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AIMER, verbe trans.
[Le suj. désigne gén. une pers. ou un être animé] Éprouver, par affinité naturelle ou élective, une forte attirance pour quelqu'un ou quelque chose.
I.− [L'obj. est un nom ou un pron.]
A.− Emploi trans.
1. [L'obj. désigne une pers. ou un être assimilé à une pers.; l'accent est mis sur le lien affectif]
a) [Le subst. correspondant est amour]
[Avec une idée de lien moral et/ou spirituel]
[L'obj. désigne des membres de la famille naturelle] Aimer ses parents, ses enfants :
1. Vous perdrez un père qui avait tâché de substituer la raison au sentiment, et qui ne vous en aimait pas moins; son esprit était véritablement dupe de son cœur, ... G. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1836.
2. ...dès que la raison vint à poindre, je me mis fort à t'aimer, ce qui dure encore. Maman était contente de cette union, de cette affection fraternelle, et te voyait avec charme sur mes genoux, enfant sur enfant, cœur sur cœur, comme à présent, les sentiments grandis seulement. M. de Guérin, Journal intime,1838, p. 180.
3. Elle mourut en couches. Il en faillit mourir aussi... Mais la vue de l'enfant lui donna du courage : un petit être crispé qui geignait. Il l'aima d'un amour passionné et douloureux, d'un amour malade où restait le souvenir de la mort, mais où survivait quelque chose de son adoration pour la morte. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Le Petit, 1883, p. 389.
4. Nous aimions beaucoup nos parents, mais il fallait toute notre indulgence pour leur pardonner des exigences aussi baroques que celle de vouloir nous imposer leurs amis, comme si les amis étaient quelque chose dont on pouvait hériter. E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 300.
5. Il savait ce que sa mère pensait et qu'elle l'aimait en ce moment. Mais il savait aussi que ce n'est pas grand-chose que d'aimer un être ou du moins qu'un amour n'est jamais assez fort pour trouver sa propre expression. Ainsi, sa mère et lui s'aimeraient toujours dans le silence. Et elle mourrait à son tour, ou lui, sans que, pendant toute leur vie, ils pussent aller plus loin dans l'aveu de leur tendresse. A. Camus, La Peste,1947, p. 1456.
P. anal. [L'obj. désigne un être spirituel ou un être envisagé comme tel] Aimer Dieu, son prochain :
6. Ne craignez point de massacrer vos frères au nom du Dieu qui vous ordonne de les aimer; il n'y a point là de contradiction, hommes de peu de foi. C'est par amour que nous les tuons : nous en égorgerons cent mille; mais nous circoncirons les autres. D'ailleurs il y a une différence si prodigieuse entre des infidèles et des vrais croyans, qu'il n'est pas bien prouvé que ceux-là soient aussi des hommes. Ainsi parla l'imposture appuyée sur le fanatisme, insultant à la raison pour se soustraire à l'examen, divinisant l'absurdité par l'audace et semant les haines pour obtenir l'empire. É. Senancour, Rêveries,1799, p. 130.
7. Mais à quoi servirait la foi des philosophes quand on est malheureux? Qu'attendre d'un être inaccessible [Dieu], si loin, si loin de l'homme qu'on ne peut pas l'aimer en l'adorant, et le cœur, cependant, veut aimer ce qu'il adore et adorer ce qu'il aime; ce qui s'est fait quand Dieu s'est fait chair, quand il a habité parmi nous. De cette condescendance infinie nous est venue notre foi confiante. E. de Guérin, Journal,1838, p. 219.
8. « Avez-vous aimé quelqu'un ou quelque chose autant que Dieu? L'avez-vous aimé de toute votre âme, de tout votre cœur, de toute l'énergie de votre amour? » Sabot suait de l'effort de sa pensée. Il répondit : « Non. Oh non, m'sieu l'curé. J'aime l'bon Dieu autant que j'peux. Ça − oui − j'l'aime bien. Dire que j'aime point m's'éfants, non : j'peux pas. Dire que s'il fallait choisir entre eux et l'bon Dieu, pour ça je n'dis pas ». G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Confession de Théodule Sabot, 1883, p. 41.
9. Vous savez la fragilité de l'amour sexuel, que sa naissance dépend de la matité d'un teint, et sa mort d'une ride. Voyez donc le cœur du moine qui aime chaque pécheur et tout de suite, sans choisir ni se lasser! ... J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 287.
10. À celui-là, il n'est pas difficile de croire que Dieu nous a aimés, et qu'il nous aime plus ardemment aujourd'hui qu'il nous broie. Pour les âmes moins généreuses, pour toutes celles qui subissent la tentation du désespoir, l'effort doit porter sur ce point de notre croyance : nous sommes aimés. Quel texte aiderait mieux leur méditation que la prière de Pascal Pour le bon usage des maladies? F. Mauriac, Journal 3,1940, p. 283.
11. ... − j'aurais voulu être un saint comme les saints des premiers temps. Depuis mon enfance, cette idée m'était familière que je serais l'ami de Dieu. J'aimais Dieu. J'ai aimé Dieu avant de le craindre. Maintenant, tout a changé. J. Green, Moïra,1950, p. 191.
P. ext. [L'obj. désigne la communauté naturelle à laquelle on appartient, ou celui ou ce qui la symbolise] Aimer son pays, le souverain :
12. Témoignons un vrai patriotisme qui fera rougir celui des soi-disant libéraux, ces damnés intrigants, hein? Crois-tu que je n'aime pas mon pays? Je veux montrer aux libéraux, à mes ennemis, qu'aimer le roi, c'est aimer la France! H. de Balzac, César Birotteau,1837, p. 10.
13. Paris, 8 décembre 1869. Mes malles encore pleines encombraient la salle à manger. J'étais assis devant une table chargée de ces bonnes choses que le pays de France produit pour les gourmets. Je mangeais d'un pâté de Chartres, qui seul ferait aimer la Patrie. A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 325.
14. ... il les éleva [les mains] soudain en un geste dramatique. − Si la France périssait, déclara-t-il, ça serait comme qui dirait aussi pire pour le monde que si le soleil tombait. On fit silence. Tous ces hommes, même les plus durs, les plus taciturnes, aimaient la France. Il leur était resté à travers les siècles un mystérieux et tendre attachement pour leur pays d'origine, une clarté diffuse au fond de l'être, une vague nostalgie quotidienne qui trouvait rarement à s'exprimer mais qui tenait à eux comme leur foi tenace et comme leur langue encore naïvement belle. G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, pp. 362-363.
15. ... seul en face de la Russie, Staline la vit mystérieuse, plus forte et plus durable que toutes les théories et que tous les régimes. Il l'aima à sa manière. Elle-même l'accepta comme un tsar pour le temps d'une période terrible et supporta le Bolchevisme pour s'en servir comme d'un instrument. Rassembler les Slaves, écraser les Germaniques, s'étendre en Asie, accéder aux mers libres, c'étaient les rêves de la Patrie, ce furent les buts du despote. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,Le Salut, 1959, p. 61.
[Avec une idée de passion de nature affective ou physique] Aimer tel homme, telle femme :
16. M. de Staël est parfait pour moi. S'il sait vous voir comme il parle de vous, il sera un ange, mais cela ne fait pas que sa conversation m'enchante. Je l'aime de toute la puissance de ma raison. G. de Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1793, p. 142.
17. Un homme de qualité se marie sans aimer sa femme, prend une fille d'Opéra, qu'il quitte en disant : « c'est comme ma femme »; prend une femme honnête pour varier, et quitte celle-ci en disant : « c'est comme une telle »; ainsi de suite. Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 104.
18. Mon amour, aime-moi. Sur l'herbe chaque soir, Au coucher du soleil, nous viendrons nous asseoir. Je te ferai ceci et cela pour te plaire. A. Chénier, Bucoliques,Aveux, propos et plaintes, 1794, p. 146.
19. En possédant cette femme, Eugène s'aperçut que jusqu'alors il ne l'avait que désirée, il ne l'aima qu'au lendemain du bonheur : l'amour n'est peut-être que la reconnaissance du plaisir. H. de Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 277.
20. Tu prodigues des serments de fidélité à deux hommes eh bien, où est le si grand mal, si tu les aimes tous les deux? − C'est faux, bohémienne! Je te couperai la langue. − Charmante! Ce n'est pas ma langue qui a menti, c'est ta main; elle est trop jolie pour qu'on la coupe. Et en la lui baisant, la bohémienne ajouta : − Calme-toi. J'ai dit : deux hommes; il y a erreur. Soit, tu n'en aimes qu'un, tu trompes l'autre. L. Gozlan, Le Notaire de Chantilly,1836, p. 145.
