal de développement incomplet : 3. On peut conserver trois melons par pied, mais ne jamais dépasser quatre, sous peine d'obtenir des avortons. Dans ce cas on en laisse deux sur chaque bras, et de côté opposé sur chacun afin d'avoir un équilibre parfait dans la végétation.
A. Gressent, Le Potager mod.,1863, p. 812. C.− P. métaph. et au fig., le plus souvent iron. et péj. 1. Être humain de petite taille, de constitution chétive, voire monstrueuse. C'est un avorton, un petit avorton; ce n'est qu'un avorton (Ac. 1798-1932) : 4. Hein? Qui le croirait? Un avorton pareil, un bout d'homme qu'on mettrait dans sa poche, ça finirait par venir à bout d'une grosse femme comme moi, si on le laissait faire, avec ses dents de rat!
Zola, La Bête humaine,1890, p. 159. Rem. S'emploie au masc. même en parlant d'une femme (cf. Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire? 1934, p. 271); aucune attest. d'un fém. avortonne noté (vx) uniquement ds Besch. 1845. − [En parlant d'un animal] :
5. ... elle [Margot] pencha sa pâle figure aux joues romaines, (...) sur un panier où remue un petit avorton jaune, un minuscule chien en chemise de flanelle qui lève vers elle un front bossué de bonze, ...
Colette, La Vagabonde,1910, p. 178. − [Empl. comme terme d'injure] :
6. Plus souvent encore, il criait, avec un terrible accent faubourien, ces mots peu compréhensibles au profane : « Enfant dédèche... Êtes-vous prêt, enfant dédèche... » Il ajoutait tout aussitôt des injures mystérieuses : « avorton... dégénéré... phénomène... sous-produit... »
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, p. 89. − Vocab. relig. [P. allus. à la 1reÉpitre aux Corinthiens XV, 8 : ... et après tous il (Jésus ressuscité) a été vu de moi comme de l'avorton] Être de peu de valeur : 7. On admit (...) que celui qui avait été rejeté du sein de l'Église comme un avorton pouvait en quelque sorte y rentrer, être conçu une seconde fois...
Renan, Hist. des orig. du Christianisme,Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 1881, p. 326. 2. Produit imparfait d'une action qui n'a pas abouti. Avorton de révolution, de vers; avorton littéraire : 8. Si on vivait assez longtemps on ne saurait plus où aller pour se recommencer un bonheur. On en aurait mis partout des avortons de bonheur, à puer dans les coins de la terre et on ne pourrait plus même respirer. Ceux qui sont dans les musées, les vrais avortons, y a des gens que ça rend malades rien que de les voir et prêts à vomir. De nos tentatives aussi à nous si dégueulasses, pour être heureux, c'est à tomber malades tellement qu'elles sont ratées, et bien avant d'en mourir pour de bon.
Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 469. II.− Rare. [En constr. d'appos., avec valeur d'adj.] A.− [En parlant d'un animal] Né avant terme, de petite taille. Veau avorton (Besch. 1845) : 9. Qui, par exemple, reconnaîtrait le frère de nos bouledogues, du chien du Saint-Bernard, du chien géant de Perse qui étranglait les lions, dans le chien avorton de La Havane, si frileux qu'en ce climat même la nature l'a vêtu d'une toison épaisse, qui le cache et en fait une énigme?
Michelet, L'Insecte,1857, p. 271. B.− [En parlant d'un inanimé] Où l'on remarque une grande imperfection : 10. J'avais extrait machinalement de ma poche un des insipides journaux avortons de cette époque où la disette du papier, de la vérité et de l'intelligence s'associaient si parfaitement.
A. Arnoux, Les Crimes innocents,1952, p. 221. Rem. On relève dans la docum. le néol. avortonné, adj. (E. et J. de Goncourt, Journal, 1872, p. 866; suff. -é*). Qui ressemble à un avorton. ,,Se dit des animaux et des plantes`` (Verr.-On. t. 1 1908). PRONONC. : [avɔ
ʀtɔ
̃]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1remoitié xiiies. « fœtus sorti avant terme du ventre de sa mère » (Bible, B.N. 899, fo60 rods Gdf. Compl. : Que ceste ne soit fete come morte et come avortons qui est gitez del ventre sa mere); 1379 « id. (en parlant des animaux) » (J. de Brie, Bon berger, éd. Lacroix 84, ds T.-L.); fin xvies. sens péj. (Pasquier, Les Recherches de la France, Paris et Orléans, 1665, p. 615 : Il se presentoit tant de petits avortons de Poësie, qu'il fut un temps, que le peuple se voulant mocquer d'un homme, il l'appeloit Poëte); fin xvies. « (en parlant d'un ouvrage) fait à la hâte et sans soin » (Id., ibid., p. 643).
Dér. de avorter*; suff. -on1*. STAT. − Fréq. abs. littér. : Avorton. 86. Avortonné. 1. BBG. − Bible 1912. − Bruant 1901. − Éd. 1967. − Littré-Robin 1865. − Marcel 1938. − Regula (M.). Etymologica. In : [Mél. Gamillscheg (E.)]. München, 1968, p. 481. − Rheims 1969 (s.v. avortonné). |