| ASSERVIR, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− Réduire à l'esclavage; p. ext. mettre sous son entière dépendance. Synon. assujettir, soumettre, subjuguer.Anton. affranchir, délivrer, émanciper, libérer. 1. [Le compl. d'obj. dir. désigne des pers., un peuple, un pays; le suj. désigne une pers. ou un groupe de pers.] :
1. L'examen que nous allons faire des moyens qu'ils [les prêtres] ont employés de concert avec les législateurs pour asservir l'homme, va nous apprendre combien nous devons faire pour le rendre libre.
Dupuis, Abr. de l'orig. de tous les cultes,1796, p. 472. 2. « Il faut expliquer ce que l'on entend par l'indépendance de l'Europe : veut-on dire que, tout équilibre étant rompu, la Russie, après avoir fait la conquête de la Turquie européenne, s'emparerait de l'Autriche, soumettrait l'Allemagne et la Prusse, et finirait par asservir la France? »
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 3,1848, p. 453. 3. On peut asservir un homme vivant et le réduire à l'état historique de chose. Mais s'il meurt en refusant, il réaffirme une nature humaine qui rejette l'ordre des choses.
Camus, L'Homme révolté,1951, p. 293. − Absolument : 4. Et même Dieu, chez nous, ne dépasse pas le rang d'un outil, le premier en titre, issu de notre industrie, et qui nous sert à dominer et à asservir.
A. Arnoux, Carnet de route du Juif Errant,1931, p. 107. − [Le suj. désigne une chose ou un concept abstr. ayant une certaine force] :
5. Des misères de l'homme la plus funeste, et celle qui d'abord paroît la plus inexplicable, est cette dépendance comme indirecte des choses, qui assujettit celui même qui veut leur être supérieur, l'asservit sans qu'il connoisse le joug, et le force à consumer sa vie dans un ordre de choses qu'il n'a point consenti, auquel il n'a cru céder que pour un jour.
Senancour, Rêveries,1799, p. 13. 2. P. ext. [Le compl. d'obj. désigne la nature, la matière, les éléments naturels; le suj. désigne l'homme] :
6. Oui, homme créateur, reçois mon hommage! Tu as mesuré l'étendue des cieux, calculé la masse des astres, saisi l'éclair dans les nuages, dompté la mer et les orages, asservi tous les élémens.
Volney, Les Ruines,1791, p. 43. − Vieilli. Asservir ses passions. Les dompter. B.− [Avec un obj. second.] Asservir à.Mettre sous la dépendance de; mettre dans l'obligation d'obéir à. 1. Rare. Asservir un pays à un autre. 2. Au fig., fréq. [Le compl. introd. par à désigne une chose abstr.; l'obj. dir. désigne une pers. ou son esprit, ses pensées, etc.] :
7. « Je vous affirme que nous continuons à penser, et même que nos pensées s'élèvent assez haut. Mais elles ne se perdent plus dans les nuages, et c'est un incontestable progrès. Nous les asservissons à des besoins précis. »
R. Martin du Gard, Jean Barois,1913, p. 513. SYNT. Asservir à des fins, à des besoins, à des devoirs (lois, règles); asservir aux volontés de qqn. − Rare. Asservir à suivi de l'inf.Mettre dans l'obligation de : 8. Mais si dans la démarche de ta stupidité tu t'y trompes, et de voir les hommes chérir la bouilloire du soir, tu l'honores pour elle-même et asservis l'homme à la forger, alors il n'est plus d'hommes pour l'aimer et tu as ruiné l'un et l'autre.
Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 706. 3. P. anal. [Suj. et obj. désignent des choses concr.] :
9. Une tige pouvait rejoindre tous les robinets, les asservir à un mouvement unique. De sorte qu'une fois l'appareil en place, il suffisait de toucher un bouton dissimulé dans la boiserie, pour que toutes les cannelles, tournées en même temps, remplissent de liqueur les imperceptibles gobelets placés au-dessous d'elles.
Huysmans, À rebours,1884, p. 62. Rem. 1. On rencontre except. la constr. vieillie asservir qqc. contre qqc., mettre de force contre : 10. Quand il a trouvé l'ours, et qu'il est aux prises avec lui; tandis que celui-ci le serre des deux pattes de devant, tâche de l'étouffer, de le déchirer avec ses ongles, du bras gauche il commence, pour n'en être pas dévoré, par lui asservir la tête contre son épaule; ensuite de l'autre main tirant son poignard, il le lui enfonce dans les reins, jusqu'à ce que la bête, qui pousse de vains hurlements, car elle ne saurait le mordre, tombe à ses pieds vide de sang, ou vaincue par la douleur.
Dusaulx, Voyage à Barège,t. 2,1796, p. 187. Rem. 2. L'obj. second. peut être un pron. réfl. : 11. ... une cité ayant subjugué une cité, elle se l'asservit, et en composa une province; et deux provinces s'étant englouties, il s'en forma un royaume : ...
Volney, Les Ruines,1791, p. 69. 12. L'histoire est une terre stérile où la bruyère ne pousse pas. L'homme d'aujourd'hui a choisi l'histoire cependant et il ne pouvait ni ne devait s'en détourner. Mais au lieu de se l'asservir, il consent tous les jours un peu plus à en être l'esclave.
Camus, L'Été,1954, p. 86. II.− Emploi pronom. réfl. [Le compl. introd. par la prép. à désigne soit une pers. ou un groupe de pers., soit une chose abstr. qui est une force contraignante] S'asservir à.Se mettre dans l'obligation d'obéir à, se soumettre à : 13. ... dès qu'elle est contractée, la pensée s'asservit à la règle, la suit sans contrainte, et avec une sorte de nécessité. Sans doute, les avantages qui résultent de cet assujettissement volontaire sont bien préférables à une liberté désordonnée et licencieuse.
Maine de Biran, De l'Influence de l'habitude sur la faculté de penser,1803, p. 162. PRONONC. : [asε
ʀvi:ʀ], j'asservis [ʒasε
ʀvi]. Barbeau-Rodhe 1930 donne la possibilité d'une prononc. avec [ss] géminées : as/s/-. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. a) Ca 1200 trans. « mettre dans l'état de servitude, réduire en esclavage » (J. Bodel, Saxons, XXVI ds Gdf. Compl. : Ains i lairoit la teste que il fust aservis); absol. début xixes. (P. L. Courier, I, 226 ds Littré); b) 1280-1300 « id. » fig. (G. d'Amiens, Escanor, éd. Michelant, 10689 ds T.-L.); 2. ca 1275 réfl. « se soumettre à qqc. » (J. de Meung, Rose, éd. Fr. Michel, 15729, ibid. : Tout me voil a vous aservir).
Dér. de serf*; préf. a-1*; dés. -ir. Cf. lat. adservire au sens 2, « s'asservir à, s'assujettir à » (Cicéron, Tusc., 2, 56 ds TLL s.v., 872, 12). STAT. − Fréq. abs. littér. : 341. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 686, b) 197; xxes. : a) 353, b) 535. BBG. − Baudhuin 1968. − Dub. Pol. 1962, p. 77. − Goug. Mots t. 2 1966, p. 57. − Noter-Léc. 1912. − Pope 1961 [1952], § 881. |