| ASSEZ, adv. I.− Assez détermine un verbe, un adj., un adv. ou un subst. A.− Assez marque l'intensité ou la quantité suffisante. 1. Assez + verbe.Tu as assez bu comme cela; j'ai assez travaillé pour aujourd'hui : 1. − Ce qu'avait ta belle-mère?
− Plus le sou! Elle a assez payé déjà pour moi.
E. et J. de Goncourt, Journal,1868, p. 412. 2. Au milieu des ronces, dont l'épaisseur montre assez que jamais personne n'y vient, je me fraye à pied, un passage aux sources.
Barrès, Mes cahiers,t. 11,1914-18, p. 44. 2. Assez + adv. : 3. − Le bateau n'allait jamais assez vite à mon gré. Un matin, ce fut la France... Dès le jour, j'étais debout, à l'avant, à l'attendre.
Pesquidoux, Le Livre de raison,1932, p. 110. 3. Assez + de + subst. : 4. Assez de gens feront des notes, et même de bonnes notes; mais qui saura rendre dans nos langues modernes les beautés de l'antique?
Courier, Lettres de France et d'Italie,1810, p. 817. 5. ... on produirait toujours assez de marchandises, si l'on pouvait facilement en trouver le débit.
Say, Traité d'écon. pol.,1832, p. 138. 6. ... aux âmes comme la sienne l'univers n'offre pas assez d'aliments.
G. Sand, Lélia,1833, p. 23. 7. Bah! Les affaires m'ennuient, je ne veux plus entendre parler d'affaires, j'ai assez d'argent et n'aurai jamais assez de bonheur.
Balzac, César Birotteau,1837, p. 312. B.− Assez exprime une intensité ou une quantité telle qu'elle aboutit à une conséquence. 1. La conséquence est exprimée par pour + inf. : 8. Je vous remercie de m'avoir jugé assez votre ami pour participer à votre anxiété paternelle et au bonheur qui la suivra.
Lamartine, Correspondance,1830, p. 9. 9. ... car j'ai cette conviction baroque que les peuples sont assez grands pour se gouverner tout seuls.
Du Camp, En Hollande,1859, p. 151. 10. Le foin est bien coupé lorsqu'il l'est d'un coup circulaire complet, sans échelles, rejoignant la piste précédente, pas assez pour former brosse sous le pied.
Pesquidoux, Chez nous,1923, t. 2, p. 76. 11. Elles ont souri au gendarme, un sourire humble et complice... Et cette porte qui s'ouvre à notre passage, assez pour ne laisser aucun doute sur le lieu...
Vercel, Capitaine Conan,1934, p. 73. 2. La conséquence est exprimée par une sub. (au subj.) introd. par pour que : 12. S'il sortait de ce puits une lueur de soufre,
On dirait une bouche obscure de l'enfer.
La trappe est large assez pour qu'en un brusque éclair
L'homme étonné qu'on pousse y tombe à la renverse;
Hugo, La Légende des siècles,Eviradnus, t. 1,1859, p. 378. 13. ... bien que j'eusse pris ma femme à l'écart, elle avait élevé la voix assez pour que Gertrude l'entendît.
Gide, La Symphonie pastorale,1919, p. 897. 3. La conséquence est exprimée par une principale, assez figurant dans une prop. cond. ou temp. : 14. Si j'ai assez d'argent, lui disait la comtesse, j'enverrai quelqu'un à Genève, ...
Stendhal, La Chartreuse de Parme,1839, p. 73. 15. Si des fois t'avais peur que les Boches ne te repèrent pas assez, tu pourrais peut-être emporter un petit drapeau et jouer de la trompette.
Dorgelès, Les Croix de bois,1919, p. 8. 16. Lorsque nous serons assez loin, nous virerons perpendiculairement à notre direction première, ...
Saint-Exupéry, Terre des hommes,1939, p. 221. 4. La conséquence se dégage implicitement dans une prop. juxtaposée (parataxe) : 17. − Mon père, laissez-moi sortir.
− Je vous le défends! Vous avez assez commis de sottises, c'est à moi d'agir comme je l'entendrai.
