| ATTELER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− 1. Atteler (un animal de trait) à (une voiture) : − [L'obj. désigne l'animal, l'obj. indir. une chose] Attacher un cheval, un bœuf à une voiture, une charrue, etc., qu'il doit tirer. Atteler un cheval à une carriole; atteler les cavales ailées au char rapide (Moréas, Sylves,1896, p. 167): 1. Ici, le véritable animal de trait n'est pas le cheval; je n'ai pas encore vu d'âne : c'est le chien, le chien courageux et docile qu'on attelle à de petites voitures et qui les traîne au grand trot, en tirant la langue et en baissant la queue.
Du Camp, En Hollande,1859, p. 17. 2. Sachant que, pour pousser haut, le blé doit s'enraciner profond, il attelle les bœufs les plus puissants à la charrue la plus lourde, et il défonce le sol jusqu'en ses couches vierges de tout le poids des bêtes et du fer.
Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 137. − [Sans obj. second.] :
3. Le postillon attelle les chevaux dans la cour.
Gide, Les Nourritures terrestres,1897, p. 207. 4. ... Mmede Séryeuse, ne pouvant tenir en place, avait fait atteler et donné l'ordre d'une promenade dont elle n'avait pas l'habitude.
Radiguet, Le Bal du comte d'Orgel,1923, p. 125. SYNT. Chevaux attelés de front (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 164). Rosses attelées en arbalète (Maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, La Bête à Maît'Belhomme, 1885, p. 194). Deux chevaux, attelés en flèche (Zola, Nana, 1880, p. 1382). − P. méton. [L'obj. désigne le véhicule auquel on attelle les animaux] Atteler le break, le cabriolet, le traîneau; cabriolet bien attelé (emploi part. passé pris comme adj.). − Absol. Atteler à six chevaux; atteler à huit; atteler à la daumont. − Arg. Atteler à deux, à trois, à quatre, à plusieurs. ,,Avoir plusieurs maîtresses`` (Bruant 1901, p. 300) : 5. Et les Maltais? Encore dans le secteur [de la prostitution à Londres]? − Oui... chacun attelé à cinq, six gonzesses.
A. Le Breton, Du Rififi chez les Hommes,1953, p. 128. 2. P. anal. a) [L'obj. désigne un véhicule] Atteler la locomotive à son convoi : 6. ... au pont de l'Europe, il lui [à la Lison] fallut attendre; et il n'était que l'heure réglementaire, lorsque l'aiguilleur l'envoya sur l'express de six heures trente, auquel deux hommes d'équipe l'attelèrent solidement.
Zola, La Bête humaine,1890, p. 117. − P. ext. Atteler un wagon : 7. À la recette inférieure du plan incliné se tient un receveur qui détache les wagons pleins et attelle les wagons vides...
J.-N. Haton de La Goupillière, Cours d'exploitation des mines,1905, p. 903. b) Rare. [L'obj. désigne une pers.] :
8. Les hommes, attelés à la corde à court intervalle les uns des autres, arc-boutés dans les trous de l'herbage, tiraient à l'unisson. − Ensemble! Criaient-ils, balançons-le! ... Une! ... Deux! Leurs huit bras ne faisaient qu'une chair brune, qu'une courroie veineuse et musclée. Alors quelque chose d'insolite se passa dans l'ormeau. Puis, avec indifférence, sa cime oscilla, parut se déplacer.
Châteaubriant, M. des Lourdines,1911, p. 16. SYNT. [Homme] attelé à la charrette (Giono, Regain, 1930, p. 74). Hâleur attelé à une péniche (R. Martin du Gard, Les Thibault, Épilogue, 1940, p. 906). − Spéc., arg. ,,Unir deux détenus transférés au moyen d'une chaîne à cadenas (Forban 1829)`` (Esn. 1966). − P. métaph. Atteler qqn à son char, au char de qqn. Le placer sous son autorité, en faire son collaborateur. Atteler au même char. Mettre ensemble : 9. Si l'on attèle au même char des hommes qui ont des volontés et des sentiments opposés dans ce qui tient au gouvernement en général et à la ligne de conduite à suivre pour l'assurer, on sera dans l'anarchie et le trouble.
Maine de Biran, Journal,1816, p. 130. 10. Ainsi, pour mes mœurs et mon art,
C'est la période védique
Qui seule a bon droit revendique
Ce que j'en « attelle à ton char ».
Laforgue, L'Imitation de Notre-Dame la Lune,1886, p. 237. 11. L'influence qu'il [M. Thorez] exerce sur la classe ouvrière, le désir qu'éprouve l'opinion et que je ressens moi-même de le voir revenir à la nation, me déterminent à lui donner sa place dans le travail de redressement. Ruant, mordant, se cabrant, mais attelé entre les bancards et subissant le mors et la bride, il va donc, lui aussi, tirer la lourde charrette. C'est mon affaire de tenir les rênes.