21. Qu'ils racontent une anecdote, qu'ils rendent compte de ce qu'ils ont éprouvé, toujours le mot sale et physique, toujours la lettre, toujours la mort. Ils ne disent pas : cette femme m'a aimé; ils disent : j'ai eu cette femme; ils ne disent pas : j'aime; ils disent : j'ai envie; ils ne disent jamais : Dieu le veuille! ils disent partout : si je voulais! A. de Musset, La Confession d'un enfant du siècle,1836, p. 318.
22. J'étais jaloux, très jaloux, ce qui prouve que je vous aimais. Je vous ai battue, ce qui le prouve davantage encore, et battue très fort, ce qui le démontre victorieusement. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Revanche, 1884, p. 980.
23. ... elle n'avait plus de lui que ces caresses d'habitude, données ainsi qu'une aumône aux femmes dont on se détache; et, comment l'aimer encore, quand il s'échappait de ses bras, qu'il montrait un air d'ennui dans les étreintes ardentes dont elle l'étouffait toujours? Comment l'aimer, si elle ne l'aimait pas de cette autre affection de chaque minute, en adoration devant lui, s'immolant sans cesse? É. Zola, L'Œuvre,1886, p. 228.
24. ... nous avons assez vécu tous les deux pour avoir appris que la désillusion est aussi une bonne condition de bonheur. Je vous aime, monsieur, d'un amour que des années de silence ont concentré, non affaibli. Pour des âmes comme les nôtres, l'amour ne va pas sans le devoir. Prenez-moi telle que je suis, pour une ressuscitée à la vie, décidée à la recommencer avec vous. E. Renan, Drames philosophiques,L'Abbesse de Jouarre, 1888, p. 678.
25. ... il n'y a pas de vices qui ne trouvent dans le grand monde des appuis complaisants, et l'on a vu bouleverser l'aménagement d'un château pour faire coucher une sœur près de sa sœur dès qu'on eut appris qu'elle ne l'aimait pas qu'en sœur. M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 716.
26. ... en entendant M. de Charlus dire, de cette voix aiguë et avec ce sourire et ces gestes de bras : « Non, j'ai préféré sa voisine, la fraisette », on pouvait dire : « Tiens, il aime le sexe fort », avec la même certitude que celle qui permet de condamner, pour un juge, un criminel qui n'a pas avoué, pour un médecin, un paralytique général qui ne sait peut-être pas lui-même son mal, mais qui a fait telles fautes de prononciation d'où on peut déduire qu'il sera mort dans trois ans. M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922p. 966.
27. ... elle voulait détester Vidame, détester ses manières de faux aristocrate dédaigneux, sa suffisance et ses railleries parfois triviales. Elle ne l'aimait pas, elle ne l'aimerait jamais; il lui inspirait une secrète et inexplicable aversion. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 82.
28. Je voudrais te dire tous les vieux mots d'amour, les mots usés qui sont vrais une fois dans la vie d'un homme ... si je te dis que je t'aime à la folie, c'est que c'est vrai, c'est que je deviens fou d'amour! E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 57.
Emploi abs. [L'obj. est/n'est pas suggéré par le cont.] Être amoureux :
29. Lorsque je lis un roman, celui qui aime le plus vivement a toujours raison à mes yeux. G. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1657.
30. ... le verbe est la parole par excellence, parce qu'il est l'expression exacte de l'être intelligent, et de toutes ses manières d'être, de pensée, de sentiment et d'action, et que nul autre que l'être intelligent ne peut dire, je veux, j'aime, j'agis, je suis. L.-G.-A. de Bonald, Législation primitive,t. 1, 1802, p. 254.
31. ... quoique la beauté soit beaucoup, ce n'est pas assez cependant pour inspirer un attachement durable. − Madame, répondit l'Archevêque, nous ne sommes point ici en Europe, où les femmes, libres dans leur choix, ont besoin de temps pour aimer et pour être aimées, parce qu'elles ne peuvent former que des liens exclusifs et indissolubles, que le bonheur de ces liens ne s'appuie que sur des vertus, et que les vertus ne se découvrent qu'avec l'aide du temps ... MmeCottin, Mathilde,t. 1, 1805, p. 128.
32. Qu'il aime peu, celui qui peut dire de quelles paroles s'est servie sa maîtresse pour lui avouer qu'elle l'aimait! A. de Musset, La Confession d'un enfant du siècle,1836, p. 209.
33. Une aimable et belle étrangère qui est à Paris disait : « On n'aime plus. Que je serais donc heureuse d'être aimée comme les Français aiment leurs propriétés! » Ch.-A. Sainte-Beuve, Les Cahiers,1869, p. 102.
34. ... elle t'aime; elle t'aime passionnément, comme une femme chaste qui n'a jamais aimé. Quarante ans est un âge terrible pour les femmes honnêtes, quand elles ont des sens; elles deviennent folles et font des folies. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Une Passion, 1882, p. 825.
35. ... les hommes ne savent jamais comment il faut aimer. Rien ne les contente. Tout ce qu'ils savent, c'est rêver, imaginer de nouveaux devoirs, chercher de nouveaux pays et de nouvelles demeures. Tandis que nous, nous savons qu'il faut se dépêcher d'aimer, partager le même lit, se donner la main, craindre l'absence. A. Camus, Le Malentendu,1944, I, 4, p. 127.
36. − Vous vous haïssez tous, cria-t-il d'une voix étranglée, puérile. Aimer, dans votre langue, ça veut dire « aide-moi à souffrir, souffre pour moi, souffrons ensemble ». Vous haïssez votre plaisir. Oui, vous haïssez votre corps d'une haine sournoise, oui, vous haïssez votre corps d'une haine sournoise, amère. G. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 969.
37. Du moment qu'on aime, on n'est pas libre. Mais ce n'est tout de même pas pareil d'aimer quelqu'un qui se croit des droits sur vous ou quelqu'un qui ne s'en croit aucun. S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 448.
En partic. Accomplir l'union sexuelle :
38. Jusqu'alors irréprochable, cette malheureuse enfant écouta les tentations auxquelles l'exposait plus que d'autres (qui la blâmeront trop vite peut-être) le milieu où son état la contraignait de vivre. Bref, elle fit une faute : − elle aima. Ce fut sa première faute; mais qui donc a sondé l'abîme où peut nous entraîner une première faute? Un jeune étudiant candide, beau, doué d'une âme artiste et passionnée, mais pauvre comme Job, un nommé Maxime, dont nous taisons le nom de famille, lui conta des douceurs et la mit à mal. Ph.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Contes cruels, Les Demoiselles de Bienfilatre, 1883, p. 12.
Plus gén. (proverbe) Qui aime bien châtie bien .
Rem. 1. Le compl. d'obj. peut être remplacé par un adv. (ailleurs = « quelqu'un d'autre ») : 39. ... Octave ne passait plus devant la porte de Marie sans entrer, repris d'un singulier goût, d'un coup de passion, qu'il ne s'avouait même pas; il adorait Berthe, il la désirait follement, et, dans ce besoin de l'avoir, renaissait pour l'autre une tendresse infinie, un amour dont il n'avait jamais éprouvé la douceur, au temps de leur liaison. C'était un charme continuel à la regarder, à la toucher, des plaisanteries, des taquineries, les jeux de main d'un homme qui voudrait reprendre une femme, avec la secrète gêne d'aimer ailleurs. É. Zola, Pot-Bouille, 1882, p. 260. ou une (loc.) prép. Cf. M. Proust, À la recherche du temps perdu, La Prisonnière, 1922, p. 92 : ,,Nous étions résignés à la souffrance, croyant aimer en dehors de nous...``
Rem. 2. Dans la lang. class. ou littér., la pers. aimée peut être désignée par le mot objet ou par le pron. ce : 40. Sans doute, c'est par l'amour que l'éternité peut être comprise; il confond toutes les notions du temps; il efface les idées de commencement et de fin; on croit avoir toujours aimé l'objet qu'on aime, tant il est difficile de concevoir qu'on ait pu vivre sans lui. G. de Staël, Corinne, t. 2, 1807, p. 32. 41. ... est-il quelque chose de plus amusant, de plus original que de payer sa propre femme? On n'aime bien, en amour illégitime, que ce qui coûte cher, très cher. Vous donnez à notre amour... légitime, un prix nouveau, une saveur de débauche, un ragoût de... polissonnerie en le tarifant comme un amour coté. G. de Maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, Au bord du lit, 1883, p. 901. 42. Il y a des moments où c'est trop et c'est trop et c'est trop et c'est assez, et je n'en puis plus, et je suis trop seule, arrachée, arrachée à ce que j'aime! Et je suis trop malheureuse, et je suis trop punie, et je prie de mourir, et j'ai peur de mourir, et je suis contente de mourir! P. Claudel, Partage de midi, 1949, III, p. 1129.
b) [Avec une idée de choix et de désintéressement; le subst. correspondant est amitié] Aimer qqn [comme un(e) ami(e)] :
43. ... l'opinion est un peu comme les balances; elle hausse et baisse jusqu'à ce qu'elle ait trouvé le point juste de l'équilibre. Alors elle s'arrête, et laisse en repos l'intérêt et l'inquiétude de ceux qui nous aiment. Quand je dis « ceux », je crois pourtant que c'est « celui », et je me livre à penser que tu es distingué en sentiment pour moi. G. de Staël, Lettres de jeunesse,1786, pp. 78-79.
