| ATTRIBUER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− Attribuer qqc. à qqn.Lui donner (une chose) en partage, le rendre possesseur (d'une chose). 1. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose concr., somme d'argent, parcelle de terrain, etc.] Donner à quelqu'un une chose dans un partage, une répartition, une adjudication, comme sa part, son lot, etc. Synon. allouer, départir, répartir (à qqn) : 1. Qui de nous est assez malheureux pour avoir oublié ses battements de cœur à l'aspect de ce magasin périodiquement ouvert pendant les récréations du dimanche, et où nous allions à tour de rôle dépenser la somme qui nous était attribuée...
Balzac, Louis Lambert,1832, p. 31. − P. anal. plais. : 2. − (...) Fermez-moi donc votre porte. Pourquoi « ma porte »? Cette porte ne m'appartient pas en propre. Mais tel est Cerbelot : il faut qu'il attribue chaque parcelle de l'univers à quelqu'un.
G. Duhamel, Journal de Salavin,1927, p. 78. − Spéc., INFORMAT. Attribuer une mémoire. ,,Lui assigner certaines données`` (Guilh. 1969, s.v. attribution). 2. P. ext. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose abstr., un avantage, une prérogative, une distinction, un prix, etc.] Synon. accorder, concéder, conférer (à qqn ou à qqc.) : 3. Godefroi a toutes les qualités d'un héros et d'un chef, sans aucun des vices ni des foiblesses de l'homme privé; sublime pensée du Tasse qui attribue la perfection au chef, et laisse les foiblesses aux subalternes!
Bonald, Législ. primitive,t. 2, 1802, p. 214. 4. ... si l'homme n'est pas maître des données imposées par la vie qui, autour de lui, le presse de toutes parts et, en lui, façonne sa nature, il est maître du prix qu'il leur attribue, comme spectateur, ou qu'il leur confère, comme créateur. Quelque obligation qu'il subisse, il garde toujours le pouvoir de la juger, de décider de sa valeur, esthétique ou morale; et, par là, il reste irréductiblement libre.
Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 439. 3. [Le compl. d'obj. dir. désigne une qualité, un défaut, une fonction, une signification, etc.; le suj. lui-même peut désigner, p. méton., une qualité ou un défaut] Considérer, à tort ou à raison, telle qualité, tel défaut comme propre à quelqu'un, à quelque chose; lui supposer telle qualité, tel défaut : 5. ... malgré cette particularité qui semble indiquer un organe de circulation, ce tube n'a aucun vaisseau qui en sorte, et l'on ne peut ni lui attribuer la fonction de cœur, ni lui en imaginer une autre.
Cuvier, Leçons d'anat. comp.,t. 4, 1805, p. 164. 6. ... il restera à établir que l'Être ainsi défini, ainsi démontré, est bien Dieu. Alléguerez-vous qu'il l'est par définition, et qu'on est libre de donner aux mots qu'on définit le sens qu'on veut? Je l'admets encore, mais si vous attribuez au mot un sens radicalement différent de celui qu'il a d'ordinaire, c'est à un objet nouveau qu'il s'applique; vos raisonnements ne concerneront plus l'ancien objet; il sera donc entendu que vous nous parlez d'autre chose.
Bergson, Les Deux sources de la mor. et de la relig.,1932, p. 256. B.− Considérer (une chose), avec plus ou moins de certitude, comme découlant d'une autre ou comme étant l'œuvre, l'invention de quelqu'un. 1. [Le compl. d'obj. indir. désigne une chose abstr.] Attribuer qqc. à qqc.Considérer une chose comme étant l'effet, le résultat d'une autre : 7. « On a attribué à la fortune mes plus grands actes, et on ne manquera pas d'imputer mes revers à mes fautes; mais si j'écris mes campagnes, on sera bien étonné de voir que dans les deux cas, et toujours, ma raison et mes facultés ne s'exercèrent qu'en conformité avec les principes, etc. »
Comme il est à désirer que l'Empereur accomplisse sa pensée d'écrire ses campagnes! Quels commentaires que ceux de Napoléon!!!
Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 2, 1823, p. 338. 8. Le vieux père attribuait à une certaine faiblesse d'esprit ce qui était le résultat des ravages intimes de rêves impossibles en un cœur que l'amour avait percé de part en part.
Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,1883, p. 36. − Spéc. Attribuer (un document) à une certaine date. Le rapporter à cette date, considérer qu'il a commencé d'exister à cette date : 9. Quand j'étais petit M. Langlois m'a enseigné qu'il faut avant tout dater un document. Il n'a pas perdu son temps, avec moi, M. Langlois. Dix-huit mois de recherches m'ont permis de dater le document que nous examinons. Ce document doit être attribué à la date du 15 juillet 1911.
