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ARBITRAIRE, adj. et subst.
I.− Emploi adj.
A.− PHILOS., peu fréq. [En parlant du pouvoir constructif de l'esprit] ,,Qui dépend uniquement d'une décision individuelle, non d'un ordre préétabli, ou d'une raison valable pour tous.`` (Lal. 1968) :
1. C'est contre cet écoulement indéfini de la substance phénoménale, entretenu et causé par les lois formelles que l'on vient de dire, que s'élève, pour créer le réel, ce pouvoir arbitraire de l'esprit qui, suscité par une utilité de connaissance, immobilise et charge des liens de la vérité cette matière fluide, lui imposant, le temps de la saisir, une forme définie, la tirant du chaos pour la réaliser. J. de Gaultier, Le Bovarysme,1902, p. 288.
2. À supposer que cette proposition B soit vraie, il faudra en conclure que la distinction de l'apparence et de la réalité est elle-même suspendue à un décret arbitraire (et au fond contradictoire) de l'esprit. G. Marcel, Journal métaphysique,1923, p. 296.
LOG. Proposition arbitraire ,,quand l'esprit n'y est pas contraint par les lois logiques, c'est-à-dire quand la proposition contradictoire ou contraire serait tout aussi bien possible.`` (Goblot 1920).
B.− Gén. péj. [En parlant de formes de l'activité intellectuelle]
1. Qui ne tient pas compte des données observables de la réalité. Classification, conception, démarche arbitraire :
3. Les décisions du pouvoir paraissent devoir être l'effet d'une connaissance totale d'où se déduiraient les actes nécessaires et non d'une approche humaine produisant des intuitions arbitraires. G. Belorgey, Le Gouvernement et l'admin. de la France,1967, p. 150.
4. ... si les descriptions et les théories du comportement interpersonnel présentées par les littératures ne dépassent guère le niveau de la « psychologie populaire » du moment et du lieu, et paraissent donc souvent aventurées et arbitraires, on doit souligner en revanche que le champ des problèmes interpersonnels qui y sont soulevés, excède considérablement ceux qui ont fait jusqu'à présent l'objet de recherches méthodiques de la part des disciplines scientifiques modernes. Traité de sociol.,t. 2, 1968, p. 340.
Simplification arbitraire :
5. En réduisant les objets à leurs qualités primaires, c'est-à-dire à ce qui se mesure, et est susceptible de traitement mathématique, Galilée les priva de leurs qualités secondaires et de leur durée. Cette simplification arbitraire a rendu possible l'essor de la physique. Mais en même temps elle nous a conduits à une conception trop schématique du monde, et en particulier du monde biologique. Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 192.
En partic. Qui n'est pas établi selon les méthodes ou n'est pas conforme aux conclusions de la science :
6. Sans doute il [le savant] se persuade parfois que, malgré cette foncière insuffisance, les connaissances positives pourvoient assez aux besoins de la vie individuelle ou sociale; mais s'il l'affirme, c'est au nom d'une croyance arbitraire, par un décret qui n'a point dans la science son motif et sa justification. Blondel, L'Action,1893, p. 82.
7. La limite linguistique ne répond à aucune division naturelle; elle croise successivement toutes les zones. Plus capricieuses encore et plus arbitraires ont été les limites historiques. L'unité de la région repose exclusivement sur ce fond très ancien d'habitudes agricoles, contractées en conformité avec le sol. P. Vidal de La Blache, Tabl. de la géogr. de la France,1908, p. 205.
2. [En parlant d'une législation, d'un pouvoir]
a) Non fondé sur les exigences de la justice distributive :
8. ... demander la représentation proportionnelle, c'est demander que chacune des forces, chacune des tendances du pays et de la société donne constamment sa mesure exacte. C'est vouloir que la part d'influence électorale et parlementaire de chaque parti soit exactement calculée sur sa force réelle dans le pays. C'est donc proclamer que toute législation est arbitraire, qui ne procède pas de la majorité vraie. Jaurès, Études socialistes,1901, p. 96.
b) Qui, n'étant pas conforme à la loi écrite (ou à la loi morale non écrite), constitue un acte despotique :
9. L'article 10, qui, à l'origine, traitait seulement de l'arrestation arbitraire, mentionne aussi l'exil, sur l'initiative du représentant de l'Équateur. Le représentant du Mexique a introduit, comme article 9, le principe d'après lequel chacun a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes, contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi. La Déclaration universelle des droits de l'homme,1949, p. 16.