44. ... cette année, au mois de septembre, à quatre heures du soir, par un temps gris et brumeux, j'ai embrassé pour le quitter un homme que j'aime de cette affection ardente et qui ne ressemble à nulle autre, allumée au fond de l'âme je ne sais par quelle étrange puissance réservée aux hommes de génie. M. Féli m'a mené dans la vie neuf mois durant, au bout desquels le fatal carrefour s'est rencontré. − L'habitude de vivre avec lui faisait que je ne prenais pas garde à ce qui se passait dans mon âme; mais depuis que je ne le vois plus, j'y ai trouvé comme un grand déchirement qui s'est fait au moment de la séparation. M. de Guérin, Journal intime,1833, p. 180.
45. ... et il faut toujours écrire, être toujours neuf, jeune, ingénieux, et achever mon histoire de la société moderne en action. Je puis vous dire ces choses à vous, qui êtes une vieille connaissance et qui m'aimez un peu, malgré l'isolement, les séparations et n[os] traverses, car n[ous] sommes deux vieux lutteurs et nous sommes liés par une estime réciproque. H. de Balzac, Correspondance,1839, p. 643.
46. ... Hubert dit, presque bas : − J'allais vous proposer une sorte de traité secret, demoiselle qui n'aimez personne. Car il doit être bien entendu que vous n'aimez personne. − C'est vrai, je n'aime personne, parce que j'aime tout le monde. Je pensais même à me faire inscrire au club des indifférents. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 190.
47. L'autre jour, un religieux que j'aime beaucoup m'appelle au téléphone et me dit : « Je veux vous rassurer au sujet de l'enfer. » J. Green, Journal,1949, p. 246.
48. Un jour de décembre, sur les instances de Mmed'Houdetot et parce qu'il aimait encore son ami, Diderot s'était décidé à venir à l'ermitage pour consoler Jean-Jacques et le rendre à lui-même et pour savoir enfin la vérité de tous ces ragots qui lui revenaient. J. Guéhenno, Jean-Jacques,Roman et vérité, 1950, p. 240.
Emploi abs. :
49. Celui qui aime son amie ou son ami l'aime dans le présent et la révolution ne veut aimer qu'un homme qui n'est pas encore là. Aimer, d'une certaine manière, c'est tuer l'homme accompli qui doit naître par la révolution. Pour vivre un jour, en effet, il doit être, dès aujourd'hui, préféré à tout. Dans le règne des personnes, les hommes se lient d'affection; dans l'empire des choses, les hommes s'unissent par la délation. A. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 294.
c) P. anal. [Le suj. ou l'obj. désigne un animal vivant dans l'entourage d'une pers.; subst. correspondant : attachement] Aimer son chien, le chien aime son maître :
50. L'aveugle, à qui tout pouvoit nuire, Étoit sans guide, sans soutien, Sans avoir même un pauvre chien Pour l'aimer et pour le conduire. J.-P.-C. de Florian, Fables,L'Aveugle et le paralytique, 1792, p. 64.
51. Je viens de dire que j'aurais pu la tuer comme on assomme un chien qui désobéit! Je l'aimais en effet, un peu comme on aime un animal très rare, chien ou cheval, impossible à remplacer. C'était une bête admirable, une bête sensuelle, une bête à plaisir, qui avait un corps de femme. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Allouma, 1889, p. 1325.
2. [L'obj. désigne une valeur, ou un être ou un obj., etc. auquel on attache une valeur; subst. correspondant : goût, prédilection pour]
a) [L'obj. désigne un élément mis en valeur dans un être ou dans un obj.]
[Le compl. d'obj. est déterminé par un compl. de nom ou un adj. poss. ou dém.] Aimer le visage de qqn, aimer son sourire :
52. Emmanuel scrutait le visage de Florentine et, au delà de ce visage qu'il aimait depuis si peu de temps, les quelques paroles, les quelques gestes qui résumaient la connaissance qu'il avait d'elle. G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 418.
53. Elle n'était pas seule, et cet étudiant en droit qui ne voulait jamais la quitter se trouvait maintenant à ses côtés. Elle avait fini par l'accepter, bien qu'il fût un peu petit et qu'elle n'aimât pas beaucoup son rire avide et bref, ni ses yeux noirs trop saillants. Mais elle aimait son courage à vivre, qu'il partageait avec les Français de ce pays. Elle aimait aussi son air déconfit quand les événements, ou les hommes, trompaient son attente. A. Camus, L'Exil et le royaume,1957, p. 1558.
Rem. L'ex. suiv. offre une combinaison de cette tournure et des tournures suiv. : ,,Je n'aime de vous ni votre visage, ni votre corps, ni votre présence...`` (H. de Montherlant, Les Jeunes filles, 1936, p. 10).
[Le compl. d'obj. est accompagné d'un compl. circ. indiquant le tout auquel appartient l'élément considéré]
Aimer qqc. en (dans) qqn :
54. ... jamais le comte ne paraît trop vieux. Il a trente-sept ans; mais il n'a pas l'air de les avoir. On ne sait d'abord ce qu'on aime le plus en lui, ou de sa figure noble et élevée, ou de son esprit, qui est toujours agréable, ... B.-J. de Krüdener, Valérie,1803, p. 9.
55. ... il est aisé de comprendre comment une femme qui s'est beaucoup occupée des lettres et des beaux-arts, peut aimer dans un homme des qualités et même des goûts qui diffèrent des siens. L'on est si souvent lassé de soi-même, qu'on ne peut être séduit par ce qui nous ressemble : ... G. de Staël, Corinne,t. 3, 1807, p. 91.
56. Ce sont d'autres raisons que des raisons d'esthétique qui ont fait la fortune des Rougon-Macquart : ce que goûte le public dans M. Zola, c'est beaucoup moins l'artiste que le descripteur sans vergogne. M. Daudet, par un rare privilège, plaît à tout le monde : mais pensez-vous que la foule et les « habiles » aiment en lui exactement les mêmes choses? J. Lemaître, Les Contemporains,1885, p. 82.
57. ... « Ma mère était ainsi, j'aimais en elle le même effacement et c'est elle que j'ai toujours voulu rejoindre. Il y a huit ans, je ne peux pas dire qu'elle soit morte. Elle s'est seulement effacée un peu plus que d'habitude, et, quand je me suis retourné, elle n'était plus là. » A. Camus, La Peste,1947, p. 1444.
Rare. Aimer qqn en qqn :
58. Est-ce s'avilir que vous tant supplier? Non : je n'aime en vous que vous-même, et à quelque excès que le sentiment soit porté quand il n'est accru, multiplié, que par lui-même, il reste encore honorable. G. de Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1794, p. 249.
59. Moi qui m'interroge toujours avec soupçon sur les sentiments que j'inspire, je ne me demandai jamais qui Lewis aimait en moi : j'étais sûre que c'était moi. Il ne connaissait ni mon pays, ni mon langage, ni mes amis, ni mes soucis : rien que ma voix, mes yeux, ma peau; mais je n'avais pas d'autre vérité que cette peau, cette voix, ces yeux. S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 328.
Aimer qqc. dans qqc. :
60. ... l'œuvre d'art, c'est à la fois l'objet exprimé et l'expression même, la traduction et l'interprétation de cet objet : mais quand l'objet est entièrement, absolument laid et plat, on est bien sûr alors que ce qu'on aime dans l'œuvre d'art, c'est l'art tout seul. L'art pur, l'art suprême n'existe que s'il s'exerce sur des laideurs et des platitudes. J. Lemaître, Les Contemporains,1885p. 317.
