| ANCRER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− MAR. Mettre à l'ancre, fixer (un bateau) sur le fond de la mer au moyen d'une ou de plusieurs ancres : 1. ... on cherche alors un grand floe sur lequel on ancre le navire ou bien on maintient le bateau dans un espace d'eau libre.
J.-B. Charcot, La Mer du Groënland,1929, p. 52. − Littér, emploi abs. 1. [Le suj. désigne une pers.] Jeter, mouiller l'ancre : 2. Nous ancrâmes, dans une mauvaise rade, sur une base de roches, par quarante-cinq brasses d'eau. L'île Graciosa, devant laquelle nous étions mouillés, nous présentait des collines un peu renflées dans leurs contours comme les ellipses d'une amphore étrusque...
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 1, 1848, p. 262. 2. P. anal. [Le suj. désigne un bateau] Mouiller : 3. Les navires grecs, il y a cinq ans, ont adopté la formation de face en ancrant devant Magnésie. Magnésie dans l'heure a déclaré la guerre.
J. Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu,1935, pp. 118-119. Rem. Dans le lang. techn. de la mar., on utilise le terme mouiller. B.− BÂT., p. anal. avec le sens A. Attacher au moyen d'une ancre (cf. ancre II B) : 4. À Vézelay, on eut l'idée d'ancrer sur ledit chaînage des tirants ayant de l'autre bout la forme d'un gond à l'aplomb de la retombée des voûtes, au-dessus des piliers et perpendiculairement au chaînage, mais du côté de la grande nef seulement.
F. Fillon, Le Serrurier,1942, p. 6. C.− Au fig. 1. Fixer profondément et solidement; affermir. a) Domaine soc.Ancrer dans un emploi, dans une situation, auprès de qqn : 5. ... il [Saint-Simon] s'employa à le servir [le maréchal de Noailles] avec feu (...) plus tard il ne travailla pas moins à l'ancrer auprès du duc d'Orléans...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 10, 1863-1869, p. 198. b) Domaine intellectuel et moral − [L'obj. est une pers.] :
6. J'ai fait ce que j'ai pu pour le retenir, mais sa décision reste inébranlable et tout ce que je lui en dis ne sert qu'à l'ancrer davantage. Vous seul parviendrez peut-être à le dissuader.
A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1183. 7. Il n'en avait pas fallu davantage pour l'ancrer dans son idée.
L. Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 107. − [L'obj. est un inanimé] :
8. La publicité du milieu du siècle est « lettrée ». Elle vante les qualités d'un produit; l'éloquence, voire la rhétorique, voire l'amphigouri sont ses plus précieux adjuvants pour atteindre les clients, car il s'agit de persuader. L'image apparaît bien, mais comme un accompagnement ornemental. Et aujourd'hui? Il faut frapper, ancrer dans la mémoire visuelle une image qui s'y imprime par sa force de surprise ou de répétition.
R. Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 46. Rem. Dans cet emploi, ancrer est gén. suivi d'un compl. introduit par dans ou en. L'ex. 6 où ancrer est employé seul avec le sens de « ancrer dans une résolution » est exceptionnel. 2. Arrêter, rendre stable : 9. Il était moins à la fête quand, chargé du chevalet, de la boîte à couleurs, du pliant, de l'ombrelle, il accompagnait Paul à travers l'oasis. Suant et soufflant, il se campait soudain, et avec l'air le plus convaincu s'écriait : « Ah! le beau motif! » pour essayer d'ancrer l'humeur vagabonde de son patron.
A. Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 563. II.− Emploi pronom. A.− MAR. [Le suj. désigne un bateau] Mouiller (cf. I A ex. 3) : 10. Tout va bien. Le bateau est parti. Il va s'ancrer à la hauteur du consulat de France. Presque de l'autre côté de la rivière.
A. Malraux, La Condition humaine,1933, p. 217. B.− Au fig. S'établir, se fixer de façon solide et durable. 1. Domaine concr. a) [Le suj. est un inanimé] S'attacher fortement à : 11. Le vacoa, qui s'ancre et se cramponne à la terre par cent bras partis de sa tige, a dû le premier inspirer le plan d'une cathédrale appuyée sur ses légers arcs-boutants.
G. Sand, Indiana,1832, p. 321. b) [Le suj. est une pers.] S'ancrer dans un lieu : 12. Je l'ai peu vue, mais elle m'a donné des marques d'intérêt. Il serait bien essentiel de m'ancrer enfin dans ce pays-ci. Pour cela, il ne faudrait pas partir et publier une seconde édition.
B. Constant, Journaux intimes,févr. 1815, p. 433. 2. Domaine soc.S'ancrer dans un emploi, dans une situation : 13. Il est dur de voir les occasions, une à une, s'écouler, nos pareils s'ancrer et s'établir, de nouvelles générations qui nous poussent, et la barque de notre fortune, comme un point noir à l'horizon, repartir sans avoir abordé, et se perdre dans l'immensité, le nombre et l'oubli...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, pp. 110-111. 3. Domaine intellectuel et moral.S'ancrer dans, en. a) [Le suj. est une pers. ou un coll.] :
14. Ne me dissimulant pas que les tendances des partis risquaient de conduire à une constitution néfaste je m'ancrais dans mon intention de réserver la solution à la décision du pays.
Ch. De Gaulle, Mémoires de guerre,Le Salut, 1959, p. 258. b) [Le suj. est un inanimé] :
15. Ci-gît celui en qui s'ancra le doux espoir
Des invisibles biens qu'à présent il peut voir; ...
F. Jammes, Les Géorgiques chrétiennes,Chants 5 à 7, 1912, p. 75. Prononc. − 1. Forme phon. : [ɑ
̃kʀe], j'ancre [ʒ
ɑ
̃:kʀ
̥]. 2. Homon. : encrer. Étymol. ET HIST. − 1160-1170 mar. (Le Tristan de Thomas, éd. Bédier, 2646 ds T.-L. : En un port ad sa nef ancree); p. anal. 1397, 13 mars archit. (Ms. Amiens 523 fo226 ds Gdf. Compl. : Pilliers ancrez de bon fer d'Espagne); 1470 fig. part. passé adj. « solidement arrêté, déterminé » (Livre de la discipline d'amour divine, fo7a [éd. 1537] ds Rev. ét. rabelaisiennes, IX, 300 : Que nostre volunté soit si ancrée et continuellement à toujours fermement plantée en la divine volunté).
Dér. de ancre* aux sens propre et fig.; dés. -er. STAT. − Fréq. abs. litt. : 60. BBG. − Canada 1930. − Guilb. Aviat. 1965. − Jal 1848. − Le Clère 1960. − Le Roux 1752. − Will. 1831. − Zastrow (D.). Entstehung und Ausbildung des französischen Vokabulars der Luftfahrt mit Fahrzeugen ,,leichter als Luft`` (Ballon, Luftschiff) von den Anfängen bis 1910. Tübingen, 1963, p. 294, 514. |