| ARGOT1, subst. masc. A.− Autrefois. L'ensemble des gueux, bohémiens, mendiants professionnels, voleurs. Synon. Le Milieu, la pègre : 1. Puis c'était le royaume d'argot : c'est-à-dire tous les voleurs de France, échelonnés par ordre de dignité; ...
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 81. 2. Pour être reçu dans l'argot, il faut que tu prouves que tu es bon à quelque chose et pour cela que tu fouilles le mannequin.
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 107. Rem. 1. Sens attesté ds DG, Lar. encyclop. et Quillet 1965 (partie ling.). 2. Se trouve essentiellement chez V. Hugo (cf. le royaume d'argot, syntagme fréq.). B.− Langage de convention dont se servaient les gueux, les bohémiens, etc., c'est-à-dire langage particulier aux malfaiteurs (vagabonds, voleurs, assassins); aujourd'hui essentiellement, parler qu'emploient naturellement la pègre*, le Milieu*, les repris de justice, etc. Synon. langue verte : 3. ... je dois noter quelques mots d'argot français que nos voleurs ont empruntés aux bohémiens.
Mérimée, Carmen,1847, p. 81. 4. ... l'argot est tout ensemble un phénomène littéraire et un résultat social. Qu'est-ce que l'argot proprement dit? L'argot est la langue de la misère. Ici on peut nous arrêter; on peut généraliser le fait, ce qui est quelquefois une manière de l'atténuer; on peut nous dire que tous les métiers, toutes les professions, on pourrait presque ajouter tous les accidents de la hiérarchie sociale et toutes les formes de l'intelligence, ont leur argot.
Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 189. − P. ext. Langue créée à partir de la langue commune par application d'un procédé mécanique : 5. ... La Crécy parlait le javanais, cet argot de Bréda où la syllabe va, jetée après chaque syllabe, hache, pour les profanes, le son et le sens des mots, idiome hiéroglyphique du monde-fille, qui lui permet de se parler à l'oreille − tout haut.
E. et J. de Goncourt, Charles Demailly,1860, p. 183. C.− P. ext. Langage ou vocabulaire particulier qui se crée à l'intérieur de groupes sociaux ou socio-professionnels déterminés, et par lequel l'individu affiche son appartenance au groupe et se distingue de la masse des sujets parlants. Argot parisien; argot d'école, de la bourse, du journalisme, etc. Synon. jargon : 6. ... toute communauté, pour s'affirmer, aime à restreindre son accès à ses seuls membres; fermée à ceux qui ne possèdent pas ses conventions, elle ne se livre qu'à ses initiés. Ainsi se créent les argots de groupe, les élisions du parler des lycéens ou des grandes écoles.
Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 118. − P. anal. Tout signe de convention servant à correspondre secrètement (synon. chiffre), toute action ou manière de se comporter, convenue, particulière aux personnes d'une même catégorie et leur permettant de se comprendre : 7. Il n'y a pas un paysan dans nos campagnes qui ne dise que Bonaparte vit et qu'il reviendra. Tous ne le croient pas, mais le disent. C'est entre eux une espèce d'argot, de mot convenu pour narguer le gouvernement.
Courier, Pamphlets pol.,Livret de Paul-Louis, Vigneron, 1823, p. 173. 8. − Que veux-tu? Que dois-je faire? dit Madame de San-Esteban dans l'argot convenu entre la tante et le neveu. Cet argot consistait à donner des terminaisons en ar ou en or, en al ou en i, de façon à défigurer les mots, soit français soit d'argot, en les agrandissant. C'était le chiffre diplomatique appliqué au langage.
Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 571. SYNT. Parler (l', en) argot, dire en argot; mots, termes, expressions d'argot. − P. ext. Langue de spécialiste : 9. ... l'académicien classique parle argot. L'algèbre, la médecine, la botanique, ont leur argot.
Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 190. DÉR. Argotiser, verbe trans. a) Parler argot. b) Donner l'aspect de l'argot (à un mot) (cf. Rossignol, Dict. d'arg., arg.-fr. et fr.-arg., 1901);emploi pronom. S'argotiser. Devenir un mot d'argot (cf. Moreau-Christophe, Art. « Argot » du Dict. de la conversation, 1833, p. 60).(1845, Besch.; suff. -iser*). Argotisme, subst. masc.a) Mot, expression qui appartiennent à l'argot. b) Manière de parler qui tient de l'argot (cf. Ch. Nodier ds Lar. 19eet Guérin 1892).(1838, cf. Ac. Compl. 1842; suff. -isme*). PRONONC. − 1. Forme phon. : [aʀgo]. Pour la prononc. par [o] de la finale -ot ds le mot, cf. Fouché Prononc. 1959, p. 405. Passy 1914 donne également la possibilité d'une prononc. avec [ɔ] ouvert : -gɔ, (cf. abricot). 2. Homon. et homogr. : argot2, argo (mythol. gr.). − Argotiser. Seule transcription ds Littré : ar-go-ti-sé; argotisme : [aʀgɔtism̥]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1628 « communauté des Gueux » (Jargon de l'argot réformé, chap. 1, titre ds Sain. Sources t. 1, p. 353 : Ordre ou hiérarchie de l'argot; Op. cit. ds Sain. Sources Arg. t. 1, p. 190 : Ha! vive l'Argot et tous les Gueux!); 2. a) 1701 (Fur. : Argot est aussi le nom que les Gueux donnent à la langue ou au jargon dont ils se servent, et qui n'est intelligible qu'à ceux de leur cabale); [la date de Fur. 1690 donnée par Sain. Sources t. 1, p. 353 pour ce sens est erronée]; b) xviiies. p. ext. « locutions particulières à une profession » (Voltaire ds Dict. hist. Ac. fr. : Les Jansénistes appellent leur union l'ordre. C'est leur argot, chaque communauté, chaque société a le sien).
Orig. obscure. Parmi les hyp. proposées, les plus autorisées sont les suivantes : 1. Le rapprochement avec ergot (v. argot2) (Sain. Sources t. 1, p. 353 : l'argot serait la confrérie de la griffe, l'art du croc) se heurte à des difficultés d'ordre sémantique (l'ergot du du coq n'a pas l'aspect d'un crochet) et historique (l'argotier est un mendiant professionnel et non un voleur). 2. Dans le même ordre d'idées : le rapprochement avec harigoter « déchirer », dial. haricoter « chicaner, filouter », haricotier « marchand besogneux » (v. arcanderie) (EWFS2, Dauzat, Études de ling. fr., 1946, p. 306), acceptable du point de vue sémantique, fait difficulté du point de vue chronol., haricoter, haricotier n'étant pas attestés avant le xixes. 3. Au rattachement à argoter, ergoter* (Bl.-W.5, FEW t. 16, p. 157, note 7) s'oppose la chronol., l'accep. sociol. Il faut remarquer que le rattachement à l'a. prov. argaut « mauvais vêtement » (Lévy Prov.) proposé par Dauzat, Romania t. 43, p. 403, est repoussé par lui-même ds Études de ling. fr., loc. cit., le sens de « guenille » lui semblant postérieur au xviies. Enfin le rapprochement de argoter* et de arguer* « tirer l'or et l'argent à la filière, dite argue » (Esn., s.v. argoter : les mendiants sont des tire-sous) ne semble pas solidement fondé et fait en outre difficulté du point de vue chronol., argue* et arguer* (v. arguemine) étant postérieurs à argot et argoter. Les diverses hyp. antérieurement proposées et ne reposant sur aucune base solide ont été recensées par P. Guiraud, L'Étymologie, 1964, pp. 47-55. STAT. − Fréq. abs. littér. : 346. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 383, b) 1 238; xxes. : a) 289, b) 306. BBG. − Bach.-Dez. 1882. − Bastin 1970. − Bouillet 1859. − Bruant 1901. − Dagn. 1965. − Darm. 1877, p. 39. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 306. − DLF 17e. − Esn. 1966. − Esnault (G.). Enfance et jeunesse d'argot. Vie Lang. 1959, no92, pp. 580-582. − France 1907. − Gall. 1955, p. 229, 467. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 17. − Guiraud (P.). L'Argot. Paris, 1958. − Guiraud (P.). L'Étymol. Paris, 1964, pp. 47-55. − Guiraud (P.). Pier, argot. Cah. Lexicol. 1968, t. 12, no1, p. 88. − Larch. Suppl. 1880. − Lar. Lang. fr. − La Rue 1954. − Le Breton Suppl. 1960. − Le Roux 1752. − Mar. Lex. 1933. − Mar. Lex. 1961 [1951]. − Mat. Louis-Philippe 1951, p. 105, 143, 178. − Mont. 1967. − Nigra (C.). Metatesi. Z. rom. Philol. 1904, t. 28, p. 6. − Rigaud (A.). La Vraie cour des Miracles. 3. Vie Lang. 1969, no203, pp. 95-97. − Sain. Lang. par. 1920, p. 43, 246. − Springh. 1962. − Timm. 1892. − Vachek 1960. − Yam.-Kell. 1970. |