| ASSENER, verbe trans. A.− [Le suj. du verbe désigne une pers.; l'obj. premier désigne un coup, une volée de coups, l'obj. second. une pers. ou une partie du corps] 1. Diriger avec violence et de manière à frapper juste (un coup) vers quelqu'un, dans l'intention de le mettre à mal. Assener un coup (de poing, de bâton) sur la nuque, dans la figure; assener une raclée à qqn : 1. Le prêtre se tourne vers le peuple en criant : Ave Maria! Le peuple répète cette prière une fois, deux fois. À la troisième, l'un des bourreaux assène un coup de maillet sur la tête du coupable qui tombe étourdi.
Delécluze, Journal,1826, p. 314. − Emploi pronom. de l'obj. second. (réfl. ou réciproque) : 2. Jamais j'en avais tant vu, d'convois dans la nuit, jamais! Puis il s'assène un coup de poing sur la poitrine, se rassoit d'aplomb, grogne, et ne dit plus rien.
Barbusse, Le Feu,1916, p. 262. 3. Souvent, les combattants se mettent en colère et s'assènent des volées de coups de poing au milieu des « hou » de la foule; ...
Morand, Londres,1933, p. 150. − P. anal. [L'obj. premier désigne une chose dont l'effet est comparable à celui d'un coup] Assener l'atout sur la table; assener un accord, deux accords sur le piano : 4. Tout rythme s'est cassé dans les heurts des échos. Tantôt grondante, tantôt métallique et craquante, la foudre que tricotent les baguettes enragées, rejaillit des façades; chacune des hautes maisons vous assène, au passage, un pan de bruit, de ce bruit qui les bat, enfonce les fenêtres béantes, ...
Vercel, Capitaine Conan,1934, p. 34. 2. P. méton., rare. [L'obj. du verbe désigne ce qui sert à donner un coup] Assener un stoc sur qqn : 5. Gilliatt jeta les yeux au large. Le brise-lames allait être encore assailli. Un nouveau coup de mer venait. Cette lame fut rudement assenée; une deuxième la suivit, puis une autre et une autre encore, cinq ou six en tumulte, presque ensemble; enfin une dernière, épouvantable.
Hugo, Les Travailleurs de la mer,1866, p. 357. 3. Au fig. Assener un outrage, un verdict, des injures à qqn; assener un avertissement à qqn : 6. Quand on disait doucement la vérité à Pierre, il se méfiait, il fallait la lui asséner avec violence, pour étourdir et paralyser les soupçons.
Sartre, Le Mur,1939, p. 57. Rem. L'emploi fig. s'est développé au xxesiècle. B.− Emplois spéc. Fixer quelqu'un ou quelque chose. 1. Rare. [L'accent est mis sur la violence] :
7. La jeune femme qui m'ouvrait recula, en nous voyant, vers une porte fermée, puis elle cria : Stefanesco, sans un mot, venait de lui sauter aux épaules; il la poussait, chancelante, à reculons, l'assénait au mur, l'y maintenait comme clouée, à bras tendus.
Vercel, Capitaine Conan,1934, p. 133. 2. PÊCHE. [L'accent est mis sur l'ajustement] Assener les filets. ,,Les développer sur le rivage pour recueillir la pêche`` (Lar. 19e-Lar. encyclop.). PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [asəne] ou [asene], j'assène [ʒasεn]. Barbeau-Rodhe 1930, Pt Lar. 1968 et Warn. 1968 transcrivent l'inf. avec [ə] muet (Warn. 1968 met [ə] entre parenthèses, ce qui signifie qu'on peut aussi prononcer : [asne]). Harrap's 1963, Dub. et Pt Rob. notent [e] fermé pour la 2esyll. de l'inf. Passy 1914 donne deux possibilités de prononc. : -εne ou -ene. Il est le seul dict. à admettre la prononc. de la 2esyll. avec [ε] ouvert. 2. Forme graph. − Ac. 1932, Rob., Quillet 1965, Pt Rob. et Pt Lar. 1968 écrivent le verbe assener sans accent sur le e de la 2esyll. Pour Pt Rob., comparer la graph. e sans accent avec la forme phon. avec [e] fermé, cf. supra 1. Lar. encyclop. et Dub. admettent assener ou asséner (Dub. donne pour les deux formes la même transcr. : [e] fermé, cf. supra 1). D'apr. Ortho-vert 1966, p. 95 ,,La forme asséner avec é, qui tend à se répandre est encore tenue pour incorrecte.`` 3. Hist. − La majorité des dict. de prononc. transcrit la 2esyll. avec [ə] muet : Fér. 1768, Fér. Crit. t. 1 1787, Nod. 1844, Littré et DG. Seuls Land. 1834, Gattel 1841 et Fél. 1851 donnent la prononc. avec [e] fermé. La majorité des dict. gén. écrit le mot sans accent aigu. On ne trouve la graph. é que ds Land. 1834, Gattel 1841 (ce qui correspond à leur transcr. avec [e]), Besch. 