Theuriet, Le Mariage de Gérard,1875, p. 182. Rem. Assez s'oppose à trop qui exprime un excès empêchant la réalisation du but exprimé par pour + inf. ou pour que. Il n'existe pas de morphème spécifique exprimant l'intensité insuffisante : ,,elle s'exprime soit par l'excès de la faiblesse : il est trop peu intelligent pour..., soit par la négation de la suffisance : il n'est pas assez intelligent pour...`` (Goug. Syst. gramm. 1962). C.− À l'idée d'intensité ou de quantité s'ajoute une valorisation en moins ou en plus, gén. marquée par l'intonation dans la lang. parlée. 1. Assez marque l'atténuation ou la litote (synon. passablement, et, pop. pas mal). a) Assez modifie un adj. : 18. Je me tenais volontiers, mon ami, à des conclusions assez semblables.
Sainte-Beuve, Volupté,t. 2,1834, p. 177. 19. Sainte-Beuve, qui nous a écrit pour nous voir, vient à deux heures. C'est un homme petit, assez rond, un peu lourd, presque rustique d'encolure, simple et campagnard de mise, un peu à la Béranger, sans décorations.
E. et J. de Goncourt, Journal,1861, p. 976. 20. À la fin du soir, vers minuit, une assez irrésistible tristesse me prend aussi de l'absence de sérieux de tout cela, ...
Gide, Feuillets,1895, p. 64. 21. Elle m'entretient bien avec une certaine insistance de difficultés d'argent qu'elle éprouve, mais ceci, semble-t-il, plutôt en manière d'excuse et pour expliquer l'assez grand dénuement de sa mise.
Breton, Nadja,1928, p. 59. b) Assez modifiant un adv. : 22. Pendant quelques semaines, ils revirent leur ami assez régulièrement.
Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 218. 23. Ce livre m'avait alors bouleversé. Aujourd'hui, je suis plein de réserves et réagis assez violemment contre lui.
Gide, Journal,1943, p. 201. c) Assez modifie un verbe : 24. Je serais assez tenté de croire que la jouissance de quelques plaisirs futiles n'a jamais attiré de bien loin beaucoup de monde.
Say, Traité d'écon. pol.,1832, p. 237. 25. marcelle. − Oh! Voyons, il ne s'agit pas d'un travail! Avouez que cela vous plaît assez...
Mauriac, Asmodée,1938, I, 4, p. 31. 26. Vous étiez assez d'avis que c'était une salamandre.
Giraudoux, Ondine,1939, III, 3, p. 180. d) Pop. et arch. Assez + de + subst. : 27. Pourtant, un braconnier d'un rare mérite (...) y tue assez de faisans...
A. France, L'Orme du mail,1897, p. 305 (Grev. 1964, § 842, rem. 2). 28. C'est un homme d'affaires, dont les affaires sont incertaines, mais qui, dans l'ensemble, gagne assez d'argent...
E. Maloux, La Chute d'Icare,p. 64 (Ibid.). Rem. En Belgique, assez bien (de) rend couramment le sens de passablement de : 29. Me montrant au loin des sommets boisés, M. de C. me dit : Il y a assez bien de gorilles dans ces forêts-là...
M. Bedel, Tropiques noirs,[propos placé intentionnellement dans la bouche d'un Belge], p. 134 (Ibid.). 2. [Dans des phrases exclam. ou interr.] Assez exprime l'excès : 30. Oh! Regardez ma sœur, regardez-la s'avancer. On dirait Louis XIV dans ses jardins de Versailles! Se prend-elle assez au sérieux! Elle a l'air de se présenter les armes à elle-même.
A. Dumas Fils, Le Fils naturel,1858, I, 4, p. 82. 31. − Mais enfin quoi? Il faut savoir. C'est pour çà que tu te maries, n'est-ce pas?
Camille rougit et se troubla. Le Loreur haussa les épaules, impatienté. − Es-tu assez hypocrite!
Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 57. II.− Locutions A.− Présentatif + assez. 1. C'est assez (que) de. − C'est assez de + subst. : 32. Ha, que l'on lève incontinent les caducées
Sur mon cœur. Et c'est assez de ces familiers
Crève-cœur; et je m'en vais mettre des colliers
Et des rubans aux boucs qui hantent mes pensées.
