| AMORAL, ALE, AUX, adj. A.− PHILOS. [Gén. en parlant d'une entité abstr.] Qui est étranger à la morale : 1. ... l'homme n'est un être moral que parce qu'il vit en société, puisque la moralité consiste à être solidaire d'un groupe et varie comme cette solidarité. Faites évanouir toute vie sociale, et la vie morale s'évanouit du même coup, n'ayant plus d'objet où se prendre. L'état de nature des philosophes du xviiiesiècle, s'il n'est pas immoral, est du moins amoral...
É. Durkheim, De la Division du travail social,1893, p. 394. 2. L'arbitraire de la vision chrétienne devenant trop évidente, on supposa par réaction la nature amorale ou plutôt immorale; car au fond on prenait surtout le contrepied de toutes les assertions classiques.
J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,lettre de J. R. à A.-F., juill. 1906, p. 161. 3. ... on regarde (...) l'activité politique et sociale comme une activité amorale en elle-même, les faits sociaux comme de simples faits physiques particuliers, qu'il suffit de traiter suivant des lois purement techniques du moment que notre conduite privée reste soumise aux règles de la morale personnelle.
J. Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 228. 4. La psychanalyse qui, comme toute science descriptive, est amorale, croit pourtant à un développement affectif qui rejoint à la limite la morale la plus haute.
M. Choisy, Qu'est-ce que la psychanalyse?1950, p. 44. Rem. Parfois amoral est proche d'immoral : 5. La notion du bénéfice légitime varie suivant les métiers, les années, les circonstances extérieures, et les hommes. Un système d'échanges basé sur ce principe-là est vicieux, pensait Decraemer, − et amoral.
M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 468. B.− [En parlant d'une pers.] Qui est naturellement indifférent aux idées de bien et de mal : 6. La réalisation de la justice anéantirait l'idée même de justice. On n'arrive à concevoir le monde plus heureux qu'en dehors de toute notion de mérite : et qui aurait le courage de cette suppression? S'il n'est immoral, il faut qu'il soit amoral.
J. Lemaître, Les Contemporains,1885, p. 67. 7. La Renaissance est au contraire le triomphe de l'individu sur la collectivité. C'est le temps des monstres : César Borgia, Henry VIII (...). César Borgia est amoral, c'est-à-dire anti-social; c'est le carnassier.
A. Maurois, Mes songes que voici,1933, p. 175. 8. Un grand nom de France, Thucydide pour la résistance. Un mercenaire au demeurant et qui nous coûte cher... sympathique quand même (à mes yeux), car cynique... foncièrement amoral ou plutôt très naturellement persuadé que ce qu'il fait est bien parce que c'est lui qui le fait...
R. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 237. 9. Il [Raoul] se croyait amoral, comme tout esthète. Mais l'amoralisme ne s'apprend pas dans les livres...
R. Abellio, Heureux les pacifiques,1946, p. 362. 10. Beau garçon, le type qui plaît aux femmes, le genre d'homme avec lequel on n'aura pas de surprise, parce qu'on sait exactement ce qu'il va faire, tout en espérant qu'il ne le fera pas, cette fois-ci. Un être dur, pas immoral, mais amoral.
A. Camus, Requiem pour une nonne,adapté de W. Faulkner, 1956, p. 882. 11. Un être amoral n'est pas simplement celui qui enfreint les règles morales, mais celui qui n'attache aucune importance à cette infraction, celui qui conteste ou ignore la valeur de l'impératif éthique.
Leroux (Lal. 1968). − Emploi subst., rare : 12. L'immoral va contre la morale avec une conscience plus ou moins claire de ce qu'il fait; l'amoral n'a pas conscience de l'existence des jugements moraux.
Brunschwig (Lal. 1968). Rem. 1. Attesté ds Ac. t. 1 1932, Rob., Lar. encyclop., Quillet 1965, Dub., Lar. Lang. fr. 2. Dans plusieurs emplois (cf. ex. 7, 8) le sens est très fortement péj., et avoisine immoral ou amoral. Prononc. : [amɔ
ʀal]. Étymol. ET HIST. − 1885, supra ex. 6.
Dér. de moral*; préf. a-2*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 22. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bénac 1956. − Goblot 1920. − Lafon 1963. − Lal. 1968. − Moor 1966. − Thomas 1956. |