| AFFECTUEUX, EUSE, adj. A.− Vx. Passionné : orateur pathétique et affectueux (Ac. 1798-1932). B.− Qui marque ou manifeste de l'affection (cf. affection). 1. [Se dit d'une pers.] a) Emploi gén. abs. : 1. J'ai toujours trouvé, pour ma part, le président très bienveillant, je pourrais presque dire très affectueux, et si on lui avait rappelé les rapports qui ont existé entre nous, je doute qu'il eût rayé votre nom avec cette persistance.
A. de Tocqueville, J.-A. de Gobineau, Correspondance, lettre de A. de T. à J.-A. de G., 1851, p. 158. 2. ... l'autre, l'homme intérieur, est un être sensible, affectueux, cordial, aimant.
H.-F. Amiel, Journal intime,7 avr. 1866. 3. Une chienne suivait les soldats, chienne affectueuse et affamée dont les mamelles pendaient.
R. Benjamin, Gaspard,1915, p. 47. 4. − Vial, je voudrais te parler comme à un être humain affectueux, − s'il est des êtres humains affectueux... Ma restriction venait à point : Vial buta sur le mot honni de tous les amants, et son regard me reprit sa confiance.
Colette, La Naissance du jour,1928, p. 55. b) [Avec un compl. prép. (prép. avec, plus rarement pour)] :
5. Une femme ordinaire dont on voudrait exalter l'attachement aurait besoin qu'on fût avec elle léger, inconséquent, inégal, tantôt affectueux, tantôt froid, il faudrait feindre d'autres inclinations, partir, revenir, alarmer sa vanité pour exciter sa jalousie, jouer un rôle, enfin.
V. Hugo, Lettres à la fiancée,1821, pp. 58-59. 6. Peu de temps auparavant, pendant qu'Albertine habitait chez moi, je l'avais rencontré et il avait, contrairement à son attitude à Balbec, été excessivement aimable, même affectueux avec moi, m'avait supplié de le laisser venir me voir, ce que j'avais refusé pour beaucoup de raisons.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Fugitive, 1922, p. 620. 2. [Se dit du comportement de qqn (paroles, façons, gestes, sentiments)] :
7. ... « j'ai vu Mmede Nièvres; elle a bien voulu me considérer comme un de vos meilleurs amis. À ce titre, elle m'a dit à propos de vous et sur vous des choses affectueuses qui me prouvent qu'elle vous aime beaucoup, mais qu'elle ne vous connaît pas très-bien. »
E. Fromentin, Dominique,1863, p. 124. 8. Les phoques, avec leurs têtes arrondies, leur front large et recourbé, leurs yeux expressifs, présentaient une physionomie douce et même affectueuse. On comprenait que la fable, poétisant à sa manière ces curieux habitants des flots, en eût fait d'enchanteresses sirènes, quoique leur voix ne fût qu'un grognement peu harmonieux.
J. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 3, 1868, p. 92. 9. Samedi 22 décembre. J'embarque, ce soir à cinq heures, les De Nittis pour l'Italie. Ce sont des embrassades émotionnées, mais au milieu d'une certaine gêne et de paroles affectueuses dans lesquelles l'affection sent un peu l'effort.
E. et J. de Goncourt, Journal,déc. 1883, p. 294. 10. Avec les autres femmes, même Jeanne si gentille, on sent qu'il faut surveiller ses paroles; il faut taire, surtout, le grand secret de la maison. Toutes vous épient, sans le vouloir, avec des airs affectueux. Un mot sincère, un regard un peu triste, est recueilli avidement, presque avec joie, comme un aveu de défaite, une sorte de honte.
J. Chardonne, L'Épithalame,1921, pp. 255-256. 11. Son regard agressif se heurta au sourire affectueux d'Antoine, qui, sous ce masque débonnaire, veillait, circonspect, résolu à temporiser, mais prêt à tout.
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Sorellina, 1928, p. 1201. 12. Comme Honoré lui avait toujours témoigné de l'amitié, elle devait profiter de ces dispositions affectueuses pour l'amener à composition. Où les arguments raisonnables de Ferdinand n'atteindraient pas, elle devait donner l'argument sentimental.
