| ANGUILLE, subst. fém. A.− ICHTYOL. Poisson d'eau douce mais qui se reproduit dans la mer des Sargasses (Atlantique Nord), à peau visqueuse, de la forme d'un serpent, dont la chair est recherchée : 1. L'anguille et le congre (muraena anguilla et conger) ont les deux mâchoires et le vomer hérissés de petites dents droites, fortes, mousses, serrées. Le congre n'a presque qu'une rangée aux mâchoires.
Cuvier, Leçons d'anat. comp.,t. 3, 1805, p. 182. 2. Comme l'anguille doit maintenir son allure sinueuse, l'ondulation perpétuelle de ses anneaux, quel que soit l'élément qui la porte, elle est douée d'une ossature singulièrement flexible. Disposée tout en longueur, assise sur des côtes courtes légèrement attachées, étayée sur de fins faisceaux d'arêtes intermusculaires, cette charpente soutient partout l'individu sans apporter de rigidité nulle part, laissant au corps une souplesse prodigieuse. (...). Les anguilles retournent à la mer en automne. On dit qu'elles « se relâchent ». Un assez grand nombre demeurent dans nos eaux.
Pesquidoux, Chez nous,t. 2, 1923, p. 63, 71. ♦ Anguille de mer. Congre ou lamproie (cf. H. Coupin Animaux de nos pays, dict. pratique, 1909, p. 185, 187).Anguille de sable. Ammodyte. Anguille électrique. Gymnote. − Locutions ♦ Il y a anguille sous roche. Il y a quelque chose de caché dont on soupçonne l'existence : 3. Autre chose le tourmentait : de quelle façon expliquer l'ordre que, la veille, dans son affolement, il avait donné à Célestin de ne pas acheter de vache? Sa femme n'éventerait-elle pas là quelque anguille sous roche? Et il déplorait cette maladresse, qui venait compliquer les choses et le gêner dans l'exécution du plan qu'il s'était fait de ne rien laisser transpirer.
Châteaubriant, Monsieur des Lourdines,1911, p. 112. ♦ Écorcher l'anguille par la queue. Commencer par le plus difficile. Vouloir rompre une anguille sur son genou. Vouloir l'impossible. ♦ Il ressemble aux anguilles de Melun. Il crie avant qu'on l'écorche, il se plaint avant de sentir le mal : 4. Il ressemble à l'anguille de Melun (...) Selon quelques étymologistes, ce proverbe vient d'un nommé L'Anguille ou plutôt Languille, bourgeois de Melun. Il jouait, dans un mystère, le rôle de saint Barthélémy, qui fut écorché vif comme on sait. Dès que Languille aperçut le bourreau, il fut saisi d'une telle frayeur, qu'avant d'avoir été touché, il poussa les hauts cris et se sauva.
Lar. 19e,1866. B.− P. ext. [En réf. à la forme de l'anguille, pour désigner différents objets ou animaux] 1. JEU. ,,Jeu d'écoliers dans lequel un d'eux poursuit les autres, en les frappant avec un mouchoir roulé en forme d'anguille.`` (Lar. 19e). − Loc. Couper l'anguille. ,,Replacer les cartes comme elles étaient avant la coupe.`` (J. Lacassagne, L'Argot du « milieu », 1928, p. 252). 2. MARINE − ,,Longues pièces de bois qui font partie du ber d'un grand bâtiment, mais qu'on désigne le plus généralement sous le nom de coittes.`` (Will. 1831). Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixesiècle. − Nœud d'anguille. Sorte de nœud coulant. Rem. Attesté ds la plupart des dict. généraux. 3. TECHNOLOGIE − ,,Pièce de bois qu'on place entre deux radeaux employés à la confection d'un pont, pour maintenir leur écartement.`` (Nouv. Lar. ill.). Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixesiècle. − TISS. Bourrelet ou faux pli qui se forme dans le drap lorsqu'on le foule. Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixesiècle. 4. ZOOL. Anguille de haie, de buisson. Un des noms vulgaires de la couleuvre, parfois de la vipère : 5. Les restaurateurs de la banlieue de Paris passent pour servir des matelottes d'anguilles de haie, en même temps que des gibelottes de chat. Mais c'est une calomnie, tout le monde sait que ces estimables commerçants ne le font que sur le désir formel du client.