Rem. 1. À une époque récente, on rencontre aimer qqc. chez qqn. Cf. M. Proust, À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 816 : ,,il aime chez lui (...) un effort momentanément (...) fraternel``; J. Romains, Les Hommes de bonne volonté, Le 6 octobre, 1932, p. 120 : ,,Ce qu'elle aime chez un homme, c'est moins l'homme lui-même que l'ardeur ou la tendresse qu'il lui témoigne.``
Rem. 2. Plus rarement, les rapports sont inversés, le tout étant exprimé dans le compl. d'obj. et l'élément dans le compl. circ. :
61. ...affectant d'aimer Paris surtout dans ses verrues et le petit monde surtout dans ses vulgarités, il lui [à F. Coppée] est arrivé de « mettre en vers » (l'expression ne convient nulle part mieux) des sujets qui en vérité ne réclamaient point cet ornement et appelaient évidemment la prose. J. Lemaître, Les Contemporains,1885p. 106.
Rem. 3. Ce qu'on aime dans un être ou dans un obj. peut s'exprimer par un attribut de l'obj. :
62. Le conte est chez nous un genre national. Sous le nom de fabliau, puis de nouvelle, il est presque aussi vieux que notre littérature. C'est un goût de la race, qui aime les récits, mais qui est vive et légère et qui, si elle les supporte longs, les préfère parfois courts, et, si elle les aime émouvants, ne les dédaigne pas gaillards. J. Lemaître, Les Contemporains,1885p. 286.
Cet emploi est proche de celui où un compl. circ. indique la situation (momentanée) où se trouve l'être aimé :
63. Notre ami M. d'Éprémesnil est à Paris en très bonne santé. Je ne sais pas s'il nous aime autant dans la prospérité que nous l'aimions dans son malheur. G. de Staël, Lettres de jeunesse,1788, p. 263.
b) [L'obj. désigne une pers. ou un inanimé valorisés]
[Il désigne une chose concr.] Aimer tel(s) tableau(x) :
64. Étant riche, je recherchais les meubles anciens et les vieux objets; et souvent je pensais aux mains inconnues qui avaient palpé ces choses, aux yeux qui les avaient admirées, aux cœurs qui les avaient aimées, car on aime les choses! G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, La Chevelure, 1884, p. 936.
65. La lecture de Father and son d'Edmund Gosse est pour moi un plaisir exceptionnel, une sorte de redécouverte de tout un monde que j'avais entrevu dans Mark Rutherford qui, du reste, n'est pas tout à fait sans rapport avec le livre de Gosse. Que j'aime cette économie de mots, cette rigueur dans le choix de l'expression, ce souci perpétuel de dire vrai! Il y a au fond de cela une émotion qui sans cesse affleure et donne à ces phrases contenues et sévères une sorte de palpitation. J. Green, Journal,1949, p. 295.
[Il désigne une pers. individuelle ou coll. en tant qu'elle représente une valeur; parfois iron. ou sarcastique] Aimer tel écrivain, tel chef, tel régime politique :
66. Je n'aime point Montaigne, bien qu'il ait une admirable sagacité et une imagination plus admirable encore. Il est trop indécis, trop indifférent pour la vérité. Il me repousse et m'indigne par l'universalité de son scepticisme. Ch.-J. de Chênedollé, Extraits du journal,1833, p. 162.
67. Le tumulte de la chasse se rapprochait; les fourrés semblaient frémir, et tout à coup, brisant les branches, couvert de sang, secouant les chiens qui s'attachaient à lui, le sanglier passa. Alors le baron, poussant un rire de triomphe, cria : « Qui m'aime me suive! » et il disparut, dans les taillis, comme si la forêt l'eût englouti. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Un Coq chanta, 1882, p. 811.
68. Tous parlèrent à la fois. Aucun n'aimait l'Empire. Le docteur Juillerat condamnait l'expédition du Mexique, l'abbé Mauduit blâmait la reconnaissance du royaume d'Italie. É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 87.
69. Dans ce château de Lunéville, les nôtres furent humiliés. Ce palais ne me parlerait que de Stanislas, un prince bon et fin, je l'accorde, mais entouré de petites femmes et de petits abbés qui, par bel air, raillaient les choses locales et copiaient Versailles. La Lorraine, dit-on, l'aima; c'est qu'elle avait perdu toute conscience de soi-même; ... M. Barrès, Un Homme libre,1889, p. 119.
70. Moi, dans dix ans, je ferai terriblement ancien régime... passé bien entendu à la révolution, mieux : artisan de la révolution, mais ancien régime quand même... On n'a pas eu impunément vingt ans en 1928, été surréaliste, etc. Je serai ton Fouché. − Quelle horreur! − Non, j'aime bien Fouché. Corrompu mais efficace, hypocrite mais vrai avec lui-même. Et surtout éternellement irrespectueux : comme j'aime l'irrespect... Cela aussi fera très ancien régime... R. Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 98.
c) [L'obj. désigne une catégorie ou un type d'êtres ou de choses] Avoir ou manifester un goût prononcé pour ...
[L'obj. est un nom au plur.] Aimer les enfants, les femmes, les livres :
71. ... j'aime d'avance ceux qui souffrent. Ainsi, pour moi, votre mélancolie fut un charme, vos malheurs un attrait, et, du moment que vous avez déployé les agréments de votre esprit, toutes mes pensées se sont involontairement rattachées aux doux souvenirs que j'ai conservés de vous. H. de Balzac, Correspondance,1822, p. 139.
72. Du temps de M. Bonderoi, l'ancien notaire, MmeBonderoi utilisait, dit-on, les clercs pour son service particulier. C'est une de ces respectables bourgeoises à vices secrets et à principes inflexibles, comme il en est beaucoup. Elle aimait les beaux garçons; quoi de plus naturel? N'aimons-nous pas les belles filles? G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Le Remplaçant, 1883, p. 867.
73. Ils s'intéressent surtout au commerce et ils s'occupent d'abord, selon leur expression, de faire des affaires. Naturellement, ils ont du goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cinéma et les bains de mer. Mais, très raisonnablement, ils réservent ces plaisirs pour les samedis soirs et les dimanches, essayant les autres jours de la semaine, de gagner beaucoup d'argent. A. Camus, La Peste,1947, pp. 1217-1218.
74. Elle aimait les animaux, les fleurs, toutes les choses naturelles; le plus modeste bouquet la ravissait. A. Gide, Et nunc manet in te,1951, p. 1142.
75. − Quand j'étais jeune, ça me semblait magique un livre. − Moi aussi j'aime les livres, dit Nadine vivement. Seulement il y en a déjà tant! à quoi ça sert d'en fabriquer un de plus? − On n'a pas tout à fait les mêmes choses à dire que les autres : on a sa vie à soi, ses rapports à soi avec les choses, avec les mots. S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 92.
76. Mais a-t-on le temps, en ce monde, d'aimer les choses, de voir les choses de près, quand elles jouissent de leur petitesse. Une seule fois dans ma vie, j'ai vu un jeune lichen naître et s'étendre sur le mur. Quelle jeunesse, quelle vigueur à la gloire de la surface! G. Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 152.
77. ... rhétoricien, je n'aimais que les mots : je dresserais des cathédrales de paroles sous l'œil bleu du mot ciel. J.-P. Sartre, Les Mots,1964, p. 152.
[L'obj. est un sing. coll. ou à valeur de coll.] Aimer le peuple :
78. Je fis servir un rafraîchissement; Sara prit un air couvert. Cela me surprit! elle aime la pâtisserie. Rien n'était bon; elle rebutait tout, elle demandait à ... partir. − « Vous ne voyez pas, » me dit tout bas la mère, « qu'elle attend de Lamontette ce soir? » N.-E. Restif de La Bretonne, Monsieur Nicolas,1796, p. 180.
79. ... d'Arrast dit qu'il était invité par des amis à la cérémonie de danses, dans les cases. « Ah, oui, dit le juge. Je suis content que vous y alliez. Vous verrez, on ne peut s'empêcher d'aimer notre peuple. » A. Camus, L'Exil et le royaume,1957, p. 1671.
P. anal., didact. [Le suj. désigne une plante, l'obj. désigne une condition favorable à son développement] La vigne aime les pentes ensoleillées.
P. anal. ou au fig. :
80. Ah! portons dans les bois ma triste inquiétude. Ô Camille! l'amour aime la solitude. A. Chénier, Élégies,Les amours, Camille, 1794, p. 61.
81. Nous avons un lavoir, que tu n'as pas vu, à la Moulinasse, assez grand et plein d'eau, qui embellit cet enfoncement et attire les oiseaux qui aiment le frais pour chanter. E. de Guérin, Journal,1837, p. 127.
82. Il pêcha à la ligne, sut distinguer les fonds qu'aime le goujon, ceux que préfère la carpe ou le gardon, les rives favorites de la brème et les diverses amorces qui tentent les divers poissons. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Bombard, 1884, p. 973.
d) [L'obj. désigne une entité physique ou abstr.] Aimer la nature, l'art, l'argent :
83. Plusieurs gens de lettres croient aimer la gloire et n'aiment que la vanité. Ce sont deux choses bien différentes et même opposées; car l'une est une petite passion, l'autre en est une grande. Il y a, entre la vanité et la gloire, la différence qu'il y a entre un fat et un amant. Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 72.
