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AVENTURE, subst. fém.
Ce qui advient dans le temps, généralement à un individu ou à un groupe d'individus, d'une manière plus ou moins imprévue ou normalement imprévisible.
A.− [Sans insistance sur la participation active de la pers. intéressée, qui subit plus ou moins les événements]
1. [Avec une idée de haute probabilité]
a) Ce qui arrivera probablement (à qqn) dans l'avenir; événements futurs généralement inconnus sauf pour quelques soi-disant initiés. (Quasi-)synon. avenir :
1. ... vous vous êtes élevé, il y a quelques mois, avec autant de raison que de gaîté, contre cette folie endémique qui s'est tout-à-coup emparée du cerveau de nos dames, et a remis en crédit, chez le peuple le plus éclairé, dans la première ville du monde, les sorcières et les diseuses de bonne aventure; mais votre joyeuse critique n'a eu d'autre succès que de discréditer la pythonisse du faubourg Saint-Germain, sans désabuser sur son art nos belles et crédules concitoyennes. Cette maladie, comme toutes les autres, a ses paroxismes; nous voilà dans la crise. Ce n'est plus seulement à l'avenir dévoilé par les cartes que nos dames ajoutent foi, mais aux spectres, aux revenants, aux vampires, et sur-tout aux songes. Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 1, 1811, p. 253.
2. En vous voyant unis, mes enfants, unis par une même pureté, par tous les sentiments humains, je me dis qu'il est impossible que vous soyez jamais séparés dans l'avenir. Dieu est juste. Mais, dit-il à la jeune fille, il me semble avoir vu chez vous des lignes de prospérité. Donnez-moi votre main, Mademoiselle Victorine? Je me connais en chiromancie, j'ai dit souvent la bonne aventure. Allons, n'ayez pas peur. Oh! qu'aperçois-je? Foi d'honnête homme, vous serez avant peu l'une des plus riches héritières de Paris. Vous comblerez de bonheur celui qui vous aime. Votre père vous appelle auprès de lui. Vous vous mariez avec un homme titré, jeune, beau, ... Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 208.
3. − Dans un instant, se dit-il, j'irai vers mon destin. Quel beau mot : l'aventure! ce qui doit advenir. Tout le surprenant qui m'attend. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 975.
b) Ce qui arrivera probablement (à qqn) dans l'ensemble de l'existence, succession probable d'événements généralement imprévisibles. (Quasi-)synon. sort, destinée.La longue aventure de la vie :
4. Ce petit grandira. De quelle argile est-il fait? de la première fange venue. Une poignée de boue, un souffle, et voilà Adam. Il suffit qu'un dieu passe. Un dieu a toujours passé sur le gamin. La fortune travaille à ce petit être. Par ce mot la fortune, nous entendons un peu l'aventure. Ce pygmée pétri à même dans la grosse terre commune, ignorant, illettré, ahuri, vulgaire, populacier, sera-ce un ionien ou un béotien? Attendez, currit rota, l'esprit de Paris, ce démon qui crée les enfants du hasard et les hommes du destin, au rebours du potier latin, fait de la cruche une amphore. Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 689.
5. Je vais leur apprendre ce qu'est la vie à ces nigaudes : une aventure lamentable, avec, pour les hommes, des traitements de début misérables, des avancements de tortue, des retraites inexistantes, des boutons de faux-col en révolte, et pour des niaises comme elles, bavardage et cocuage, casserole et vitriol. Giraudoux, Intermezzo,1933, I, 6, p. 65.
6. Vivants nous sommes, pourrait-on dire en élargissant le mot de Térence, et rien de la vie ne devrait nous rester étranger. On serait tenté d'admirer que tant de personnes acceptent d'ignorer ce qui intéresse leur substance. Comment se fait-il, en vérité, que tant de gens accomplissent l'aventure humaine, sans chercher à connaître comment on grandit, comment on devient soi, comment on meurt, sans s'inquiéter des liens qui les rattachent à leurs pères, ou les prolongent dans leurs fils? J. Rostand, La Vie et ses problèmes,1939, p. VI.
