| AGACER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− Littér. ou péj. 1. Littér. [Le compl. désigne un obj., un être ou une partie d'être] Toucher légèrement de manière répétée, nerveuse : 1. Un de ses bras, mince et rond cependant, s'allongeait jusqu'au haut du manche avec une pose sculpturale, tandis que l'autre soutenait l'instrument et agaçait les cordes.
T. Gautier, Le Roman de la momie,1858, p. 199. 2. La Chinoise rêveuse assise dans sa jonque, Les yeux peints, et les bras ceints de perles d'Ophir, D'un ongle de rubis rose comme une conque Agace sur son front un oiseau de saphir.
T. de Banville, Odes funambulesques,La Ville enchantée, 1859, p. 39. 3. L'un [des matelots] agace son bec [de l'albatros] avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Ch. Baudelaire, Les Fleurs du Mal,1857-1861, p. 15. 2. Lang. commune. [Le compl. désigne une partie du corps hum. : organes des sens, système nerveux, etc.; le suj. désigne surtout une substance acide, un bruit aigu, un mouvement répété, etc.] Causer une sensation irritante et généralement désagréable parce que répétée et continue : 4. Nous reconnaissons irrévocablement, − on donnait Guillaume Tell, − que non seulement la musique nous ennuie, mais qu'elle nous agace. Elle est un bruit qui nous affecte désagréablement, un bruit qui nous paraît inharmonieux.
E. et J. de Goncourt, Journal,mars 1861, p. 886. 5. On était en juillet, et la chaleur était si grande, que ce jour-là deux hommes et cinq ou six chevaux étaient morts dans la rue, d'apoplexie. Les moustiques s'élevaient de la rivière par nuages. Vers le soir, un vent lourd et malsain, qui agaçait les nerfs, commença à fouetter la poussière.
H. Taine, Notes sur Paris,Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, p. 101. 6. Mais jusque-là aucune personne du sexe ne m'avait soumis à des caprices aussi familiers que de m'agacer les narines avec les barbes de ma propre plume.
A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 358. 7. Le cidre et le poiré contiennent des acides; ils désaltèrent bien... le poiré agace les nerfs.
L.-E. Audot, La Cuisinière de la campagne et de la ville,1896, p. 627. a) [En parlant des dents] Le verjus agace les dents (Ac. 1798-1932) : 8. Si, par accident, certaines qualités sensibles possèdent d'autres propriétés, cela tient simplement à ce que, tout étant lié dans l'organisme, certains effets dérivés ne peuvent pas ne pas se produire. C'est ainsi, par exemple, que certains sons aigus agacent les dents, ou que la couleur rouge, paraît-il, est dynamogénique.
R. Ruyer, Esquisse d'une philosophie de la structure,1930, p. 118. b) [Avec en outre un compl. pronom. indir. désignant la pers. agacée] :
9. Il n'y a rien de plus inutile que ces amitiés héroïques qui demandent des circonstances pour se prouver. Le difficile, c'est de trouver quelqu'un qui ne vous agace pas les nerfs dans toutes les occurrences de la vie.
G. Flaubert, Correspondance,1851, p. 289. 10. Pendant que ses amis s'agaçaient l'appétit en faisant les préparatifs du repas, Marcel s'était de nouveau isolé dans un coin, et rangeait, avec quelques souvenirs que lui avait laissés Musette, la lettre qu'il venait de retrouver par hasard.
H. Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 230. B.− Au fig. 1. [Le compl. désigne une pers. ou une partie de l'être hum.; le suj. désigne une pers. ou le comportement, le caractère d'une pers., ou une chose abstr.] a) Vieilli, dans le vocab. amoureux. Troubler par des excitations légères et répétées : 11. Regrettez-vous le temps où les nymphes lascives
Ondoyaient au soleil parmi les fleurs des eaux,
Et d'un éclat de rire agaçaient sur les rives
Les faunes indolents couchés dans les roseaux; ...
A. de Musset, Rolla,1833, p. 1. 12. Tes nobles jambes, sous les volants qu'elles chassent, Tourmentent les désirs obscurs et les agacent...
Ch. Baudelaire, Les Fleurs du Mal,1857-1861, p. 85. 13. ... il alla derrière le rideau rejoindre la Soubrette, qui s'étonnait déjà de ne le point voir accourir et le reçut avec la mauvaise humeur simulée dont ces sortes de femmes agacent les hommes.
T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 270. 14. Une laide est plutôt coquette qu'une belle; elle agace les hommes et l'autre les attend.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Mes poisons,1869, p. 13. b) Causer un état de nervosité accompagné d'impatience ou d'irritation : 15. Ces femmes sont trop maîtresses d'elles-mêmes pour vous bien appartenir; elles accordent trop d'influence au monde pour que notre règne soit entier. Là où la Française console le patient par un regard, trahit sa colère contre les visiteurs par quelques jolies moqueries, le silence des Anglaises est absolu, agace l'âme et taquine l'esprit.
