| AGONIE, subst. fém. A.− Littér. Extrême souffrance morale entraînant un très grand abattement spirituel, et parfois certaines répercussions physiques, mais non nécessairement la mort immédiate. Synon. angoisse, détresse, tourment. 1. [En parlant de la veille du Christ au jardin des Oliviers] a) [Sans compl.] :
1. ... je me reportai en pensée à cette nuit, veille de la rédemption du genre humain, où le Messager divin avait bu jusqu'à la lie le calice de l'agonie, avant de recevoir la mort de la main des hommes, (...). (...) je me représentai l'océan d'angoisses qui dut inonder le cœur du Fils de l'homme quand il contempla d'un seul regard toutes les misères, toutes les ténèbres, toutes les amertumes, toutes les vanités, toutes les iniquités du sort de l'homme (...); quand, reculant d'effroi devant l'ombre de la mort qu'il sentait déjà sur lui, il dit à son père : « Que ce calice passe loin de moi!»
A. de Lamartine, Voyage en Orient,t. 1, 1835, pp. 424-425. 2. − Seigneur Jésus, ayez pitié de moi! Il est écrit dans votre Livre que vous avez eu peur en votre Agonie, lorsque votre âme était triste jusqu'à la mort, et que vous avez eu peur jusqu'à suer le sang.
L. Bloy, La Femme pauvre,1897, p. 189. 3. Étant le Fils de Dieu, Jésus connaissait tout,
Et le Sauveur savait que ce Judas, qu'il aime,
Il ne le savait pas, se donnant tout entier.
Et c'est alors qu'il sut la souffrance infinie,
C'est alors qu'il connut, c'est alors qu'il apprit,
C'est alors qu'il sentit l'infinie agonie,
Et cria comme un fou l'épouvantable angoisse,
Clameur dont chancela Marie encor debout,
Et par pitié du Père il eut sa mort humaine.
Ch. Péguy, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc,1910, p. 126. 4. ... la divinité, abandonnant ostensiblement ses privilèges traditionnels, a vécu jusqu'au bout, désespoir inclus, l'angoisse de la mort. On s'explique ainsi le Lama sabactani et le doute affreux du Christ à l'agonie. L'agonie serait légère si elle était soutenue par l'espoir éternel. Pour que le dieu soit un homme, il faut qu'il désespère.
A. Camus, L'Homme révolté,1951, pp. 50-51. b) [Avec compl.] :
5. Agonie du Christ. Saint Luc, XXII, 43, se sert de cette expression pour rendre l'angoisse du Christ, lorsqu'il priait à l'écart au jardin des Oliviers, avant d'être arrêté par les Juifs (...). Ce terme α
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γ
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ν
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α ne se trouve point dans d'autres passages de la Sainte Écriture. Il désignait, chez les écrivains profanes, les luttes des exercices gymnastiques, ou encore l'émotion et l'angoisse des lutteurs avant le combat, ou en général les agitations violentes de l'âme. Dans saint Luc, il exprime l'angoisse éprouvée par Jésus dans l'appréhension de sa passion ...
Théol. cath.t. 1, 11909, pp. 615, 619. 2. P. ext. [Appliqué par hyperb., notamment au domaine de la passion amoureuse] a) [Sans compl.] :
6. Si je vous savais parti pour Toulon, à l'instant je me tuerais et tout serait dit. Si je savais que vous ne venez pas ici, je partirais pour Londres, non pour y vivre avec vous, mais pour mourir après vous avoir vu, vous avoir accablé de votre ingratitude, du spectacle de ma passion pour vous et des tourments éternels qu'elle me causera jusque dans le tombeau. Mais hésitant entre l'homme que j'ai cru connaître et celui qui se montre à moi depuis deux mois, mon agonie se prolonge et la mort se diversifie sous toutes les formes de mon désespoir.
G. de Staël, Correspondance générale,Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1793, p. 191. 7. L'on pleure le cadavre et l'on panse la plaie,
L'âme se brise et meurt sans que nul s'en effraie
Et lui dresse un tombeau.
Et cependant il est d'horribles agonies
Qu'on ne saura jamais; des douleurs infinies
Que l'on n'aperçoit pas.
Il est plus d'une croix au calvaire de l'âme.