2. [De façon plus ou moins totalement imprévisible]
a) [L'aventure en gén.] Synon. de hasard :
7. On marche à la destruction de l'aventure et de la grâce du hasard, en toutes choses dans la société, l'architecture, le paysage. E. et J. de Goncourt, Journal,1865, p. 195.
Locutions
À l'aventure. Au hasard, sans but. Errer à l'aventure :
8. Je quitte mon église et mes murs jusqu'au soir, Et je vais par les champs m'égarer ou m'asseoir, Sans guide, sans chemin, marchant à l'aventure, Comme un livre au hasard feuilletant la nature; Mais partout recueilli; car j'y trouve en tout lieu Quelque fragment écrit du vaste nom de Dieu. Lamartine, Jocelyn,1836, p. 742.
Rem. S'emploie au fig. :
9. ... On est tenté de croire qu'elle [l'œuvre d'art] naît à l'aventure, sans règle ni raison, livrée à l'accident, à l'imprévu, à l'arbitraire : ... Taine, Philos. de l'art,t. 1, préf., 1865.
D'aventure, par aventure. Par hasard, sans intention précise :
10. En apercevant Champavert, elle jeta un cri de surprise. − Vous, mon sauvage, à cette heure, quelle aventure! ... − Amie, si je suis venu, ce n'est point par aventure, c'est tout à votre intention. P. Borel, Champavert,Champavert, Le Lycanthrope, 1833, p. 234.
Rem. S'emploie au fig. :
11. ... j'y reviendrai, par bribes, au hasard, ou quand il faudra. Je dirai, si d'aventure mon récit l'exige ou seulement le souffre, cette longue passion de mon père pour s'élever − c'était son mot − par le savoir, ... G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Vue de la Terre promise, 1934, p. 69.
b) [L'aventure appliquée à des pers. partic.] Une (des) aventure(s). Ce qui arrive (à qqn) n'importe quand, n'importe où, comme par hasard, généralement avec quelque aspect singulier, frappant :
12. ... j'ai toujours le malheur d'oublier qu'une lettre n'est pas un traité de morale, mais une conversation gaie et vive où l'on dit ce qui peut désennuyer et amuser le lecteur. Mais d'un autre côté, comme je suis peu versé dans le monde, et que la vie régulière et retirée du collège ne me met pas dans le cas d'éprouver ces accidents singuliers, ces aventures plaisantes qu'on rencontre si souvent dans la société, je ne puis guère vous faire part que des réflexions qui m'occupent. M. de Guérin, Correspondance,1828, p. 13.
13. « ... j'ai cru qu'on pouvait définir l'aventure : un événement qui sort de l'ordinaire, sans être forcément extraordinaire. On parle de la magie des aventures. Cette expression vous semble-t-elle juste? Je voudrais vous poser une question, Monsieur. » (...). Il se penche vers moi et demande, les yeux mi-clos : « Vous avez eu beaucoup d'aventures, Monsieur? » Je réponds machinalement : « Quelques-unes » (...). Même si c'était vrai que je n'ai jamais eu d'aventures, qu'est-ce que ça pourrait bien me faire? D'abord, il me semble que c'est pure question de mots. Cette affaire de Meknès, par exemple, à laquelle je pensais tout à l'heure : un Marocain sauta sur moi et voulut me frapper d'un grand canif. Mais je lui lançai un coup de poing qui l'atteignit au-dessous de la tempe... Alors il se mit à crier en arabe et un tas de pouilleux apparurent qui nous poursuivirent jusqu'au souk Attarin. Eh bien, on peut appeler ça du nom qu'on voudra, mais, de toute façon, c'est un événement qui m'est arrivé. (...). Je n'ai pas eu d'aventures. Il m'est arrivé des histoires, des événements, des incidents, tout ce qu'on voudra. Mais pas des aventures. Ce n'est pas une question de mots; je commence à comprendre. (...). (...) : autrefois, à Londres, à Meknès, à Tokio j'ai connu des moments admirables, j'ai eu des aventures. C'est ça qu'on m'enlève à présent. Je viens d'apprendre, brusquement, sans raison apparente, que je me suis menti pendant dix ans. Les aventures sont dans les livres. Et naturellement, tout ce qu'on raconte dans les livres peut arriver pour de vrai, mais pas de la même manière. (...). (...) : pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter. C'est ce qui dupe les gens : un homme, c'est toujours un conteur d'histoires, il vit entouré de ses histoires et des histoires d'autrui, il voit tout ce qui lui arrive à travers elles; et il cherche à vivre sa vie comme s'il la racontait. Sartre, La Nausée,1938, pp. 56-58.