10. Cependant, leur absorbant étatisme [des sociétés collectivistes centralisées], la dictature d'un parti unique et sa discipline étroite, la force de leurs organisations planificatrices non contrôlées par les intéressés eux-mêmes, l'absence d'autogestion ouvrière garantissant contre le pouvoir arbitraire de la technocratie dans les usines, constituent de sérieux obstacles pour la promotion de l'importance de la vie morale parmi les œuvres de civilisation de ces sociétés. Traité de sociol.,t. 2, 1968, p. 170.
3. P. ext. [En parlant d'un bien] Qui se distribue sans norme apparente :
11. On me dirait demain : « Ayez seulement la foi, votre affaire est réglée. La gloire! Toutes les couronnes! » que l'on me jetterait, en somme, dans l'embarras le plus cruel. Je ne comprends même pas pourquoi la foi compte au petit nombre des vertus théologales. J'ai toujours pensé que les vertus pouvaient s'acquérir, se cultiver. Mais la foi, ce don arbitraire? Après des années d'inertie, je me rends, je capitule : je veux bien avoir la foi. Autant dire « je veux bien être nègre ». G. Duhamel, Journal de Salavin,1927, p. 145.
C.− Emplois spéc.
1. [En réf. à supra I A]
DR. Qui dépend de la libre décision des juges. Amende arbitraire (Ac. 1798-1932).
MATH. Quantité, grandeur arbitraire. (Quantité, grandeur) À laquelle on attribue une valeur ,,que l'on a choisie et non mesurée ou calculée`` (Sc. 1962).
2. [En réf. à supra B 3]
LING. Caractère arbitraire, système arbitraire de signes linguistiques. Anton. motivé(cf. infra II C) :
12. Le principe saussurien du caractère arbitraire des signes linguistiques a certainement besoin d'être revu et corrigé; mais tous les linguistes seront d'accord pour reconnaître que, d'un point de vue historique, il a marqué une étape indispensable de la réflexion linguistique. C. Lévi-Strauss, Anthropol. struct.,1958, p. 230.
II.− Emploi subst. (le plus souvent au masc.).
A.− Libre pouvoir de détermination; exercice du libre arbitre :
13. ... ce sont des règles canoniques et des mœurs qui prescrivent comment je dois m'acquitter de ce culte particulier. Ce n'est pas abandonné à mon arbitraire. C'est l'Église qui m'enseigne comment je dois les honorer. J'aime que les cérémonies au cours desquelles j'entre en conversation avec les morts soient des rites d'un caractère public. Barrès, Mes cahiers,t. 6, 1907, p. 25.
B.− Gén. péj. Caractère de ce qui est dénué de rigueur rationnelle.
1. [En parlant de l'esprit et de ses activités] :
14. L'élément personnel, ou, comme disent les philosophes, subjectif, est donc par définition écarté de l'ordre scientifique. La science est ainsi de tous les temps et de tous les esprits. Elle voit les objets, suivant l'éloquente formule de Spinoza, « sous le caractère d'éternité » Ce ne saurait être qu'en éliminant ce que la sensibilité apporte avec elle d'arbitraire, de passager, de caduc. P. Bourget, Essai de psychol. contemp.,1883, p. 31.
15. ... l'artiste ne peut absolument pas se détacher du sentiment de l'arbitraire. Il procède de l'arbitraire vers une certaine nécessité, et d'un certain désordre vers un certain ordre; et il ne peut se passer de la sensation constante de cet arbitraire et de ce désordre, qui s'opposent à ce qui naît sous ses mains et qui lui apparaît nécessaire et ordonné. Valéry, Variété4, 1938, p. 254.
2. [En parlant du pouvoir] Substitution aux règles de la justice distributive ou aux normes fixes et impartiales de la loi, de la volonté variable et intéressée d'un homme ou d'un groupe. Synon. despotisme.Arbitraire administratif, seigneurial :
16. On peut seulement dire que si demain nous apporte la guerre, elle ne se fera pas par l'arbitraire d'un homme, mais sous la poussée des masses; non plus de peuple à peuple, mais au sein des peuples. Barrès, Mes cahiers,t. 1, 1898, p. 248.
