| AFFLEURER, verbe trans. I.− [Le suj. désigne un inanimé] A.− Au propre 1. Arriver au niveau de... Être à fleur de... (le plus souvent par un mouvement vertical de bas en haut). a) Affleurer qqc.[Le compl. d'obj. dir. désigne la chose au niveau de laquelle arrive ce que désigne le suj.] :
1. Une torsade pratiquée dans l'épaisseur de la tranche, qui ne l'occupe pas tout entière, et l'affleure sans l'excéder, empêche les pièces d'être rognées sans qu'il y paraisse. L'empreinte, quand elle est saillante, doit l'être peu, pour que les pièces se tiennent facilement empilées, et surtout pour qu'elles soient moins exposées à l'action du frottement.
J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832, p. 296. 2. Comme les hauts gradins [du théâtre d'Éphèse] affleuraient le sol de la colline, une foule énorme pouvait en un instant se déverser par le haut et tout inonder.
E. Renan, Hist. des origines du Christianisme,Saint-Paul, 1869, p. 428. 3. Ces assises s'élevaient d'un mètre environ au-dessus de terre, d'une hauteur de trois ou quatre marches pour l'habitat des hommes, d'un peu moins pour les étables et les granges. Mais les seuils de celles-ci affleuraient presque le sol, afin qu'on pût entrer de plain-pied dans la grange avec les chars, ...
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 2, 1928, p. 134. 4. ... ce qui caractérise le lambris arasé, c'est l'arasement des panneaux, qu'ils affleurent ou non le nu du bâti.
E. Robinot, Vérification, métré et pratique des travaux du bâtiment,t. 2, 1928, p. 101. − Absol. Affleurer : 5. On voyait deux ou trois murs
Épais, lyriques et pauvres;
Ils formaient cette chapelle
Telle un vœu de franciscain.
Le toit affleurait à peine,
Les fenêtres étaient rares;
J.-P. Jouve, Tragiques,Toscanes, 1922, p. 135. 6. Il surveille le four. Partout la flamme affleure. Ses têtes pointent, percent la couche de terre, s'agitent comme un flot aux crêtes étincelantes.
J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 2, 1923, p. 202. − Affleurer à.Venir, parvenir jusqu'à : 7. La lumière du jour a fini par s'infiltrer dans les crevasses sans fin qui sillonnent cette région de la terre; elle affleure aux seuils de nos trous.
H. Barbusse, Le Feu,1916, p. 17. 8. La mer de nuages affleurait au ras de la fenêtre comme l'océan au ras d'un hublot; au-dessus de cette mer, la neige des sommets, comme l'écume au-dessus d'un océan furieux.
H. de Montherlant, Les Lépreuses,1939, p. 1448. b) En partic. − [En parlant de couches géol., de roches...] Arriver à la surface du sol, être apparent. ♦ Affleurer le sol : 9. ... campagnes bretonnes, qu'on dirait toujours recueillies dans le passé... Grandes pierres que couvrent les lichens gris, fins comme la barbe des vieillards; plaines où le granit affleure le sol antique, plaines de bruyères roses...
P. Loti, Mon frères Yves,1883, p. 413. ♦ Absol. Affleurer (souvent avec un compl. circ. de lieu) : 10. Le calcaire carbonifère, (...), affleure dans le Boulonnais, sous la forme de calcaires marbres à Productus de couleurs variées.
A. de Lapparent, Abrégé de géologie,1886, p. 184. 11. ... ils se mirent à traîner les bêtes jusqu'à un endroit choisi par eux comme étant un des mieux pourvus de terre, vu que, presque partout ailleurs, la roche affleure; ...
Ch.-F. Ramuz, La Grande peur dans la montagne,1926, p. 128. − [En parlant de l'eau, de liquides] Monter jusqu'à la surface, arriver à niveau : 12. Les jattes sont alignées, pleines de lait toujours plus jaune jusqu'à ce que toute la crème en soit montée. La crème affleure lentement; ...
A. Gide, Les Nourritures terrestres,1897, p. 212. 13. Les fouleurs gagnaient les comportes réparties dans les allées, y jetaient les fruits, et retournaient vers les coupeurs et puis vers les comportes, jusqu'à ce qu'une d'elles fût pleine. Alors ils y écrasaient les grappes, et cessaient quand le vin affleurait.
J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 2, 1923, p. 91. 14. Le lit de la rivière, en cette saison, n'est qu'une arène sèche. On gratte le sol; l'eau affleure aussitôt.
