| ACTUALISER, verbe trans. I.− PHILOS. Rendre actuel, faire passer de la puissance ou virtualité à l'acte : 1. Tout se passe donc comme si la vie de l'esprit était animée du dedans par un désir naturel de s'unifier aussi complètement que possible. Ou plutôt, ce désir naturel n'est qu'un autre nom de la vie de l'esprit elle-même; il est, peut-on dire, l'esprit contingent lui-même, dans son effort pour actualiser ses possibilités latentes, s'achever et se réaliser.
É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 2, 1932, p. 55. 2. Entendons-nous : dans la mesure où la volition est un événement qui peut advenir ou ne pas advenir en fait, il y a bien une faculté de vouloir et cette faculté s'actualise quand on en use, reste virtuelle quand on s'abstient;...
V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque rien,1957, p. 228. − P. ext., PSYCHOL. et lang. commune. [En parlant de souvenirs, de la vie antérieure, etc.] Faire passer de l'état virtuel à l'état réel : 3. ... c'est que le bonheur que j'éprouvais ne venait pas d'une tension purement subjective des nerfs qui nous isole du passé, mais au contraire d'un élargissement de mon esprit en qui se reformait, s'actualisait ce passé, et me donnait, mais hélas! momentanément, une valeur d'éternité.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Le Temps retrouvé, 1922, p. 1036. 4. ... nous demanderons à la mise en scène et non au texte le soin de matérialiser et surtout actualiser ces vieux conflits, c'est-à-dire que ces thèmes seront transportés directement sur le théâtre et matérialisés en mouvements, en expressions et en gestes avant d'être coulés dans les mots.
A. Artaud, Le Théâtre et son double,1939, p. 148. II.− LING., GRAMM. − Faire passer un signe linguistique de la langue* à la parole* (cf. actualisation) : 5. La langue est (...) un système de signes virtuels destinés à être actualisés dans chaque circonstance, pour l'expression d'une pensée donnée...
Ch. Bally, La Pensée et la langue, B. Soc. Ling.,t. 23, 1922, p. 118. 6. Pour devenir un terme de la phrase, un concept doit être actualisé. Actualiser un concept, c'est l'identifier à une représentation réelle du sujet parlant (...). La distinction entre virtuel et actuel vaut aussi pour le système phonologique. Un phonème est virtuel tant qu'il est isolé, par exemple a, ou qu'il fait partie d'un groupe de sons dépourvus de sens, tel que ari. Un phonème est actualisé dès qu'il figure dans une chaîne parlée significative...
Ch. Bally, Ling.1950, § 110, 118. 7. Une représentation peut être virtuelle, c'est à dire : « non encore jugée comme vraie, fausse, probable, etc. ». Ainsi, l'idée de pluie, ou celle de pleuvoir. Cette idée aura été actualisée, dès qu'on en fait l'objet d'un jugement. D'abstraite, elle devient concrète. On l'individualise, pour ainsi dire. On la rend apte à faire partie d'une pensée complète, d'une phrase. Elle ne représente plus une simple vue de l'esprit.
(...) On actualise une idée virtuelle en la localisant dans un sujet, qui devient « le lieu du jugement » (je vois la pluie), opération qui se fait au moyen de ce que Bally appelle l'assertion ou le modus; ce sera, en général, un verbe (implicite ou explicite).
De Boer1954, § 172. − En partic. chez certains grammairiens. Poser comme probable ou effective, c'est-à-dire actuelle (p. oppos. à virtuelle) une idée préalablement examinée par la pensée : dans je vois (constate, crois, sais...) qu'il pleut, il pleut exprime l'idée actualisée; je vois signifie l'« actualité » qui fait employer le mode ind. dans la sub. En revanche, dans la phrase je crains qu'il ne pleuve, la pesée non actualisante signifiée par le verbe craindre interdit l'emploi du mode ind. : 8. Les idées regardantes (...) qui s'apparentent sémantiquement à la notion de possibilité (...) maintiennent l'idée regardée dans le mode subjonctif; celles qui s'apparentent à la notion de probabilité, et, au-delà de la probabilité, à la notion de certitude (le certain étant du probable accumulé) (...) actualisent l'idée regardée en la situant dans le mode indicatif.
G. Moignet, Essai sur le mode subjonctif en latin postclassique et en ancien français,Paris, P.U.F., 1959, p. 100. III.− COMPTAB. Calculer, en tenant compte d'un taux d'intérêts composés, un capital qui, à une date donnée, équivaut à un capital payable à terme. (Attesté ds Lar. encyclop. Suppl. 1968 comme terme d'organisation.) Prononc. : [aktɥalize], j'actualise [ʒaktɥali:z]. Harrap's 1963 transcrit : -tɥalize ou -tya-. Enq. : /aktualiz/. Conjug. parler. Étymol. ET HIST. − 1. 1641 chim. « rendre réel » (E. de Clave, Principes de nat., 2 ds DG : Une matière... laquelle estant actualisée par la forme, produisait les dits corps), vx, attest. isolée; 2. 1834 néol., philos. (Land. s.v. : Actualiser, v. act. réduire en acte. Mot nouveau); 3. 1923 ling., sup. II.
Dér. du rad. du lat. actualis (actuel*); suff. -iser*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 62. BBG. − Bél. 1957. − Lafon 1963. − Miq. 1967. − Voyenne 1967. |