| ANKYLOSE, subst. fém. A.− PATHOL. [En parlant de l'homme, de l'animal] Perte totale ou partielle du mouvement propre à une articulation. Ankylose complète ou vraie, ankylose incomplète ou fausse (cf. Rud. 1962, pp. 133-34) : 1. Les vertèbres cervicales sont toujours au nombre de sept, excepté dans le paresseux à trois doigts, qui en a neuf. Les cétacés en ont souvent deux ou plusieurs de soudées ensemble : par exemple, les deux premières, dans les dauphins et marsouins; les six dernières, dans les cachalots; mais on en voit toujours les parties. Seulement il y a alors ankilose.
Cuvier, Leçons d'anat. comp.,t. 1, 1805, p. 154. 2. ... c'était à présent l'ankylose complète, ni les pieds ni les mains ne pouvaient servir, les quelques jointures qui jouaient encore à demi, craquaient comme si on avait secoué un sac de billes. À la longue, son corps lui-même semblait s'être pétrifié dans la position qu'il avait adoptée pour mieux endurer le mal ...
Zola, La Joie de vivre,1884, p. 1108. 3. Et le poète entre dans une pièce cirée beaucoup trop pour son « ankylose incomplète du genou gauche, consécutive à une arthrite rhumatismale ».
Verlaine, Mes hôpitaux,1891, p. 306. 4. Ainsi l'homme actuel, retranché par son ankylose physiologique du monde fluidique où se dessinent les avertissements du cosmos, l'homme que surprennent les cataclysmes terrestres que les animaux et les sauvages pressentent avec infaillibilité; l'homme « civilisé » se drape symboliquement dans les formules où son esprit a fixé des lois éternelles. Il a ainsi rétabli l'équilibre entre le monde et son instinct diminué.
Lhote, Peinture d'abord,1942, p. 73. 5. Fracture des grands sésamoïdes. − Ces deux petits os globuleux se rencontrent en arrière du boulet où ils servent de poulie de renvoi aux tendons des fléchisseurs : on assiste fréquemment à leur arrachement chez les chevaux de courses et parfois à leur fracture. En raison de la complexité des articulations du boulet dont ils font partie, le pronostic est toujours grave. Il se produit presque toujours, lors de la réparation, une ankylose du boulet avec boiterie persistante.
E. Garcin, Guide vétér.,1944, p. 151. SYNT. Ankylose fibreuse (due à la formation de tissus fibreux ou scléreux), ankylose osseuse (causée par la fusion des os qui constituent l'articulation) (cf. Méd. Biol. t. 1 1970). − Dans la lang. cour. Gêne de mouvement temporaire sans caractère pathologique : 6. Jean Valjean eut quelque peine à se remuer et à marcher. Dans cette bière il s'était roidi et était devenu un peu cadavre. L'ankylose de la mort l'avait saisi entre ces quatre planches. Il fallut, en quelque sorte, qu'il se dégelât du sépulcre. − Vous êtes gourd, dit Fauchelevent. C'est dommage que je sois bancal, nous battrions la semelle.
Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 669. 7. Une détresse grandissante tombe sur ce groupe de soldats fatigués et transis, qui souffrent dans leur chair et ne savent vraiment pas quoi faire de leur corps. (...) instinctivement, ils se livrent à la seule occupation possible ici-bas pour eux : faire les cent pas sur place pour échapper à l'ankylose et au froid. Et les voilà qui se mettent à déambuler très vite ...
Barbusse, Le Feu,1916, p. 155. − P. anal. [En parlant d'une chose] :
8. ... la grande ankilose contre laquelle il n'est plus de remède, soudait les pièces [d'une horloge].
A. Arnoux, Écoute s'il pleut,1923, p. 31. 9. ... le charme mystérieux du vieux musée s'est éteint avec l'incendie. À présent, je contemple sans émotion (...) les explorateurs les plus célèbres, devenus sédentaires, tous les recordmen de la vitesse, soudain immobilisés et dont l'ankylose semble une vengeance des dieux, les hauts dignitaires de l'Église anglicane engourdis dans leur sainteté et leur importance, ...
Morand, Londres,1933, p. 245. 10. Les plantes payent ce privilège de ne pas mourir, par le supplice du faible espace qu'elles occupent, du statisme, de l'ankylose, de la privation d'une liberté (relative) de se mouvoir que l'homme possède et paye, fort cher, par la connaissance du petit espace à parcourir et par la mort.
Cocteau, La Difficulté d'être,1947, p. 169. B.− Au fig. 1. [En parlant de l'homme, de l'esprit hum.] Défaut de souplesse, impuissance à s'adapter ou à se renouveler : 11. Depuis un an qu'il a pris sa retraite, il ne cesse de penser au vieillissement de l'esprit, et à l'ankylose des mécanismes dont l'esprit se sert. Il croit se sentir souvent la tête un peu lourde. Et surtout, après avoir conduit, dans la solitude, à des heures favorables, des méditations bien liées, et pénétrantes, il a l'impression qu'au moment inopiné où il voudrait les communiquer à autrui, les faire sortir de lui-même, les voies de l'esprit sont le siège d'une sorte d'embarras ou d'encombrement.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, p. 108. 2. P. ext. [En parlant de l'art] :
12. L'idée (...) de vouloir forcer des tempéraments d'artistes à entrer tous dans le même moule dénotait (...) une incompréhension absolue de l'art. Ce système devait aboutir à l'ankylose, à la paralysie de la peinture ...
Huysmans, La Cathédrale,1898, p. 379. 13. Les basses, chez Chopin, deviennent mobiles, expressives, modulantes et secouent l'ankylose qui les tenait engourdies.
Jankélévitch, Gabriel Fauré et ses mélodies,1938, p. 10. PRONONC. ET ORTH. : [ɑ
̃kilo:z]. − Rem. Ac. 1798 écrit ankilose avec i; cf. aussi ex. 1, 8. ÉTYMOL. ET HIST. − 1564 méd. ancyle, ancylosis (Amb. Paré,
Œuvres, éd. J. B. Malgaigne, 1840, t. 2, livre XIII, Des Fractures des os, chap. 18, pp. 319-20 : Le bras ne se peut plier ny estendre : [...] et tel vice est nommé ancyle ou ancylosis); 1727 ankylose (Trév.).
Empr. au gr. α
̓
γ
κ
υ
́
λ
ω
σ
ι
ς « id. », iies. (Galien, 2, 3, 91 ds Bailly). STAT. − Fréq. abs. littér. : 26. BBG. − Bouillet 1859. − Garnier-Del. 1961 [1958]. − Lar. méd. 1970. − Lew. 1968, p. 292. − Littré-Robin 1865. − Méd. 1966. − Méd. Biol. t. 1 1970. − Nysten 1824. − Pomm. 1969. − Privat-Foc. 1870. |