1845 et Guérin 1892. Ac. Compl. 1842 distingue deux vedettes : assener, terme d'anc. jurispr. et asséner (vx lang.) qui signifie assigner (cf. aussi Lar. 19equi, s.v. assener sans accent, rappelle que ,,c'est une ancienne forme du v. assigner, employé originairement dans son sens étymologique``. À noter enfin que Fél. 1851 et Littré transcrivent le verbe avec [ss] géminées : a-sse-né. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Ca 1138 trans. asener « viser, frapper qqn » (Gaimar, L'estorie des Engles, éd. par Sir Thomas Duffus-Hardy et Charles Trice Martin, Londres, 1888, vers 1849, p. 74 : De la hache tel li dona En sum le chef, u l'asena, Treskas espaules le fendi) emploi abs. ou trans. jusqu'au xvies., Montaigne ds Gdf.; xiiieassener un coup sur qqc. (Claris et Laris, éd. J. Alton, 2453 ds T.-L.); 1580-92 au fig. (Montaigne, Essais. II, 31 ds Dict. hist. Ac. fr., t. 4, p. 59 : J'apperceois, ce me semble, es escripts des anciens, que celui qui dict ce qu'il pense l'assene bien plus vifvement que celui qui se contrefaict); rare au fig. av. le xixes. 1868 (A. Daudet, Le Petit chose, p. 324 ds IGLF; sans essayer d'amortir le coup, il me répondit brutalement : « ... Il ne passera pas la nuit ». Ce fut bien asséné, je vous en réponds); 2. 1155 intrans. assener à « atteindre un lieu, y parvenir » (Wace, Brut, éd. Arnold, 1801 ds Keller, p. 359 : Caroles faiseient e gens Pur la joie des novels lieus U il esteient assené) − xives. Grandes chroniques de France ds Gdf.; 3. ca 1190 trans. direct « assurer, fixer (la possession d'un bien) par assignation » (Lambert Le Tort, A. de Bernay, Alexandre, éd. H. Michelant, 461, 32 ds T.-L. : A ses deux fins avoit son päis assené), signalé comme terme de coutume dep. Fur. 1690.
Dér. de l'a. fr. sen au sens de « direction dans laquelle on marche », av. 1150 (Première version fr. du Lapidaire de Marbode ds P. Studer et J. Evans, Anglo-norman lapidaries, 1924, p. 47 : De magnete [...] De la maisun en katre sens Li funs s'en sailt come d'encens [à moins qu'il ne s'agisse du mot sens, lat. sensus?]); apr. 1174 (Ben. D. de Norm., II, 32816 ds Gdf.); l'a. fr. sen est aussi attesté au sens de « raison, intelligence » (1100-20, Alberic, Alexandre, 6, Stengel, ibid.). L'examen de l'aire géogr. du mot sen attesté à une date anc. en fr., prov., ital., rhéto-roman, cat. (l'esp. serait empr. au prov.), REW3, no7948a, suggère l'hyp. d'un empr. au germ. occ. *sinno- « direction; intelligence », prob. par l'intermédiaire d'un lat. vulg. sinnum, attesté au sens de « sentiment, esprit » dans une inscription de la ville d'Histonium, région de l'Adriatique ds Corpus inscriptionum latinarum, éd. Mommsen, IX, 1183, p. 271, no2893 : q[u]e at superos sinn[um] abebat (Vään., p. 51, voit prob. à tort dans sinnum une graphie phon. pour signum). D'autre part, le sens de « direction » étant propre au domaine gallo-rom. et spéc. bien attesté dans le domaine franco-prov. (Jura bernois, Vermes, sa « direction » cité par O. Keller ds Mélanges Duraffour, 1939, p. 134) il est possible que le mot ait été en ce sens introduit par les Francs et peut-être aussi par les Burgondes (FEW t. 17, p. 73b). Ce sens de « direction » est attesté par le corresp. got sinps « chemin, voyage » (Feist, p. 423) et l'a. h. all. sinnan « voyager, chercher à atteindre; méditer » (d'un plus anc. *sinpan, les occlusives i.-e. disparaissant lorsqu'elles sont précédées et suivies d'un n. Brüch ds Z. fr. Spr. Lit., t. 49, 1927, p. 294, v. aussi FEW, loc. cit., p. 74a, note 17), l'ensemble étant à rattacher à la racine i.-e. sent- « prendre une direction; ressentir, éprouver » [d'où aussi le lat. sentire « sentir, éprouver », l'all. Sinn « sentiment, intelligence »], IEW t. 1, p. 908.
Le lat. assignare « assigner, attribuer » (Dauzat68) ne constitue pas pour assener un étymon acceptable; il a seulement exercé une attraction sur le mot au sens de « attribuer, assigner », v. assigner. STAT. − Fréq. abs. littér. : 100. BBG. − Brüch (J.). Bemerkungen zum französischen etymologischen Wörterbuch E. Gamillschegs. Z. fr. Spr. Lit. 1927, t. 49, p. 293. − Dupin-Lab. 1846. − Le Roux 1752. − Pierreh. 1926. |