T. Gautier, La Comédie de la mort,1838, p. 25. 8. Les bourgeois ne se doutent guère que nous leur servons notre cœur. La race des gladiateurs n'est pas morte, tout artiste en est un. Il amuse le public avec ses agonies.
G. Flaubert, Correspondance,1859, p. 340. 9. Point d'amis, point de relations, tout fermé!... Ce silence si bien organisé contre tous ceux qui veulent manger au gâteau de la publicité, ces tristesses et ces navrements qui me prenaient pendant ces années lentes où je battais l'écho sans pouvoir lui apprendre mon nom!... Ah! cette agonie muette, intérieure, sans autres témoins que l'amour-propre qui saigne et le cœur qui défaille! Cette agonie monotone et sans événement, écrite sur le moment, sur le vif des souffrances, ce serait une bien belle étude que personne ne fera, parce qu'un rien de succès...
E. et J. de Goncourt, Charles Demailly,1860, p. 87. 10. Vous qui souffrez parce que vous aimez, aimez plus encore. Mourir d'amour, c'est en vivre. Aimez. Une sombre transfiguration étoilée est mêlée à ce supplice. Il y a de l'extase dans l'agonie.
V. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, pp. 134-135. b) [Avec compl.] :
11. Avoir sans cesse le corps inactif, la tête agitée, l'âme malheureuse, et n'échapper que fort mal dans le sommeil même à ce sentiment d'amertumes, de contrainte, et d'ennuis inquiets, c'est la lente agonie du cœur...
E. de Senancour, Obermann,t. 1, 1840, p. 208. 12. Les religieuses de Port-Royal de Paris le signèrent non sans difficulté le 23 juin; j'ai dit ailleurs les peines qu'il causa au monastère des Champs, où l'on était moins bien informé, et les douloureuses angoisses, l'agonie de conscience de la sœur de Sainte-Euphémie (Pascal), qui mourut à la suite de cette lutte intérieure.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 29. 13. La mort dont tous les dramaturges avaient tant abusé, il l'avait, en quelque sorte, aiguisée, rendue autre, en y introduisant un élément algébrique et surhumain; mais c'était, à vrai dire, moins l'agonie réelle du moribond qu'il décrivait, que l'agonie morale du survivant hanté, devant le lamentable lit, par les monstrueuses hallucinations qu'engendrent la douleur et la fatigue. Avec une fascination atroce, il s'appesantissait sur les actes de l'épouvante, sur les craquements de la volonté, ...
J.-K. Huysmans, À rebours,1884, pp. 253-254. 14. À bout de force morale et physique, le major se délassait là, anéanti, terrassé par une tristesse, une désolation immense, dans une de ces minutes d'agonie du praticien qui se sent impuissant. Celui-ci pourtant était un solide, une peau dure et un cœur ferme. Mais il venait d'être touché par l'« à quoi bon? » Le sentiment qu'il ne ferait jamais tout, qu'il ne pouvait pas tout faire, l'avait brusquement paralysé. À quoi bon? puisque la mort serait quand même la plus forte!
É. Zola, La Débâcle,1892, pp. 339-340. 15. ... pourtant sa résistance devait encore durer quatre années : il essaya de tous les moyens et dut abandonner l'une après l'autre des armes qui ne lui servaient à rien. Ce fut la grande crise de sa vie, cette agonie de la pensée dont Arthur Rimbaud a écrit : « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes. »
H. Massis, Jugements,t. 2, 1924, p. 269. B.− Courant 1. [Chez un être vivant] État transitoire correspondant aux derniers instants de la vie et qui peut prendre l'apparence d'une lutte contre la mort lorsqu'il s'accompagne d'une agitation convulsive ou de réactions psychologiques telles que peur, refus, etc. a) [En parlant d'une pers.] − [Sans compl.] :
16. ... le médecin avait dit à Stephen : « Votre parent ne passera pas la journée, vous le verrez mourir au soleil couchant. » Jusque-là, Stephen avait désiré sa mort, car, depuis quelques jours, le pauvre homme souffrait d'horribles tortures, et, si le jeune homme en eût eu la facilité, peut-être l'eût-il empoisonné pour terminer son agonie. Mais, en ce moment, cette séparation de la vie et du corps a quelque chose de terrible et d'imposant à quoi l'on ne saurait résister. (...) Stephen tenait les yeux fixés sur le soleil qui descendait derrière une maison en face, de temps en temps les reportait sur le mourant qui râlait; déjà ses pieds et ses mains étaient morts, sa voix était morte et son regard mort : ce râle semblait le reste de sa vie qui cherchait à se rapprocher de la bouche pour s'échapper dans un dernier souffle. (...) Ce fut seulement quatre heures après que ses yeux restèrent ouverts, que son cœur cessa de battre et le râle de se faire entendre.