14. Nous ne vivons vraiment que quelques heures de notre vie. Tout le reste, des milliers de jours, n'est que temps gâché, perdu, où nous sommes plus vécus que vivants. Ce sont mille aventures, mille tracas, mille anecdotes qui nous écartent de nous-mêmes, nous interdisent d'être nous-mêmes. Mais il est dans toute vie, et la plus humble, des heures d'une inexplicable harmonie où, par on ne sait quelle grâce, nous connaissons soudain, mais pour un seul instant seulement, ce que nous sommes, à la mesure du monde, à la mesure du ciel, à la mesure de Dieu. Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 276.
SYNT. a) Aventure bizarre, étrange, personnelle, singulière, tragique; propre, sinistre, terrible aventure. b) Aventure de guerre, de voyage; dénouement, fin, récit, d'une (des) aventure(s). c) Connaître, conter, raconter une (des) aventure(s).
Rem. Aventure qui comporte dans cette accept. une nuance parfois péj., peut être synon. de désagrément, mésaventure (cf. supra assoc. fréq. avec des adj. de valeur dépréciative) :
15. ... la Présidente publia que c'était moi qui l'avais forcé à tirer vengeance d'un coup donné fort innocemment, et de là je fus regardée comme une femme d'un commerce dangereux. Six mois après cette aventure, mon malheur m'attira un autre désagrément encore plus sensible et plus fâcheux. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1771.
Spéc., vieilli. Mal d'aventure. Nom vulgaire du panaris. ,,Les appellations populaires (...) comme mal d'aventure, pour panaris`` (Gourmont, Esthétique de la lang. fr.,1899, p. 36).
Rem. Cette affection était autrefois considérée comme venant par hasard, « sans cause apparente » (cf. Ac. 1798).
B.− [L'accent est mis sur la participation active de la pers. intéressée, qui sollicite et conduit les événements, tout en les subissant partiellement dans leurs imprévus]
1. Entreprise remarquable par le grand nombre de ses difficultés et l'incertitude de son aboutissement.
a) Domaine pol., idéol., écon., etc.Expédition militaire, scientifique, etc., ou affaire financière tentée avec une intention de découverte, de profit, etc. :
16. Dès qu'il eut gagné la frontière du royaume de Hilperik et celle de son ancien gouvernement, il annonça, dans le premier village, qu'il y avait un bon coup à faire, à une journée de marche, sur les terres du roi Gonthram, et que tout homme d'exécution qui voudrait courir cette aventure, serait généreusement récompensé. De jeunes paysans, et des vagabonds de tout état qui, alors, ne manquaient guère sur les routes, se rassemblèrent à cette nouvelle, et se mirent à suivre l'ex-comte de Tours, sans trop lui demander où il les menait. Thierry, Récits des temps mérovingiens,t. 1, 1840, p. 300.
17. Je pousse les matelots aux voyages d'aventures; ils aperçoivent à travers la brume des îles merveilleuses, des dômes d'or, des pâturages, des fruits rouges, des femmes qui dansent, et, roulant dans la tempête, ils se délectent de toutes ces ivresses qui chantent à travers leur agonie, malgré le bruit des grands flots se refermant sur le navire sombré. Flaubert, La Tentation de st Antoine,1849, p. 396.