84. Ma mère est mieux, et cette grande cause de repos me ramène à vous qui êtes une si piquante raison d'aimer la vie. G. de Staël, Lettres diverses,1794, pp. 606-607.
85. Celui qui aime la laideur, dans un temps où mille chefs-d'œuvre peuvent avertir et redresser son goût, n'est pas loin d'aimer le vice; ... F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 2, 1803, p. 132.
86. ... les Athéniens ne jouissaient pas de la campagne comme nous. La plupart ne vivaient guère aux champs, étaient de purs citadins, attachés aux pavés du Pnyx ou de l'Agora. Quant à leurs poètes quelques-uns aiment certes et décrivent la nature mais toujours leurs paysages sont courts et simples, même ceux de Théocrite : à peine un peu de mignardise chez Bion et chez quelques poètes de l'Anthologie. J. Lemaître, Les Contemporains,1885, p. 146.
87. − Vous aimez donc bien le théâtre, mademoiselle? La jeune femme ferma les yeux à demi, fit un sourire et dit très bas : − On m'a fait lire une pièce italienne que l'on voudrait jouer à Paris et où reviennent sans cesse les mots de fiction et de réalité. Comment vous expliquer, Philippe, que la réalité, je ne la sens, je ne la comprends vraiment que sur la scène? G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 138.
88. Ah! continua-t-il, j'ai attendu la guerre avec joie et je l'accueille de même. Elle va déblayer le chemin. Pour cette parole-là, le premier imbécile venu me lapiderait, mais s'il savait s'interroger autrement qu'en s'attendrissant sur soi-même et ses petits malheurs, l'imbécile susdit saurait que, lui aussi, aime la guerre comme une fête sacrée... R. Abellio, Heureux les pacifiques,1946, p. 279.
89. Le païen aime la terre pour en jouir et s'y confiner. Le chrétien pour la rendre plus pure et tirer d'elle-même la force de s'en évader. P. Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 143.
90. Le professeur avait toujours joué, parmi nous, un rôle véritablement civique. Il était libéral et idéaliste; il aimait l'Occident, le progrès, la justice, et, en général, tout ce qui est élevé. A. Camus, Les Possédés,adapté de Dostoïevski, 1959, p. 925.
B.− Emploi pronom.
1. Emploi réciproque. [Subst. correspondant : amour ou amitié]
a) [Avec une idée de lien moral ou spirituel] :
91. Mes frères, commençons par nous aimer; nous nous corrigerons ensuite, et nous nous perfectionnerons réciproquement, si toutefois l'amour ne nous perfectionne pas lui-même. L.-C. de Saint-Martin, L'Homme de désir,1790, p. 102.
92. Elle voulait que Paul et Georges fussent toujours d'accord, parce que ce serait gentil de rester comme ça, tous les trois, en sachant qu'on s'aimait bien. É. Zola, Nana,1880, p. 1189.
93. stépan. − Ce ne sont pas mes idées. Tu veux tout détruire, tu ne veux pas laisser pierre sur pierre. Moi, je voulais que tout le monde s'aime. pierre. − Pas besoin de s'aimer! il y aura la science. A. Camus, Les Possédés,adapté de Dostoïevski, 1959, pp. 993-994.
b) [Avec une idée de passion de nature affective ou physique] :
94. Quand on sait composer un philtre d'amour, on ne peut se tromper sur les doses. Après une expérience aussi positive, aussi frappante, pourquoi donc ne veux-tu pas donner ces philtres à ton maître et à Béatrix? − Êtes-vous bien sûre qu'ils s'aimeront réciproquement? − Je t'ai expliqué cela tant de fois! − Je le crois, mais je ne le comprends pas parfaitement. − Si tu le crois, que faut-il de plus? Mmede Genlis, Les Chevaliers du Cygne,t. 3, 1795, pp. 172-173.
95. Viens, nous nous aimerons dans ces fiers paysages Comme s'aimaient jadis les belles et les sages, Comme Socrate aimait Aspasie aux seins nus, Comme Eschyle, le chantre immense, aimait Vénus, Dans l'extase sereine et sainte, dans l'ivresse, L'héroïsme, la joie et l'espoir; car la Grèce, Terre où dans le réel l'idéal se confond, Seule, a de ces amours, avec l'Olympe au fond. V. Hugo, La Légende des siècles,t. 6, L'Amour, 1883, p. 236.
96. Oh! l'éden immédiat des braves empirismes! Peigner ses fiers cheveux avec l'arête des Poissons qu'on lui offrit crus dans un paroxysme De dévouement! S'aimer sans serments, ni rabais, Oui, vivre pur d'habitudes et de programmes, Pacageant mes milieux, à travers et à tort, Choyant comme un beau chat ma chère petite âme, N'arriver qu'ivre-mort de moi-même à la mort! J. Laforgue, L'Imitation de Notre-Dame la Lune, Nobles et touchantes divagations, 1886, pp. 268-269.
97. Si tu veux nous nous aimerons Avec tes lèvres sans le dire Cette rose ne l'interromps Qu'à verser un silence pire Jamais de chants ne lancent prompts Le scintillement du sourire Si tu veux nous nous aimerons Avec tes lèvres sans le dire... S. Mallarmé, Poésies,Rondels, 1898, p. 62.
98. Tu as le visage que tu avais quand nous revenions du football, l'hiver, tout rouges, crottés, suants et heureux et que nous nous moquions des filles ensemble. Le visage de cette nuit dans le dortoir où nous avons juré de nous aimer toujours et où nous nous sommes tailladé le bras pour échanger notre sang, avec un petit couteau rouillé. J. Anouilh, La Répétition,1950, III, p. 75.
99. ... si l'amour peut exister, si ce mot peut avoir du sens, que signifie-t-il d'autre que la connaissance mutuelle dans le silence, l'intimité, l'absence de honte? On ne s'aime pas quand on sait qu'on est nus. Et on sait qu'on est nus quand quelqu'un, au même moment, vous regarde. A. Camus, Requiem pour une nonne,adapté de W. Faulkner, 1956, p. 876.
2. Emploi réfl. [Subst. correspondant : amour de soi, amour-propre]
100. Si quelqu'un se dérobe à ses enchantements, Qu'est-ce enfin qu'un de moins dans ce peuple d'amants? On brigue ses regards, elle s'aime et s'admire, Et ne connaît d'amour que celui qu'elle inspire. A. Chénier, Élégies,Les Amours, 1794, p. 85.
101. D'où vient à l'homme la plus durable des jouissances de son cœur, cette volupté de la mélancolie, ce charme plein de secrets, qui le fait vivre de ses douleurs et s'aimer encore dans le sentiment de sa ruine? É. de Senancour, Obermann,t. 1, 1840, p. 93.
102. − Je vais te dire une chose idiote que tu ne comprendras pas. Je ne m'aime plus. Je ne peux pas vivre sans m'aimer. Depuis que je ne m'aime plus... c'est votre faute. Je vous déteste, je vous hais. − Tu te vantes, fit-elle avec une simplicité tragique. Essaie quand même. Hais-moi. La haine ne vaut pas grand-chose, mais enfin elle vaut mieux que rien. Dieu veuille qu'elle t'aide à vivre! G. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 966.
103. Il s'est aimé toujours, il s'aime, mais cet amour de soi n'est pas l'amour-propre. Il saisit seulement toutes occasions d'étendre et de renforcer le sentiment de son être. J. Guéhenno, Jean-Jacques,Grandeur et misère d'un esprit, 1952, p. 308.
104. Faute de m'aimer assez, j'ai fui en avant; résultat : je m'aime encore moins, cette inexorable progression me disqualifie sans cesse à mes yeux : hier j'ai mal agi puisque c'était hier et je pressens aujourd'hui le jugement sévère que je porterai sur moi demain. J.-P. Sartre, Les Mots,1964, p. 198.
3. Emploi passif. [Le verbe aimer est à l'inf. compl. des semi-auxil. faire ou laisser] Se faire, se laisser aimer. Faire en sorte, permettre qu'on soit aimé :
105. Pour Adolphe, il est toujours avec les ouvriers, il examine les mécaniques, n'est content que lorsqu'il les comprend, les imite quelquefois, et les brise plus souvent, saute au cou de son père quand celui-ci le gronde, et se fait aimer de chacun en faisant enrager tout le monde. MmeCottin, Claire d'Albe,1799, p. 96.