A. Gide, Le Retour du Tchad,1928, pp. 945-946. Rem. 1. Dans l'ex. suiv., affleurer l'air signifie « arriver jusqu'à l'air, c.-à-d. à la surface de l'eau » : 15. Les poissons, devinant cette couche de jeunesse abattue sur la mer, la déchiraient de leur nageoire dorsale toute hors de l'eau. Dans la coupe des vagues, on apercevait des bancs de harengs affleurer l'air même de tous leurs flancs argentés, ...
J. Giraudoux, Suzanne et le Pacifique,1921, p. 96. Rem. 2. Occasionnellement, affleurer qqc. peut signifier « apparaître à la surface de » : 16. − « Ah?... » murmura Jacques. Un léger frisson lui parcourut les membres, et un peu de sueur vint affleurer son front.
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 242. 2. P. ext. Toucher de très près. Affleurer qqc. : 17. En dehors du mur d'enceinte, qu'affleurait le pavillon, se dressait une rangée d'arbres taillés en pointe...
T. Gautier, Le Roman de la momie,1858, pp. 240-241. 18. Le village flotte dans une vaste enceinte qu'entoure une forêt de rôniers. Très pittoresque, un bras mort du Logone vient l'affleurer.
A. Gide, Le Retour du Tchad,1928, p. 873. 19. Le bord de sa jupe, [de MmeHaume] affleurait le gravier.
Colette, Chambre d'hôtel,1940, p. 28. Rem. Sens voisin de effleurer « toucher légèrement ». − Affleurer à.Toucher à : 20. ... il gratta toujours, il gratta toute la nuit, espérant dans le rocher la faille libératrice... Lentement selon une courbe inflexible et cruelle, le plancher de roc remontait insensiblement pour venir affleurer à l'entrée du terrier; mais renard enfiévré ne s'en aperçut pas : ...
L. Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 15. 21. Il y a deux entrées, très basses, très étroites, à ras du sol. À celle-ci affleure la bouche d'une galerie en pente, étroite comme une conduite d'égout.
H. Barbusse, Le Feu,1916, p. 304. − P. compar. : 22. Marchant vers la chaire, il ondulait entre les rangs sans les toucher comme une flamme blanche, puis, quand il eut gravi les marches, le buisson de cierges l'éclaira par-dessous et fit jaillir des mâchoires une dure ombre carnassière; la face entière sembla venir affleurer à la surface indécise de la nuit; ...
J. Gracq, Le Rivage des Syrtes,1951, p. 192. − MAR. [En parlant d'un bât.] ,,Toucher, aborder à.`` (Lar. 19e). B.− Au fig., littér. [Le suj. est un inanimé hum., plus rarement une pers.] 1. Apparaître, transparaître (sous telle ou telle chose) : 23. ... le scepticisme en moi consiste essentiellement dans la soudaineté avec laquelle le doute affleure sous la forme suivante : « Cela semble vrai à tel point qu'il est impossible que ce le soit. »
Ch. Du Bos, Journal,avr. 1927, p. 226. 24. La lutte politique avait de la grandeur. Elle était vraiment la lutte pour l'être ou le non-être. La première génération radicale, formée par la Troisième République dans ses écoles et son université, affleurait. Elle réclamait son droit à l'existence. Or elle trouvait sa route barrée par les privilégiés du xixesiècle.
J.-R. Bloch, Destin du siècle,1931, p. 63. 25. Mais au-dessous de cette interprétation naturaliste de la mort au profit de la loi de permanence et d'équivalence du kosmos matériel, affleure et perce déjà, dans la philosophie d'un Zénon de Cittium, le sens anthropologique et la signification humaine du monisme; ...
J. Vuillemin, Essai sur la signification de la mort,1949, p. 299. − [Le plus souvent avec un compl. de lieu] :
26. Et tant que la musique chanta, il [le duc Phing] demeura ainsi le regard attaché sans illusion avec compassion, sur ce visage fier et délicat, où affleuraient les ardeurs contradictoires d'une âme violente...
M. Barrès, Le Mystère en pleine lumière,1923, p. 84. 27. Il se tourna. Sur son visage affleura soudain le masque du grand homme, que le savoir sépare de l'ignorance des simples.
R. Martin du Gard, Les Thibault,l'Été 1914, 1936, p. 122. 28. Y a-t-il un couple amoureux, si parfait, si génial soit-il, dans lequel − sans aller jusqu'à l'imprécation de Samson − le malentendu foncier des sexes n'apparaisse ou n'affleure?
A. Thibaudet, Réflexions sur la littérature,1936, p. 70. 29. Depuis longtemps, j'avais vu apparaître le côté pion du caractère de Michel. Chez lui, le casuiste affleurait sous le puriste.
R. Abellio, Heureux les pacifiques,1946, p. 156. 30. ... et Mainville ne voit que les yeux verdâtres, inexpressifs, où le regard semble affleurer par instants pour disparaître aussitôt, ainsi qu'une eau trouble qui ne parvient pas à atteindre son niveau.
G. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 946. 31. ... le lapement insensible et le minuscule gargouillis dans les creux de roche de la marée montante, donnaient à l'écoulement du temps, par leurs longs intervalles suspendus et leurs soudaines reprises, une incertitude flottante coupée de rapides sommeils, comme si la conscience légère qui venait affleurer en nous par instants eût puisé dans cette émersion même le minime surcroît de poids qui la replongeait aussitôt dans un court évanouissement.
J. Gracq, Le Rivage des Syrtes,1951, p. 160. 32. Le Voyage en Orient serait emporté dans un ballet délié sans les contes mythiques qui donnent au récit le poids de l'obscur, et des arabesques plaisantes courent jusque sur l'histoire de la reine de Saba. Même dans Sylvie la malice affleure, même dans l'effrayante Pandora.
M.-J. Durry, Gérard de Nerval et le mythe,1956, p. 38. 2. Affleurer à la surface, à la conscience : 33. Notre moi est fait de la superposition de nos états successifs. Mais cette superposition n'est pas immuable comme la stratification d'une montagne. Perpétuellement des soulèvements font affleurer à la surface des couches anciennes.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Fugitive, 1922, pp. 544-545. 34. L'univers des songes d'Aurélia est tout peuplé de symboles provenant de couches très diverses : images de sa propre vie, mythes et poèmes de tous les temps qui s'étaient incorporés à sa substance, formant ensemble une sorte de monde sous-marin, très proche de la surface et prêt à y affleurer au moindre appel.
A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1949, p. 363. 35. Avant Freud, la psychologie classique n'a étudié que les manifestations du moi qui affleurent à la surface.
M. Choisy, Qu'est-ce que la psychanalyse? 1950, p. 111. Rem. Le sens fig. est souvent un emploi métaphys. nettement perceptible du sens phys. noté sous A 1 b. II.− TECHNOL., rare. [Le suj. désigne un animé; emploi toujours trans.] A.− Réduire au même niveau deux surfaces contiguës; réduire autour les inégalités d'une surface : 36. L'affleurage du parquet consiste à gratter seulement les joints des frises pour les affleurer, ...
E. Robinot, Vérification, métré et pratique des travaux du bâtiment,t. 2, 1928, p. 183. − PAPET. Délayer et raffiner la pâte à papier (en ramenant à fleur de cuve la partie de la pâte qui, insuffisamment délayée, retombe au fond). Rem. Attesté ds Boiste 1834, Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Lar. 19e, Littré, DG, Rob., Lar. encyclop. B.− P. anal., BOULANGERIE, MEUN. Mélanger des grains, des farines (p. ex. d'orge, de seigle, de froment). Rem. Sens attesté ds Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Lar. 19e, Littré et DG. Rem. gén. Ce verbe et ses dér. n'ont jamais tout à fait quitté le plan techn. auquel ils appartiennent en propre. Prononc. − 1. Forme phon. : [aflœ
ʀe], j'affleure [ʒaflœ:ʀ]. Enq. : /aflø2
ʀ/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : affleurage, affleurant, affleurée (cf. Lar. 20e), affleurement, affleurie. Cf. fleur. Étymol. ET HIST. − 1. 1397 archit. « mettre à fleur, de niveau » (Bull. de la commission des antiq. de la Seine-Infér. ds Quem. t. 1 1959 : Et se affleurera la plastre par dedans œuvre a coullombes, et seront les pos et les coulombes couvertes par le dehors de plastre de deux poux d'espaisseur); 2. xvies. « être à fleur, à niveau » (A. Paré, X, 8 ds Littré 1863 : Ces remedes repoussent le sang et les autres humeurs qui affleuroient à la partie); 3. 1766 papet. « ramener à fleur de cuve la partie de la pâte qui, n'étant pas suffisamment délayée, retombe au fond », d'où « délayer la pâte à papier » (Dict. arts et métiers, t. 2, s.v. papetier : La sixieme et derniere pile se nomme pile à affleurer ou pile de l'ouvrier; les maillets qui y répondent ne sont point garnis de fer, parce qu'ils ne servent qu'à délayer la pâte lorsqu'on veut l'employer).
Dér. de fleur* dans l'expr. à fleur de; préf. a-1*, dés. -er. STAT. − Fréq. abs. litt. : 131. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Barber. 1969. − Barb.-Cad. 1963. − Barb. Misc. 3. 1932-35, p. 286. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Chabat t. 1 1875. − Chesn. 1857. − Jal. 1848. − Le Clère 1960. − Mots rares 1965. − Poignon 1967. − Prév. 1755. − Will. 1831. |