De Gaulle, Mémoires de Guerre,1959, p. 99. ♦ Péj. Se laisser atteler au char de l'ennemi (Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, préface, p. XX). ♦ Atteler l'audace à leur talent (Murger, Scènes de la Vie de bohème,1851, p. 13). B.− P. ext. 1. TECHN. Atteler (une chose) à (une autre). L'y attacher de manière qu'elle lui communique son mouvement ou son énergie : 12. Les moteurs d'épuisement à commande directe... sont attelés en tandem aux pompes qu'ils actionnent.
J.-N. Haton de La Goupillière, Cours d'exploitation des mines,1905, p. 577. 2. Au fig. Atteler qqn à (une tâche, un travail). L'en charger de manière qu'il en prenne la responsabilité. Consciences difficiles à atteler à une grande œuvre (Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 521): 13. ... à peine rentrées, on nous attelle à des exercices de ronde et de bâtarde en vue des examens proches.
Colette, Claudine à l'école,1900, p. 63. II.− Emploi pronom. A.− Emploi pronom. à sens passif, rare. [En parlant d'un animal] Un âne... qui pouvait s'atteler à tous les véhicules (Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes,1913, p. 215). − À sens actif. [En parlant d'un homme] :
14. Lorsque le fleuve est profond et que les perches ne peuvent en atteindre le lit, les matelots se jettent à la nage, une corde aux dents, puis se réunissent sur le rivage, s'attellent au long câble rattaché au mât de la barque et la tirent en allant à la file comme des chevaux de halage.
Du Camp, Le Nil,1854, p. 88. B.− Au fig. 1. Emplois métaph. : 15. L'œuvre intellectuelle cesse de la sorte d'être un monument pour devenir un fait, un levier d'opinion. Chacun s'attelle au siècle pour le tirer dans sa direction; ...
Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 227. − Spéc. S'atteler au char de qqn. Le suivre, accepter d'être placé sous son autorité : 16. Les peuples ont revu César;
Les rois s'attellent à son char.
Quinet, Napoléon,1836, p. 169. 2. S'atteler à une besogne, à une tâche. En prendre l'initiative et/ou la responsabilité. S'atteler aux grandes réformes indispensables (De Gaulle, Mémoires de Guerre,1959, p. 591).S'atteler immédiatement à cette tâche urgente (Joffre, Mémoires,1931, p. 37). PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [atle], j'attelle [ʒatεl]. 2. Forme graph. − Fait partie des verbes en -eler qui doublent la consonne l devant un e muet : j'attelle. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1165-70 « attacher une bête à une voiture » (Chr. de Troyes, Erec et Enide, éd. W. Foerster, 4731 ds T.-L. : Erec ont sus couchié anvers, S'i ont deus chevaus atelez); 1210-40 « (l'objet désigne un moyen de locomotion), munir (un véhicule) de bêtes de trait » (Gui de Bourgogne, éd. E. Guessard et H. Michelant, 50 ibid. : Les chars ont fait estruire et mult bien ateler); 2. 1676, 17 mai, pronom. fig. fam. « s'associer (avec qqn) » (Mmede Sévigné, Lettres à Mmede Grignan ds Dict. hist. Ac. fr. : Il faut que M. de la Garde ait de bonnes raisons pour se porter à l'extrémité de s'atteler avec quelqu'un; je le croyais libre, et sautant, et courant dans un pré; mais enfin il faut venir au timon, et se mettre sous le joug comme les autres); av. 1850 « se consacrer, se dévouer (à qqc.) » (Balzac ds Lar. 19e: On pouvait compter que ces deux fractions de l'opposition s'attelleraient de tout cœur au succès d'un candidat aussi ridicule).
Du lat. *attelare, issu, avec substitution de préf., du b. lat. protelare, attesté dep. Tertullien (Poenit., 4 ds Forc.) au sens de « conduire jusqu'au bout », mais qui a prob. pris ultérieurement le sens de « atteler » d'apr. le subst. protelum, attesté au sens de « attache de l'attelage » dep. Caton (cité par Nonnius, p. 363, 6, ibid.) et de « attelage » dep. Pline (Hist. Nat., 9, 15, 17, 45, ibid.). STAT. − Fréq. abs. littér. : 453. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 482, b) 1 031; xxes. : a) 862, b) 441. BBG. − Atteler des chevaux sur un duc. Intermédiaire (L') des chercheurs et des curieux. 1882, t. 15, col. 37, 84-85. − Barb.-Cad. 1963. − Bél. 1957. − Canada 1930. − Dul. 1968. − Esn. 1966. − Fén. 1970. − Forest. 1946. − Gottsch. Redens. 1930, p. 120, 265, 271, 323. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 228. − Le Breton 1960. − Pope 1961 [1952] § 729, 926. − Sandry-Carr. 1963. |