Et c'est assez, ô mon cœur, de ces traversées
Risibles. Et soyons les dévots cavaliers;
Moréas, Le Pèlerin passionné,1891, p. 41. ♦ Rare. Assez que de + subst. : 33. Je ne sais ce que c'est qu'hier et que demain. C'est assez que d'aujourd'hui pour moi.
Claudel, L'Échange,1reversion,1894, I, p. 660. − C'est assez (que) de + inf. : 34. Comment te remercier de ta pensée toute fraternelle? N'était-ce pas assez déjà de t'intéresser à notre ennui?
Mallarmé, Correspondance,1869, p. 299. 35. ... l'action était là, dans ce quartier; tout près sans doute. Ce n'était pas assez de dire qu'elle avait eu lieu. Non. Elle était encore là; comme une chose du présent.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre,1932, p. 130. 36. jupiter. − Oreste sait qu'il est libre.
égisthe, vivement. − Il sait qu'il est libre. Alors ce n'est pas assez que de le jeter dans les fers.
Sartre, Les Mouches,1943, II, tabl. 2, 5, p. 79. − C'est assez, c'en est assez : 37. C'en est assez, c'est assez, vous dis-je, je vous dis que c'en est assez sur ce sujet; ...
Courteline, Messieurs les Ronds-de-Cuir,1893, 1ertabl., 2, p. 36. 38. Mais, c'en était assez pour que la nuit lui parût maussade et ennuyeuse.
G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 467. 2. En voilà assez : 39. − En voilà assez, des manières... Tout ça, c'est de la frime... Ouvrez l'écrin...
Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 114. 3. Elliptiquement. Assez! : 40. − Assez, assez, dit-elle, allez-vous-en, il est minuit, respectons les convenances.
Balzac, La Duchesse de Langeais,1834, p. 257. 41. − Assez pour aujourd'hui, conclut le procureur redevenu paternel. Vous remercie votre franchise. Pouvez disposer.
Bernanos, Un Crime,1935, p. 771. − Assez de + subst. : 42. − Assez de paroles! finit-elle par dire sèchement, vous n'êtes pas plus raisonnable que les autres, ...
Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 438. B.− (En) avoir assez de qqn, de qqc., de + inf. : 43. Hutinel la trouve mieux. Il veut qu'on attende à mardi ou mercredi pour la ponction, s'il y a lieu. On lui cite qu'elle a assez du lait.
Renard, Journal,1901, p. 636. 44. Je crois que son mari en a assez de la cohabitation avec ta mère.
Mauriac, Le Mystère Frontenac,1933, p. 178. − Rare. Avoir assez que de : 45. Mais on avait assez que d'épaissir la muraille et de la rendre le plus haut possible sans s'occuper d'eux; on les abandonna; tous périrent; ...
Flaubert, Salammbô,t. 2,1863, p. 90. − Elliptiquement. En avoir assez : 46. Maintenant, c'est fini d'être héroïque, tu en as assez, tu veux profiter de ton reste...
Mauriac, Les Mal Aimés,1945, p. 171. − Pop. Avoir assez avec : 47. Moi, en tant que confrère, cela m'est difficile : j'ai déjà assez avec les dossiers de mes clients.
Montherlant, Demain il fera jour,1949, II, 3, p. 724. PRONONC. ET ORTH. − [ase]. Pour la prononc. par [e] fermé de la finale -ez, cf. Fouché 1959, p. 49 (cf. aussi Lab. 1881, p. 54 et Mart. Comment prononce 1913, p. 53). Pour la non prononc. de z final, cf. Fouché 1959, p. 409. Clédat 1930, p. 47 rappelle que la graph. z dans assez, lez (de Plessis-lez-Tours) corresp. ,,à un ancien ts provenant du t latin + s``. Pour l'orig. de z, cf. également Mart. Comment prononce 1913, p. 350. Kamm. 1964, p. 238 note : ,,la lettre [z] [...] se trouve rarement en situation d'être liée. On ne voit vraiment que les deux mots chez, assez et les formes verbales, si la liaison est obligatoire dans allez-y, elle est facultative ailleurs. Ex. : assezimportant ou assez/important``. À comparer avec les dict. hist. comme Land. 1834, Gattel 1841, Fél. 1851, Littré et DG qui indiquent tous la prononc. de [z] devant voyelle. Littré indique à ce sujet : ,,Chifflet, Gramm., p. 219 dit : En ce mot, plusieurs ne prononcent pas le z devant les voyelles [...]. Cela arrive encore souvent aujourd'hui dans la prononciation non soutenue``. Fér. 1768 et Fér. Crit. t. 1 1787 signalent : ,,quelques uns écrivent mal à propos assès avec un accent grave``. ÉTYMOL. ET HIST.