18. Les soucis de la haute politique n'empêchaient pas Clorindhe de mener de front toutes sortes de besognes, où elle semblait finir par se perdre elle-même. On la trouvait souvent assise sur son lit, son énorme portefeuille vidé au milieu de la couverture, et s'enfonçant jusqu'aux coudes dans le tas de papiers, (...). Lorsqu'elle partait pour terminer une affaire, elle entamait en chemin deux ou trois aventures. Ses démarches se compliquaient, elle vivait dans une excitation continue, s'abandonnant à un tourbillon d'idées et de faits, ayant sous elle des profondeurs et des complications d'intrigues inconnues, insondables. Zola, Son Excellence E. Rougon,1876, p. 298.
19. Il se sentait comme baigné dans l'aventure, une vie plus large, plus libre... On eût dit que depuis ce matin il avait la révélation de ce qu'était la véritable existence, digne d'être vécue. Jamais plus il ne voudrait être ouvrier fondeur, maintenant qu'il avait goûté à ces choses, le voyage, l'air pur des matins et des soirs, la grande route, l'auberge, les amitiés de rencontre, l'aventure enfin... Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 54.
20. En des lieux inconnus, on rencontrait des gens différents de tous les autres, et des choses arrivaient : des choses drôles, un peu tragiques, parfois très belles. (...). L'aventure, l'évasion, les grands départs : peut-être y avait-il là un salut! C'était celui que proposait Vasco de Marc Chadourne qui eut cet hiver-là un considérable succès et que je lus avec presque autant de ferveur que Le Grand Meaulnes. Jacques n'avait pas franchi les océans; mais quantité de jeunes romanciers − Soupault entre autres − affirmaient qu'on peut faire sans quitter Paris d'étonnants voyages; ... S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 261.
SYNT. Aventure folle, belle aventure; esprit, vie d'aventure(s); bruit, démon, goût de l'aventure; risquer, tenter l'aventure; s'engager dans l'aventure.
b) Spécialement
COMM. MAR. À la grosse aventure ou p. ell. à la grosse. Avec de gros risques de perte ou de profit, selon l'échec ou le succès d'une affaire maritime :
21. À la fin du xviiiesiècle, le négoce intérieur et même la finance couraient moins de dangers, mais l'aléa demeurait notoire pour le commerce maritime et, en France par exemple, les fonds qu'on y engageait s'appelaient prêts « à la grosse aventure » : par compensation, il édifiait de grandes fortunes. G. Lefebvre, La Révolution fr.,1963, p. 29.
SYNT. Contrat à la grosse aventure; donner, mettre, placer à la grosse aventure.
LITT. (et autres arts). Aventure romanesque.
MYTHOLOGIE :
22. Ils ont toujours vu dans Adonis, par exemple, le Soleil personnifié, et ils ont cru devoir rappeler à la physique et aux phénomènes annuels de la révolution de cet astre, toute l'aventure merveilleuse de l'amant de Vénus, mort et ressuscité. Les chants d'Orphée et de Théocrite sur Adonis indiquaient assez clairement qu'il s'agissait dans cette fiction, du dieu qui conduisait l'année et les saisons. Ces poëtes l'invitent à venir avec la nouvelle année, pour répandre la joie dans la Nature, et faire naître les biens que la terre fait éclore de son sein. Dupuis, Abr. de l'orig. de tous les cultes,1796, p. 359.