Péguy, L'Argent,1913, p. 1152. 2. [Le compl. d'obj. indir. désigne une pers.; le suj. peut désigner, p. méton., au lieu d'une ou plusieurs pers., l'opinion d'un groupe] Considérer quelqu'un comme l'auteur de quelque chose (œuvre, écrit, dires, bonnes ou mauvaises actions, etc.), rapporter une chose à quelqu'un en tant qu'auteur, considérer une chose comme l'œuvre de quelqu'un : 10. La tactique du marquis, qui s'effaçait, fit regarder Rougon comme le chef de la bande. Les réunions avaient lieu chez lui, cela suffisait aux yeux peu clairvoyants du plus grand nombre pour le mettre à la tête du groupe et le désigner à l'attention publique. On lui attribua toute la besogne; on le crut le principal ouvrier de ce mouvement qui, peu à peu, ramenait au parti conservateur les républicains enthousiastes de la veille.
Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 80. 11. Vous m'attristez un peu, chère Maître, en m'attribuant des opinions esthétiques qui ne sont pas les miennes.
Flaubert, Correspondance,1876, p. 290. − P. ext. plais. : 12. Un des sujets de plaintes de Mary était la présence d'Alba dans la maison; on avait dit aux voisins qu'elle était fille d'une dame de Londres et envoyée à la campagne pour sa santé, mais tout le monde pouvait constater l'attitude maternelle de Claire, et il ne manquait pas de bonnes âmes pour attribuer l'enfant à Shelley.
Maurois, Ariel ou la Vie de Shelley,1923, p. 241. C.− [À chacun des emplois précédents correspondent des emplois également trans. où l'obj. second. est un pron. réfléchi] 1. (Cf. supra I A 1).S'adjuger, prendre pour soi : 13. Cependant, sous les vagues des manifestations populaires, se découvraient les charges qui incombaient à la France mandataire. Il ne pouvait être question qu'elle en portât toujours le fardeau sur des territoires qui ne lui appartenaient pas et que les traités lui défendaient de s'attribuer.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1956, p. 19. 2. (Cf. supra I A 2).Se donner à soi-même (un avantage, un droit, un pouvoir, une prérogative, un rôle, une fonction, etc.) : 14. J'en étais arrivé à croire que tout s'achète. Je m'attribuais déjà, comme un privilège naturel d'homme riche, le droit de travailler peu, de faire travailler les autres.
R. Martin du Gard, Les Thibault,Épilogue, 1940, p. 820. 3. (Cf. supra I A 3).[Le suj. peut désigner, p. méton., une qualité ou un défaut] Se donner (un avantage) sans y avoir droit. La vanité s'attribue tous les mérites (Lar. encyclop.). Synon. s'arroger. 4. (Cf. supra I B 2).Se considérer comme l'auteur de quelque chose. Synon. revendiquer : 15. ... beaucoup s'attribuent des exploits qu'ils n'ont accomplis qu'en songe.
A. Arnoux, Rêverie d'un policier amateur,1945, p. 74. II.− En emploi pronom. passif, rare. [Le suj. désigne une action] Être attribué, rapporté à quelqu'un, considéré comme étant l'œuvre de quelqu'un. Les fautes d'un peuple peuvent presque toujours s'attribuer à ses gouvernants (Nouv. Lar. ill.). PRONONC. ET ORTH. : [atʀibɥe], j'attribue [ʒatʀiby]. Enq. : /atʀiby/ (il) attribue. Fér. Crit. t. 1 1787 propose la graph. atribuer avec un seul t. Lar. 19eau sujet de la conjug. du verbe : ,,Prend un e muet au futur simple et au cond. prés. : j'attribuerai, nous attribuerions; les poètes peuvent remplacer cet e muet par un accent circonflexe sur u; prend un tréma sur l'i aux deux prem. pers. du pl. de l'imp. de l'ind. et du prés. du subj. : nous attribuïons, que vous attribuïez. Toutefois l'Académie ne mentionne pas cette particularité.`` (Cf. aussi Nouv. Lar. ill.). ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1313 « assigner qqc. à qqn pour son partage » ([cité ds] Houdoy, Chap. de l'hist. de Lille, 35 ds Quem. : Se Wavrins estoit ostee de la dite castelenie, comme elle ne soit de nulle autre, li coens de Flandres le poroit attribuer a lui, dont il n'a nulle volontei); 1541 pronom. « attribuer à soi, revendiquer » (Calvin, Instit. I, xvi ds Gdf. Compl. : Le Seigneur s'attribue toute puissance); 2. 1370 « rapporter à, imputer, considérer comme étant la cause » (Oresme, Eth., 21 ds Littré : Felicité qui est si très grant bien et qui ne doit pas estre attribuée à fortune).
Empr. au lat. attribuere au sens 1 de « donner » (Rhet. Her., 3, 6, 10 ds TLL s.v., 1163, 26); au sens 2 (Cicéron, Nat. deor., 3, 89, ibid., 1166, 24). STAT. − Fréq. abs. littér. : 3 217. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 6 407, b) 3 508; xxes. : a) 4 013, b) 3 917. BBG. − Foi t. 1 1968. − Pierreh. Suppl. 1926. |