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AIGUILLON, subst. masc.
A.− Bâton pointu ou armé d'une pointe métallique qui sert à piquer les bêtes de trait ou de somme (plus particulièrement les bœufs), pour les faire avancer :
1. La charrue était arrêtée au bout d'un sillon. Il y mena son attelage, le recula comme pour l'atteler, sans le faire, et planta en terre l'aiguillon devant les bêtes. Habituées à en redouter la pointe, contenues par le mince obstacle, les bêtes se tinrent immobiles. J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 2, 1928, p. 99.
2. Des aiguillons pointus servaient à piquer les esclaves, les bœufs, les ânes, les chevaux... Les cochers se servent notamment d'une grande tige rigide terminée par une pointe recourbée, assez longue pour atteindre la tête de l'attelage. Lavedan1964.
Au fig. [Avec un compl. prép. de indiquant soit ce qui stimule, soit ce qui est stimulé] L'intérêt est le seul aiguillon qui puisse le faire agir (Ac. 1798-1932) :
3. Qui comprendra pourquoi deux amants qui s'idolâtraient la veille, pour un mot mal interprété, s'écartent, l'un vers l'orient, l'autre vers l'occident, avec les aiguillons de la haine, de la vengeance, de l'amour et du remords, et ne se revoient plus, chacun drapé dans sa fierté solitaire? Lautréamont, Les Chants de Maldoror,1869, p. 139.
4. ... il entra catéchiser les Levaque à leur tour, si haut dans son rêve du triomphe final de l'église, ayant pour les faits un tel dédain, qu'il courait ainsi les corons, sans aumônes, les mains vides au travers de cette armée mourante de faim, en pauvre diable lui-même qui regardait la souffrance comme l'aiguillon du salut. É. Zola, Germinal,1885, pp. 1473-1474.
Rem. Cet emploi est noté ,,vieilli`` ds Rob.
L'aiguillon de la chair. Dans le langage de l'Écriture sainte : les tentations de la chair.
Rem. Cette expr. est la trad. littér. de stimulus carnis de Saint-Paul, II, Cor. 12,7, que l'exégèse mod. rend gén., d'apr. le gr. σ κ ο ́ λ ο ψ τ η ̃ σ α ρ κ ι ́, par « une écharde dans ma chair », dont l'interprétation traditionnelle par « concupiscence » est auj. loin d'être universellement acceptée.
Loc. proverbiale. À dur âne, dur aiguillon. ,,Il faut user de moyens énergiques avec une personne difficile à diriger.`` (Lar. 20e).
B.− SC. NATURELLES
1. BOT. Piquants qui naissent de l'écorce ou de l'épiderme de certaines plantes, distincts des épines qui sont un prolongement de la partie ligneuse de la plante :
5. En ce moment, la vieille femme rapporta l'aubépine. Stephen la lui prit des mains, en arracha les aiguillons et tressa une couronne qu'il mit sur les cheveux de Magdeleine. A. Karr, Sous les tilleuls,1832, p. 155.
6. Aiguillons. Sorte de productions épidermiques plus ou moins résistantes qui se développent sur diverses parties externes, aériennes, des végétaux, et qui parfois prennent un assez grand accroissement et tendent à devenir ligneuses. Les aiguillons diffèrent des épines en ce que, contrairement à celles-ci, on peut les détacher sans enlever les parties intérieures de l'écorce. Ainsi les rosiers, les Robinia, etc., portent des aiguillons et non des épines; ils sont une expansion du tissu épidermique qui devient subéreux, plus rarement ligneux. É.-A. Carrière, Encyclopédie horticole,1862, p. 12.
2. ZOOL. Appendice piquant dont sont munis certains insectes (synon. dard), animaux ou poissons, en particulier pour leur défense. L'aiguillon du scorpion (aussi appelé telson); les aiguillons du porc-épic :
7. Dans la raie bouclée, la disposition est à peu près la même; mais on remarque que les filets qui dans le squale-scie paroissent se terminer aux crochets du bec se terminent dans les boucles ou aiguillons dont sont armées diverses espèces de raies. G. Cuvier, Leçons d'anatomie comparée,t. 2, 1805, p. 222.
8. Chez les Requins, ces organes peuvent constituer en avant des nageoires impaires de puissants aiguillons protecteurs... E. Perrier, Traité de zoologie,t. 3, 1893, p. 2371.
9. Fantec appelle l'aiguillon d'une guêpe sa petite épingle. J. Renard, Journal,1893, p. 146.
10. L'ammophile hérissée donne neuf coups d'aiguillon successifs à neuf centres nerveux de sa chenille, ... H. Bergson, L'Évolution créatrice,1907, p. 173.
Rem. En terme ,,d'ichtyol. le mot désigne les osselets d'une seule pièce et pointus qui remplacent chez certains poissons, les rayons des nageoires``. (Quillet 1965; cf. ex. 7).
Au fig. Caractère piquant et douloureux d'une sensation physique ou morale. L'aiguillon de la douleur :
11. Il avait un esprit de finesse dont les pointes n'étaient pas toutes tournées au dehors, et bien souvent il se piquait lui-même aux aiguillons de sa critique. A. France, L'Orme du mail,1897, p. 157.
