| AMENER, verbe trans. I.− Sens propre A.− [L'obj. du verbe désigne un être doué de mouvement] Amener un être (en un lieu). Le mener (pour ainsi dire par la main) au lieu où se trouve le sujet parlant ou indiqué par lui. Amène ton frère, amène-moi ton frère. 1. [Le suj. du verbe désigne une pers.] a) [Le compl. d'obj. désigne une pers.] :
1. Nous montâmes chez le vieil escompteur. − Monsieur Gobseck, lui dis-je, je vous amène un de mes plus intimes amis... À ma considération, vous lui rendrez vos bonnes grâces...
H. de Balzac, Gobseck,1830, p. 409. Rem. Dans cet ex., le lieu est suggéré par le pron. pers. vous : « à vous, au lieu où vous êtes ». − [Le lieu est précisé par un adv. ou un compl. circ., notamment s'il est différent de celui où se trouve le suj. parlant] Amener à, sur..., amener ici... : 2. ... un médecin de Genève, craignant une maladie de cœur, l'avait amenée aux eaux d'Aix; il devait venir la reprendre pour la reconduire à Paris au commencement de l'hiver.
A. de Lamartine, Raphaël,1849, p. 148. 3. ... allant prendre sa femme par la main et l'amenant tout doucement sur le devant de la scène...
H. Meilhac, L. Halévy, La Boule,1875, IV, 10, p. 149. − Emploi abs. [Ni suj., ni obj., ni lieu ne sont exprimés] DR. Ordre d'amener, mandat d'amener (d'arrêter). Ordre d'arrêter et de mener quelqu'un devant le juge : 4. − Mon Dieu! madame, j'ai une triste mission à remplir ... Je viens arrêter votre mari... Elle [madame Martineau] voulut voir le mandat d'amener...
É. Zola, Son Excellence Eugène Rougon,1876, p. 104. − Par métaph., littér. [avec, le cas échéant, un compl. d'obj.] : 5. Si donc au premier aspect la conscience se présente comme un arrêt, elle est surtout une comparution et un acte. Dans son intégrité, elle n'est jamais pur et simple enregistrement, pure et simple constatation. Elle n'a de sens que par l'existence d'une autorité personnelle qui délivre mandat d'amener quelque objet en vue de procéder à un choix de valeur et à une valorisation des moyens qui lui sont donnés.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 275. b) [L'obj. du verbe désigne un animal] :
6. Apportez de quoi vivre; amenez des moutons, des vaches, des cochons, et puis n'oubliez pas de les bien escorter ainsi que vos fourgons.
P.-L. Courier, Pamphlets politiques,Lettres au rédacteur du « Censeur », 1819-1820, p. 47. 2. [Le suj. du verbe désigne une chose, en gén. animée de mouvement au propre ou au fig.; le compl. d'obj. désigne une pers.] :
7. L'arrivée d'un fiacre devant cette porte, où probablement de mémoire d'homme jamais voiture ne s'était arrêtée, produisit dans la maison une sensation qui s'augmenta encore quand on sut que cette voiture amenait le propriétaire.
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,1813, p. 278. 8. Le jour de l'an n'amena aucun visiteur.
L. Hémon, Maria Chapdelaine,1916, p. 135. − Loc. fam., fig. Quel bon vent vous amène? Quelle heureuse circonstance vous conduit jusqu'ici? ♦ [Avec rappel implicite de la question] :
9. Vous me demandez quel bon vent m'amène. Je suis venu à pied le vent était mauvais.
J. Prévert, Paroles,1946, p. 156. − Emploi abs. [Exprimé, l'obj. désignerait une pers.] :
10. L'escalier amenait au premier étage dans le grand salon de réception couleur orange, ...
P.-J. Jouve, Paulina 1880,1925, p. 57. Rem. Dans cet emploi amener est une forme renforcée de l'usuel mener. B.− [L'obj. du verbe est un subst. de l'inanimé] Amener qqc. (en un lieu). 1. [L'obj. désigne une chose capable de mouvement] Acheminer par un moyen de transport quelconque là où se trouve le sujet parlant (ou l'interlocuteur), ou au lieu précisé par le compl. circ. : 11. − M. le marquis m'a chargé de vous amener sa calèche, lui dit cet homme.
Stendhal, Le Rouge et le Noir,1830, p. 202. 12. La Fontaine d'Eure est cette constante rivière que les Romains avaient captée et amenée jusqu'à Nîmes par l'aqueduc fameux du Pont du Gard.
A. Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 381. 13. Un projet était à l'étude pour amener l'électricité dans toutes les boutiques du passage!
L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 341. − [Le suj. est un subst. de l'inanimé, lieu et condition du mouvement] :
14. ... les plus superficiels [les canaux de Havers] s'ouvrent dans le périoste qui leur amène leurs vaisseaux...
G. Gérard, Manuel d'anatomie humaine,1912, p. 5. 2. Fam. [En parlant de ce qu'on peut tenir dans la main, des obj. fam. ou usuels] Apporter : 15. Je n'ai amené ici que mon linge et mon cheval.
G. d'Esparbès, La Guerre en sabots,1914, p. 11. − En emploi abs. Amène! 16. − Qué que tu t'tiens...
− L'voleux! Amène, amène!
Les deux bras du gendarme, allongés sous le lit, avaient appréhendé quelque chose, et il tirait de toute sa force.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Le Lapin, 1887, p. 248. − Région. (Canada). Amener un coup. ,,Frapper, porter un coup.`` (Canada 1930). 3. Emplois techn. a) MAR. (à voiles). Tirer à soi, faire descendre (par un mouvement vertical). Anton. hisser.Amener les vergues, le pavillon, les couleurs, etc. : 17. On leur apprend à orienter les voiles suivant le vent, à les amener dans les tempêtes, à jeter et à lever les ancres, ...
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 283. 18. ... la violence du vent redoubla; les mâts plièrent sous la pression des voiles, et le yacht sembla se soulever sur les flots. Cargue la misaine! cria John Mangles; amène le hunier et les focs!
J. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 2, 1868, p. 52. − À l'impér. Terme de commandement pour faire partir un bateau (même sans voiles). Amène, amenez (les voiles) : 19. Il ne faisait pas de choix, saisissant au hasard devant lui, n'entendant aucun appel. Il pensait seulement qu'il fallait évacuer l'Étoile-des-Mers, le plus vite possible. En quelques minutes, son embarcation fut pleine. Il dit au matelot : « Déborde et amène. Tiens-toi à deux cents mètres et rejoins le premier lieutenant ».
É. Peisson, Parti de Liverpool,1932, p. 225. 20. Le plus terrible était de se défaire d'un collier de bras qui ne voulaient pas lâcher prise. Il fallait être brutal, repousser avec violence une femme, frapper quelquefois. Il était injurié.
− L'embarcation est pleine, lieutenant. Venez donc. Il n'hésita pas.
− Amenez. Vous rejoindrez les autres. J'ai encore du travail ici.
É. Peisson, Parti de Liverpool,1932p. 226. − En partic. Amener le pavillon; se rendre (à l'ennemi); abs., amener, se rendre (à l'ennemi); p. ext., cesser le combat : 21. Nous leur en voulons [aux réfractaires] de ce qu'ils ne faiblissent pas dans la lutte, de ce qu'ils n'amènent pas leur pavillon.
J. Vallès, Les Réfractaires,1865, p. 105. b) JEUX (dés, trictrac, cartes, loteries...). Faire sortir, jouer (un numéro, etc.) : 22. S'il [Oscar] portait mon nom, répondit Moreau, je le verrais tranquillement tirer à la conscription; et, s'il amenait un mauvais numéro, je ne lui paierais pas un homme pour le remplacer.
H. de Balzac, Un Début dans la vie,1842, p. 471. 23. − Si j'amène six, se dit-il en sortant le dé, je descends! Il amena cinq.
A. Gide, Les Caves du Vatican,1914, p. 831. − P. anal. Produire, présenter. ♦ Fam. Amener son histoire : 24. « Ce que j'ai? Ah! j'ai bien de quoi, Monsieur! » Et il amena son histoire.
H. Pourrat, Gaspard des montagnes,Le Pavillon des amourettes, 1930, p. 285. ♦ Région. (Canada). Amener des raisons, ,,Produire des raisons.`` (Canada 1930). Amener un bill, ,,Proposer une loi.`` (Canada 1930). II.− Au fig. A.− [Avec indication du point d'aboutissement] Amener à (gén. avec une idée d'effort ou de pression). 1. Amener qqn à faire qqc., jusqu'à faire qqc. Être amené à; ... cela m'amène à... : 25. J'espérais amener par degrés l'inconnu à me faire des confidences...
P. Mérimée, Carmen,1847, p. 9. 26. On aménerait Racine jusqu'à comprendre l'éloge de Shakespeare, et on expliquerait devant Bossuet la tolérance...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Les Grands écrivains français: XIXesiècle, Taine, 1869, p. 210. 27. Il a fallu la guerre pour m'amener à douter de la valeur des « compétences », ...
