| APPROPRIER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− Adapter à un usage déterminé. 1. Vx. [Suivi d'un compl. d'obj. dir. désignant une maison, un intérieur, une chambre ...] Aménager convenablement : 1. On a dressé le lit de Valérie, et, pendant qu'on arrangeait son appartement, nous sommes tous passés dans une jolie salle qu'on venait de peindre et d'approprier avec assez d'élégance.
Mmede Krüdener, Valérie,1803, p. 28. − En partic. Rendre, tenir propre : 2. Genestas était plein d'admiration pour la propreté qui régnait dans l'intérieur de cette maison presque ruinée. En voyant l'étonnement de l'officier, Benassis lui dit : − il n'y a que MmeVigneau pour savoir approprier ainsi un ménage! Je voudrais que plusieurs gens du bourg vinssent prendre des leçons ici.
Balzac, Le Médecin de campagne,1833, p. 111. 2. [Suivi d'un compl. d'obj. dir. et d'un compl. d'obj. second. désignant des choses quelconques] Rendre propre ou apte à une finalité précise : 3. ... il est important de tracer de bonnes règles d'hygiène relativement à l'emploi du sommeil, et (...) il est nécessaire de se faire des idées justes de ses effets, soit qu'on le considère comme un restaurant journalier et nécessaire des forces; soit qu'on veuille le ranger parmi les moyens médicaux, et l'approprier au traitement de certaines maladies : ...
Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 2, 1808, p. 106. − [Suivi d'un inf. introd. par à] :
4. La pensée exercée est un intrument en même temps qu'un modèle de souplesse. Sa disponibilité radiante l'approprie à percevoir immédiatement les rapports multiples qui naissent d'une impression actuelle; ...
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 630. − Rare. [Sans compl. d'obj. second. exprimé] Adapter quelque chose à sa finalité : 5. Je me sens trop heureux pour trouver quelque défaut à « ma technique de vie », comme dit G. Kahn. D'ailleurs je l'approprie encore chaque jour.
Gide, Correspondance[avec P. Valéry], 1894, p. 219. B.− Vx. [Suivi d'un compl. d'obj. dir. désignant une chose et d'un compl. d'obj. second. désignant une pers. ou son esprit, sa pensée] Attribuer (quelque chose) en propre à : 6. ... l'invention consiste à approprier à soi ou à son esprit en vertu de ses facultés naturelles des faits ou des vérités qui existaient avant l'invention, sans quoi elles n'auraient pas pu être découvertes.
Maine de Biran, Journal,1818, p. 192. II.− Emploi pronom. A.− Vieilli, emploi réfl. [Le pron. réfl. est obj. dir. du verbe, suivi d'un compl. introd. par à] S'approprier à qqc.Devenir propre à, s'adapter à : 7. On sait avec quelle facilité notre corps s'approprie aux changements des climats et des températures, pourvu que le passage ne soit pas trop brusque; combien les mêmes degrés continués nous deviennent insensibles; comment la sensation se proportionne toujours au ton actuel de l'organe (en sorte que tel degré nous glace ou nous brûle alternativement); ...
Maine de Biran, De l'Influence de l'habitude sur la faculté de penser,1803, p. 57. − Rare, absol. S'adapter : 8. ... il [Bossuet] se renouvelait sans cesse, il s'appropriait sans relâche...
Sainte-Beuve, Causeries du lundi,1851-62, p. 257. B.− Usuel. [Le pron. réfl. est compl. d'attribut du verbe, suivi d'autre part d'un obj. dir.] S'attribuer quelque chose. Attribuer quelque chose à soi-même, la faire sienne (souvent d'une manière indue). 1. [L'obj. désigne une chose concr.] Synon. s'emparer de qqc., en faire sa propriété : 9. ... il n'est sorte de ruses que l'on n'imagine pour dérober et s'approprier la part des autres, et beaucoup se trouvent déshérités.
Karr, Sous les tilleuls,1832, p. 193. 10. ... vouloir savoir pour savoir, ce n'est pas vouloir savoir des vérités, mais vouloir s'approprier des délices ou, si l'objet est sans goût, vouloir s'emparer de quelque chose de plus, augmenter sa richesse.
