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AMERTUME, subst. fém.
A.− Au propre. [En parlant d'une boisson, d'un aliment ou d'une substance quelconque] Saveur amère :
1. Il est des laits filants, d'une viscosité accusée, et des laits amers, d'une amertume de bière. J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 2, 1928, p. 218.
2. Marie m'a appris un jeu. Il fallait, en nageant, boire à la crête des vagues, accumuler dans sa bouche toute l'écume et se mettre ensuite sur le dos pour la projeter contre le ciel. Cela faisait alors une dentelle mousseuse qui disparaissait dans l'air ou me retombait en pluie tiède sur le visage. Mais au bout de quelque temps, j'avais la bouche brûlée par l'amertume du sel. A. Camus, L'Étranger,1942, p. 53.
Rem. Syntagmes rencontrés l'amertume de l'absinthe, de l'amande, du fiel, d'un remède, du sel, etc.
P. anal., rare. [En parlant d'une odeur, d'un son] :
3. Une (...) progression chromatique, fondée sur le rappel du sujet initial [du Finale de Prélude, Aria et Finale de Franck] conduit à sa réexposition harmonisée, (...) explosion de douleur (...) rendue plus déchirante (...) par l'amertume (...) de la tonalité de mi mineur. A. Cortot, La Musique française de piano,1resérie,1930, p. 128.
4. ... le parfum des chrysanthèmes, du gros bouquet, s'exaltait avec toutes ses amertumes d'automne... J. de La Varende, La Valse triste de Sibélius,1953, p. 73.
Spécialement
,,Maladie de certaines boissons alcooliques, caractérisée par le développement de ferments donnant naissance à du gaz carbonique, de l'acide lactique, du mannitol, etc.`` (Duval 1959).
MÉD. Amertume de la bouche. Sensation éprouvée par les malades dans de nombreuses affections (cf. Nysten 1814-20).
B.− Au fig.
1. Sentiment (ou caractère propre du sentiment) mêlé de découragement et de rancœur, éprouvé à la suite d'un échec, d'une désillusion :
5. En ce moment, il y a mélange dans mon âme, mélange d'amertume et de douceur, confusion de miel et de fiel, pêle-mêle étrange. M. de Guérin, Journal intime,1834, p. 218.
6. ... l'arrivée de ces livres me frappa dans la circonstance où je me trouvais. Je les dévorai avec une amertume et une tristesse sans bornes, le cœur brisé et le sourire sur les lèvres. A. de Musset, La Confession d'un enfant du siècle,1836, p. 67.
7. Il alla au phono et choisit une pièce qui lui plaisait particulièrement. C'était Bitter Sweet, un air qui exprimait pour lui en ce moment l'amertume et la douceur de leur réunion. G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 400.
Rem. Syntagmes fréq. a) l'amertume de l'âme, du cœur, d'une déception, de la pensée, des regrets, des sentiments; b) une coupe d'amertume, un gouffre d'amertume, le pain de l'amertume.
2. Caractère mordant, agressif (du langage, du comportement d'une pers.) où se reconnaît de la rancœur, du ressentiment :
8. Tout ce qu'il y avait en moi de légèreté, de vanité, de puérilité, de sécheresse, d'ironie ou d'amertume d'esprit pendant ces mauvaises années de mon adolescence disparaissait tellement que je ne me reconnaissais plus moi-même. A. de Lamartine, Raphaël,1849, p. 193.
9. ... si j'ai laissé échapper des paroles trop vives, qui aient la couleur du reproche ou l'accent de l'amertume... J. Vallès, Les Réfractaires,1865, p. 112.
10. Mélange de fatuité, d'ironie, d'amertume, qui recouvraient un esprit enthousiaste, emphatique, naïf, mais constamment déçu par la vie. R. Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 967.
Rem. Syntagmes rencontrés l'amertume d'une critique, des propos, des réflexions, d'une reproche, des sarcasmes...
Prononc. : [amε ʀtym]. Passy 1914 attribue à la voyelle de la seconde syllabe une demi-longueur.
Étymol. ET HIST. − 1. 1165 « sentiment de tristesse, mêlé de rancœur » emploi fig. (Les Quatre Livres des Rois, éd. Le Roux de Lincy, 464 ds T.-L. : Et vie a ceaz ki en amertume d'anrmes sunt [in amaritudine animae]); 1170-71 « id. » (Chrétien de Troyes, Cliges, éd. Foerster, 3103, ibid. : tuit autre mal sont amer Fors seul celui qui vient d'amer; Meis cil retorne s'amertume An douçor et an soatume); 2. 1267-68 « saveur amère » sens propre (Brunetto Latini, Li Livres dou tresor, éd. Chabaille 177, ibid. : por oster l'amertume de la mer); 1393 « id. » (Ménagier de Paris, éd. société des Bibliophiles françois, II, 243, ibid. : Que au macher vous n'y puissiez assavourer aucune amertume). Du lat. amaritudinem, acc. de amaritudo, attesté au sens propre dep. Varron, Rust., 1, 66 ds TLL s.v., 1816, 36 : oleas albas ... propter amaritudinem respuit palatum; au sens fig., dep. Valere Maxime, 4, 8, 3 ibid., 1817, 26 : amaritudinem publicae confusionis privata tranquilitate mitigavit; substitution de la finale -ūdinem par -ūminem (cf. lat. mansuetudinem > a. fr. mansuetume) et réfection du rad. d'apr. amer; la forme a. fr. amertonde (fin xiies. Serm. de Sapience ds T.-L.) remonte à la forme avec métathèse amaritunide(m), pour amaritudine(m), Regula ds Mél. Gamillscheg, 1968, p. 479; cf. a. fr. amerté, amarité xiies. Gdf. (< lat. amaritas, seulement ds Vitruve) évincés par amertume.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 2 077. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 3 214, b) 3 064; xxes. : a) 3 258, b) 2 488.
BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Daire 1759. − Dup. 1961. − Duval 1959. − Laf. 1878. − Lar. mén. 1926. − Lav. Diffic. 1846. − Nysten 1814-20. − Regula (M.). Etymologica. In : [Mélanges Gamillscheg (E.)]. München, 1968, p. 479.