− Allons, dit Stephen, il ne souffre plus!
Et longtemps il resta le regard attaché sur cette figure livide et inanimée.
− Tout est fini, répéta-t-il.
A. Karr, Sous les tilleuls,1832, pp. 127-128. 17. ... quant au fugitif, il resta couché, se débattant dans les convulsions de l'agonie. (...) Il venait d'expirer les poings fermés, la bouche contractée par la douleur, et les cheveux hérissés sous la sueur de l'agonie.
A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 456. 18. Ce fut son dernier moment lucide. Il s'affaissa sur lui-même et n'eut plus qu'une sorte de somnolence remuée par le souffle affaibli de sa respiration. Le docteur Lanère le regardait attentivement; il suivait sur son bras les dégradations du pouls.
− Voici l'agonie, me dit-il.
Quelquefois Sylvius rouvrait les yeux, mais il ne parlait plus.
− Avez-vous déjà vu mourir? me demanda le docteur Lanère.
− Souvent, répondis-je.
− C'est un bon spectacle, reprit-il, et je ne sais pas trop ce qu'on peut y voir d'effrayant.
M. Du Camp, Mémoires d'un suicidé,1853, p. 240. 19. Les gens comme moi, qui ont observé beaucoup d'agonies et qui réfléchissent, ne peuvent pas croire à une autre vie. Non, non, quand on voit chez des êtres intelligents s'en aller peu à peu l'esprit, la grâce, le sentiment, tout ce qui fait l'être humain, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus sur le lit de douleur qu'une pauvre brute stupide et vagissante, on a conscience d'assister à la dissolution lamentable d'une créature et non à son glorieux départ.
F. de Curel, La Nouvelle Idole,1899, I, 6, pp. 181-182. 20. Il n'y a aucun rapport entre la pensée de la mort et les convulsions de la chair et de l'âme qui se débat et meurt. Tout le langage humain, toute la sagesse humaine, n'est qu'un guignol de raides automates, auprès de l'éblouissement funèbre de la réalité, − ces misérables êtres de boue et de sang, dont tout le vain effort est de fixer une vie, qui pourrit, d'heure en heure. Christophe y pensait, jour et nuit. Les souvenirs de l'agonie le poursuivaient; il entendait l'horrible respiration.
R. Rolland, Jean-Christophe,Le Matin, 1904, p. 130. 21. J'étais seul dans cette grande chambre, seul avec elle, assistant au solennel envahissement de la mort, et j'écoutais en moi l'écho des battements inquiets de ce cœur qui ne voulait pas renoncer. Comme il luttait encore! J'avais été témoin déjà d'autres agonies, mais qui ne m'avaient point paru si pathétiques, soit qu'elles me semblassent plus conclusives et achever plus naturellement une vie, soit simplement que je les regardasse avec moins de fixité. Il était certain que maman ne reprendrait pas connaissance, de sorte que je ne me souciai pas d'appeler mes tantes auprès d'elle; j'étais jaloux de rester seul à la veiller. Marie et moi nous l'assistâmes dans ses derniers instants, et lorsqu'enfin son cœur cessa de battre, je sentis s'abîmer tout mon être dans un gouffre d'amour, de détresse et de liberté.
A. Gide, Si le grain ne meurt,1924, pp. 611-612. 22. Des Cigales époumoné regarde le plafond avec exaltation; il a l'air parti. Kidnappé par cette expérience de l'agonie, il sue et crispe les doigts convulsivement. On dirait qu'il va mourir, ses yeux semblent montrer qu'il se trouve déjà bien loin. Non il ne mourra pas, non il ne mourra pas, des minutes passent navrantes mais peu à peu l'étouffement cesse, la carapace qui se rapetissait écrasant sa poitrine se dissout, il parvient de temps à autre à réussir une longue inspiration, des minutes passent encore, Des Cigales étendu tout de son long respire à peu près correctement, ...