C. Divers
1. MIROITERIE. ,,Fausse direction du rabot à diamant sur une glace.`` (Chesn. 1857).
Rem. Attesté ds Ac. Compl. 1842, Besch. 1845.
2. VÉN. ,,Se dit de la pointe qui termine les fumées [fientes] des bêtes fauves.`` (Baudr. Chasses 1834).
Prononc. − 1. Forme phon. : [egɥijɔ ̃] ou [ε-]. Passy 1914, Harrap's 1963, Dub., Pt Rob., Pt Lar. 1968 transcrivent la 1resyllabe avec [e] fermé; Grég. 1923 note [ε] ouvert; Barbeau-Rodhe 1930 et Warn. 1968 donnent les 2 possibilités de prononc., l'une propre au lang. cour., l'autre propre au lang. soutenu (cf. aussi Fouché Prononc. 1959, p. 66). Pour l'hist. de la prononc., cf. aiguille. − Rem. Fér. 1768 transcrit éghi-glion, Fér. Crit. t. 1 1787 rectifie ,,Égu-glion, et non pas éghi-glion comme on dit dans le Dict. gramm.`` Enq. : /egɥijõ/. 2. Dér. et composés : aiguillonnant, aiguillonnement, aiguillonner, aiguillonneur, aiguillonneux, aiguillonnier.
Étymol. ET HIST. − 1. Mil. xies. « tige de fer aiguë qu'on fixe à l'extrémité d'un bâton et dont on pique les bœufs pour les exciter » (Voy. de Charlem., 286 ds Gdf. Compl. : Il ne vait mie a piet, l'aguillun en sa main); d'où fig. 1174 « ce qui pique, incite à agir » (Vie de S. Thomas, éd. Bekker, 81 b, 23 ds T.-L. : Il ad a governer une gent pauteniere; S'ele aveit liu e aise, l'aguilun ad deriere); xiiies. « id. » (en parlant d'un sentiment) » (Greg., Sermons sur Ezéchiel, éd. Hofmann, 35, 33, ibid. : par l'awillon d'iror vencuz -iracundiae stimulis victus-); 2. p. ext. a) xiiies. « crochet à venin du serpent » (Roman du Comte de Poitiers, éd. F. Michel, 31, ibid. : Li serpens est a lui venus... Son aguillon li a jeté); b) 1567 entomol. « dard d'une guêpe » (Amyot, Périclès, 36 ds Hug. : Le peuple laissa le courroux qu'il avoit contre luy, ne plus ne moins que la mousche guespe laisse l'aguillon en donnant le coup); c) 1606 « piquants du hérisson » (Nicot : Aguillons des herissons et porcs espis, spinae); d'où 1771 hist. nat., Trév. : [...] On a aussi donné le nom d'aiguillon [...] aux parties osseuses et pointues qui sont dans les nageoires, & sur d'autres parties du corps de la plûpart des poissons; d) 1771 bot. (ibid. : Aiguillon. Aculeus en Botanique, c'est, suivant Linnaeus, une pointe fragile, qui est si peu adhérente à la plante, qu'on peut la détacher aisément, sans rien déchirer. Cette circonstance la distingue de l'épine : mais communément ce mot se dit des pointes qu'on trouve autour des feuilles, ou sur les feuilles, comme sont celles des feuilles de choux); e) 1752 chasse (Trév. [...] Ce sont les fientes & les fumées des bêtes fauves qui ont une pointe au bout [...] Ces fumées ont des aiguillons). − 1863, Littré; f) 1838 technol., (Ac. Compl. 1842 : Aiguillon [...] Fausse direction du diamant à rabot sur une glace); sens repris ds Besch. 1845 uniquement; 3. xives. « sommet » (Froiss., Poés., II, 166, 156, Scheler ds Gdf. : Tant alammes a ceste fois Devant nous a l'escantillon Que, droitement en l'aguillon D'un terne gracieus et cointe), attest. isolée. Du lat. vulg. acŭleōnem, acc. de aculeo, attesté ds les Gloses de Reichenau (gloss. alphabétique, éd. Klein-Labhardt, 111, p. 153 : aculeus : aculionis). Pour la prononc. ül devenue üil au xvies. et a- initial devenu ai-, même explication que pour aiguille* d'apr. Fouché; cette hyp. rend caduque celle de Förster ds Z. rom Philol., 3, 515 qui suppose un lat. *aquilionem.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 435. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 732, b) 738; xxes. : a) 530, b) 510.
BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Bar 1960. − Baudr. Chasses 1834. − Baudr. Pêches 1827. − Bél. 1957. − Bible 1912. − Boiss.8. − Bonnaire 1835. − Bouillet 1859. − Bréz. Pierre 1968. − Chesn. 1857. − Daire 1759. − Fér. 1768. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 70. − Lavedan 1964. − Littré-Robin 1865. − Marcel 1938. − Mont. 1967. − Nysten 1814-20. − Prév. 1755. − Privat-Foc. 1870. − Séguy 1967.