| ATTACHER, verbe. I.− Emploi trans. A.− [Le suj. désigne un animé ou un inanimé] Fixer, retenir à l'aide d'un objet qui lie (corde, objet en fer). Attacher à, avec, par : 1. J'ai renoncé depuis longtemps à l'attacher [Dindiki] par la patte; il faisait tant de tours que je le trouvais au matin parfois presque étranglé par sa ficelle.
Gide, Le Retour du Tchad,1928, p. 889. − P. anal. Joindre une chose à une autre par un moyen qui rappelle ce genre de lien : 2. ... lorsque, parvenu au col qui attache les deux principaux sommets du mont Ganghour, je découvrirais l'amphithéâtre incommensurable des neiges éternelles; lorsque je demanderais à mes guides, comme Heber, l'évêque anglican de Calcutta, le nom des autres montagnes de l'est, ils me répondraient qu'elles bordent l'empire chinois.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 2, 1848, p. 234. B.− P. ext. 1. [Le suj. désigne un animé ou un inanimé] Coller, appliquer une chose sur une autre : 3. ... [si les] combustibles sont (...) à l'état de fines, on les mouille pour les attacher au calcaire et les empêcher de filtrer jusqu'au bas du four.
L. Ser, Traité de phys. industr.,t. 2, 1890, p. 538. 2. Dans le domaine des sens.[Le suj. désigne un animé ou un inanimé] a) Attacher les regards, les yeux. Les attirer, les captiver. Ce spectacle attachait nos regards (Ac.1835, 1878). b) Attacher ses regards, ses yeux sur. Les fixer sur : 4. ... quand il [le voyageur] part, il sent que des yeux et des cœurs le suivent de ce rivage qu'il voit s'enfuir derrière lui. Il y attache lui-même ses regards, il y laisse quelque chose de son propre cœur; ...
Lamartine, Voyage en Orient,t. 1, 1835, p. 159. C.− Au fig. 1. [Le suj. désigne un animé ou un inanimé] Fixer une personne ou un animal à une personne, une collectivité, une fonction, un lieu par des liens de dépendance (dévouement, intérêt, parenté, etc) : 5. Avec les trèfles, les graminées, les vesces, les orges, il [l'homme] a attiré et attaché à son domicile la chèvre, la vache, l'âne, le cheval, et jusqu'à des oiseaux, tels que la poule et le pigeon, qui, ayant des ailes, semblaient destinés à une liberté perpétuelle. S'il a attiré et fixé dans son habitation les animaux herbivores par des herbes bienfaisantes, il éloigne d'elle les animaux carnassiers...
Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 94. ♦ Attacher qqn aux pas, aux talons de qqn. Le faire suivre, souvent dans un but funeste : 6. ... il [Mouret] fit de ses enfants des espions qu'il attacha aux talons de l'abbé.
Zola, La Conquête de Plassans,1874, p. 921. 2. [Le suj. désigne un animé et parfois un inanimé] Lier affectivement un animé à un autre animé ou à un inanimé concret. Attacher qqn : 7. Ce qui m'attache à ce lac, c'est moins son extraordinaire beauté que d'y sentir vivre et battre cette artère puissante du Rhône.
Michelet, Journal,1856, p. 303. 3. [À propos d'autres liens abstr.] a) [Le suj. désigne un animé ou un inanimé abstr.] Lier quelque chose ou quelqu'un à une chose; donner, attribuer quelque chose à un animé ou à un inanimé. Attacher son attention, sa pensée à... : 8. Vous savez l'ordre divin qui attache par un lien indissoluble l'aveu au pardon.
Renan, Drames philos.,Appendice à l'Abbesse de Jouarre, 1888, III, 2, p. 654. ♦ Attacher son bonheur, sa gloire à qqc. Les en faire dépendre (cf. Ac. 1835-1932). SYNT. Attacher son nom à une découverte, à une époque, à un événement, à un lieu, à une œuvre; attacher une idée, un sens, une signification à un fait, à un mot; attacher de l'importance, de l'intérêt, du poids, du prix, de la valeur à... b) Spéc. [Le suj. désigne un animé, un inanimé concr. ou abstr.] Intéresser, occuper, captiver une personne ou une de ses facultés (esprit, imagination) : 9. Rien ne m'occupe, rien ne m'attache; je me sens encore suspendu dans le vide.
Senancour, Obermann,t. 2, 1840, p. 233. 4. Expr. Attacher le grelot (p. allus. à un vers d'une fable de La Fontaine, Conseil tenu par les Rats, Livre II, fable 2 : ,,Dès l'abord leur doyen [des rats] personne fort prudente, / Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,/ Attacher un grelot au cou de Rodilard; / (...) / La difficulté fut d'attacher le grelot``). Être le premier à entreprendre une affaire difficile, nouvelle; attirer l'attention sur elle : 10. Celui des dreyfusards qui avait le plus de talent, le plus de plume, était à mon avis, avant Cornély, Bernard Lazare. Ce fut lui, d'ailleurs, si j'ai bonne mémoire, qui en novembre 1897, attacha le grelot avec deux brochures.