17. ... il est, suivant moi, absolument nécessaire que, pour éviter l'arbitraire et l'aventure, le fonctionnement des pouvoirs publics : Assemblée et Gouvernement, soit réglé pour l'essentiel, en attendant la Constitution qui devra être élaborée rapidement et soumise à l'approbation du peuple. De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 620.
18. Dirigeant obliquement l'attaque, leurs adversaires reprochèrent à la bureaucratie, à la commission de commerce, aux entreprises nationalisées, leur arbitraire, leur négligence, leur gaspillage... G. Lefebvre, La Révolution fr.,1963. p. 439.
C.− Sens spéc.
DR. Arbitraire légal. ,,Faculté d'appréciation laissée par le législateur à la conscience du juge.`` (Lar. 19e).
LING. L'arbitraire du signe linguistique :
19. Dans l'intérieur d'une même langue, tout le mouvement de l'évolution peut être marqué par un passage continuel du motivé à l'arbitraire et de l'arbitraire au motivé; ce va-et-vient a souvent pour résultat de déplacer sensiblement les proportions de ces deux catégories de signes. Ainsi le français est caractérisé par rapport au latin, entre autres choses, par un énorme accroissement de l'arbitraire... F. de Saussure, Cours de ling. gén.,1916, p. 184.
20. C'est en effet un double arbitraire qui caractérise le signe linguistique et qui est aussi, nous le verrons, la source d'une ambiguïté fondamentale affectant le langage : l'arbitraire du concept dans sa relation avec l'objet signifié, mais aussi et inséparablement l'arbitraire du signe sonore dans sa relation avec le concept signifié. Traité de sociol.,t. 2, 1968, p. 259.
MATH., subst. fém. ,,Quantité dont la valeur n'est pas fixe et doit être déterminée pour chaque valeur à résoudre.`` (Lar. 19eSuppl. 1878).
PRONONC. : [aʀbitʀ ε:ʀ].
ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1397 adj. dr. « qui dépend de la décision du juge » (J. Froissart, Chron., II, 240, Buch. ds Gdf. Compl. : Amende arbitraire); p. ext. 1533 adj. « qui ne dépend que de la volonté de l'homme » (Rabelais, Pantagruel ds Dict. hist. Ac. fr. t. 3 : Les languaiges sont par institutions arbitraires); xvies. substantivé « pouvoir absolu » (Anc. Poés. franç., XI, 213 ds Hug. : Je ne failliz jamais de te complaire; Corps, âme et biens as eu en arbitraire); d'où 2. 1611 adj. « qui ne dépend que du caprice » (Cotgr. : Arbitraire); substantivé 1748 (Montesquieu, Esprit des lois, X, 3 ds Dict. hist. Ac. fr. t. 3 : Les auteurs ont donné dans l'arbitraire). Empr. du lat. arbitrarius, attesté par Plaute, Amphytrion, 372 ds TLL s.v., 408, 53, au sens de « douteux », attest. isolée, peut-être à rapprocher de 2; au sens 1, b. lat. jur. « qui dépend de la décision du juge » dep. Ulpien, Dig., 13, 4, 2 pr. ibid., 408, 40; « qui dépend de la volonté de l'homme » (p. oppos. à naturalis) Aulu-Gelle, 10, 4, 3, ibid., 46.
STAT. − Fréq. abs. littér. : 1 480. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 900, b) 1 174; xxes. : a) 1 675, b) 2 182.
BBG. − Bach.-Dez. 1882. − Barthes (R.). Éléments de sémiologie. Communications. 1964, no4, pp. 101-102; p. 111. − Bruant 1901. − Dub. Pol. 1962, p. 74. − Engler (R.). Compl. à l'arbitraire. Cah. F. Sauss. 1964, t. 21, pp. 25-32. − Foulq.-St-Jean 1962. − Goblot 1920. − Lal. 1968. − Marcel 1938. − Noter-Léc. 1912. − Pol. 1868. − Sc. 1962. − Springh. 1962. − St-Edme t. 1 1824. − Vachek 1960.