| AGIOTEUR, EUSE, subst. et adj. A.− Emploi subst. (rare au fém.). 1. Vx. Nom donné à des banquiers du début du dix-huitième siècle spécialisés dans le commerce des effets publics (cf. agiotage A) : 1. Duhautchamp, Hist. des finances pendant la minorité de Louis XV, raconte que, lorsque le papier s'introduisit, pendant la guerre qui suivit la paix de Ryswic, certains courtiers s'établirent dans la rue Quincampoix, sous le nom de banquiers, pour faire le commerce des papiers publics (...) à bureau ouvert; on les appela agioteurs.
Littré. Rem. Dans Les Agioteurs, pièce de Dancourt (1710), ,,l'agioteur (...) est défini un homme qui change le papier en argent et l'argent en papier.`` (Littré). 2. Péj. Celui ou celle qui se livre à l'agiotage (cf. agiotage B). Synon. spéculateur, accapareur, usurier : 2. Les capitalistes, les banquiers, les agioteurs, se trouvant porteurs d'une très grande partie des effets royaux, rien ne lui paraît plus sérieux que d'assurer le paiement de ces créanciers de l'État, que de ne soumettre jamais à aucune retenue le paiement des intérêts; il rappelle à cet égard le vœu de l'Assemblée nationale, et, il la presse de le remplir.
Marat, Les Pamphlets,Dénonciation contre Necker, 1790, p. 98. 3. Une loi du 3 fructidor an 3 (30 novembre 1795), qui déclarait agioteurs tous ceux qui vendraient des marchandises dont, au moment de la vente, ils ne seraient pas propriétaires, ceux qui vendraient sur les lieux publics, autres que la Bourse, des marchandises qui n'y seraient pas exposées, de l'or et de l'argent, soit monnoyés, soit en barre, lingot, ou œuvrés, et les punissait de deux années de détention, de l'exposition publique avec écriteau sur la poitrine, portant en gros caractères ce mot agioteur, intimida un instant ces sangsues du peuple. La loi du 28 vendémiaire an 4, qui déclarait également agioteurs, et punissait comme tels, les agens-de-change qui prendraient aucune lettre-de-change pour leur compte, et tous les individus qui faisaient des négociations en blanc de lettres-de-change sur l'étranger, ou à terme ou prime de lettres-de-change sur l'étranger, avait également contribué à arrêter les désordres de l'agiotage; peu à peu, les agioteurs reprirent leurs habitudes avec plus d'impudence que jamais.
St-Edme t. 1 1824. 4. O siècle dégoûtant! siècle d'agioteurs,
De marchands, d'usuriers, de vils calculateurs!
A. Pommier, Colères,1844, p. 48. 5. ... les derniers volumes des Nuits de Paris [de Restif] sont pleins d'imprécations contre les agioteurs qui faisaient monter l'or à des prix fabuleux et anéantissaient les richesses en papier de la République.
G. de Nerval, Les Illuminés,1852, p. 289. 6. Ils profitent de ce que leur père leur a laissé quelque argent, qu'il tenait lui-même de son grand-père, pour vouloir en avoir plus encore. Ils savent bien que l'argent attire l'argent, asinus asinum fricat. Ils méprisent les agents de change et se font agioteurs pour s'augmenter un peu; ils dédaignent les banquiers et spéculent sur le trois-six; ils se feraient juifs, tout barons chrétiens qu'ils sont, s'ils devaient y trouver du bénéfice.
M. Du Camp, Mémoires d'un suicidé,1853, p. 266. 7. Tout le bruit, tout l'air respirable de la publicité est accaparé par des baladins grandioses, des charlatans, des magiciens, des agioteurs, des factotums enragés, des libellistes, des pamphlétaires, des faiseurs de systèmes, de miracles, d'affaires. Les hommes sont des appétits. C'est, en plein soleil, un défilé de ces personnages, de ces individualités qui poussent comme des champignons dans le crépuscule d'un monde qui finit, les organisations de décadence : ...