L. Daudet, Bréviaire du journ.,1936, p. 240. D.− Argot 1. Attacher un bidon, une gamelle. Dénoncer : 11. ... il nous a attachés un bidon le jour que je t'ai vue à l'instruction, pour aller avec Henri Chevet [E. Chevallier, lettre, Mazas, 30 mai 1876.]
Larch.Suppl.1880, p. 15. 2. Ne pas attacher ses chiens avec des saucisses. Être regardant à la dépense : 12. Par lui, nous apprîmes enfin que le temps passé ne revient plus, qu'il ne faut pas mettre tous ses œufs dans un même panier, ni attacher ses chiens avec des saucisses; ...
Bloy, Journal,1904, p. 166. II.− Emploi pronom. A.− [Le suj. désigne un animé ou un inanimé concr.] Se fixer, être fixé à une personne, un animal, une chose, à l'aide d'un objet qui lie. S'attacher par, avec : 13. ... une corne de chevreuil, renfermant le plomb et le salpêtre, s'attache par un cordon en forme de baudrier, sur leur poitrine; ...
Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 123. − P. anal. [Le suj. désigne un animé ou un inanimé concr.] Se fixer, être fixé à un animé ou un inanimé concret par un moyen qui rappelle ce genre de lien : 14. Il vit des bras démesurément larges à l'endroit où ils s'attachent aux épaules.
Mauriac, Le Baiser au lépreux,1922, p. 185. B.− P. ext. 1. [Le suj. désigne un inanimé et parfois un animé] S'appliquer, se coller à, être collé à : 15. − Ils s'étaient promenés aussi, par les après-midi de dimanche clairs et froids sur les bords de la Moselle, poussant même jusqu'à la forêt, scintillante et magique, sous le givre cristallisé qui s'attachait aux branches.
Moselly, Terres lorraines,1907, p. 57. − Spéc., ART CULIN., souvent fam. [Le suj. désigne un mets] Se coller au fond d'une casserole, d'un plat : 16. − il faut que j'aille remuer mes lentilles qui sont sur le feu, car il n'y a rien de traître comme les lentilles pour s'attacher.
A. France, La Vie en fleur,1922, p. 311. 2. Dans le domaine des sens.[Le suj. désigne gén. un sens ou présente un rapport avec un sens] Se lier, être lié à un objet, à un lieu. Les yeux s'attachent à, sur. C.− Au fig. 1. [Le suj. désigne une pers., une collectivité, parfois un inanimé abstr.] Se fixer à une personne, une fonction par des liens de dépendance (intérêt, service, dévouement). S'attacher à la fortune de qqn, au service de qqn; s'attacher auprès de qqn. ♦ S'attacher à qqn, aux pas de qqn, à la poursuite de qqn. Le poursuivre de façon insistante, parfois dans un mauvais dessein : 17. doña sol. − Non, je te suis, je veux ma part de ton linceul! Je m'attache à tes pas.
Hugo, Hernani,1830, II, 4, p. 51. 2. [Le suj. désigne une pers., un animal, parfois un inanimé abstr.] Se lier affectivement à une personne, à un animal ou à un inanimé concret : 18. Peu à peu, je vois bien que je me déprends de tout. Si je fais remettre en état quelques meubles, c'est que je n'aime pas le délabrement, mais cela ne veut pas dire que je m'attache à toutes ces choses.
Green, Journal,1950-54, p. 221. 3. [À propos d'autres liens abstr.] a) [Le suj. désigne un inanimé abstr.] Se fixer, être fixé à une chose, parfois à une personne; l'accompagner, la poursuivre. S'attacher au nom, à la personne de qqn; s'attacher sur qqn : 19. Informe-toi, si les avantages qui s'attachent à l'admissibilité subsisteront pendant deux ans, si on t'en tiendra compte en 1909.
J. Rivière, Correspondance[avec Alain-Fournier], 1907, p. 216. b) [Le suj. désigne une pers., une collectivité, ou une faculté hum.] S'occuper de, s'intéresser à, s'appliquer à, se tenir à : 20. Nous avons passé le temps où l'homme parfait nous paraissait être celui qui, sachant s'intéresser à tout sans s'attacher exclusivement à rien, capable de tout goûter et de tout comprendre, trouvait moyen de réunir et de condenser en lui ce qu'il y avait de plus exquis dans la civilisation.
Durkheim, De la Division du travail soc.,1893, p. 4. − S'attacher à ce que, s'attacher à + inf.S'attacher à reconnaître (Voyage de La Pérouse,t. 3, 1797, p. 80). SYNT. S'attacher à des bagatelles, à une idée, à une opinion, à un préjugé; s'attacher à l'esprit, à la lettre; s'attacher à la mémoire de qqn; s'attacher à son devoir. 4. Expressions a) Je meurs où je m'attache. Devise de la constance (cf. Ac. 1932). b) S'attacher au char de... ♦ S'attacher au char d'une femme. Aliéner sa liberté en sa faveur (cf. Ac. 1835, 1878). ♦ P. anal. S'attacher au char de la puissance, de la faveur (Ac. 1835, 1878). ♦ S'attacher au char de la fortune. Essayer de s'enrichir : 21. Oui, morbleu! Attachons-nous toujours au char de la fortune, surtout quand il monte! ...