HIST. Aventure(s) de chevalerie. Équipée de chevalier errant, en quête d'épreuves imprévues et difficiles, souvent rehaussées de merveilleux. (Quasi-)synon. exploit, prouesse :
23. À peine le nouveau chevalier jouissoit-il de toutes ses armes, qu'il brûloit de se distinguer par quelques faits éclatans. Il alloit par monts et par vaux, cherchant périls et aventures; il traversoit d'antiques forêts, de vastes bruyères, de profondes solitudes. Vers le soir il s'approchoit d'un château dont il apercevoit les tours solitaires, espérant que son bras achèveroit dans ce lieu quelque terrible fait d'armes. Déjà il baissoit sa visière, et se recommandoit à la dame de ses pensées, lorsque le son d'un cor se faisoit entendre. Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 2, 1803, p. 488.
24. ... dans les naïfs récits des romanciers et des poëtes du Moyen Âge, on rencontre beaucoup d'aventures de princes et de chevaliers mélancoliques qui, fuyant les cours et les châteaux, se mettent un jour à courir le pays, cachant leur naissance et leur fortune, et, déguisés en pauvres trouvères, s'en vont, la guitare en main, chanter l'amour, et, parmi toutes les femmes, en cherchent une qui les aime pour eux-mêmes. Murger, Scènes de la vie de jeunesse,1851, p. 30.
Mod. Roman ou film, etc., d'aventures. Dont l'intrigue est riche en péripéties :
25. ... nous verrons le roman de la vie humaine conçue comme un ordre de chances inattendues, pittoresques, intéressantes, amusantes. Ainsi les romans de Dumas, les moins bons de ceux de Dickens, l'innombrable série des romans dits d'aventures. Il n'existe aucune raison intérieure aux personnages pour que leur vie soit ceci plutôt que cela, pour qu'il leur arrive telles aventures, pour qu'ils réalisent telle chance ou tombent dans telle malechance : aucune raison intérieure, précisément parce qu'ils n'ont à peu près aucun intérieur. Et pourtant on ne saurait assimiler la ligne de ces romans aux zigzags du pur hasard. Le mouvement d'intérêt qu'ils entretiennent dans l'esprit d'un honnête homme, d'un lecteur cultivé, est bien celui d'un intérêt déjà esthétique. Cette succession palpitante d'aventures suit, chez Dumas, une ligne de chance analogue à celles que tracent comme des étoiles filantes les belles rimes de Banville et de Rostand. Thibaudet, Réflexions sur la litt.,1936, p. 235.
Rem. Aventures figure souvent dans des titres d'ouvrages Les aventures de..., Les nouvelles aventures de... :
26. On a publié beaucoup de livres sous ce titre : Les Aventures de celui-ci, de celui-là. Et ce livre-ci est encore une aventure. Peut-être dans quelques années pourra-t-on lui ajouter un chapitre pour que ce ne soit plus les Aventures du Nationalisme, mais la Victoire du Nationalisme. Barrès, Mes cahiers,t. 2, 1901-02, p. 236.
2. Au fig., domaine mor.[En parlant d'une pers., de l'esprit, d'un concept, etc.] Poursuite généralement ardue, mais exaltante d'un idéal, d'une qualité, etc. Aventure spirituelle. (Quasi-)synon. quête.(L'aventure est en nous, titre d'un ouvrage de M. Genevoix, 1952) :
27. ... la Grèce a fondé la géométrie. C'était une entreprise insensée : nous disputons encore sur la possibilité de cette folie. Qu'a-t-il fallu faire pour réaliser cette création fantastique? − Songez que ni les Égyptiens, ni les Chinois, ni les Chaldéens, ni les Indiens n'y sont parvenus. Songez qu'il s'agit d'une aventure passionnante, d'une conquête mille fois plus précieuse et positivement plus poétique que celle de la Toison d'or. Valéry, Variété 1,1924, p. 27.
28. Devant les désagréments de la vie, la sagesse ne consiste pas dans la fuite mais dans la conquête. Et s'il faut des aventures, quelle plus surprenante et plus hardie que l'acceptation pratique d'un monde surnaturel et invisible, au prix duquel celui-ci est compté comme rien? Quels royaumes plus mystérieux et plus riches que ceux de la grâce? Ceux qui n'en savent rien sont comme un homme qui n'a pas vu les Tropiques ou comme un eunuque qui parle de l'amour. Qu'est le vent sur la face à côté du souffle intérieur? Claudel, Correspondance[avec Gide], 1899-1926, p. 83.