I.− Marque la quantité ou l'intensité suffisante. Modifie 1. un verbe fin xe« d'une manière plus que suffisante, beaucoup » (Passion de Clermont, éd. D'Arco Silvio Avalle, 253 : Et cum asez l'ont escarnid); ca 1100 « d'une manière suffisante » (Roland, éd. Bédier, 134 : En cest païs avez estet asez); fin xiie-début xiiies. en avoir assez « être lassé de qqc. » (R. de Houdenc, Méraugis, éd. Friedwagner, 4665 ds T.-L.); 2. un autre adverbe ca 1100 (Roland, éd. Bédier, 1239 : Kar de Franceis i ad asez petit); 3. un subst. ca 1100 (ibid., 899 : Fust chrestiens, asez oüst barnet); dans ce cas souvent relié au subst. par de; ca 1100 (ibid., 2427 : Asez i ad de la gent paienur); 4. un adj. ca 1100 (ibid., 3010 : Asez est fols ki entr'els se dementet); 5. assez... pour marque un degré suffisant pour entraîner telle ou telle conséquence : + inf. xves. (J. Froissart, I, 1, 97 ds Littré : Il leur sembla qu'ils seroient forts et puissans assez pour la conquerre); + subst. av. 1741 (J.-B. Rousseau, Odes, II, 10 ds Rob. : Les dieux t'ont laissé vivre assez pour ta mémoire, Trop peu pour l'univers).
II.− Marque une atténuation ou le renforcement des mots auxquels il est joint 1. 1661 marque le renforcement (Corn., Sertor., IV, 2 ds Littré : Nous pouvons nous y faire un assez beau destin); 2. av. 1693 marque une atténuation « passablement, plutôt » (La Bruy., Caract., 52 ds Rob. : Le caractère de l'enfance paraît unique; les mœurs dans cet âge sont assez les mêmes).
D'un lat. vulg. *adsatis renforcement du lat. class. satis « assez, d'une manière suffisante » par la prép. ad, a-1*, ad satis, devenu adsates, puis asẹts > asẹs (Pope, § 680). Satis « d'une manière suffisante » (I) modifie − un verbe (Plaute, Amph., 5, 1, 45 ds Forc.) − un adv. (César, 1.B.G., 25, ibid.) − un subst. (Ter., Phorm., 2, 3, 89, ibid.) − un adj. (Plaute, Aulul., 2, 2, 62, ibid.); l'emploi en fr. de assez... pour (+ inf.) prob. du lat. satis ut + subj. (Cés., C, 3, 17, 1 ds Gaffiot); satis est bien attesté au sens de « beaucoup » en lat. vulg. fin ives. Peregrinatio Aetheriae, 43, 7 ds E. Löfstedt, Philologischer Kommentar zur Per. Aeth., 1911, p. 73); II 1 (Cicéron, Rep., 2, 54 ds Forc.); 2 (Id., Att., 2, 19, 4, ibid.) emploi très fréquent en lat. vulg. (Löfstedt, loc. cit.). STAT. − Fréq. abs. littér. : 37 934. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 60 258, b) 54 323; xxes. : a) 42 082, b) 55 497. BBG. − Bruant 1910. − Canada 1930. − Criqui 1967 →. − Dem. 1802. − Duch. 1967. § 13. − Dul. 1968. − Gramm. t. 1 1789. − Le Breton Suppl. 1960. − Marshall (F. W.). Les Poésies de Blondel de Nesle. Une ét. du lex. d'après l'examen des mss., p. 33 (Thèse Univ. Paris, 1958). − Noter-Léc. 1912. − Pierreh. 1926. − Pierreh. Suppl. 1926. − Pope 1961 [1952], § 231, 679, 680, 700, 736. − Spr. 1967. |