H. de Balzac, Le Lys dans la vallée,1836, p. 282. 16. ... il voit dans cet article un article écrit sous la dictée de l'hostilité de Nittis, et cette supposition, où il y a peut-être un rien de vrai, ça l'agace, l'irrite, le rend nerveux.
E. et J. de Goncourt, Journal,juin 1884, p. 358. 17. Ce qui est certain, c'est qu'elle est insatiable à vouloir qu'on s'occupe d'elle. Moi, moi, moi, et une agitation! Ah! qu'elle m'a agacé, assommé, exaspéré! que j'ai souhaité son départ!
M. Barrès, Mes cahiers,t. 14, févr.-juill. 1922, pp. 11-12. 18. Le seul moyen de réparer, de l'empêcher de souffrir, c'était, en allant la chercher et en s'excusant, qu'elle revînt travailler, qu'elle pût gagner sa vie. Cette idée l'agaçait. Il eut une révolte, la réaction de l'être devant une corvée désagréable. Il s'efforça de n'y plus penser, mais cela commençait à tourner à l'obsession, une obsession sournoise, gâtant ses loisirs, l'empêchant de prendre aucun plaisir paisible.
M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 306. 19. Quel plaisir pouvez-vous trouver à parler de telles choses? Notez bien que vous ne me faites pas peur, vous m'agacez, voilà tout, vous me mettez, comme on dit, les nerfs en pelote.
G. Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1552. 20. ... c'est qu'après cette visite à maman nous sommes montés en voiture et que Joseph a commencé de m'agacer, de m'horripiler même, enfin de me faire amèrement regretter de l'avoir suivi dans cette expédition commémorative.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 116. 21. Je vous ai montré tout à l'heure le côté lumineux de mon existence. Et pourtant sa trame est faite de fatigues, de tâches qui me déplaisent, de temps perdu avec des gens qui me dégoûtent ou m'agacent.
H. de Montherlant, Celles qu'on prend dans ses bras,1950, I, 1, p. 770. − Emploi abs. : 22. Il y a des gens qui ont la spécialité du mot déplaisant, de l'observation désagréable, de l'insinuation désobligeante, de la grossièreté gratuite : ce sont les planteurs d'épines. Les vilains caractères aiment à déprimer le prochain et s'en font un devoir, presque une vocation. Vexer, agacer, est leur joie. Impatienter, courroucer, serait leur triomphe. Cette race m'est antipathique.
H.-F. Amiel, Journal intime,24 janv. 1866, p. 94. 2. [Le compl. désigne l'âme ou la sensibilité d'un être; le suj. désigne une pers., le comportement d'une pers., etc.] Faire naître une réaction ou stimuler cette réaction, causer une légère excitation : 23. Je n'aime point Montaigne, bien qu'il ait une admirable sagacité et une imagination plus admirable encore. Il est trop indécis, trop indifférent, pour la vérité. Il me repousse et m'indigne par l'universalité de son scepticisme. Il me révolte par l'obscénité de son langage. Il plaît à l'esprit. Il l'amuse, il l'agace, il le pique, il l'éveille. Il irrite et charme l'imagination, mais il ne va jamais au cœur. Il ne sent pas ce qu'il y a de chaud, d'attirant, de véhément dans l'âme humaine.
Ch.-J. de Chênedollé, Extraits du journal,1833, pp. 162-163. 24. Cette persistance à garder son chapeau agaçait ma curiosité...
J. Vallès, Les Réfractaires,1865, p. 82. 25. ... la famille n'était point mon refuge... À Pléchéous, je n'allais chercher que la complicité de la solitude, c'est-à-dire, pour moi, à cet instant, l'excitant supérieur. À force d'agacer son mal, on s'imagine qu'on le défie, on se sert de cette sorte de courage pour faire diversion, avec le même à-propos qu'un naufragé solitaire et mourant de faim garderait l'espoir de s'en sortir en dévorant une part de lui-même...
R. Abellio, Heureux les pacifiques,1946, p. 186. 3. Argotique ♦ Agacer le chaudron. (Ch.-L. Carabelli, [Langue populaire]) ,,Jouer du piano.`` (Ch.-L. Carabelli, [Langue populaire]). ♦ Agacer la dent de l'hippopotame (l'ivoire). (G. Delesalle, Dict. argot-français et français-argot, 1896, p. 6). ,,Jouer du piano.`` (G. Delesalle, Dict. argot-français et français-argot, 1896, p. 6). ♦ Agacer un polichinelle sur le zinc. (A. Delvau, Dict. de la langue verte, 1867, p. 385) ,,Boire un verre d'eau-de-vie sur le comptoir du cabaretier.`` (A. Delvau, Dict. de la langue verte, 1867, p. 385). ♦ Agacer le système. (A. Delvau, Dict. de la langue verte, 1867, p. 459) ,,Ennuyer.`` (A. Delvau, Dict. de la langue verte, 1867, p. 459) : 26. Je réponds tout de suite à votre lettre de ce matin. Le conseil municipal m'agace le système. Encore la question des honneurs à rendre à un grand homme!