E. et J. de Goncourt, Journal,août 1859, pp. 625-626. 8. L'ami du peuple, Marat, est le plus fort pour découvrir leurs complots; il dénonce tout le monde : le roi, la reine, les princes, le clergé, la noblesse, les anciens parlements, la municipalité, le châtelet, les districts, l'état-major de la garde soldée, et M. Mottié, son général, comme il dit : les procureurs, les financiers, les agioteurs, les déprédateurs, les sangsues de l'État, et l'innombrable armée des ennemis du bien public.
Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 1, 1870, p. 343. 9. Les gens que la Révolution avait enrichis, paysans acquéreurs de biens nationaux, agioteurs, fournisseurs aux armées, croupiers du Palais-Royal, n'osaient encore montrer leur opulence et, d'ailleurs, ne se souciaient point de peinture.
A. France, Les Dieux ont soif,1912, p. 14. 10. Le mythomane pervers ne joue plus pour jouer. Il veut satisfaire une intention cupide, lubrique, passionnelle ou intéressée. On compte, dans ses rangs, les innombrables escrocs, agioteurs, escompteurs de fortunes fictives que les virtuosités techniques du capitalisme naissant ont armés d'un bel assortiment d'armes nouvelles.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 382. Rem. 1. Pour étudier les rapports entre accapareur, affameur, grugeur (vocab. de la Révolution), cf. affameur A 1 b et rem., ainsi que accapareur I, plus particulièrement ex. 5 et 9. 2. Brunot t. 9 1967, pp. 1080-1081, signale qu'on disait également agiotateurs (qui accentue la valeur péj. du mot) et même agio-législateurs : 11. Plus tard, la Caisse d'Escompte, qui avait rendu tant de services, fut supprimée. Les imprécations contre les agioteurs, dits aussi « agiotateurs », voire « agio-législateurs », ne cessèrent de pleuvoir comme grêle dans les Assemblées et dans les Clubs.
Brunot t. 9 1967, pp. 1080-1081. B.− Emploi adj. Qui se livre à l'agiotage; qui concerne l'agiotage : 12. Une trame financière, agioteuse et politique.
Barrère(Lar. 19e). 13. Des banquiers agioteurs.
Mirabeau(Lar. 19e). 14. Le règne de Louis-Philippe, vers sa fin, fournissait déjà de nombreux échantillons de lourde jeunesse épicurienne et de jeunesse agioteuse.
Ch. Baudelaire, L'Art romantique,1867, p. 568. Prononc. : [aʒjɔtœ:ʀ]. Étymol. ET HIST. − 1710 [datation du DG] fin. « personne qui se livre à l'agiotage » (Saint-Simon, éd. de 1842, chap. 286, p. 133 ds Littré : Les usuriers qui avaient gagné gros à trafiquer les papiers du roi, on appelait ces gens-là des agioteurs); 1710, 26 sept. (Mémoire de Le Bartz pour l'établissement d'une Banque générale à Paris ds Brunot t. 6, p. 169, note 2 : Ils [les caissiers] leur envoient [aux porteurs d'assignations sur le Trésor] des « agioteurs » pour leur demander s'ils ont des assignations sur une telle recette); très en usage dans les milieux financiers de la Régence (Brunot, loc. cit.) et pendant la Révolution de 1789; les agioteurs figurent dans la liste des groupes publiée dans les Semaines critiques ou Gestes de l'an V, t. 2, no15, p. 268-74, 3 juill. 1797 ds Brunot t. 9, p. 835, note 1.
Dér. du rad. de agioter*; suff. -eur2*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 42. BBG. − Barr. 1967. − Bél. 1957. − Blanche 1857. − Dub. Pol. 1962, p. 88. − Kuhn 1931, p. 118, 218. − Romeuf t. 1 1956. |