Scribe, La Camaraderie,1837, II, 4, p. 273. III.− Emploi intrans., rare, ART CULIN., parfois fam. [En parlant d'une préparation culinaire, d'un aliment] Adhérer au fond d'un plat, d'une casserole, en raison d'une cuisson mauvaise, excessive. Le ragoût a attaché (DG). Rem. On rencontre dans la docum. le néol. attachage, subst. masc. (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 162; suff. -age*). Action de fixer une personne, un animal ou une chose à l'aide d'un lien. L'attachage du condamné au poteau (Cendrars, Bourlinguer,1948, p.162). PRONONC. ET ORTH. : [ataʃe], j'attache [ʒataʃ]. Enq. : /ataʃ/ (il) attache. Fér. 1768 transcrit le verbe avec [tt] géminées : attaché. Fér. Crit. t. 1 1787 propose la graph. atacher avec un seul t. ÉTYMOL. ET HIST.
A.− Ca 1100 « lier à qqc. » (Chanson de Roland, éd. Bédier, 3737 : A un'estache l'unt atachet cil serf).
B.− 1. xiies. « lier, unir à qqn (par un sentiment) » (Mém. de la Société des Antiquaires de Normandie, 3esér., t. 7, p. 425 : Mis cuers deust bien estre o lui atachiez et si fermez Qu'altres n'en fust ja escoltez); 2. 1280 « appliquer, consacrer (son cœur, son esprit) » (Roman de la Rose, 5358, éd. Langlois, t. 2, p. 254 : E pour ce veuil que tu le saches Que ton cueur pour riens n'i ataches); 1574 s'attacher (à qqc.) (Amyot, trad. de Plutarque,
Œuvres morales, Comment on pourra discerner le flatteur d'avec l'amy ds Dict. hist. Ac. fr., p. 237a); spéc. 1580-92 attacher ses yeux, sa vue sur qqn, sur qqc. « regarder qqn, qqc. avec attention, avec intérêt » (Montaigne, Essais, III, 10, ibid., p. 225a); 3. 1655 « mettre (une faculté, une qualité) au service de qqn » (Molière, L'Etourdi, II, 7 ds
Œuvres, éd. Du Seuil, 1962, p. 57 : je souhaitais fort Qu'un garçon comme toi plein d'esprit et fidèle, A mon service un jour pût attacher son zèle), plus fréq. s'attacher (à qqn) (Ac. 1694); d'où 4. 1822 admin. part. passé subst. « celui qui est attaché à une ambassade » (Martens, Manuel diplomatique ds Dict. hist. Ac. fr., p. 243a : Indépendamment des secrétaires d'ambassade ou de légation, il arrive encore que les gouvernements nomment, pour être attachés aux missions, notamment à celles de première classe... des gentilshommes portant le titre d'attachés et d'élèves); 5. 1662 « adjoindre par l'esprit, associer, accoler » (Nicole, Traité de la foiblesse de l'homme, c. 1, ibid., p. 227a : Si l'on demande pourquoi le Grand Seigneur a fait, depuis peu, périr cent mille hommes devant Candie, on peut répondre sûrement que ce n'est que pour attacher encore, à cette image intérieure qu'il a de lui-même, le titre de conquérant).
Issu, avec chang. de préf. (a-1*), du verbe a. fr. estachier « attacher » (début xiiies., Aliscans ds T.-L.), dér. du subst. estache « pieu » (ca 1100, Roland, ibid.), lui-même empr. à l'a. b. frq. *stakka « pieu »; une forme avec -kk- est en effet nécessaire pour expliquer les formes fr. La difficulté réside dans le fait que les formes germ. corresp. ne comportent qu'un seul -k- : a. nord. -staki (élément), ags. staca, a. fris. staka « palis », m. b. all., m. néerl. stake « perche », formes à rattacher aux verbes : a. nord. staka « pousser, heurter », m. b. all., m. néerl. staken « mettre des palissades » (i.-e. *steg- « pieu, perche », IEW t. 1, p. 1014); il faut peut-être admettre que le mot s'est répandu avec une certaine force expressive auquel correspondrait le -kk- (FEW t. 17, p. 205b). Parallèlement, l'a. prov. estacha (xiies. ds Rayn.), l'ital. stacca (xives. ds DEI), l'esp. estaca (1140 ds Cor.) sont empr. au got. *stakka. STAT. − Attacher. Fréq. abs. littér. : 6 143. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 13 405, b) 7 128; xxes. : a) 6 219, b) 7 121. Attachage. Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Bél. 1957. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 19. − France 1907. − Larch. Suppl. 1880. − La Rue 1954. − Spr. 1967. − Timm. 1892. |