| AMER, ÈRE, adj. I.− Emploi adj. A.− Âpre et souvent désagréable au goût, comme la saveur que procurent le quinquina, la gentiane ou le fiel de certains animaux. Anton. sucré, doux : 1. Charles, ayant goûté son café, le trouva trop amer, et chercha le sucre que Grandet avait déjà serré.
H. de Balzac, Eugénie Grandet,1834, p. 105. Rem. Syntagmes rencontrés amer comme chicotin, − comme l'aloès; breuvage, citron, pamplemousse, goût amer; bière, bile, liqueur, saveur amère. − Loc. Avoir la bouche amère (cf. amertume* de la bouche) : 2. Sur le Damrak, le premier tramway fait tinter son timbre dans l'air humide et sonne l'éveil de la vie à l'extrémité de cette Europe où, au même moment, des centaines de millions d'hommes, mes sujets, se tirent péniblement du lit, la bouche amère, pour aller vers un travail sans joie.
A. Camus, La Chute,1956, p. 1547. − Poét. L'onde amère, le flot amer. La mer : 3. Pendant que le vaisseau courant à pleines voiles
Faisait glisser nos mâts d'étoiles en étoiles,
Et qu'à l'ombre des caps du Liban sur la mer
L'harmonieuse proue enflait le flot amer.
A. de Lamartine, La Chute d'un ange,Récit, 1838, p. 805. − P. anal. [En parlant d'une odeur, d'un son] :
4. Tout était dans un calme et un silence profond, interrompu seulement de temps à autre par quelques cris des oiseaux qui se disputaient leurs nids, ou par un léger souffle de vent qui faisait doucement frémir les feuilles des tilleuls et secouait sur le gazon l'odeur suave des chèvrefeuilles et d'une aubépine au parfum amer.
A. Karr, Sous les tilleuls,1832, p. 31. 5. ... les gammes par lesquelles Bach décrit la marche des apôtres cheminent parmi des harmonies amères...
A. Pirro, Jean-Sébastien Bach,1919, p. 112. − Par métaph. poét. ou mystique ♦ Verser des larmes amères. ♦ Le pain amer. Les chagrins, la douleur : 6. Ou chez le riche altier apportant ses douleurs,
Il mange un pain amer tout trempé de ses pleurs.
A. Chénier, Bucoliques,Le Mendiant, 1794, p. 211. ♦ Le calice amer. Les souffrances. B.− Au fig. 1. [En parlant d'une pers., de ses sentiments, de ses attitudes, etc.] Qui manifeste de l'amertume. Amers regrets, douleur amère : 7. Je veux espérer que le temps adoucira ce que votre douleur peut avoir encore de trop âpre et de trop amer...
F.-R. de Lamennais, Lettres inédites... à la baronne Cottu,1834, p. 268. 8. Il se refit presque, grâce au souci de la pâtée quotidienne une âme de coureur des bois se contentant, jouissance douloureuse, amère volupté, d'écouter au loin comme le chant de fête d'un paradis perdu, la vie de ceux de sa race que des chasses nocturnes lui rappelaient souventes fois.
L. Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 58. Rem. Syntagmes rencontrés plaisir, rire, sentiment, sourire, souvenir amer; joie, pensée, plainte, réflexion, tristesse, vie amère. 2. [En parlant du langage, du comportement d'une pers.] Qui blesse ou offense (par rancœur, par ressentiment). Une parole, une ironie amère : 9. La conversation a toujours eu un cours ironique et amer qui ne la rendait agréable qu'à Benjamin Constant; il paraît que c'est son élément.
É.-J. Delécluze, Journal,1828, p. 255. 10. Julien était navré du ton amer et presque méchant qu'il remarquait chez M. Pirard; ce ton gâtait tout à fait sa dernière réponse.