29. Pour Baudelaire et Nerval, pour Hugo et pour Rimbaud, comme pour Novalis et Arnim et Hoffmann, le voyage au pays du rêve avait été une périlleuse aventure, une immense espérance ou parfois une redoutable épreuve, et toujours il s'était agi, pour chacun de ces poètes, de jouer un jeu où il risquait sa propre vie. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 388.
Spéc. [L'aventure considérée comme une valeur] :
30. Le grand thème de Solange était « l'aventure ». Elle appelait ainsi la recherche d'événements inattendus et dangereux. Elle prétendait avoir horreur du « confort » moral ou physique. − Je suis heureuse d'être femme, − me dit-elle un soir, − parce qu'une femme a beaucoup plus de « possibles » devant elle qu'un homme. Maurois, Climats,1928, p. 205.
31. L'Aventure, l'Ennui et le Sérieux sont trois manières dissemblables de considérer le temps. Ce qui est vécu, et passionnément espéré dans l'aventure, c'est le surgissement de l'avenir. L'ennui, par contre, est vécu plutôt au présent : (...) si l'aventure se place surtout au point de vue de l'instant, l'ennui et le sérieux considèrent le devenir surtout comme intervalle : c'est le commencement qui est aventureux, mais c'est la continuation qui est, selon les cas, sérieuse ou ennuyeuse. Il s'ensuit naturellement que l'aventure n'est jamais « sérieuse » et qu'elle est a fortiori recherchée comme un antidote de l'ennui. Dans le désert informe, dans l'éternité boursouflée de l'ennui, l'aventure circonscrit ses oasis enchantées et ses jardins clos; mais elle oppose aussi à la durée totale du sérieux le principe de l'instant. Redevenir sérieux, n'est-ce pas quitter pour la prose amorphe de la vie quotidienne ces épisodes intenses, ces condensations de durée qui forment le laps de temps aventureux? Jankélévitch, L'Aventure, l'ennui, le sérieux,Paris, Montaigne, 1963, p. 7.
Rem. Plus rarement, aventure désigne moins ce qui advient dans le temps que ce qui vient dans l'espace − c.-à-d. une progression, une évolution :
32. ... les espèces marines inférieures adoptent les anfractuosités des rochers pour s'y garer des risques possibles, pour cesser, avec le mouvement, la vie exposée, et se retirer de l'aventure évolutive sous quelque carapace protectrice. Ces espèces sont ou deviennent aveugles. L'élan vital les contrepasse et les abandonne à une existence sommeillante et restreinte. Ainsi se comportent avec l'aventure de l'esprit les hommes qui, très tôt, s'incrustent dans quelque simplification mortelle d'eux-mêmes et de leur vocation qu'ils nomment principe, conviction, ligne de vie, ... Mounier, Traité du caractère,1946, p. 645.
33. Si la vie recherche un équilibre, celui-ci, comme elle, est perpétuellement en révision et en progression; il est dynamique. Il ne vise pas à un état, qui serait incompatible avec l'évolution continue de l'existence; il mène une aventure sans cesse recommencée parce que sans cesse poursuivie. La carrière accomplie par un homme forme cependant un tout par son orientation qui, à travers les mille détours des circonstances, tend sans arrêt à un certain accomplissement déterminé. Elle est comme la goutte d'eau dont les cent méandres et crochets sur la vitre dissimulent mal la force inexorable qui l'attire. Élaboration continue, elle connaît d'inévitables incertitudes, souvent des reculs, parfois des égarements qui la laissent inachevée ou manquée. Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 378.