R. Queneau, Loin de Rueil,1944, pp. 24-25. 23. ... en dépit ou à cause de son pathétique extrême qui se répercute jusque dans mes entrailles, l'agonie ruine toute pensée; un gros premier plan offusque la méditation; l'agonie n'est pas la fin, mais la lutte pour la fin, vers la fin; à cette lutte nous participons, aidant le moribond à lutter (comme dit Heidegger, nous n'assistons pas à la mort, nous assistons le mort), à moins que, frappés de stupeur, nous ne soyons résumés dans l'attente horrible que la mort vienne enfin rompre de son silence et de sa paix le tumulte de l'agonie : autre chose est le dernier acte, autre chose le dénouement.
P. Ricœur, Philosophie de la volonté,1949, p. 432. − [Avec compl.] :
24. ... la femme naturelle (...) ne craint point la mort. Ce moment, si redouté, n'existe pas pour elle; elle n'en a point d'idée, son dernier moment est aussi serein que tous les autres; elle finit plutôt qu'elle ne meurt, mais elle se laisse aller sans se défendre; si elle a l'agonie du corps, elle n'a pas celle de l'esprit; elle est exempte des terreurs de tout genre qui, parmi nous, ne cessent d'assiéger les mourants.
P.-A. de Laclos, De l'Éducation des femmes,1803, p. 444. 25. Avant d'être fixé sur mon sort, la crainte m'est venue plus d'une fois de ne pas savoir mourir, le moment venu, (...). Les agonies de moines ou de religieuses ne sont pas toujours les plus résignées, affirme-t-on. Ce scrupule me laisse aujourd'hui en repos. J'entends bien qu'un homme sûr de lui-même, de son courage, puisse désirer faire de son agonie une chose parfaite, accomplie. Faute de mieux, la mienne sera ce qu'elle pourra, rien de plus. (...) l'agonie humaine est d'abord un acte d'amour.
G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1256. Rem. 1. L'agonie est caractérisée par les signes cliniques suiv. : ralentissement de la circulation entraînant une irrigation cérébrale insuffisante et certaines perturbations de conscience, ou même le délire (quoique dans certains cas le malade reste en pleine possession de ses facultés mentales) (ex. 18, 19, 21); petitesse et intermittence du pouls (ex. 18); extinction graduelle de la chaleur animale depuis les extrémités jusqu'au tronc (ex. 16); trouble de la vue, aspect terne de la cornée (ex. 16, 22); abolition progressive du mouvement (ex. 17, 20, 22); altération profonde de la physionomie (ex. 16, 17); gargouillement des liquides dans l'œsophage; sécheresse et lividité des lèvres, de la langue, aphonie (ex. 16); râle trachéal (ex. 16); affaiblissement et arrêt de la respiration, puis du cœur après ultime amélioration trompeuse de l'état gén. (ex. 16, 18, 21, 22). 2. Qq. ex. stylistiquement intéressants de l'emploi plur. qui s'applique à des pers. (ex. 26) ou à des détails du corps humain (ex. 27) : 26. Nous retournons à l'hôpital à quatre heures, pour entendre la prière; et à cette voix grêle, virginale, aiguë et tout à la fois chantante de la novice à genoux, disant à Dieu les remerciements de toutes ces souffrances et de toutes ces agonies, qui se soulèvent sur leurs lits ou rampent jusqu'à l'autel, les larmes, par deux fois, nous montent aux yeux ...
E. et J. de Goncourt, Journal,déc. 1860, p. 861. 27. Le pâle émail des yeux usés
S'était fendu en agonies
Minuscules, mais infinies,
Sous les sourcils martyrisés.
Le front avait été l'éclair,
Avant que les pâles années
N'eussent rivé les destinées,
Sur ce bloc mort de morne chair.
