| AGIOTAGE, subst. masc. Action d'agioter. A.− Vx. Toutes opérations concernant le commerce de la monnaie-papier et des espèces métalliques (cf. agioteur A 1). B.− BOURSE, péj. Manœuvre de spéculateur ayant pour objet de provoquer la hausse ou la baisse des effets publics, des valeurs mobilières ou des marchandises (cf. agioteur A 2). Se ruiner à l'agiotage (Ac. 1835-1932), s'enrichir à l'agiotage (Ac. t. 1 1932) : 1. On y sent [dans le traité entre les grandes puissances et la Grèce] l'amour des Turcs, les défiances de l'Autriche, la peur de la guerre, la mercantille de la cité de Londres, et l'agiotage de la Bourse de Paris...
F.-R. de Chateaubriand, La Liberté de la presse,1822-1828, p. 282. 2. L'industrialisme est le ramas de tous les vices, falsification, monopole, banqueroute, agiotage, accaparement, usure; il est devenu depuis peu un levier d'agitation politique, un brandon de guerre civile et religieuse.
Ch. Fourier, Le Nouveau monde industriel,1830, p. 6. 3. On ne peut acheter et revendre sans y employer un capital; et l'on ne peut employer un capital sans qu'il en coûte un intérêt, indépendamment du déchet que peut subir la marchandise. C'est ainsi que l'agiotage sur les marchandises cause nécessairement une perte, soit à l'agioteur, si l'agiotage ne fait pas renchérir la denrée, soit au consommateur, s'il la fait renchérir.
J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832, p. 150. 4. Lorsque de telles ventes ont lieu d'une nation à une autre, la nation vendeuse de la marchandise qui a haussé, gagne le montant de l'augmentation, et la nation qui achète perd précisément autant. Il n'existe pas, en vertu d'une telle hausse, plus de richesse dans le monde; car il faudrait pour cela qu'il y eût quelque nouvelle utilité produite à laquelle on eût mis un prix. Dès-lors il faut bien que l'un perde ce que l'autre gagne; c'est aussi ce qui arrive dans toute espèce d'agiotage fondé sur les variations des valeurs entre elles.
J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832p. 332. 5. Quelques écrivains ont prétendu que l'agiotage était un moyen actif de circulation, et augmentait les richesses. Il y a mutation et non augmentation; car, comme on l'a déjà dit, avec l'agiotage il n'y a pas de profit pour une partie qu'il n'y ait perte pour l'autre. L'agiotage ne vit point pour lui-même, mais de la substance de l'industrie à laquelle il s'attache, et sa prospérité s'accroît en raison directe du malheur des temps.
Comm.t. 11837, p. 32-33. 6. La perspective que me faisait entrevoir Oscar était nouvelle pour moi; elle me frappa. Les jeux de bourse, l'agiotage sur les fonds publics pouvaient en effet me conduire à un retour de fortune. Il suffisait pour cela de bien calculer les chances et de prévoir les résultats des événements. Comme député, je pouvais être instruit de beaucoup de choses et obtenir, dans la primeur, une foule de renseignements précieux.
L. Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 401. 7. Comme du temps de Law, le sale agiotage Séduit à son appât des gens de tout étage.
A. Pommier, Colères,1844, p. 42. 8. Les Grecs éclairés ont reconnu l'excellence du système métrique; le gouvernement en a décrété l'emploi par tout le royaume : pourquoi faire une exception pour la monnaie? la pièce de cinq francs circulerait en Grèce comme en France, avec sa valeur vraie, sans être soumise à cet agiotage qui la fait hausser et baisser tous les jours.
E. About, La Grèce contemporaine,1854, p. 308. 9. Les objets d'art, aujourd'hui, ressemblent aux souliers et aux paquets de chandelles du Directoire. Ce n'est plus la chose de l'amateur, du pur collectionneur; c'est un pur agiotage, une valeur qu'on se passe de main en main, une circulation de plus-value parmi des brocanteurs millionnaires, se dépêchant de revendre, comme à un jeu de Petit bonhomme vit encore...
E. et J. de Goncourt, Journal,févr. 1868, pp. 409-410. 10. Travail français, épargne française, il [le gros manieur d'argent] les suspend à des titres de bourse, asservis eux-mêmes à un jeu subtil d'agiotage dont il possède tous les secrets.
M. Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme,t. 2, 1902, p. 182. − Par métaph. Possession illusoire ou incertaine : 11. Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion, mais le bonheur repose sur la vérité. Il n'y a qu'elle qui puisse nous donner celui dont la nature humaine est susceptible. L'homme heureux par l'illusion a sa fortune en agiotage; l'homme heureux par la vérité a sa fortune en fonds de terre et en bonnes constitutions.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 32. Rem. 1. Horace Say, cité ds Lar. 19e, établit ainsi la différence existant entre les termes de spéculation et agiotage. ,,La spéculation prend son cours naturel et se développe dans les pays libres et tranquilles; l'agiotage n'est jamais si actif que dans les temps de calamités et de troubles publics. La spéculation est une opération régulière; l'agiotage est un pari où les joueurs conservent l'arrière-pensée de tricher au besoin. La spéculation est un placement de capitaux fait avec intelligence par l'achat à bas prix de denrées ou de marchandises dans l'intention de les revendre plus tard, lorsque les prix s'élèvent (...). Dans l'agiotage, au contraire, l'achat se fait dans l'intention de revendre au plus tôt...`` Romeuf 1956-1958 résume cette différence et donne la coloration des deux mots dans cette phrase. ,,Lorsque le mot spéculation ne comportait pas de nuance péj., celle-ci était assumée par le mot agiotage.`` 2. Ac. 1835 et 1878 attachent une valeur péj. au mot (,,il se prend en mauvaise part``); Ac. t. 1 1932 supprime toute appréciation. C.− P. ext. 1. Toute espèce de manœuvre destinée à procurer de l'argent. Agiotage religieux : 12. Ceci me rappelle avoir entendu l'Empereur, au Conseil d'état, déclamer contre le casuel des ministres du culte, et faire ressortir l'indécence de les mettre dans le cas de marchander, disait-il, des objets sacrés, et pourtant indispensables. Il proposait donc de le détruire. « En rendant les actes de la religion gratuits, observait-il, nous relevons sa dignité, sa bienfaisance, sa charité; nous faisons beaucoup pour le petit peuple; et rien de plus naturel et de plus simple que de remplacer ce casuel par une imposition légale; car tout le monde naît, beaucoup se marient, et tous meurent; et voilà pourtant trois grands objets d'agiotage religieux qui me répugnent et que je voudrais faire disparaître... »
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 2, 1823, p. 344. 2. ,,Art de donner une valeur aux choses qui n'en ont qu'une précaire, et d'en ôter à celles qui en ont une intrinsèque...`` (Sticoti, Dict. des gens du monde, 1818). Prononc. : [aʒjɔta:ʒ]. Étymol. ET HIST. − 1710 fin., St Simon, Mém., éd. Chéruel, VIII, 157, datation du DG; 1715 « trafic malhonnête sur les effets publics, le cours des monnaies et des valeurs », (Buvat, Journal, I, 113 ds Brunot t. 6, p. 169, note 4 : à l'égard de ceux qui auraient acquis [ces billets] par « agiotage »); cf. 1720, (D'Aguesseau, Mém. sur le Commerce des Actions de la Compagnie des Indes ds Littré : Agiotage pourrait bien n'être autre chose, dans sa signification ordinaire, que la manière de gagner par l'agio; mais aujourd'hui il signifie cette espèce de commerce de papier qui ne consiste que dans l'industrie et dans le savoir-faire de celui qui l'exerce, par le moyen duquel il trouve le secret de faire tellement baisser ou hausser le prix du papier, qu'il puisse acheter à bon marché et revendre cher); très en usage dans les milieux financiers de la Régence (Brunot, loc. cit.) et pendant la Révolution de 1789 (cf. Clavière, Conv. nat., 5 octobre 1792 ds Brunot t. 9, p. 1081, note 4 : Les manœuvres de l'« agiotage conspirateur »).
Dér. du rad. de agioter*; suff. -age*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 47. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Banque 1963. − Bar 1960. − Baudhuin 1968. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Blanche 1857. − Boiss.8. − Cap. 1936. − Comm. t. 1. 1837. − Dub. Pol. 1962, p. 88. − Dup. 1961. − Fér. 1768. − Kuhn 1931, p. 118, 218. − Lar. Comm. 1930. − Lep. 1948. − Marcel 1938. − Pol. 1868. − Réau-Rond. 1951. − Romeuf t. 1. 1956. − St-Edme t. 1. 1824. − Théol. cath. t. 1, 1 1909. |