J. Rivière, Correspondance[avec Alain-Fournier], 1907, p. 186. − P. iron. S'approprier une personne : 11. Quand les passions sont sans aliment, elles se changent en besoin; le mariage devient alors, pour les gens de la classe moyenne, une idée fixe; car ils n'ont que cette manière de conquérir et de s'approprier une femme. César Birotteau en était là.
Balzac, César Birotteau,1837, p. 37. − Emploi passif. [Le compl. d'attrib. reste implicite] Être approprié, devenir la propriété de quelqu'un : 12. Parmi les agens naturels, les uns sont susceptibles d'appropriation, c'est-à-dire de devenir la propriété de ceux qui s'en emparent, comme un champ, un cours d'eau; d'autres ne peuvent s'approprier, et demeurent à l'usage de tous, comme le vent, la mer et les fleuves qui servent de véhicule, l'action physique ou chimique des matières les unes sur les autres, etc.
Say, Traité d'écon. pol.,1832, p. 75. 2. Au fig. [L'obj. désigne une façon de penser, de sentir, de parler] Synon. s'assimiler : 13. Il lisait volontiers : son apathie aimait à confier à d'autres la direction de sa pensée. Et il lisait bien : il était très doué pour saisir et s'approprier une intelligence étrangère; il comprenait vite, s'assimilait, dès les premières pages, la personnalité de l'auteur.
R. Martin du Gard, Devenir,1909, p. 84. 14. Est-ce de ses avatars antérieurs qu'il [le Japon] a acquis sa singulière aptitude à s'approprier la science européenne, à s'assimiler ce qui lui a paru essentiel dans les civilisations extérieures; ...
Vidal de La Blache, Principes de géogr. humaine,1921, p. 209. PRONONC. : [apʀ
ɔpʀije] ou [-ie], j'approprie [ʒapʀ
ɔpʀi]. Dub., Pt Rob. et Pt Lar. 1968 (cf. aussi DG) transcrivent la finale de l'inf. avec yod : [-ije]; Passy 1914 et Warn. 1968 (cf. les dict. hist. de Fér. 1768 à Littré) par i : [-ie]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1209 trans. apropriier qqc. à qqn « attribuer qqc. en propre à qqn » (Reclus de Molliens, Miserere, XLIII, 10 ds Gdf. Compl. : Or set mout bien chil hom et voit Ke il a soi pas ne devoit Apropriier les biens comuns) − 1579 Amyot, ibid.; a subsisté au part. passé (Encyclop. : Approprié, adj. en terme de droit canonique, se dit, d'une église ou d'un bénéfice, dont le revenu est annexé à quelque dignité ecclésiastique ou communauté religieuse, qui nomme un vicaire pour desservir la cure); 1548 pronom. « s'attribuer » (N. du Fail, Eutrap. IX ds Gdf. Compl. : Se saisir du total revenu des biens de l'Eglise, non pour se les aproprier et faire siens); 2. a) fin xiies. trans. aproprier qqc. « faire bien qqc. » (Renart, XVII, v. 941, éd. Martin, Paris, 1882 à 1887, t. 2, p. 222 : Quant Bernarz ot en sa reson Bien definee s'oroison Et aproprie son chapistre [capitule, petite oraison] Brichemer commenca l'epistre, Que bien l'oïrent touz et toutes); 1538 p. ext. « rendre une chose convenable; l'agencer, l'aménager » (Comptes manoir Rouen, 468 ds IGLF Techn. : et aproprié ung seuil de pierre à l'huis de devant); b) 1283 aproprier qqc. à qqc. « adapter, rendre propre à un usage partic. » (Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. Beugnot, 11, 15 ds T.-L. : coses sacrees si sont celes qui sont benoites et aproprïees a fere le service nostre segneur); 1811 technol. approprier un chapeau « mettre en forme le feutre » (Mozin-Biber).
Au sens 1, empr. au lat. médiév. appropriare, qui a pris le sens de « attribuer en propre » à l'adj. proprius (apr. 1187 Traditiones Frisingenses, 1565 ds Mittellat. W. s.v., 819, 56); le sens 2 est issu de l'adj. propre* « qui convient ». STAT. − Fréq. abs. littér. : 371. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 746, b) 435; xxes. : a) 473, b) 420. BBG. − Ac. Can.-Fr. 1968. − Bél. 1957. − Canada 1930. − Dul. 1968. − Éd. 1913. − Goblot 1920. − Laf. 1878. − Noter-Léc. 1912. − Pierreh. Suppl. 1926. |