É. Verhaeren, Les Villes tentaculaires,1895, pp. 182-183. − P. ext. [En parlant d'une collectivité humaine] :
28. Eh quoi! Lorsqu'un peuple est arrivé à ce point; lorsque, arraché à ses anciennes mœurs et à ses anciennes lois par une force invincible, et incertain de son existence, il endort sa lâche agonie dans les bras des jongleurs hypocrites qui le caressent pour hériter de ses dernières dépouilles; lorsque la société, si près de sa ruine, ne repose presque plus parmi les méchants que sur des intérêts, parmi les honnêtes gens que sur quelques règles de morale qui vont cesser d'exister, il sera interdit à l'homme fort qui trouve en lui, et dans l'impulsion qu'il est capable de donner aux autres, la garantie, la seule garantie des droits de l'espèce entière, ... il lui sera défendu de rassembler toutes ses facultés contre l'ascendant de la destruction, ...
Ch. Nodier, Jean Sbogar,1818, p. 167. 29. Ma vocation est définitivement pour l'hôpital où gît la vieille société. Elle fait semblant de vivre et n'en est pas moins à l'agonie. Quand elle sera expirée, elle se décomposera afin de se reproduire sous des formes nouvelles, mais il faut d'abord qu'elle succombe; la première nécessité pour les peuples, comme pour les hommes, est de mourir ...
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 243. b) [En parlant d'un animal, gén. domestique] :
30. C'était un gros brochet, moins gros pourtant qu'on ne l'aurait cru, à en juger par sa force et les secousses terribles qu'il donnait à la cordelette. Mais c'était tout de même une belle pièce. Il sautait sur le fond de la barque, parmi les avirons et les crocs, se débattant dans les soubresauts de l'agonie; ses ouïes palpitaient, s'ouvraient toutes grandes, et parfois il béait largement la gueule, (...) il s'épuisait en efforts impuissants, étouffant dans l'air mortel.
É. Moselly, Terres lorraines,1907, p. 180. 31. ... le cheval blessé vous apitoie parce que vous le voyez; il mourrait derrière un mur, cela vous serait égal; il mourrait un peu loin, à cent mètres de vous, cela vous serait égal. Et il vous apitoie parce qu'il est gros : il serait grand comme une mouche, vous vous moqueriez de son agonie, comme vous vous moquez de celle des mouches qui meurent lentement, étouffées dans la glu de vos papiers collants.
H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 447. c) [En parlant d'un végétal] − [Sans compl.] :
32. Le vieux pommier va mourir. C'est même pour cela que je suis triste à pleurer. Est-ce que ce serait inconvenant de dire les prières des morts pour un arbre à l'agonie? Moi, quand un de nos arbres meurt, j'ai envie de prendre le deuil.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 199. − [Avec compl.] :
33. Ce pleur épais au long d'une bûche, c'est l'agonie d'un très ancien sapin, que le lierre patient a tué. J'ai vu l'arbre, la cognée, une rousse chevelure morte abattue dans l'herbe, il n'y a pas longtemps. Son tronc pleure une résine qui se traîne en bave, puis en flamme rampante et lourde, mais la rousse chevelure sèche casse en traits de feu vif, ...
Colette, Sept dialogues de bêtes,1905, p. 113. d) P. anal. [En parlant d'obj. personnifiés] :
34. Un instant, elle parut débordée, vaincue. Mais, d'un dernier coup de reins, elle se délivra, avança de trente mètres encore. C'était la fin, la secousse de l'agonie : des paquets de neige retombaient, recouvraient les roues, toutes les pièces du mécanisme étaient envahies, liées une à une par des chaînes de glace. Et la Lison s'arrêta définitivement, expirante, dans le grand froid. Son souffle s'éteignit, elle était immobile, et morte.
É. Zola, La Bête humaine,1890, p. 152. 35. Juste au moment où le ciel était devenu très clair, très beau, tout plein d'étoiles, où la sirène venait de se taire, où la Devonia n'avait plus peur, la chose hypocrite et perfide lui creva le ventre, s'accrocha dans ses entrailles, et la fit basculer. La Devonia eut une agonie d'une demi-heure à peine, avec des spasmes et des sanglots. Mais ses sanglots étaient les explosions qui faisaient sauter ses cloisons étanches, et ses spasmes lui arrachaient la membrure. Paul et Armide n'eurent pas trop peur, pourtant, quand deux matelots en tricot bleu vinrent les prendre dans leurs bras pour les mettre dans un canot que ses palans largués firent aussitôt descendre à la mer.
