| APPARENCE, subst. fém. Aspect ou façon d'apparaître; p. ext., gén. au plur. Ce qui apparaît. A.− Manière dont quelque chose apparaît, se manifeste. 1. Manière dont quelqu'un ou quelque chose se manifeste aux sens. Synon. aspect, physionomie : 1. J'ai vu, sur les chotts pleins de mirages, la croûte de sel blanc prendre l'apparence de l'eau. − Que l'azur du ciel s'y reflète, je le comprends − chotts azurés comme la mer − mais pourquoi − touffes de joncs, et plus loin falaises de schiste en ruine − pourquoi ces apparences flottantes de barque et plus loin ces apparences de palais? −
Gide, Les Nourritures terrestres,1897, p. 238. 2. Mais qu'est-ce que le Messie? Les vieux Juifs de la synagogue le voient toujours sous l'apparence d'un personnage divin, enveloppé de légende et de ténèbres, ...
J. et J. Tharaud, L'An prochain à Jérusalem!1924, p. 194. 3. En Belgique, il y a eu, aujourd'hui même, sous la présidence de M. de Broqueville, un conseil extraordinaire, qui a toutes les apparences d'un conseil de guerre préventif : ...
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 358. − Emploi abs. Aspect avantageux. Avoir de l'apparence, cela n'a pas d'apparence : 4. ... à voir tant de misère partout, je soupçonne que Dieu n'est pas riche. Il a de l'apparence, c'est vrai, mais je sens la gêne. Il donne une révolution, comme un négociant dont la caisse est vide donne un bal. Il ne faut pas juger des dieux sur l'apparence. Sous la dorure du ciel j'entrevois un univers pauvre.
Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 321. 5. On s'arrêta pour dîner devant une sorte de bouge obscur que fréquentaient les mariniers et toute la crapule des environs. Devant la porte, le père Boivin eut soin de dire : « Ça n'a pas d'apparence, mais on y est fort bien ».
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Les Dimanches d'un bourgeois de Paris, 1880, p. 299. − En partic., PHILOS. et RELIG. Aspect sensible de quelque chose, en ce qu'il s'oppose à son essence ou à sa substance. Synon. phénomène(cf. Foulq.-St-Jean 1962) : 6. − L'âme, disait-il, est la substance; le corps, l'apparence. Les mots l'expriment d'eux-mêmes : l'apparence est ce qui se voit, et qui dit substance dit chose cachée.
A. France, Le Petit Pierre,1918, p. 9. 7. Si le réel se réduit en effet à l'apparence sensible, comme elle est en perpétuelle contradiction avec elle-même, aucune certitude de quelque ordre que ce soit ne demeure possible.
Gilson, L'Esprit de la philos. médiév.,t. 2, 1932, p. 24. Rem. Chez les trad. de Kant., apparence s'oppose à apparence empirique, logique, transcendantale. ♦ Apparences dans l'Eucharistie. ,,Ce qui reste et paraît extérieurement dans l'hostie consacrée, ce qui en frappe les sens, tels la couleur, la forme, le goût du pain et du vin, alors que ce n'est plus la substance du pain et du vin, mais le corps et le sang de J.-C.`` (Marcel 1938) : 8. Tout ce qui nous épouvante dans nos vies, tout ce qui vous a consterné vous-même au Jardin des Oliviers, ce ne sont au fond que les espèces ou apparences, la matière d'un même sacrement.
Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 173. Rem. ,,Des « linguistes » veulent établir une distinction entre Il n'y a plus apparence de maladie (= on ne trouve plus à quelqu'un l'air malade) et Il n'y a plus trace de maladie. Au mot apparence, l'Académie déclare pourtant : « il signifie quelquefois marque, trace de quelque chose. Ils n'ont plus aucune apparence de liberté. Il ne reste à cette femme aucune apparence de beauté ». On peut donc dire : Il n'y a plus apparence de maladie, aussi bien dans le sens : « il n'y a plus de signe, de marque extérieure », que dans le sens : « il n'y a plus de trace ».`` (Hanse 1949). En fait, la même réalité s'exprime sous deux formes différentes, l'une la regardant sous l'aspect temporel (la trace est ce qui reste du passé), l'autre sous une opposition intemporelle (l'apparence désigne ce qui partout et toujours s'oppose à ce qui est caché). 2. Manière dont une chose se manifeste à l'esprit. Synon. probabilité, vraisemblance : 9. Si, contre toute apparence, il ne lui avait pas été possible de se procurer des rafraîchissemens, de l'eau et du bois, sur les terres qu'il aura visitées depuis son départ des îles des Amis, (...) il relâcherait à l'île du Prince, ...
Voyage de La Pérouse,t. 1, 1797, p. 21. 10. ... Albert poussa son cheval vers un mélancolique assemblage de pierres grises et usées, façonnées par la main de l'homme, et qui se révéla à son approche être selon toute apparence un cimetière depuis longtemps abandonné.
Gracq, Au Château d'Argol,1938, p. 48. − Locutions a) Vieilli ♦ Non sans apparence. Non sans vraisemblance : 11. Les Anciens croyaient, non sans apparence, qu'il y avait quelque chose de divin dans le vol des oiseaux.
Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 153. ♦ Il y a apparence que, il y a de l'apparence que + indic. : 12. Il faut que tous les soins de mon père tendent à relever l'autorité du roi. Si le pouvoir exécutif ne lui appartient pas en entier, si les troupes ne lui obéissent pas, ce pays-ci est perdu. Quand un gouvernement subsiste depuis si longtemps, il y a apparence qu'il est nécessaire. C'est comme les règles de l'arithmétique, dont on trouve la preuve en les renversant.
Mmede Staël, Lettres de jeunesse,1789, p. 328. 13. Il n'y avait pas de chevaux, ni apparence qu'il en arriverait, on résolut de se coucher.
Stendhal, Journal,t. 3, 1809-11, p. 5. Rem. Attesté ds tous les dict. gén. du xixesiècle. b) D'apparence. D'évidence : 14. D'apparence, les membres de la famille Dur étaient prévenus assez différemment à l'égard des Berthier.
Aymé, La Jument verte,1933, p. 240. B.− Aspect seulement superficiel, souvent trompeur d'une chose, par opposition à sa réalité. Ne pas se fier aux apparences, fausse apparence, sous une apparence. Synon. faux-semblant, façade, ostentation, simulacre : 15. Peu à peu on arriva à ce point que les archontes n'eurent plus que l'apparence du pouvoir et que les stratéges en eurent toute la réalité.
Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 417. 16. « Crois-tu que bâti comme tu me vois, je suis anémique? C'est à ne pas croire et c'est pourtant vrai : il ne faut pas se fier aux apparences; ... »
Mauriac, Thérèse Desqueyroux,1927, p. 225. SYNT. Sous l'apparence de; donner, se donner l'apparence de. ♦ Garder, sauver les apparences. Ne rien laisser apparaître qui puisse être blâmé. Anton. sacrifier les apparences : 17. ... elle apportait, dans ses coups de cœur, une mesure et un tact si délicats, une science du monde si adroitement appliquée, que les apparences restaient sauves et que personne ne se serait permis de mettre tout haut son honnêteté en doute.
Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 444. − Loc. adv. En apparence. Synon. extérieurement; anton. en réalité : 18. Les deux coudes sur la table, indifférent en apparence, mais, dans le fond, humilié et navré, il suivait le vol d'une guêpe attardée au-dessus d'une assiette de fruits...
Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 33. Rem. 1. Apparence signifie dans l'ex. suiv. apparition : 19. Quelle misère aussi de notre côté! Quelle faiblesse! quelle pusillanimité à l'apparence du péril!
Chateaubriand, Correspondance gén.,t. 2, 1789-1824, p. 227. Rem. 2. On rencontre dans la docum. le néol. apparentiel, elle, adj. (É. Faure, L'Esprit des formes, 1927, p. 195; suff. -iel*). Qui concerne l'aspect extérieur des choses. PRONONC. : [apaʀ
ɑ
̃:s]. Enq. : /apaʀãs/. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Av. 1225 apparanche « preuve apparente » (Reclus de Molliens, Miserere, CCLXXI, 6 ds Gdf. Compl. : Peu en est de ferme creanche : Les uevres en font apparanche; De Dieu ne de mort n'ont doutanche), attest. isolée; 2. a) av. 1225 aparance « aspect riche » (Lancelot, ms. Frib., fo124d ibid. : Li tres Claudas estoit tenduz en une bele praierie et ert a merveilles granz et biaus et riches et de si grant aparance que bien resenbloit reperes a roi); b) 1280 « aspect extérieur (d'une chose) » (G. d'Amiens, Escanor, éd. H. Michelant, 20949 ds T.-L. : des plaies ne se doloient Selonc c'on veoit l'aparance); p. ext. 3. a) 1395 « trace, vestige, indice (en parlant de choses matérielles) » (Voyage de Jérusalem du seigneur d'Anglure, éd. F. Bonnardot et A. Longnon, 156, ibid. : et y en a encor des apparances des murs) − xviies., 1606, Nicot (fig.); b) 1659 « aspect superficiel ou trompeur » (Mol., Préc. rid., sc. 18 ds Littré : Allons chercher fortune autre part, je vois bien qu'on n'aime ici que la fausse apparence); 4. 1468-92 « vraisemblance, probabilité » (La Marche, Mém., I ds Gdf. Compl. : Si Dieu l'eust souffert vivre longuement, il avoit apparence de faire de grands services a la Bourgongne); 1690 dr. (Fur.).
Empr. au b. lat. apparentia, plur. substantivé du part. prés. de apparere, « aspect extérieur, apparence » dep. Boèce, Anal. post., 1, 10 ds TLL s.v., 268, 15. STAT. − Apparence. Fréq. abs. littér. : 5 893. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 7 993, b) 6 533; xxes. : a) 6 378, b) 11 086. Apparentiel. Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Bach.-Dez. 1882. − Bél. 1957. − Bible Suppl. t. 1 1928. − Bruant 1901. − Canada 1930. − Foi t. 1 1968. − Foulq.-St-Jean 1962. − Dul. 1968. − Gruss 1952. − Lacr. 1963. − Laf. 1878. − Laf. Suppl. 1878. − Lal. 1968. − Marcel 1938. − Miq. 1967. − Noter-Léc. 1912. − Pierreh. Suppl. 1926. − Piguet 1960. − Réau-Rond. 1951. − Réau-Rond. Suppl. 1962. − Ros.-Ioud. 1955. |