106. Se laisser aimer, c'est aimer déjà. H. de Montherlant, Les Jeunes filles,1936, p. 972.
II. [L'obj. est un syntagme verbal]
A.− [Un cas ambigu : l'obj. est un subst. d'action ou d'état] Aimer la marche, le repos :
107. J'aime cette prodigalité des richesses terrestres pour une autre vie, du temps pour l'éternité : assez de choses se font pour demain, assez de soins se prennent pour l'économie des affaires humaines. G. de Staël, Corinne,t. 2, 1807, p. 159.
108. Moi, c'est d'instinct que j'adore Benjamin Constant (...). J'aime, quand MmeRécamier se refuse, le désespoir, la folie lucide de cet homme de désir qui n'aima jamais que soi, mais que « la contrariété rendait fou ». M. Barrès, Un Homme libre,1889, pp. 70-71.
109. Ah, comme j'aimais cette course matinale... « Plus vite, Piotr! Plus vite! » Le trotteur détalait, l'énorme derrière de Piotr dans ses vêtements rembourrés (plus un cocher était rembourré, plus il était élégant!), nous protégeait des monceaux de neige renvoyés par les sabots du cheval. E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 281.
110. J'admire ce grand artiste, mais je n'aime pas cette façon qu'il a de nous dire : « Attention, je vais souffrir, et vous allez voir de quelle façon subtile. » J. Green, Journal,1949, p. 305.
Rem. 1. Du point de vue formel, cette constr. ressemble à celle qui a été mentionnée plus haut sous I A 2 d. 2. Elle est volontiers associée à la constr. inf. : 111. J'aime à bouleverser une bibliothèque, Fouiller un chroniqueur qu'on a laissé moisir, Déchiffrer un latin, quelque vieille ode grecque, Essayer un rondeau, peindre un ange à loisir; Puis surtout, d'un festin l'enivrante magie, L'impudeur effrontée assise en une orgie, Où s'affaisse mon corps sous le poids du plaisir. P. Borel, Rhapsodies, Adroit refus, 1831, p. 36. Ou remplacée par la constr. doublement inf. du type aimer voir qqn + inf. : 112. Mais qu'importe! Je voulais seulement dire que j'aimerais quelquefois te voir sourire. A. Camus, Le Malentendu, 1944, I, 1, p. 117. Ou par le syntagme subst. concr. + prop. rel. Cf. A. de Saint-Exupéry, Citadelle, 1944, p. 517 : ,,j'aime les saisons qui reviennent``.
B.− [L'obj. est un inf.]
1. Usuel. [En constr. dir.] :
113. ... c'est justement cette imagination haineuse qui donne à ses livres leur saveur. Il [Huysmans] aime mépriser, il aime haïr, il aime surtout être dégoûté. J. Lemaître, Les Contemporains,1885, p. 322.
114. georges. − Yvonne... Il aimerait te voir... Il a de la peine. J. Cocteau, Les Parents terribles,1938, p. 215.
115. J'ai toujours aimé renseigner les passants dans la rue, leur donner du feu, prêter la main aux charrettes trop lourdes, pousser l'automobile en panne, acheter le journal de la salutiste, ou les fleurs de la vieille marchande dont je savais pourtant qu'elle les volait au cimetière Montparnasse. J'aimais aussi, ah, cela est plus difficile à dire, j'aimais faire l'aumône. A. Camus, La Chute,1956, p. 1484.
2. [En constr. indir.]
a) Moins fréq. Aimer à... :
116. Quittant sa forme, hélas! Non son âme première, Le beau narcisse en fleur, aux rives des ruisseaux Aime encore à se voir dans le cristal des eaux. A. Chénier, Bucoliques,Arbres, fleurs, herbes, 1794, p. 243.
117. J'aimais à lire la Vie des Saints, ces beaux poèmes, ces dangereux romans, où l'humanité paraît si grande et si forte qu'on ne peut plus ensuite se baisser et regarder à terre les hommes tels qu'ils sont. G. Sand, Lélia,1833, p. 195.
118. Encore une bonne quinzaine pourtant, et j'espère avoir fini mon chapitre! Ce qui me donnera du revif, j'aime à le croire! Et au bout de trois ou quatre mois, quand le dernier chapitre sera fait, j'en aurai encore (avec le second volume) pour six ou huit mois!!! G. Flaubert, Correspondance,1879, p. 340.
119. Le commerce des âmes est la plus grande et la seule réalité. Voilà pourquoi j'aime à penser à ces bons prêtres qui furent mes premiers maîtres, à ces excellents marins, qui ne vécurent que du devoir; à la petite Noémi, qui mourut parce qu'elle était trop belle; à mon grand-père, qui ne voulut pas acheter de biens nationaux; au bonhomme Système, qui fut heureux puisqu'il eut son heure d'illusion. E. Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,1883, p. 126.
120. ... un bon éditeur devrait aimer autant (plus peut-être) à payer qu'à gagner. Ph.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Correspondance générale,1884, p. 52.
121. J'écris ceci dans la vieille bibliothèque où j'aime à penser qu'Edgar Poe est venu lire et rêver quelquefois. J. Green, Journal,1937, p. 89.
122. En aucune période de l'histoire contemporaine (...) ne s'est vérifiée l'opposition simpliste entre gouvernement et commerce, ni à plus forte raison celle que la polémique aime à imaginer entre la stérilité économique de l'État et la fécondité exclusive de l'entreprise privée. F. Perroux, L'Économie du XXesiècle,1964, p. 448.
Rem. 1. Comme le montrent les ex., la constr. reste vivante avec un inf. non suivi de compl. d'obj. ou dans les loc. j'aime à croire, à penser que. 2. L'ex. 122 montre le verbe aimer affaibli en auxil. expr. de la répét. (aime à imaginer = « imagine souvent »).
b) Aimer de...
Littéraire :
123. ... il avait suspendu, sur le mur de son cabinet, tout contre le miroir et à hauteur de regard, un fort beau portrait du poète, devant lequel il aimait de tomber en rêverie. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 20.
Familier :
124. amalric. − (...). Il est tout le temps à se promener d'un bout à l'autre du bateau en se frottant les mains! ysé. − Moi aussi, j'aime ça de marcher! Nous avons fait une grande promenade ensemble ce matin. L'heure la plus fraîche. C'est si bête de laisser le soleil se lever tout seul. P. Claudel, Partage de midi,1949, I, p. 1068.
Rem. La prép. de est usuelle si l'inf. est séparé du verbe aimer par la formule de mise en relief ce que... c'est. Cf. É. Bourdet, Le Sexe faible, 1931, p. 388 : ,,Ce que j'aime, moi, ce n'est pas de recevoir, c'est de donner!``
C.− Fam. [L'obj. est une prop. circ. de temps, conj. quand] :
125. J'aimais bien quand elles venaient me voir. A. Daudet, Le Petit Chose,1868, p. 196 (Sandf. t. 2, 1965, p. 295).
126. nicole. − Je n'aime pas beaucoup quand ta mère me parle de cette façon-là : c'est mauvais signe. É. Bourdet, Le Sexe faible,1931, p. 453.
Rem. 1. Lorsque est plus rare. Cf. F. Mauriac, Le Mystère Frontenac, 1933, p. 62 : ,,J'aime bien lorsque les pins te dispensent de souffrir...`` 2. Dans la lang. fam. comme dans le style plus soutenu, la conj. de temps est précédée d'un pron. compl. d'obj. du verbe aimer. Cf. G. de Maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, Le Colporteur, 1893, p. 1172 : ,,...elle n'aime pas ça quand je reviens dans la nuit boire un coup avec un ami``. A. Gide, Journal, 1931, p. 1031 : ,,Je l'aimais presque mieux quand il disait « l'autre ».`` 3. Cette constr. est d'ordin. remplacée, dans un style plus soutenu, par une constr. doublement inf. du type j'aime le voir, l'entendre + inf. (ex. 113).
D.− [L'obj. est une prop. complétive, conj. que + subj.]
1. Rare. [Pour constater un fait] :
127. ... j'avais toujours été choyée, entourée, estimée, j'aimais qu'on m'aimât; la sévérité de mon destin m'effraya. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 188.
2. [Pour exprimer une appréciation] :
128. Je n'aime point qu'en s'élevant contre les religions on nie leur beauté, et l'on méconnaisse ou désavoue le bien qu'elles étaient destinées à faire. Ces hommes ont tort : le bien qui est fait en est-il moins un bien, pour être fait d'une manière contraire à leur pensée? É. de Senancour, Obermann,t. 2, 1840, p. 31.