P. Mille, Barnavaux et quelques femmes,1908, p. 273. e) Arg. S'offrir une agonie d'eau douce (G. Fustier, Suppl. au dict. de la langue verte d'A. Delvau, 1883, p. 536) : ,,se noyer.`` (G. Fustier, Suppl. au dict. de la langue verte d'A. Delvau, 1883, p. 536) : 36. Céline demeura triste. Elle songea bien à se jeter dans la Seine, mais elle se fit cette réflexion qu'elle souffrait déjà pour ce monstre d'homme et qu'il était bien inutile de souffrir davantage, en s'offrant une agonie d'eau douce.
J.-K. Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 51. 2. Au fig. Approche de la fin, stade précédant l'abolition finale. Synon. décadence, déclin. a) [En parlant d'une réalité humaine abstr.] − [Sans compl.] :
37. Ces « problèmes » qui passionnèrent l'humanité (...) cessent l'un après l'autre d'intéresser, non point parce que la solution est trouvée, mais parce que la vie s'en retire. Ils meurent dès qu'ils cessent d'être urgents, de sorte qu'on ne s'aperçoit même pas qu'ils meurent, car ils n'ont pas d'agonie, mais bien seulement : qu'ils sont morts.
A. Gide, Journal,1930, p. 968. − [Avec compl.] :
38. En effet, la décadence d'une littérature, irréparablement atteinte dans son organisme, affaiblie par l'âge des idées, épuisée par les excès de la syntaxe, sensible seulement aux curiosités qui enfièvrent les malades et cependant pressée de tout exprimer à son déclin, acharnée à vouloir réparer toutes les omissions de jouissance, à léguer les plus subtils souvenirs de douleur, à son lit de mort, s'était incarnée en Mallarmé, de la façon la plus consommée et la plus exquise. C'étaient, poussées jusqu'à leur dernière expression, les quintessences de Baudelaire et de Poe; c'étaient leurs fines et puissantes substances encore distillées et dégageant de nouveaux fumets, de nouvelles ivresses. C'était l'agonie de la vieille langue qui, après s'être persillée de siècle en siècle, finissait par se dissoudre, par atteindre ce deliquium de la langue latine qui expira dans les mystérieux concepts et les énigmatiques expressions de saint Boniface et de saint Adhelme. Au demeurant, la décomposition de la langue française s'était faite d'un coup.
J.-K. Huysmans, À rebours,1884, pp. 265-266. 39. Cet ennui, certes, n'est pas un mal tout à fait vulgaire, il n'est pas non plus un mal continu. Il procède par accès et noie d'une vapeur de détresse les victimes, souvent grandioses, de ses funèbres atteintes. Toute sa vie durant, Gautier s'est essayé à tromper cet ennui-là et Flaubert aussi, et Baudelaire qui a si cruellement décrit ses affres en nous et cette agonie secrète de la puissance du bonheur...
P. Bourget, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine,1885, p. 74. 40. À mesure qu'elle donnait à sa ferveur religieuse toute liberté de s'exprimer, cette ferveur l'abandonnait. Sans le savoir, cet enfant avait assisté à l'agonie de sa piété; c'étaient les cris de cette piété mourante qu'il avait entendus.
V. Larbaud, Fermina Marquez,1911, p. 189. b) [En parlant d'une entreprise, d'une chose créée par l'homme] − [Sans compl.] :
41. Et la fumée entraîne en ses molles spirales
L'âme s'exténuant des cloches vespérales
Qui s'éteint avec elle en très lente agonie;
Et tout le triste doux d'une chose finie
Et tout le triste doux d'une chose en allée
Subsiste après ce bleu de vapeur exhalée
Comme si la fumée, on savait qu'elle porte
Un linceul impalpable à quelque étoile morte!
