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APPORTER, verbe trans.
A.− [L'obj. du verbe désigne une chose concr. ou abstr., dont on n'envisage pas essentiellement le retentissement ou l'action sur le destinataire]
1. [Le suj. est un animé (gén. humain plus rarement animal)]
a) Apporter qqc. à qqn.Porter quelque chose d'un lieu plus ou moins éloigné au lieu où l'on se rend pour le remettre ou le faire connaître à un destinataire. Apporter une lettre, une nouvelle à qqn :
1. Il était enfoui sous les calculs de sa vaste opération du chemin de fer, affaire devant laquelle disparaissaient toutes celles de ses clients, lorsqu'un clerc lui apporta une lettre timbrée de Compiègne. Gozlan, Le Notaire de Chantilly,1836, p. 227.
2. ... le roi de Neustrie forçait de vitesse et continuait sa marche. À peine fut-il établi dans ses nouvelles positions, qu'un héraut de l'armée austrasienne lui apporta le message suivant : « si tu n'es pas un homme de rien, prépare un champ de bataille et accepte le combat. » Thierry, Récits des temps mérovingiens,t. 2, 1840, p. 30.
3. Elles couraient vers nous, sous les balles; elles m'apportaient de la nourriture. Gide, Journal,1914, p. 502.
b) [Sans indication du destinataire] Apporter qqc. :
4. La bonne se décide enfin à le servir. Elle lève paresseusement son grand bras noir, atteint la bouteille et l'apporte avec un verre. « Voilà monsieur ». J.-P. Sartre, La nausée,1938, p. 88.
c) [Sans indication du destinataire, ni de l'obj. porté] (Le chasseur au chien) : « Apporte! »
P. anal. et plais., en s'adressant à une personne :
5. Il doit en rester deux ou trois [femmes] dans le pays. Déniche et apporte. Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Les Rois, 1887, p. 292.
Rem. La lang. pop. connaît un emploi pronom. au sens de « arriver, venir » :
6. Vers le coup de huit heures, la victime s'apporte le bec enfariné. A. Simonin, J. Bazin, Voilà taxi!1935, p. 40.
2. [Le suj. est une force naturelle, un moyen de transport, etc.] :
7. ... et le vent apportait une poussière d'eau sur mon visage. Montherlant, La Petite Infante de Castille,1929, p. 619.
a) [Avec indication du lieu de provenance] :
8. Sur le conseil du chimiste Balthazar Claës, son ami de Douai, elle avait voulu cristalliser le jus de betterave, et le vendre comme le sucre de canne que les navires n'apportaient plus des Antilles, depuis le blocus. À Paris déjà, beaucoup de cafés, de tavernes débitaient ce produit. Adam, L'Enfant d'Austerlitz,1902, p. 65.
b) [Avec indication du lieu de destination] :
9. ... « Oh! si Marseille t'avait pour évêque, les navires n'y apporteraient plus d'huile ni d'autres denrées de ce genre, et seulement des cargaisons de papyrus, afin que tu eusses de quoi écrire à ton aise, pour diffamer les gens de bien. » Thierry, Récits des temps mérovingiens,t. 2, 1840, p. 295.
B.− [L'obj. désigne une valeur concr. ou abstr. dont la pers. ou l'obj. destinataire doit ressentir l'effet le plus souvent heureux]
1. [Le suj. désigne une pers.; le destinataire ou bénéficiaire explicite ou implicite désigne une pers. ou une entité étroitement liée à la pers.] Mettre à la disposition, au service de quelqu'un (ou d'un groupe).
a) DROIT
[L'obj. du verbe désigne les biens que les époux mettent à la disposition du ménage en se mariant] Apporter en mariage; apporter à la communauté, dans la communauté; sa femme lui avait apporté de grands biens (Ac.1835-1932).