G. Flaubert, Correspondance,1877, p. 332. Rem. Pour la constr. à double compl., supra ex. 9. II.− Emploi pronom., rare A.− S'agacer.Se causer à soi-même une sensation désagréable : 27. Ses arêtes aiguës mordaient de partout l'horizon vide. À la voir ainsi jaillir par degrés de sa gangue, comme autour d'une statue qu'on tire de la terre, il nous semblait tout à coup que l'air à l'amirauté circulait plus librement, et que ces hautes murailles vierges et cuirassées appelaient à les laver comme un vent du large; du matin au soir, l'œil enfiévré revenait s'agacer sur leur silhouette coupante comme la langue sur le tranchant d'une dent fraîchement cassée.
J. Gracq, Le Rivage des Syrtes,1951, p. 136. B.− S'agacer de qqc.Éprouver une impression désagréable, un sentiment pénible, etc. : 28. Mauclair m'écrit de bonnes lettres et me fait des vœux de bonheur; je suis assez loin de tout pour ne plus m'agacer de rien que de moi-même et je trouve Mauclair charmant.
A. Gide, P. Valéry, Correspondance,lettre de A. G. à P. V., déc. 1895, p. 245. 29. Ces troubles légers persistèrent jusqu'à l'été : ils m'épuisaient, je m'en agaçais et je finis par prendre peur.
J.-P. Sartre, Les Mots,1964, p. 181. Prononc. − 1. Forme phon. : [agase], j'agace [ʒagas]. Enq. : /agas/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : agaçable, agaçant, agacé, agacement, agacerie, agaceur, agacier, désagacer Étymol. ET HIST. − Ca 1180 agacier « poursuivre, importuner » (Hue de Rotelande, Ipomedon, 8397 selon G. Cohn, Bemerkungen zu ,,Adolf Toblers Altfranzös. Wörterbuch`` ds Arch. St. n. Spr. t. 142, p. 218 : mut bien... li musterai, Coment vus m'alez agaçant Pur un fol, ki nus rait siwant); début xiiies. [date du ms.], id. « id. » (La Vie St Thomas le martir, ms. Brit. Museum, compl. par Immanuel Bekker, 20 b1[Cod. Harley 270], ds T.-L. : On veit li arcevesques k'il l'unt taunt agacié); début xiiies. id. « id. » (Amadas et Ydoine, éd. Hippeau, 3140, ibid. : l'arocent et decacent Et le decirent et agacent).
Issu de l'a. fr. acier; 1. 1155 « rendre aigre, aciduler, mettre du levain dans » (Li romans des sept sages, éd. Keller, 1498, ds T.-L. : Pain d'orge... Trestout alis sans aachier); 2. 1231 acier les dens « agacer les dents » fig. (G. de Coinci, Dout. de la mort, Richel. 23111, fo292a, ds Gdf. : Viellece nos doit aacier Les denz de mengier et de mordre), lui-même d'un lat. *adaciare issu par dissimilation de *adacidare « rendre aigre, mettre un acide dans » dér. du lat. acidus « acide, aigre » (EWFS2) par contamination soit de l'a. fr. agu au sens de « épicé, relevé (d'un mets) » (aigu*), soit plutôt du subst. a. fr. agace* « pie » (xies. et ca 1288), cf. m. fr. agachier, 1330-1332 « crier (en parlant de la pie) » (De Guilleville, Pèlerin., ds Gdf. : Et tout aussi comme l'agache Par son crier et agachier Nul oysel ne laisse anichier Pres de li, ains les fait fuir...), m. fr. agachier, agasser, encore dans les dial. norm. agasser (ds Dum. 1849 : ... les oiseaux agassent quand on approche de leur nid ...), norm. agacher (ds Moisy 1885 : Agacher. Se dit pour exprimer le cri de la pie).
L'hyp. d'un croisement avec le verbe a. fr. agacier « crier (pie) » fait difficulté du point de vue chronol. L'hyp. de aacier/agacer < lat. acacia « jus de prunelles », Séguy ds Fr. mod. t. 15, 289 sq., fait difficulté du point de vue phonét. L'hyp. *adaciare < lat. ad et acies « tranchant [des dents] », Thomas ds Romania, t. 28, p. 169 est moins satisfaisante du point de vue sém. étant donné que le sens de aacier, à son entrée dans la lang. « rendre acide, mettre du levain dans » fait appel à la notion « acide » plutôt qu'à la notion « tranchant ». STAT. − Fréq. abs. litt. : 696. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 149, b) 1 000; xxes. : a) 1 307, b) 1 514. BBG. − Ac. Can.-Fr. 1968. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bruant 1901. − Canada 1930. − Caput 1969. − Dup. 1961. − Guizot 1864. − Laf. 1878. − Lav. Diffic. 1846. − Le Roux 1752. − Nysten 1814-20. − Prév. 1755. − Sardou 1877. − Séguy (J.). Agacer. Fr. mod. 1947, t. 15, pp. 289-290. − Sommer 1882. − Timm. 1892. |