| AFFADISSEMENT, subst. masc. Action de s'affadir; état qui en résulte. A.− [En parlant de choses envisagées sous le rapport du goût ou de l'odorat] 1. Vieilli. État d'une chose dont la saveur trop doucereuse produit de l'écœurement. Affadissement de cœur (Ac. 1798-1878). Rem. Cœur, au sens de « siège de la nausée », synon. de estomac. 2. Rare. État d'une chose (ragoût, sauce, etc.) dont la saveur a perdu toute force; p. ext. en parlant de l'odeur : 1. ... de toute sa religion [de Germinie], il ne lui resta plus à la pensée qu'une certaine douceur lointaine et comme l'affadissement d'une odeur d'encens éteint.
E. et J. de Goncourt, Germinie Lacerteux,1864, p. 49. B.− Au fig. 1. [En parlant de créations du génie hum. : arts, pensée, etc.] a) Vieilli. État de ce qui produit un sentiment d'écœurement (physique et moral); écœurement : 2. ... c'était surtout aux heures des repas qu'elle n'en pouvait plus, dans cette petite salle au rez-de-chaussée, avec le poêle qui fumait, la porte qui criait, les murs qui suintaient, les pavés humides; toute l'amertume de l'existence lui semblait servie sur son assiette, et, à la fumée du bouilli, il montait du fond de son âme comme d'autres bouffées d'affadissement.
G. Flaubert, Madame Bovary,t. 1, 1857, p. 74. b) État de ce qui a perdu toute vigueur. − [En parlant des arts] :
3. ... Boucher noie ses tons dans le délayage et l'affadissement.
E. et J. de Goncourt, L'Art français au XVIIIesiècle, t. 1, 1880-1882, p. 144. 4. En quel affadissement notre art est tombé! la vieille lyre est brisée. Notre vers, où se répercutaient mille tonnerres, est changé en une crécelle, au son âpre, sec et dur.
E. Renan, Drames philosophiques,1888, p. 690. − [En parlant de toute autre création de l'esprit] :
5. Il allait hériter dans un pauvre canton
De l'affaiblissement des plus vieux municipes.
Il allait hériter d'Aristote et Platon
Par le désistement des plus fermes principes.
Il allait hériter dans son pauvre canton
De l'annulation des plus grands municipes.
Il allait hériter de Socrate et Platon
Par l'affadissement des plus fermes principes.
Ch. Péguy, Ève,1913, p. 860. 2. [En parlant de l'existence hum.] État de ce qui a perdu toute vitalité et tout intérêt : 6. Hélas! la tristesse serait-elle une chose sans raison, un courant? ou bien n'y aurait-il pas plutôt, sous cette mauvaise disposition de l'humeur, toujours une cause secrète qui vous échappe? serait-ce le ressentiment et l'affadissement d'une vie plus plate depuis quelque temps encore que de coutume? une vie où l'imprévu n'arrive pas, où les lettres manquent chez le portier, où l'on n'est secoué par rien, où les gens qu'on voit vous font l'effet de redites? Serait-ce l'arrêt dans notre travail, le repos paresseux au milieu de notre roman, qui nous donne ce vide et ce marasme?
E. et J. de Goncourt, Journal,janv. 1861, p. 878. − P. méton. [En parlant de la pers. hum. sous le rapport de son genre de vie] :
7. Il faut entrer dans la manufacture, quand elle est au travail, et l'on comprend que ce silence, cette captivité pendant de longues heures, commandent, à la sortie, pour le rétablissement de l'équilibre vital, le bruit, les cris, le mouvement. Cela est vrai surtout pour les grands ateliers de filage et tissage, véritable enfer de l'ennui. Toujours, toujours, toujours, c'est le mot invariable que tonne à votre oreille le roulement automatique dont tremblent les planchers. Jamais l'on ne s'y habitue. Au bout de vingt ans, comme au premier jour, l'ennui, l'étourdissement sont les mêmes, et l'affadissement. Le cœur bat-il dans cette foule? bien peu, son action est comme suspendue; il semble, pendant ces longues heures, qu'un autre cœur, commun à tous, ait pris la place, cœur métallique, indifférent, impitoyable, ...
J. Michelet, Le Peuple,1846, p. 83. 8. Nous sommes retombés dans l'ennui de toute la hauteur du plaisir. Nous sommes mal organisés, prompts à la fatigue. Une semaine nous dégoûte pour trois mois; et nous sortons de l'amour avec un abattement de l'âme, un affadissement de tout notre être, une prostration du désir, une tristesse vague, informulée et sans bornes.
E. et J. de Goncourt, Journal,août 1855, p. 193. 9. Caroline ne lisant rien, ne sachant rien, ne s'intéressant à rien, n'a aucune conversation et avec elle, l'ennui est toujours à la porte, si bonne femme qu'elle soit. Pour elle d'ailleurs les enfants seuls existent et le sien en particulier. Il faut se faire père nourricier, pour faire avec elle vie qui dure. Et ce rôle est naturellement tôt épuisé et vite fastidieux. La gésine et la nursery ne sont pas l'affaire dominante de l'homme. Nous traversons ces affaires d'entrailles, mais nous n'y pouvons demeurer, sous peine d'abêtissement, ou du moins d'affadissement.
H.-F. Amiel, Journal intime,13 juill. 1866, p. 365. 10. Irène avait changé. Ou plutôt elle était redevenue telle que jadis, avant l'arrivée de Laure à Sainte-Mechtilde. Sans doute, ses deux grossesses, trop rapprochées, étaient-elles cause de son empâtement physique, signe trop révélateur de son affadissement moral. Il n'y avait pas si longtemps encore, se disait Laure, elle s'enthousiasmait pour un texte de Pascal! était-ce donc cela, le bonheur, cet ensevelissement dans le confort, la routine, l'oubli, dans cet égoïsme candide et niais des jeunes mères?
Daniel-Rops, Mort où est ta victoire?,1934, p. 76. Prononc. : [afadismɑ
̃]. Étymol. ET HIST. − 1. 1578 « effet que produit la fadeur, écœurement » (La Boderie, Harm. du monde, 781 ds DG : Un pain qui n'apporte jamais d'affadissement); 2. 1611 « état de ce qui est fade » (Cotgr. : Affadissement : m. wallowishnesse, unsauorinesse, tastlesnesse; weakenesse of sauor, waterishnesse of tast).
Dér. de affadir* aux sens 3 et 2; suff. -ment*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 12. BBG. − Bél. 1957. − Littré-Robin 1865. |