[En parlant d'un associé] Fournir sa mise dans une société commerciale :
10. Chaque associé est débiteur envers la société de tout ce qu'il a promis d'y apporter. Dans cette société, l'un apporte son travail, l'autre ses capitaux. Ac.1932.
b) En gén. :
11. C'est égal, j'ai du cœur et de la conviction, je sais sur quel immense appui, invisible encore, je me soutiens, et je vais dans quelques jours les déchaîner davantage quand je parlerai sur la réforme électorale que j'admets, et sur l'instruction secondaire, où je leur apporterai des idées hardies qui les feront tous cabrer. Lamartine, Correspondance,1834, p. 8.
12. Que j'aime cette première parole du père Lacordaire à son auditoire de Nancy : « Mes frères, je vous apporte le bonheur! » La chasse de Stendhal vieillissant l'éloignait chaque jour davantage de l'objet même de sa recherche. Mauriac, Journal 3,1940, p. 328.
P. anal. [Le bénéficiaire est une chose ou une action à laquelle s'intéresse ou est censé s'intéresser le suj.] :
13. Rien de plus monotone que ma vie; elle s'écoule plus uniforme à l'œil que la rivière qui passe sous mes fenêtres. La petite fille apporte un peu de gaieté dans la maison. Quant à ma mère, elle vieillit de corps et d'humeur. Flaubert, Correspondance,1852, p. 355.
Littér. Apporter des raisons, des preuves (à l'appui de ...). Alléguer, citer :
14. J'ai parcouru bien vite cette carrière, sans pouvoir, à beaucoup près, ni vous dire tout ce qu'il y avait d'important, ni apporter les preuves de tout ce que j'ai dit. Guizot, Hist. gén. de la civilisation en Europe,1828, p. 41.
Apporter beaucoup de soin, de courage, etc. à qqc., à faire qqc. Appliquer à :
15. Il y a apporté beaucoup de précaution. Il a apporté tous les soins nécessaires à cet arrangement. Il apporte beaucoup de zèle dans tout ce qu'il fait, à tout ce qu'il fait. Vous n'apportez pas assez d'attention à ce que vous faites. Il n'y apporte que de la mauvaise volonté. Ac.1932.
Loc. Apporter sa pierre à l'édifice. Contribuer à... :
16. Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 132.
2. [Le suj. désigne une chose pouvant retentir sur la vie du destinataire] Procurer (un bien) :
17. Petite provinciale sans fortune et sans relations, je ne puis faire le mariage « sérieux » qui m'apporterait argent et situation, par exemple un mariage à Paris, dans un milieu aisé et cultivé (pour trouver un mari cultivé, il me faudrait vivre à Paris la moitié de l'année, libre, et je n'ai pas de quoi). Montherlant, Les Jeunes filles,1936, p. 936.
18. L'illustre vieillard n'aime pas son admiratrice : il se laisse adorer par elle, et il retrouve dans ses lettres, avant d'en être agacé, toute une exaltation juvénile qui lui apporte un écho de sa propre jeunesse. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 241.
[Avec un adv. de quantité ou un pronom neutre] Enrichir moralement, intellectuellement. Cette lecture m'apporte beaucoup, ce que cette lecture m'apporte... :
19. ... plusieurs articles sur Les Mémoires intérieurs m'avaient échappé. Presque tous m'ont beaucoup apporté... Je vois bien ce qu'ici j'ai souhaité : fixer une certaine figure de moi-même à tous les âges, un aspect de ma forme d'intelligence et de mes façons de sentir... liée à un style qui ne fût qu'à moi. C'est le style qui dure, quoi qu'en pensent mes cadets, à condition qu'il soit l'homme même. Mauriac, Le Nouveau Bloc-notes,1961, p. 211.
Vieilli. [Le retentissement a lieu dans une chose] Entraîner :
20. Les états de digestion, d'abstinence, de veille, de sommeil, d'âge, de sexe, peuvent aussi apporter des modifications dans cette sensibilité organique spéciale qui fera le véritable désespoir du médecin et du biologue, tant qu'on n'aura pas rattaché toutes ces variétés aux causes prochaines qui les déterminent ou les règlent. C. Bernard, Principes de méd. expérimentale,1878, p. 157.