3. P. anal. et p. euphém., domaine amoureux. Liaison généralement de caractère charnel, frivole, passager :
34. ... − comme, en outre son unique occupation, durant ses années de stage au Quai d'Orsay, avait été de courtiser toutes les femmes et d'aller dans tous les mondes, il [Élie Laurence] avait rencontré l'occasion de beaucoup d'aventures, et il s'y était abandonné, sans réfléchir qu'un homme flétrit le meilleur de lui-même dans des plaisirs de passage. P. Bourget, 2eamour,1884, p. 144.
35. J'étais un garçon vigoureux, et, ma foi, assez porté sur les femmes. J'avais, dans le voisinage, un tas de petites aventures; mais des aventures d'occasion, des amours de vingt minutes, sans lendemain. R. Martin du Gard, Confidence africaine,1931, p. 1117.
36. Je songe à des femmes sérieuses, qui n'hésiteraient pas à s'engager elles-mêmes pour toujours, si le destin le permettait. Mais comme le destin ne le permet pas, dans les cas dont je parle, elles se résignent. Ce qui ne veut pas dire du tout qu'elles traitent la chose comme une aventure... (...). Nous nous donnons l'air d'accepter une aventure, et au fond, ce n'est pas cela du tout... Ce que nous acceptons, dans ces cas-là, c'est qu'un grand amour soit condamné d'avance à n'avoir que la durée d'une aventure... du moins pour sa période heureuse... Car rien ne nous empêche ensuite de le faire durer tant qu'il nous plaît, en nous-mêmes... et d'en souffrir. Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 223.
SYNT. Aventure galante, scandaleuse; dernière, première, sotte, triste aventure; aventure de jeunesse, d'un soir; coureur d'aventure, femme/homme à aventures. − PARAD. (Quasi-)synon. amourette, bonne fortune, caprice, passade, rencontre, toquade.
Rem. Souvent péj. en cette accept. par affaiblissement sém. dans des contextes où la facilité de la conquête est dévalorisante, aventure prend pourtant un caractère parfois favorable :
37. Ce n'est pas à mon sens le véritable amour. Celui-ci implique le corps à corps. C'est une grande aventure à laquelle participe l'homme tout entier : tête, cœur et ventre. Il n'est rien de soi-même qui n'y soit engagé. (...). Pour la plupart des romanciers, l'aventure est terminée lorsque les deux antagonistes parviennent enfin à coucher ensemble : ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Pour moi, c'est à ce moment-là qu'elle commence. L'épreuve de vérité du nu à nue est nécessaire pour distinguer l'amour vrai des extravagances de l'imagination; (...) (...) Stendhal ne nous dit rien des nuits d'amour de Julien et de Mathilde : cent pages pour la séduction, une ligne pour dire sa réussite. Pour moi l'amour commence une fois la conquête achevée. C'est l'aventure du couple que je nomme amour. Je ne conçois pas un amour qui ne soit pas partagé. Si l'un des deux se refuse à l'aventure, l'amour ne se produit pas, − par définition. L'amour est ce qui se passe entre deux êtres qui s'aiment : comment ils s'approchent, se fuient, se rapprochent, se déchirent, se brûlent, parviennent ou échouent à faire un couple et ce qu'il advient de ce couple. Vailland, Drôle de jeu,1945, pp. 107-108.
P. méton. :
38. Tu dis : « Nous étions nés l'un pour l'autre. » Mais pense à ce qu'il dut falloir de chances, de concours, de causes, de coïncidences, pour réaliser ça, simplement, notre amour! Songe qu'avant d'unir nos têtes vagabondes, nous avons vécu seuls, séparés, égarés, et que c'est long, le temps, et que c'est grand, le monde, et que nous aurions pu ne pas nous rencontrer. As-tu jamais pensé, ma jolie aventure, aux dangers que courut notre pauvre bonheur quand l'un vers l'autre, au fond de l'infinie nature, mystérieusement gravitaient nos deux cœurs? Géraldy, Toi et Moi,1913, p. 31.
PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [avɑ ̃ty:ʀ]. Enq. : /avãtyʀ/. 2. Forme graph. − Clédat 1930, p. 17, rappelle : ,,Pour l'a nasal, la graphie en est archaïque et a été remplacée, à diverses époques, par la graphie phonétique an, dans les participes présents ..., dans la préposition sans, dans, langue, sanglier, etc., nos classiques allaient de l'avant dans ce sens; Fénelon écrit « les avantures de Télémaque »; Bossuet : cepandant, tandresse, pancher, etc.; Voltaire : vanger, etc.``
ÉTYMOL. ET HIST. − 1. xies. « ce qui doit arriver à qqn, sort, destinée » (Alexis, éd. C. Storey, str. 89 : A! lasse, mezre, cum oï fort aventure!), ne se maintient plus guère que dans l'expr. dire la bonne aventure (début xvies., Farce ... de la resurrection de Jenin Landore ds Anc. Théâtre fr., éd. Viollet Le Duc, 1854, t. 2, p. 29); 2. fin xies. « ce qui arrive inopinément à qqn, ce qui advient par hasard, par accident », notamment dans la loc. adv. par aventure (Lois ags., 19, éd. R. Schmid, p. 334 ds Gdf. Compl. : Si alquns crieve l'oil al altre par aventure quel qe seit, si amendrad LXX sol. de solz engleis); 1394 ou 1395 d'aventure (Gerson, Sermons françois ds Dict. hist. Ac. fr., t. 4, p. 672a), loc. qualifiées de ,,vieillies`` dep. Rich.; spéc. 1680 avanture « amour, amourette » (Rich.); 1694 (Ac. [...] On appelle, Mal d'aventure, Un mal qui vient ordinairement au bout des doigts avec inflammation et abscez); 3. av. 1167 p. ext. « action, entreprise hasardeuse et extraordinaire (notamment dans les romans de chevalerie) » (M. de France, Lais, éd. K. Warnke, Equitan 5 ds T.-L. : suleient ... Des aventures que öeient ... Faire des lais); xiiies. loc. adv. en aventure « au hasard, sans dessein » (Poire, éd. Fr. Stehlich, 1201, ibid. : ge l'otroi, Que que ce soit, en aventure), devenue à l'aventure dep. 1306 (G. Guiart, Royaux Lignages, éd. Buchon, II, 10165, ibid.); 1690 comm. (Fur. [...] on dit, mettre de l'argent à la grosse adventure, pour dire, le mettre à profit sur le négoce de mer, et sur la quille du vaisseau, où on risque le naufrage, et la prise des Corsaires). Empr. au lat. vulg. *adventura « ce qui doit arriver », plur. neutre (substantivé et compris comme fém. sing.) du part. futur de advenire « arriver, se produire » (advenir*, étymol.).
STAT. − Fréq. abs. littér. : 5 139. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 586, b) 6 215; xxes. : a) 8 092, b) 8 895.
BBG. − Baldinger 1950, p. 124. − Bastin 1970. − Bruant 1901. − Burgess (G. S.). Contribution à l'ét. du vocab. pré-courtois. Genève, 1970, pp. 44-55. − Cap. 1936. − Comm. t. 1 1837. − Duch. 1967, § 22, 31, 42. − Dupin-Lab. 1846. − Fabre-Luce (A.). Les Mots qui bougent. Paris, 1970, p. 23. − Jal 1848. − Kuhn 1931, p. 201. − Lacr. 1963. − Lar. comm. 1930. − Le Clère 1960. − Marshall (F. W.). Les Poésies de Blondel de Nesle. Une ét. du lex. d'après l'examen des mss, p. 39 (Thèse Univ. Paris, 1958). − Noter-Léc. 1912. − Pissot 1803. − Podgurski (J. C.). A l'aventure dans les Quinze joyes de mariage. Z. rom. Philol. 1963, t. 79, pp. 528-529. − Privat-Foc. 1870. − Spr. 1967. − Will. 1831.