G. Rodenbach, Le Règne du silence,1891, pp. 220-221. − [Avec compl.] :
42. Rien ne sauve les empires destinés à périr. Les grandeurs grecques et romaines se sont éclipsées au jour fixé par le sort; rien n'a pu reculer cette chute, ni les conseils de quelques philosophes, ni la vertu de quelques empereurs. L'étoile des Paturot était destinée à disparaître de l'horizon de la bonneterie; le dévouement de ma femme ne pouvait pas arrêter ce déclin. Dans les heures d'agonie du commerce de détail, il y eut, grâce à elle, des lueurs inespérées, des retours de vitalité extraordinaires.
L. Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 398. c) [En parlant du temps, de la durée, notamment du jour] − [Sans compl.] :
43. J'appris les matins ingénus, et la mélancolie crépusculaire, les triomphes et les déclins, les renouveaux, les agonies.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 126. − [Avec compl.] :
44. Je vous écris dans la dernière heure de 1833. Il y a je ne sais quelle tristesse solennelle dans cette agonie de l'année. J'ai le cœur plein de pensées étranges et lamentables, car la tempête rugit au dehors, et l'année expire dans les convulsions d'une nuit sombre et orageuse.
M. de Guérin, Journal intime,2 janv. 1834, p. 193. 45. Crépuscule, comme vous êtes doux et tendre! Les lueurs roses qui traînent encore à l'horizon comme l'agonie du jour sous l'oppression victorieuse de sa nuit, les feux des candélabres qui font des taches d'un rouge opaque sur les dernières gloires du couchant, les lourdes draperies qu'une main invisible attire des profondeurs de l'orient, imitent tous les sentiments compliqués qui luttent dans le cœur de l'homme aux heures solennelles de la vie.
Ch. Baudelaire, Petits poèmes en prose,Le Crépuscule du soir, 1867, p. 107. Rem. 1. Syntagmes fréq. a) Adj. atroce, douloureux, interminable, lent, long, moral, muet, suprême; b) Subst. cœur, convulsion, heure, sueurs; c) Verbes assister, durer, entrer, être, (se) prolonger. 2. Assoc. paradigm. fréq. âme, angoisse, chute, cœur, crainte, cri, décadence, déclin, détresse, douleur, extrémité, fin, heure, hoquet, lit, (dernier) moment, mort, nuit, râle. Prononc. − 1. Forme phon. : [agɔni]. Enq. : /agoni/. 2. Dér. et composés : agonal, agonales, agônarque (cf. Lar. encyclop.), agonique, agonisant, agoniser, agoniste, agonistie, agonistique, agonothète. Étymol. ET HIST. − 1. a) Ca 1160 aigoine « angoisse » (Alexandre le Grand, ms. de l'Arsenal 5 ds T.-L. : Del fil Felip lo rei de Macedoine Qui... E tot lo mont mist en si grant aigoine); b) 1597 réfection sav. agonie « id. » (G. Bouchet, Serees II, 115 ds Gdf. Compl. : [...] Estant en ceste agonie, il entend rire sa femme); sens vieilli apr. le xvies. (cf. Hug. et Dub.-Lag. 1960); 2. spéc. 1559 « angoisse du moribond et son dernier combat contre la mort » (Amyot, Sylla 175 ds Gdf. Compl. : Il passa la nuict en grande agonie) mais on trouve encore en 1580 ds Montaigne la précision agonie de la mort (Hug.).
Au sens 1 empr. au gr. α
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γ
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ν
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α « lutte dans les jeux, puis en gén., d'où agitation, angoisse » (cf. Bailly); au sens 2 empr. au lat. chrét. agonia (du même mot gr.) « angoisse » et p. ext. « angoisse de la mort » (Vulgate, Luc 22, 43 ds Blaise 1954 : et factus in agonia prolixius orabat). STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 664. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 1 764, b) 2 786; xxes. : a) 3 435, b) 2 012. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bible 1912. − Boiss.8. − Bouillet 1859. − Bouyer 1963. − Bruant 1901. − Daire 1759. − Dheilly 1964. − Divin. 1964. − Dup. 1961. − Fér. 1768. − Garnier-Del. 1961 [1958]. − Gay t. 1 1967 [1887]. − Laf. Suppl. 1878. − Lar. méd. 1970. − Littré-Robin 1865. − Marcel 1938. − Nysten 1814-20. − Prév. 1755. − Théol. cath. Tables gén. t. 1 1951. |