M. Aymé, La Jument verte,1933, p. 120. 13. Si je mets dans une dédicace, à un confrère avec qui j'ai des relations franchement cordiales : « affectueux souvenir », il ne vient pas une seconde à l'esprit du confrère que j'aie pour lui de l'affection. Andrée, pour une pareille dédicace, fondrait de joie : « il s'est déclaré! »
H. de Montherlant, Les Jeunes filles,1936, pp. 1012-1013. Rem. gén. 1. Affectueux qualifie presque toujours l'animé, soit directement (1), soit par l'intermédiaire d'un de ses attributs (2), et ne s'applique que très except. à un inanimé (cf. styl.). L'attitude de la personne affectueuse peut ne pas correspondre à un sentiment sincère ou à une qualité réelle : cf. ex. 9, 10, 11, 13. 2. Syntagmes fréq. : airs affectueux, discours -, dispositions affectueuses, manières affectueuses, masque affectueux, mots -, paroles affectueuses, pensées affectueuses, physionomie affectueuse, regard affectueux, sentiment -, souvenir -, (dans une lettre, dans une dédicace, etc.). 3. Assoc. paradigm. : affectueux s'oppose à froid (ex. 5), se situe à un autre niveau que déférent, et, dans certains cas, exclut la notion d'amour (cf. ex. 4 et affection styl.). On peut le placer sur le même plan que l'adj. tendre (ex. 15), le subst. amitié (ex. 12), le verbe aimer beaucoup (ex. 7). Il indique un sentiment (sincère ou non) plus intense que bienveillant (ex. 1), aimable (ex. 6), et même doux (ex. 8), et un peu moindre que fraternel : 14. − N'ayez pas de remords : ce n'est pas le quitter que de rester ici. Il eut ensuite des mots affectueux, presque fraternels.
É. Estaunié, L'Empreinte,1896, p. 291. C.− MYSTIQUE. Qui dans sa spiritualité accorde une grande place à l'affectivité : Stylistique − En entrant dans la formation d'images, le mot peut s'appliquer à des inanimés (éventuellement personnifiés) :
16. En apparence, et aux yeux de tout le monde, tout m'est bon, tout m'est affectueux, en réalité tout m'est hostile.
A. Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 742.
17. Mais entre toutes les trois paraboles de l'espérance s'avancent, et entre toutes elles sont grandes et fidèles, entre toutes elles sont pieuses et affectueuses, entre toutes elles sont belles, entre toutes elles sont chères et près du cœur.
Ch. Péguy, Le Porche du mystère de la 2evertu, 1911, p. 260.
18. Vous n'avez plus connu les blés tempétueux
Soulevant tout un monde en leur énorme vague,
Et l'homme sur son sol, et la Senne, et la drague,
Et le dénombrement des blés affectueux.
Vous n'avez plus connu les blés tumultueux
Se bousculant pour naître et monter jusqu'à vous.
Id., Ève, 1913, p. 721.
19. Dès qu'enfin l'on atteignait la petite gare perdue où attendait la diligence, le paysage redevenait affectueux et immobile, non plus en contre-bas du train mais de plain-pied avec le sol. Il perdait son aspect glissant et instable. Il avait repris racine dans la calme terre. Il vous enveloppait de son long repos.
J. Malègue, Augustin ou le Maître est là, t. 1, 1933, p. 27.
Un emploi méton. (application de l'adj. à une maison ou à l'ambiance qui y règne) tend à se stabiliser dans l'usage écrit :
20. Me voilà dans le réconfort et la chaleur affectueuse d'une maison amie; ...
E. et J. de Goncourt, Journal, mars 1885, p. 429.
21. C'est bon, un toit affectueux et une chambre où on sent la vigilance amie de la maîtresse de la maison.
Id., ibid., juin 1887, p. 684.
22. Un froid d'insensibilité s'émanait des murs, du mobilier, j'étais égarée, seule, dans un endroit non affectueux, non disposé pour contenir et dégager de la tiédeur cordiale.
L. Frapié, La Maternelle, 1904, p. 209.15. Madame de Saint-Ange, si je démêle bien son caractère, était un peu plus tendre, plus affectueuse qu'il n'appartient à la race directe de dévotion de Port-Royal.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 210. Prononc. ET ORTH. : [afεktɥø], fém. [-ø:z]. Besch. 1845 transcrit la 2esyllabe avec [e] fermé. − Rem. Fér. Crit. t. 1 1787 propose la graph. afectueux avec un seul f. Enq. : /afektyø1, -ø2z, D/. Étymol. ET HIST. − 1. 2emoitié xiiies. affectueus de « qui éprouve (tel sentiment) » (Anti-Claudius, Richel. 1634, [prob. trad. d'Ellebaut] fo19 rods Gdf : O que ceuls est bons eureuz Qui d'amours est affectueuz); 1375 affectueux contre « qui éprouve du sentiment, passionné contre (qqn) » (Oresme, Ciel et Monde, ms. Univ., II, 7, fo54 ro, ibid. : Mais Aristote fu trop affectueux contre les opinions de Plato). Qualifié d'ancien par DG, encore orateur pathétique et affectueux ds Ac. t. 1 1932; 2. 1347 « qui montre de l'affection » (A.N. JJ. 74, fo31 rods Gdf. Compl. : De plus affectueus cuer). L'emploi en mystique fait l'obj. du commentaire suiv. par le P. Bouhours ds ses Nouv. Rem. : ,,Ce mot est fort bon, et se dit, surtout en matière de piété, pour marquer ce qui vient du cœur : ces mouvements de dévotion tendres et affectueux.`` (Cité ds Littré.)
Empr. au lat. affectuosus attesté au sens 2 dep. Tertullien, Adv. Marc., 5, 14 ds TLL s.v., 1184, 76. STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 363. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 1 963, b) 2 310; xxes. : a) 2 290, b) 1 506. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Fér. 1768. − Lav. Diffic. 1846. |