3. [L'obj. est un mot abstrait exprimant une idée d'aide et formant avec le verbe apporter une loc. dont il existe gén. un équivalent verbal de la même famille morphol. ou sém. que l'obj.] :
21. ... si les armées italiennes venaient à être trop vivement pressées, je m'étais engagé vis-à-vis du général Cadorna à lui apporter l'appui direct des forces françaises. Joffre, Mémoires,t. 2, 1931, p. 360.
22. Elle pensait avec désespoir : « ce n'est donc pas vrai ... Le temps n'apporte donc pas d'adoucissement aux peines ... » Van der Meersch, L'Empreinte du dieu,1936, p. 218.
[À la limite dans la lang. littér., l'article est omis devant le nom obj.] Apporter remède. Remédier :
23. ... et si je me détermine à le mettre au jour, c'est que plusieurs faits notoires peuvent les suppléer, c'est que nos maux sont à leur comble, c'est qu'on ne peut trop se hâter d'y apporter remède en proscrivant leur auteur. Marat, Les Pamphlets,Nouvelle dénonciation contre Necker, 1790, p. 169.
24. C'est d'après cette vue qu'en toute catastrophe nous distinguons d'abord si bien le malheureux qui ne sait que faire de celui qui apporte secours, dont les mouvements sont, au contraire, prompts et décidés, et seulement signes d'eux-mêmes. Alain, Propos,1925, p. 661.
Rem. 1. Cette constr., outre sa valeur styl. (resserrement de l'expr. par suppression de l'article, expr. verbale se terminant par un subst. etc.) permet un emploi abs. là où le verbe simple ne l'autorise pas. 2. Le suj. désigne une pers., ou plus rarement une force assimilable à l'action d'une pers. (cf. ex. 22).
PRONONC. ET ORTH. : [apɔ ʀte], j'apporte [ʒapɔ ʀt]. Enq. : /apoʀt/, (il) apporte. Fér. Crit. t. 1 1787 admet une var. aporter.
ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 2emoitié du xes. aporter « venir porter qqc. à qqn [l'objet est un inanimé concret] » (St Léger, str. 34 ds A. Henry, Chrestomathie de la littérature en ancien fr., p. 12 : Il li vol faire mult amet; Bewre li rova aporter); 2. ca 1100 [l'objet est un inanimé abstrait] « fournir [un élément de connaissance] » (Roland, 3496, ds Gdf. Compl. : Males nuveles li aportet et dit); xiiies. « rapporter, produire » (Serm. du XIIIes., ms. Cassin, fo103dds Gdf. : Moult fait a loer cis gardins que fruit aporte et especes). − xvies. Palissy, ibid.; 1595 « apporter de l'attention, de l'effort à qqc. » (Lett. miss. de Henri IV, t. IV, p. 402 ds Gdf. Compl. : Les affaires ne vont guere bien; j'y apporte ce que je puis, mais non ce que je veux); av. 1622 « fournir, alléguer [une preuve] » (François de Sales, Serm. dim. pass., ibid. : Et pour confirmation de mon dire, je vous apporterai un exemple qui...); 1675 vén. (Widerhold, Nouv. dict. fr.-all. et all.-fr. : Apporte. Terme dont on se sert envers les Barbets, quand on leur jette quelque chose pour l'aller quérir). Empr. au lat. apportare « porter qqc. à qqn » 1 [l'objet est un inanimé concret] (Plaute, Epid., 36 ds TLL s.v., 304, 22); 2 [l'objet est un inanimé abstrait] « id., en parlant de nouvelles » (Plaute, op. cit., 21, ibid., 304, 54); « id. [le sujet aussi est un inanimé abstrait] » (Térence, Ad., 856, ibid., 304, 79).
STAT. − Fréq. abs. littér. : 13 495. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 15 468, b) 20 226; xxes. : a) 22 956, b) 19 548.
BBG. − Bruant 1901. − Darm. Vie 1932, p. 143. − Gottsch. Redens. 1930, p. 20. − Kuhn 1931, p. 31. − Le Roux 1752. − Pierreh. Suppl. 1926. − Spr. 1967.