Stendhal, Le Rouge et le Noir,1830, p. 234. Rem. Syntagmes rencontrés mot, propos, reproche amer; critique, dérision, plaisanterie, raillerie, satire amère. II.− Emploi substantivé A.− Au sing. (par substantivation de l'adj. neutre). Qualité de ce qui est amer. Synon. amertume : 11. Les saveurs primitives alimentaires, ainsi que les odeurs, s'y retrouvent toutes pures, afin que l'homme en puisse faire à son gré de nouvelles combinaisons : tels sont l'acide du citron, le sucre de la canne à sucre, l'amer du café, l'onctueux du cacao.
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 98. 12. Je me souviens que j'insistai d'abord sur les qualités des objets plutôt que sur la variété de ceux-ci : le chaud, le froid, le tiède, le doux, l'amer, le rude, le souple, le léger...
A. Gide, La Symphonie pastorale,1919, p. 890. B.− Au sing. et au plur. 1. [Pour désigner une pers. déjà mentionnée] :
13. Alors les prisonniers s'abandonnèrent à leur génie, et il y eut les amers, qui récriminaient à longueur de jour et s'injuriaient entre eux...
F. Ambrière, Les Grandes vacances,1946, p. 40. 2. Spéc., surtout au plur. [Pour désigner des liquides] a) Souvent au plur. Décoction obtenue par infusion de plantes amères et utilisée comme médicament ou comme tonique dans les boissons apéritives. L'amer de Hollande (le bitter); en pharm., l'amer de Welter (l'acide picrique) : 14. Selon Foussagrives, les produits ou liqueurs préparés avec les plantes amères peuvent être divisés en cinq classes : 1oamers purgatifs, à base de rhubarbe, d'aloès, etc.; 2oamers nauséeux, ayant pour base la camomille; 3oamers astringents, qui, avec le principe amer du tanin, renferment du quinquina, du chardon bénit, de l'écorce de marronier, etc.; 4oamers stimulants (apéritifs) qui sont à base d'absinthe, d'écorces d'oranges amères, de gentiane, de germandrée, de houblon, etc.; 5oamers convulsants ou toxiques dans lesquels entrent de la noix vomique ou d'autres produits qui sont du ressort de la médecine et non de la distillerie.
Mont.1967. b) Nom vulgaire du fiel de certains poissons ou animaux. L'amer de bœuf, de veau, de carpe, etc. Prononc. : [amε:ʀ]. Étymol. ET HIST. − 1. Ca 1150 « (en parlant d'un inanimé) qui produit une impression pénible » emploi fig. (Chrétien de Troyes, Guill. d'Angleterre, éd. Förster, 2977 ds T.-L. : Mout pesanz est guerre et amere, quant li fiz guerroie la mere); 2. 1174 « qui a une saveur rebutante » (Benoit, Chr. des Ducs de Normandie, éd. Carin Fahlin, 17562 : Si amer morsel e si aigre Li quit enquor faire tresir Dum tart sera au repentir).
Du lat. amarus, attesté au sens propre dep. Ennius, Ann. 263 ds TLL s.v., 1820, 35 : amaro corpore buxum; au sens fig. dep. Rhét. Her., 4, 15, 21, ibid. 1822, 15 : habet adsentatio jucunda principia, eadem exitus amarissimos adfert. STAT. − Fréq. abs. litt. : 3 279. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 5 481, b) 302; xxes. : a) 4 438, b) 3 756. BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Aubert de La Rüe (E.). Le Français parlé aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon. Vie Lang. 1969, no208, p. 406. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bible 1912. − Dup. 1961. − Fér. 1768. − Gottsch. Redens. 1930, p. 224; pp. 240-241. − Laf. 1878. − Lar. mén. 1926. − Lar. méd. 1970. − Lasnet 1970. − Lav. Diffic. 1846. − Le Roux 1752. − Littré-Robin 1865. − Mont. 1967. − Noter-Léc. 1912. − Nysten 1814-20. − Piéron 1963. − Pope 1961 [1952], § 422, 495, 681. − Privat-Foc. 1870. − Rey-Cottez 1968, t. 36, p. 331. |