129. Alors, quand il fut parti, Maheu éclata à son tour : − Nom de Dieu! Ce qui n'est pas juste n'est pas juste. Moi, j'aime qu'on soit calme, parce que c'est la seule façon de s'entendre; mais, à la fin, ils vous rendraient enragés... É. Zola, Germinal,1885, p. 1178.
130. la mère, plus bas. − Sans doute, il faudra le tuer. martha. − Vous dites cela d'une singulière façon... la mère. − Je suis lasse, en effet, et j'aimerais qu'au moins celui-là soit le dernier. Tuer est terriblement fatigant. Je me soucie peu de mourir devant la mer ou au centre de nos plaines, mais je voudrais bien qu'ensuite nous partions ensemble. A. Camus, Le Malentendu,1944, I, 1, pp. 118-119.
Rem. Dans les emplois B et D, le verbe aimer est fréquemment au cond.; son sens est alors voisin de « souhaiter ».
III.− Locutions et usages
A.− Aimer mieux.Préférer.
1. [L'obj. est un nom de chose ou de pers., ou un pron. neutre] :
131. J'aimerais mieux mardi pour le souper de Mmede Bouillé. Pourrais-tu faire cet arrangement et en prévenir Mmed'Hénin, à qui j'ai proposé jeudi? G. de Staël, Lettres de jeunesse,1789, p. 266.
132. Il manœuvre. Il siffle, imperceptiblement : − Vous aimez mieux cette vieille fille que la paix de votre maison. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Cécile parmi nous, 1938, p. 140.
Fam. J'aime mieux ça (ça représente une phrase) :
133. − Mon petit chat, reprit Bordenave, dis donc de servir le café ici... j'aime mieux ça, à cause de ma jambe. É. Zola, Nana,1880, p. 1184.
134. Je file décidément. J'aime mieux ça. Ce n'est pas quelques bredouilles que je dirai à MmeVigneron qui la consoleront. H. Becque, Les Corbeaux,1882, III, 5, p. 179.
Emploi abs. Si vous aimez mieux (sous-entendu : « telle autre façon de s'exprimer) » :
135. Le pylore est tout près du cardia, et conduit dans une espèce de cœcum, ou, si l'on aime mieux, dans un troisième estomac, qui est roulé sur lui-même un peu en spirale. C'est là qu'aboutissent les canaux hépathiques. G. Cuvier, Leçons d'anatomie comparée,t. 4, 1805, p. 115.
136. Vers onze heures du soir, les femmes se retirèrent dans leurs chambres; les hommes restèrent à fumer en buvant, ou à boire en fumant, si vous aimez mieux. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Ma femme, 1882, p. 668.
2. [L'obj. est un inf.; fréquemment, dans la lang. fam., un inf. signifiant « dire », « avouer »] :
137. Tenez, cher ami, je ne puis pas arriver à vous dire quelque chose de sérieux; j'aime mieux l'avouer tout de suite. C'est ce prodigieux « vieux de la montagne » qui me prend tout mon pauvre reste de bonne volonté... Ph.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Correspondance générale,1873, p. 177.
138. « Eh bien, monsieur, j'aime mieux vous dire la chose tout de suite; oui, j'aime mieux : c'est rapport à lui que j'en ai sur le cœur. » G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, La Garde, 1884, p. 980.
[Avec une nuance de menace] :
139. Puisque c'est ça, tu me dois cent sous. Et tu as de la chance que je ne t'aimais pas pour de vrai, parce que j'aime mieux te dire que ça ne se passerait pas comme ça, que je t'aurais déjà filé une leçon de maintien. M. Aymé, Clérambard,1950, IV, 9, pp. 237-238.
[Pour exprimer la peur] J'aime mieux ne pas y penser, le voir :
140. C'est qu'il y va de ma peau, et j'aime mieux ne pas y penser. Je suis courageuse quand je manque d'imagination, mais je ne peux pas me cacher que l'autre jour, encore une fois, ils ont failli m'avoir. Je suis faite pour le clandestin comme la tour Eiffel! E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 248.
3. [L'obj. est une prop. compl. au subj.] :
141. Un mot d'amour de fille sur un homme : « Il a l'air gentilhomme, cet homme-là! Il me proposerait de me donner 40 000 francs ou de me faire un enfant, j'aimerais mieux qu'il me fasse un enfant! » E. et J. de Goncourt, Journal,nov. 1866, p. 301.
142. − J'aime mieux évidemment, que tu ne lises pas certains Zola... Colette, La Maison de Claudine,1922, p. 62.
Rem. 1. La loc. aimer mieux sert de comparatif à la loc. fréq. aimer bien; dans l'une et l'autre loc. l'adv. a perdu une partie de sa valeur pour n'être plus qu'un intensif du concept verbal; aux adv. bien et mieux peut correspondre un superl. rel. (le mieux) :
143. Elle glissa un regard vers Jean. Et des yeux, elle lui disait : « Lui aussi, tu vois, il me trouve de son goût. Y a pas que toi, mais c'est quand même toi que j'aime le mieux. » G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 127.
Rem. 2. Mieux peut être déterminé par un adv. intensif : j'aime beaucoup mieux..., j'aime bien mieux..., j'aime encore mieux..., j'aime infiniment mieux..., etc.
Rem. 3. Le compl. de compar. mieux est normalement introd. par que, si ce compl. est un nom ou un inf. (ce dernier précédé de la prép. de) :
144. Peu importe le danger d'une opinion, si elle rend son auteur célèbre; et l'on aime mieux passer pour un fripon que pour un sot. F.-R. de Chateaubriand, Essai sur les Révolutions, t. 1,1797, p. 294.
145. Naturellement, elle avait sa fierté, elle ne demandait plus rien, aimait mieux manquer du nécessaire que de s'humilier sans résultat. É. Zola, Pot-Bouille,1882, p. 233.
146. J'aime encore mieux l'enfer que le néant. L'enfer c'est la vie qui dure. G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Les Maîtres,1937, p. 101.
147. − Tu me jures que tu reviendras? Même si tu décidais de te battre? Même si ton ami te le conseillait? J'aime mieux tout que de ne pas te revoir. Tu me le jures? J.-P. Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 149.
Si le verbe qui suit que est à une forme personnelle, il est gén. introd. par que si :
148. − Ça ne te ferait pas de peine? − Si, dit-elle d'une voix raisonnable. Ça me ferait de la peine, mais j'aimerais encore mieux ça que si tu étais prof à Castelnaudary. J.-P. Sartre, La Mort dans l'âme,1949p. 181.
B.− Emplois par litote
1. Aimer autant.Synon. fam. de aimer mieux :
149. bourdon. − C'est bien de vous-même et sans obéir à personne que vous avez décliné le mariage qui vous était offert? marie. − C'est de moi-même. Bourdon. − Très bien! Très bien!... J'aime autant cela du reste. H. Becque, Les Corbeaux,1882, IV, 6, pp. 227-228.
150. Hé bien, non, Monsieur le Curé, mille fois non! Dans ces conditions, j'aime autant que vous gardiez votre témoignage pour vous. G. Bernanos, Un Crime,1935, p. 826.
2. Ne pas aimer.Détester :
151. Je n'aime pas cette façon de me forcer la main. Tu me traînes à cet acte. Tu commences, pour m'obliger à finir. Je n'aime pas cette façon de passer par-dessus mon hésitation. A. Camus, Le Malentendu,1944, II, 8, p. 159.
152. − Voilà, fait le garçon d'une voix molle, votre ami Philippe vient de se fiche une balle dans la peau. Ça s'est passé à l'hôtel où j'habite, rapport qu'il y venait souvent, pour rencontrer des copains. J'ai entendu le coup de ma chambre, qu'est à l'étage. Il y avait un bout de papier sur la table, votre nom et l'adresse du restaurant. On a prévenu les camarades, mais en douce, à cause du patron de l'hôtel qui n'aime pas les histoires. G. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 946.
153. Le vrai est que son [de Jean-Jacques] ton était celui de ses amis, de ce petit groupe d'hommes parmi lesquels il vivait, de ce clan holbachique dont il fut avant de le mépriser, et on n'y aimait pas les tièdes. On y avait, dans tous les domaines, en horreur la médiocrité. On y allait toujours au bout de sa pensée. J. Guéhenno, Jean-Jacques,Roman et vérité, 1950, p. 75.
154. − Je n'aime pas ces combines, disait Cyril. Mais si c'est le seul moyen pour t'épouser, je les adopte. F. Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 108.