A. Gide, Journal,1933, p. 1155. 28. ... je vais chercher à négocier. Ensuite, il me faut amener Don Pedro à accepter d'épouser l'Infante, si Rome annule. Pouvez-vous m'y aider?
H. de Montherlant, La Reine morte,1942, II, 3, p. 184. 2. Amener qqn à un certain comportement (opinion, sentiment, attitude morale, etc.). Amener qqn à la raison, amener qqn à composition : 29. Je réponds de lui si je peux l'amener à l'attendrissement; ...
MmeCottin, Claire d'Albe,1799, p. 187. 30. Qui compterait sur la faveur des événements ou les hasards de la force, et renoncerait à amener à nos idées l'immense majorité des citoyens, renoncerait par là même à transformer l'ordre social.
J. Jaurès, Études socialistes1901, p. 51. 3. Rare. Amener qqc. à... Mener progressivement : 31. J'aime trouver en moi ce qui n'est pas individuel et le retrouver chez les autres. Et amener tout cela à la clarté.
M. Barrès, Mes cahiers,t. 9, août 1912, p. 334. 32. Les deux dimensions dont il dispose sur sa toile auront le privilège, par un paradoxe émouvant, d'amener la peinture à un effort d'intelligence tel qu'elle suggérera sur un seul plan la troisième dimension dont disposaient réellement le sculpteur et l'architecte.
É. Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 183. − Amener qqc. à soi. Il amène à soi tout le profit de l'affaire (Ac.1835-1932). B.− [Sans indication du point d'aboutissement] Amener qqc. (gén. sans idée d'effort ou avec l'idée que l'effort n'est pas apparent). 1. [Le suj. du verbe est un subst. de l'animé] a) Faire venir comme une suite naturelle ou logique : 33. Le jour suivant, la même société se rassembla chez elle; et, pour l'engager à parler, il amena la conversation sur la littérature italienne, et provoqua sa vivacité naturelle, en affirmant que l'Angleterre possédait un plus grand nombre de vrais poètes...
G. de Staël, Corinne,t. 1, 1807, p. 319. Rem. Le sentiment de l'effort est, le cas échéant, exprimé par un adv. qui souligne l'anomalie du fait : amener une preuve, une comparaison de bien loin, c'est-à-dire de manière forcée. b) RHÉT. Bien, mal amené : 34. Sa pensée avait rôdé en des aventures si tragiques, poétiquement amenées par les romanciers, que l'horrible découverte lui apparaissait peu à peu comme la continuation naturelle de quelque feuilleton commencé la veille.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Yvette, 1884, p. 533. − P. anal., MUS. : 35. ... cette (...) dissonance étrangement amenée ...
H. Berlioz, À travers chants,1862, p. 56. ♦ Amener un effet. Préparer un effet avec art, avec adresse : 36. Vous allez voir comment je fais pour amener tous mes effets.
G. Apollinaire, Casanova,1918, II, p. 997. 2. [Le suj. du verbe désigne un phénomène naturel, animé de mouvement] Faire venir à la suite, entraîner : 37. ... ces frêles animaux périssent tous dans les abaissemens de température qu'amènent les mauvaises saisons; ...
J.-B. Lamarck, Philosophie zoologique,t. 1, 1809, p. 211. 38. Une agitation légère du feuillage apportait la fraîcheur sans amener l'orage.
F. Jammes, Les Géorgiques chrétiennes,chants, 1-2, 1911, p. 10. 3. [Le suj. du verbe est une chose; il désigne en gén. une activité exercée par une pers. ou bien un événement qui la concerne] Avoir pour conséquence, occasionner : 39. ... on désire que la trêve, qui doit expirer après demain, soit prolongée encore un mois. Durant ce temps, de nouvelles idées et de nouvelles négociations pourront amener la paix.
Mmede Genlis, Les Chevaliers du cygne,t. 2, 1795, p. 304. 40. L'usage de la poudre amena, dans la coiffure des hommes et des femmes, des changemens innombrables.
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 4, 1813, p. 276. 41. Le docteur Matthieu se trouvait dans la foule assemblée autour de l'agent qui sommait le marchand de circuler. Sa déposition amena un incident.
A. France, Crainquebille, Putois, Riquet,1904, p. 27. 42. Il fit craquer ses doigts de ce geste grossier qui amenait chaque fois sur les lèvres d'Olivier un sourire, à peine retenu, de dégoût.
G. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 907. III.− S'amener, pop. et fam. A.− [Le suj. désigne une pers.] Venir : 43. Père Michaud, amenez-vous donc ici; vous arrivez à pic, vous qui avez été en Amérique.
M. Arland, L'Ordre,1929, p. 476. B.− [Le suj. désigne une chose] Arriver : 44. C'était un vieil appareil qui s'amenait d'Athènes et qui volait très bas; ...
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 420. Rem. Il s'agit de la forme pronom. propre à certains verbes subjectifs (cf. s'en aller, s'enfuir, etc.). Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [amne], j'amène [ʒamεn]. Passy 1914 transcrit : amε
ˑn avec [ε
ˑ] mi-long. Enq. : /amn, ame2n/. Conjug. croire; inf. /amne1/; part. /amna, amne1/. 2. Forme graph. − J'amène, nous amenons; j'amenais; j'amenai; j'amènerai; j'amènerais; amenant; amené. Pour les verbes ayant un e caduc à l'avant-dernière syllabe de l'inf., cf. acheter. Étymol. ET HIST. − 1. a) 2emoitié xes. amenar « faire venir en un endroit (l'obj. est un animé) » (Passion, 21 ds Gdf. Compl. : Cum cel asnez fu amenaz); ca 1100 amener (Rol., éd. Bédier, 435 : Al siege ad Ais en serez [Marsilies] amenet); 1422 forme pronom. (de verbe subjectif) Suisse romande, Fribourg « arriver, venir » (Arch. Fribourg, Lois, I, 82 ds Pat. Suisse rom. t. 1 1924-33, p. 342 b : Qui se amerra en la ville); 1547 (Budé, Inst. du prince, ch. 28 ds Hug. : C'estoit bien raison, que s'estant luy mesmes amené, il receust la somme ordonnée et promise à celluy qui l'ameneroit), devenu pop. en fr. contemp.; b) ca 1200 emploi fig. amener + obj. désignant une pers. + que + verbe « amener qqn à + verbe » (St Bernard, Sermons fr. mss, p. 331 ds La Curne t. 1 1875 : A ceu nos voloit il ameneir ke nos veissions nostre défaillement); 2. 1361 « faire venir, apporter en un endroit (l'obj. est un inanimé) » (Bibl. nat., 17.760, Cart. Esdr. de Corb., fo26 rods Gdf. Compl. : l'assinage de sel qu'on amenoit et amene a cheval ou a brouette aussi et par telle manière que de celui qu'on amenoit en ladite ville a nef et navel); ca 1200 « (d'un inanimé) avoir pour conséquence » (St Bernard, Sermons fr. mss, p. 11 et 12 ds La Curne t. 1 1875 : Li planteiz et li habondance des choses temporels avoit ameneit l'obliement et la besoigne des permenanz); 3. a) 1529 mar. « abaisser, faire descendre (une voile une vergue, un mat) » (Parmentier, Journal, 101 ds Jal2: et quand un navire se trouve à l'endroit de la dite montagne, et la nuit le surprend il est contraint d'amener ou oster les voiles); d'où 1626 mar. amène!, ordre d'amener son pavillon, de se rendre (Aubigné, Hist. univ., II, col. 802, ibid. : Les Portugais ... crièrent ameine! à quoi il ne fut respondu que des injures); b) 1694 mar. (Ac. : Amener signifie encore tirer à soy. Les forçats amenent les rames à eux; amener les vaisseaux à bord).
Dér. de mener*; préf. a-1*, dés. -er. STAT. − Fréq. abs. litt. : 5 993. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 8 242, b) 9 986; xxes. : a) 8 947, b) 7 725. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Barber. 1969. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bruant 1901. − Canada 1930. − Caput 1969. − Darm. Vie 1932, p. 143. − Dup. 1961. − Fér. 1768. − Gottsch. Redens. 1930, p. 36, 264. − Gruss 1952. − Jal 1848. − Kold. 1902. − Kuhn 1931, pp. 31-32; p. 223. − L. (J.), Orœl. Il s'est amené. Cet objet est identique à un autre. Intermédiaire (L') des chercheurs et des curieux. 1902, t. 46, col. 67, 210. − Le Clère 1960. − Le Roux 1752. − Noter-Léc. 1912. − Prév. 1755. − Sain. Lang. par. 1920, p. 124. − Soé-Dup. 1906. − Spr. 1967. − St-Edme t. 1 1824. − Thomas 1956. − Tournemille (J.). Étymologie et impropriétés. Déf. Lang. fr. 1966, no34, p. 20. − Will. 1831. |