P. Martellière, Glossaire du Vendômois,1893, p. 15. 6. Pour certains paysans, la couleuvre n'est qu'une anguille de haie, et ils la mangent comme l'anguille d'eau.
Renard, Journal,1894, p. 230. 5. Lang. pop. − Fouet (cf. anguillade*) : 7. Anguille (...). Fouet à sabot, − dans l'argot des enfants.
A. Delvau, Dict. de la lang. verte,1866, p. 10. − Ceinture (F. Vidocq, Les Voleurs, t. 1, 1836, p. 7). C.− Lang. commun et littér. − [P. anal. avec la minceur, l'agilité, la viscosité du corps de l'anguille, pour désigner des qualités physiques ou des travers moraux de l'homme] 1. Fam. [Comme terme de compar., introd. par comme] :
8. Ni ma femme non plus, voisin; la chère âme s'est tournée et retournée comme une anguille. Ah! dame! quand on est jeune, on ne s'endort pas au bruit des violons.
Musset, Comédies et proverbes,Lorenzaccio, 1834, I, 2, p. 87. 9. J'étais mince comme une anguille, j'aurais pu passer comme elle à travers une touffe de joncs...
Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 1, 1925, p. 213. 10. Mais Paoli est déjà hors d'appel : agile comme une anguille, il s'est faufilé dans la cohue, et son képi bleu, sa courte nuque hâlée ont aussitôt disparu.
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 756. 2. P. métaph., péj. : 11. Ici l'objection classique : N'eut-il pas été possible avant la guerre, de composer avec lui [Briand], au lieu d'user des forces dans une lutte sans intérêt avec cette anguille de vase?
L. Daudet, Vers le roi,1920, p. 103. PRONONC. : [ɑ
̃gij]. Demi-longueur pour [ɑ
̃] ds Passy 1914. Demi-longueur (Passy 1914) ou longueur (Barbeau-Rodhe 1930, Harrap's 1963) pour [i]. On recommande le l mouillé jusqu'à Littré inclus, excepté toutefois Land. 1834, qui écrit : an-guiye. Enq. : /ɑ
̃gij/. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. a) 1165 ichtyol. (Chr. de Troyes, G. d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 1000 : Et mes anguilles escorchier?); b) proverbialement et fig. 1563 il y a anguille sous roche « il se trame quelque intrigue » (Belleau, Reconnue [1578], II, 4 ds Gdf. Compl.); 1690 il s'échappe comme une anguille « il disparaît sans qu'on puisse le retenir, il se défile » (Fur.); c) p. anal. sert à dénommer d'autres animaux 1548 anguille de bois « couleuvre » (Rabelais, Quart Livre, 60 ds
Œuvres, éd. Marty-Laveaux, t. 2, p. 482) dite aussi anguille des haies (1611, Cotgr.); 1751 anguille de sable « poisson de mer » (Encyclop. t. 1).
Empr. au lat. anguilla (dimin. de anguis « serpent ») « anguille » (Pline, Nat., 9, 73 ds TLL s.v., 50, 55); au Moy. Âge, les rimes assurent une prononc. -ile (voir T.-L.) et le l ne s'est mouillé définitivement qu'aux xvieet xviies. STAT. − Fréq. abs. littér. : 253. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 448, b) 373; xxes. : a) 296, b) 314. BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Alex. 1768. − Alleau 1964. − Baudr. Pêches 1827. − Bél. 1957. − Bouillet 1859. − Canada 1930. − Chesn. 1857. − Dumas 1965 [1873]. − Esn. 1966. − France 1907. − France Suppl. 1907. − Gaudin (M.). Parasitisme. Vie Lang. 1969, p. 700. − Gay t. 1 1967 [1887]. − Gruss 1952. − Jal 1848. − Kemna 1901, p. 49. − Lar. mén. 1926. − Larch. 1880. − Lasnet 1970. − Le Clère 1960. − Lej. 1969. − Le Roux 1752. − Littré-Robin 1865. − Michel 1856. − Mont. 1967. − Nysten 1824. − Pollet 1970. − Privat-Foc. 1870. − Rog. 1965, p. 38. − Rolland (E.). Faune pop. de la France. Paris, 1967, t. 3, p. 99; t. 11, p. 186, 199, 249. − Sandry-Carr. 1963. − Will. 1831. |