C.− Syntagmes usuels
1. Aimer + adv.
a) [Intensité + quantité.] Aimer beaucoup, combien (antéposé au verbe), davantage, moins, ne pas ... moins, de moins (plus) en moins (plus), (le) plus, (un) peu, que (antéposé), tout-à-fait, (ne pas) trop, ne pas ... du tout ...
b) [Intensité + qualité.] Aimer bien, entièrement, éperdument, exclusivement, extrêmement, faiblement, follement, fort(ement), furieusement, grandement, infiniment, passionnément, profondément, religieusement, sobrement, violemment, vivement ...
c) [Qualité.] Aimer librement, physiquement, réellement, simplement, tendrement, véritablement, vraiment ...
d) [Durée.] Aimer aujourd'hui, depuis longtemps, encore, instantanément, ne ... plus, toujours ...
2. Aimer + compl. prép.
a) Prép. de (marquant la nature du sentiment). Aimer d'amour, de charité, d'instinct, de tendresse.[Gén. avec un subst. déterminé par un adj.] Aimer d'un amour éternel, exclusif, indigne, indéfinissable, physique, sincère, tranquille, confiant; d'une affection participant de l'habitude; d'une passion absolue, infinie, profonde; d'une étrange tendresse.[Avec un subst. déterminé par l'adj. indéf. tout] Aimer de tout cœur, de toute son âme, de tout son cœur, de tout son esprit (cf. lang. biblique); aimer du fond de son âme, de son cœur...
b) Prép. avec. Aimer avec excès, fureur, ivresse, (une véritable) passion, (une) violence (impossible à exprimer) ...
c) Aimer à + subst. abstr. ou verbe à l'inf.Aimer à la folie, à l'adoration, à en perdre la tête ...
d) Autres prép. ou loc. prép. Aimer d'un point de vue strictement physique; aimer en toute générosité, en gens positifs; aimer jusqu'à la mort, jusqu'à la complicité de ses fautes, jusqu'à la fièvre; aimer par générosité; aimer par-dessus tout; aimer pour lui-même, pour son argent; aimer sans confiance... aimer comme un insensé, comme on peut ...
e) Compl. circ. sans prép.Aimer un instant, un temps ...
3. Subst. abstr. + de + aimer.Art d'aimer, besoin d'aimer, certitude d'aimer (ou d'être aimé), devoir d'aimer, façon(s) d'aimer, faculté d'aimer, impuissance d'aimer, joie d'aimer, manière d'aimer, pouvoir d'aimer, puissance d'aimer, volupté d'aimer, temps d'aimer ...
D.− Termes fréquemment associés.
1. Aimer + (quasi-) synonymes
a) Assoc. les plus fréq. (par ordre décroissant). Aimer/estimer, chérir, aimer/adorer, aimer/admirer ...
b) Autres assoc. Aimer/comprendre, aimer/combattre pour, aimer/cultiver, aimer/désirer, aimer/favoriser, aimer/goûter, aimer/plaire à, aimer/protéger, aimer/saisir, aimer/s'attacher à, aimer/s'amuser de, aimer/avoir du plaisir à, aimer/se rapprocher de.
2. Aimer + anton. Aimer/haïr, aimer/mépriser, aimer/s'irriter contre, faire aimer/éloigner ...
Prononc. − 1. Forme phon. : [eme], j'aime [ʒ ε:m]. On trouve également [εme], seul ou à côté de [eme], chez Barbeau-Rodhe 1930, Goug. 1969, Warn. 1968 (chez ce dernier avec la mention ,,sout.``). L'initiale reçoit une demi-longueur chez Passy 1914 et Barbeau-Rodhe 1930. Pour Nyrop Phonét. 1951, p. 74 l'alternance aime/aimer donne lieu, pour le phonème initial de aimer, ,,à un son intermédiaire entre [ε] et [e]``, moins long que le [ε] de aime. Il n'interprète pas le fait en termes d'harmonisation vocalique, comme le fait Grammont Prononc. 1958, p. 41. − Rem. Antérieurement à Passy 1914, les dict. indiquent pour l'initiale de aimer le timbre [e], à l'exception de Nod. 1844, Littré et DG. Enq. : /e2m/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : aimable, aimablement, aimablerie, aimance, aimant, aimé, aimeur, aimoir; désaimer, réaimer.
Étymol. ET HIST. − 1. Fin ixes. « avoir du goût (pour qqc.) » (Eulalie, éd. Förster et Koschwitz, 10 : La polle sempre n̄ amast lo dō menestrier); 1262-1268 aimer + inf. « se plaire à » (Brunet Latin, éd. Chabaille, 579 ds T.-L. : Li sages hom aime mieulx a estre sire que a sembler le); 2. mil. xies. « éprouver de l'amour (pour qqn, ici pour Dieu) » (Alexis, 50 e, éd. Paris : Plus aimet Deu que trestot son lignage); 3. 1160 « attacher du prix (à qqc.) » (Roman de Troie, éd. Constans, 11226 ds T.-L. : jusqu'à poi, s'il n'a aïe, Porra petit preisier [var. amer] sa vie); av. 1181 « estimer (à une valeur déterminée) » (Jehan Le Nevelon, La Vengeance d'Alex., éd. Schultz-Gora, 945, ibid. : Li mieudres n'ameroit son cors un seul denier), seulement en a. fr. Du lat. amare qui présente les acceptions 1 dep. Plaute (Poen. ds TLL s.v., 1954, 47 : damnum, quod Mercurius minime amat : namque edepol lucrum amare nullum amatorem addecet); amare + inf. (Hor., Carm., 1, 2, 50, ibid., 1956, 21 : hic ames dici pater atque princeps); 2 dep. Naveus, (Com., 37, ibid., 1951, 82 : nolo ego hanc adeo efflictim amare); avec notion d'estime dep. Ennius (Annal. frag., 269, ibid., 1952, 78 : spernitur orator bonus, horridus miles amatur). Mot de la lang. littér. remplacé dans les dial. par des loc. du type avoir chier, tenir chier. L'hyp. d'une collision entre aimer (succédant à amer par généralisation des formes fortes) et esmer (< lat. aestimare) qui aurait entraîné un glissement sur aimer des sens de esmer, amené ainsi à disparaître (Gilliéron, Généalogie des mots qui désignent l'abeille, Bibl. H. Études, CCXXVI, p. 267; hyp. reprise par J. Orr sur la base du m. fr. aimer chier ds Mél. Mario Roques, t. 1, 1951, pp. 217-227 et Three Studies in homonymics, Edinburgh, 1962), n'emporte pas pleinement la conviction, étant donné l'écart sém. notable entre aimer (même dans les cas précis où peut être notée une nuance d'estime, comme ds Rol., 306 et 635 et ceux où il est en relation avec prisier) et esmer, qui d'apr. les recensions ds Gdf. et T.-L. signifie avant tout « estimer » au sens matériel souvent suivi d'une indication numérique, jamais en relation avec le domaine des concepts, ni dans des syntagmes du type *esmer chier. (Meyer Lübke ds Lit. Blatt germ. rom. Philol., XI-XII, 382; C. A. Robson ds Fr. St., t. 8, pp. 57-58). Tout au plus 3 peut avoir subi l'infl. de l'a. fr. esmer (D. Griffin ds Language. Baltimore, t. 31, pp. 466-467).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 55 982. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 79 320, b) 85 283; xxes. : a) 79 911, b) 76 646.
BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bonnaire 1835. − Bruant 1901. − Caput 1969. − Cohen 1946, p. 8. − Darm. Vie 1932, pp. 10-11. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 16. − Dup. 1961. − Esn. 1966. − Fér. 1768. − Foulq.-St-Jean 1962. − France 1907. − Giese (W.). Myosotis, ein Beispiel volkstümlicher Namengebung. Beitr. rom. Philol. 1966, t. 5, no1, p. 170. − Gottsch. Redens. 1930, p. 69, 139, 159, 179, 187, 191, 204, 255, 396. − Gramm. t. 1 1789. − Guizot 1864. − Hanse 1949. − Kold. 1902. − Laf. 1878. − Laf. Suppl. 1878. − Larch. 1880. − Lav. Diffic. 1846. − Le Roux 1752. − Martin (E.). Quand le verbe aimer, dans le sens de « prendre plaisir à », est suivi d'un infinitif, [...]. Courrier (Le) de Vaugelas. 1872, no21, pp. 162-163. − Orr (J.). Le Français aimer. In : [Mélanges Roques (M.)]. Bade-Paris, 1950, t. 1, pp. 217-227 [Cr. Griffin (D.). Language. Baltimore. 1955, t. 31, p. 466]. − Orr. (J.). Three studies in homonymics. Edinburgh, 1962, pp. 65-80. − Sardou 1878. − Sommer 1882. − Sur quelques néologismes d'un nouvel académicien. Intermédiaire (L') des chercheurs et curieux. 1897, t. 35, no752, col. 139. − Synon. 1818. − Thomas 1956. − Timm. 1892. − Vinc. 1910.