| AFFÉTERIE, subst. fém. Péj. Manière pleine d'affectation par laquelle, dans le dessein de plaire, on s'éloigne du naturel et tombe dans un excès de recherche superficielle ou contraire au bon goût. A.− [En parlant d'une pers.] :
1. Qu'importe si la délicieuse statue de Bagard (1639-1709), garçonnière maligne et touchante qui porte un médaillon, nous ravit et nous retient longuement dans le rez-de-chaussée du musée lorrain! C'est une grande dame raffinée; sa spirituelle afféterie mondaine ferait paraître un peu grossière la simplicité, la gouaillerie de nos meilleurs aïeux. Elle est bien du passé, l'âme lorraine : Bagard n'y songe guère... et nous-mêmes, Simon, il nous faut un effort pour la retrouver sous nos âmes acquises.
M. Barrès, Un Homme libre,1889, p. 111. 2. On apprendra au dissonant extraverti (...), à réprimer les grimaces, l'afféterie, les mines et les attitudes précieuses, à développer le naturel dans l'allure, l'expression franche, sans retenue et sans excès de sentiments.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, pp. 372-373. 3. Il n'y a pas à s'étonner si la manière conçue comme apparence périphérique ne peut être le principe d'une spiritualité : elle n'en a pas la prétention, elle n'ambitionne que d'offrir aux passants une splendide façade; elle ne fait profession que de superficialité et de brio. C'est cette manière conçue comme affectation et afféterie que Diderot condamnait.
V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, pp. 14-15. B.− [En parlant de la création artistique ou littér.] :
4. La prétention de tout ennoblir, d'éloigner les contrastes en ramenant tous les objets à des formes de convention, commence à se faire remarquer jusque dans les arts et dans les lettres. On craint de dégrader son burin, sa plume ou son pinceau, en descendant à la peinture des scènes populaires; et abusant du principe que les arts ne doivent se proposer que l'imitation d'une nature choisie, on s'expose à retomber dans l'afféterie et dans le maniéré.
V. de Jouy, L'Hermite de la chaussée d'Antin,t. 3, 1813, pp. 25-26. 5. La manière est à la méthode ce que l'hypocrisie est à la vertu; mais c'est une hypocrisie de bonne foi; celui qui l'a en est la dupe. On appelle maniéré, en littérature, ce qu'on ne peut pas lire sans l'imaginer aussitôt accompagné de quelque gesticulation menue, de quelque mouvement peu franc, peu partagé par la totalité de l'homme. Le précieux ou l'afféterie fait imaginer le pincement. Le ridicule donne une idée de contorsion. On ne peut lire certains auteurs sans leur attribuer un certain air de tête facile à contrefaire.
J. Joubert, Pensées,t. 2, 1824, pp. 98-100. 6. Par malheur, cette gentillesse de Saint-Gelais va souvent jusqu'à la mignardise, suivant l'expression d'Étienne Pasquier; et si son mauvais goût n'est pas celui auquel nos vieux poètes et Marot lui-même sont quelquefois sujets, s'il ne fait pas coigner Cognac et remémorer Romorantin, il joue sur les idées aussi puérilement que d'autres sur les mots, et n'évite le défaut national que pour tomber dans l'afféterie italienne; ...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Tableau hist. et crit. de la poésie française et du théâtre français au XVIesiècle,1828, p. 36. 7. En général, MM. Flandrin, Amaury-Duval et Lehman, ont cette excellente qualité, que leur modelé est vrai et fin. Le morceau y est bien conçu, exécuté facilement et tout d'une haleine; mais leurs portraits sont souvent entachés d'une afféterie prétentieuse et maladroite. Leur goût immodéré pour la distinction leur joue à chaque instant de mauvais tours.
Ch. Baudelaire, Salon de 1846,1846, p. 159. 8. L'afféterie ou affectation dans les manières et dans le langage est tout aussi insupportable dans un artiste que la trivialité qui est le défaut opposé.
Ch. de Bussy, L'Art dramatique, dict. à l'usage des gens du monde,1866, p. 16. 9. Amiel n'avait pas le goût très sûr : on le sent souvent à la qualité des images, et il n'est pas de signe qui trompe moins : ces paysages en particulier sont gâtés fréquemment par une afféterie et une mignardise qui prouvent qu'il avait trop étudié, ainsi que le lui reprochait Schérer, « la catégorie du joli ».
Ch. Du Bos, Journal,août 1921, pp. 13-14. 10. Mais je voudrais en dire beaucoup plus − parler en particulier de cette fausse grâce, de cette afféterie (retard de la note supérieure inopinément bémolisée − pour tromper une attente il faut bien d'abord ménager celle-ci, faire attendre − vers la fin du prélude en fa majeur) qui immanquablement montre le bout de son oreille fardée, là où la vraie sensualité, riche, inquiétante, indécente − fait défaut.
Ah! que la grâce minaudière de ce mi bémol ainsi perlé paraît donc sûre de son affaire, consciente de l'effet qu'elle va produire!
A. Gide, Journal,1929, p. 954. − Au plur., rare (avec un sens plus concr.). Traits qui dénotent l'affectation et le maniérisme : 11. Les Juifs parisianisés (et les chrétiens judaïsés), qui foisonnaient au théâtre, y avaient introduit le mic-mac de sentiments, qui est le trait distinctif d'un cosmopolitisme dégénéré. (...). Leur style n'était pas moins mêlé que leurs sentiments. Ils s'étaient fait un argot composite, d'expressions de toutes classes et de tous pays, pédantesque, chatnoiresque, classique, lyrique, précieux, poisseux, poissard, mixture de coq-à-l'âne, d'afféteries, de grossièretés et de mots d'esprit, qui semblaient avoir un accent étranger.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, pp. 708-709. Rem. 1. Syntagmes fréq. : afféterie mièvre, - mondaine, - prétentieuse, - spirituelle, - trop étudiée. 2. Assoc. paradigm. rencontrées : affectation, agréments efféminés, ambition de paraître, attitudes précieuses, bizarre (le), brio, catégorie du joli, convention, élégance, splendide façade, gêne, gentillesse, gesticulation menue, goût baroque et surchargé, goût immodéré pour la distinction, fausse grâce, grimaces, maniéré (le), maniérisme, mignardise, mines, pincement, précieux (le), recherche, snobisme, superficialité. 3. Anton. : élan, épuration du goût, expression franche, expression juste et simple, gouaillerie, naturel, simplesse, simplicité. Prononc. : [afetʀi]. Warn. 1968 note une prononc. avec [ε] ouvert dans le lang. cour. et [e] fermé dans le lang. soutenu. Étymol. ET HIST. − Av. 1520 « recherche d'élégance dans les paroles et actions » (Seyssel, Trad. Appian, 618 [1544] ds Quem. t. 1 1959 : Cleopatra... non soy confiant assez de ses blandices et affelteries, faingnit d'estre totallement surprinse et affollee de l'amour d'Antoine).
Dér. de affeté*; suff. -erie*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 45. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bonnaire 1835. − Daire 1759. − Dup. 1961. − Guizot 1864. − Laf. 1878. − Lav. Diffic. 1846. − Prév. 1755. − Sardou 1877. − Sommer 1882. − Spr. 1967. − Synon. 1818. − Thomas 1956. |