| ACHEVER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− [Le compl. d'obj. est gén. un n. d'être inanimé] 1. Mener à sa fin naturelle ou voulue une chose commencée; compléter. a) Usuel : 1. Quant à sa conversation [de Montesquiou], sauf un peu de maniérisme dans l'expression, elle est pleine d'observations aiguës, de remarques délicates, d'aperçus originaux, de trouvailles de jolies phrases et que souvent il termine, il achève, par des sourires de l'œil, par des gestes nerveux du bout des doigts : une conversation où un analyste prévenu contre l'homme pourrait seulement, à la rigueur, découvrir, dans la concentration un peu mystérieuse du parler, un rien de la conversation d'un fou qui a été une intelligence, alors qu'un moment abandonné de sa folie, il dit des choses raisonnables.
E. et J. de Goncourt, Journal,juill. 1891, p. 117. 2. Je le sens, voici, pour moi, s'approcher l'heure des grands événements. Cette heure, je l'ai longuement attendue. Quarante ans! Et je n'ai rien fait, j'entends rien achevé, rien consommé.
G. Duhamel, Journal de Salavin,1927, p. 10. 3. Il y a chez E.-A... une grandeur d'âme qui tient à sa race et la prison achève et couronne en elle une longue tradition de courage.
J. Green, Journal,1941, p. 169. 4. Ainsi on peut obtenir des phénomènes où le mobile n'apparaît que pris dans le mouvement. Se mouvoir n'est pas pour lui passer tour à tour par une série indéfinie de positions, il n'est donné que commençant, poursuivant ou achevant son mouvement.
M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 312. − P. méton., fam. [L'obj. est une pers. considérée sous l'angle d'un de ses aspects] :
5. Le peintre m'achèvera aujourd'hui (= achèvera mon portrait).
F. Raymond, Dict. général de la langue française,Paris, Pitois-Levrault et Cie, t. 1, 3eéd., 1840. 6. électre. − (...) Prends de moi ta vie, Oreste, et non de ta mère!
oreste. − Pourquoi la hais-tu?... Écoute!
électre. − Qu'as-tu? Tu me repousses? Voilà bien l'ingratitude des fils. Vous les [= leur formation] achevez à peine, et ils se dégagent, et ils s'évadent.
J. Giraudoux, Électre,1937, I, 8, p. 88. − Emploi abs. : 7. Nous préparons toujours et n'achevons jamais.
H.-F. Amiel, Journal intime,28 nov. 1866, p. 527. Rem. 1. Si dans beaucoup de cas achever, finir et terminer, qui sont tous les 3 perf., peuvent s'employer l'un pour l'autre, ils présentent pourtant entre eux certaines nuances sém. Terminer (ex. 1) signifie « mettre un terme à une chose en arrêtant son cours ou son mouvement ». Finir (une chose) signifie « mener une chose jusqu'à son terme, de telle sorte qu'elle soit complète, mais non forcément parfaite ». Achever ajoute à l'idée de « mener à terme » l'idée positive de conformité à un modèle (cf. achevé, ex. 9); il se rapporte à l'ouvrage à exécuter ou exécuté, non au suj. qui l'exécute. Consommer (ex. 2) implique l'idée d'un accomplissement définitif, irrévocable; il appartient plutôt au style noble. 2. Syntagmes fréq. : achever sa toilette, - le repas, - ses études, etc. − Achever de, suivi de l'inf.Mener à sa fin, compléter l'action de : 8. Ces deux beaux animaux retenaient leur haleine,
Tremblant de réveiller l'enfant expiatoire,
Et les touffes de buis semés de marjolaine,
Achevaient d'embaumer ce premier oratoire.
Ch. Péguy, Ève,1913, p. 832. Rem. Avec une constr. arch. de l'obj. pronom. : l'achever de... = achever de le ... : 9. Après cette première journée de ministère, la misanthropie de Lucien était de cette forme : il ne songeait pas aux hommes quand il ne les voyait pas, mais leur présence un peu prolongée lui était importune et bientôt insupportable. Pour l'achever de peindre, il trouva, en rentrant à la maison, son père d'une gaieté parfaite.
Stendhal, Lucien Leuwen,t. 2, 1836, p. 297. b) Spéc. [Le compl. désigne des paroles en train de se prononcer] Finir de dire : 10. − La république! s'écria Laure; il n'y aura donc plus de cour?
− C'est impossible! répéta la marquise. Rassurez-vous, ma fille. Vous êtes fou, Gaston. La république! Y pensez-vous, mon fils? La France en a tâté et sait trop ce qu'elle vaut. Comme elle achevait ces mots, la porte du salon s'ouvrit, et M. Levrault parut, soutenant de son bras la marche chancelante de l'ouvrier blessé qu'il avait recueilli, et suivi d'une douzaine d'hommes armés qui l'avaient escorté jusqu'à son hôtel.
J. Sandeau, Sacs et parchemins,1851, p. 45. − Emploi abs. : 11. Là, protégé contre le soleil par un buisson d'arbres-à-plumes, se trouvait un banc où M. Floches m'invita à m'asseoir. Puis tout à coup.
− L'abbé Santal vous a-t-il dit que mon beau-frère est un peu...? Il n'acheva pas, mais se toucha le front de l'index. Je fus trop interloqué pour pouvoir trouver rien à répondre.
A. Gide, Isabelle,1911, p. 613. 2. Rendre complète la représentation de qqn ou de qqc. : 12. Ce sont là autant de traits qui achèvent Arnauld et qui le caractérisent au sein de Port-Royal. Homme de bien, il tenait à la bonne renommée sans tache comme à la conscience. Écrivain, il ne répudiait pas l'éloquence au service de la vérité. Chrétien, il ne se refusait pas les premiers mouvements de l'honnête homme, et les impulsions d'un honneur généreux.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 310. 13. Par moments, sous le regard des tableaux anciens réunis par Swann dans un arrangement de « collectionneur » qui achevait le caractère démodé, ancien, de cette scène, avec ce duc si « Restauration » et cette cocotte tellement « second Empire », dans un de ses peignoirs qu'il aimait, la dame en rose l'interrompait d'une jacasserie; il s'arrêtait net et plantait sur elle un regard féroce.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Le Temps retrouvé, 1922, p. 1019. Rem. Syntagmes fréq. : achever la ruine de qqn (J. Michelet, Le Peuple, 1846, p. 52). 3. [Suivi d'un compl. désignant un aliment] Achever de manger, de boire : 14. Jacques achevait son pain en trempant de grosses mies dans l'eau noire des lentilles.
R. Martin du Gard, Les Thibault,Le Pénitencier, 1922, p. 718. 4. Emplois techn. (attestés ds les dict. du xixes. seulement : F. Raymond, Dict. général de la langue française, Paris, Pitois-Levrault et Cie, t. 1, 3eéd., 1840; Besch. 1845; Littré; etc., où aucun ex. ni aucune citation ne les illustrent). − MAN. Achever un cheval. Le dresser entièrement (Littré). − [Terme de batteur d'or] Finir d'étendre l'or ou l'argent sous le marteau (cf. acheveur B). − [Terme de potier] Se dit de ce qui reste à faire depuis que l'ouvrage est tourné jusqu'à ce qu'il soit fini (cf. achevage). − Faire subir la dernière plongée aux chandelles à la baguette. 5. Région. (cf. achevé, ex. 10). B.− [Le régime du verbe est indifféremment un n. d'être animé ou un n. d'être inanimé] Mettre la dernière main pour perfectionner : 15. Double tunique, devant seulement : la première en cheviotte avec bouillon de poult-de-soie et la seconde en poult-de-soie, avec bouillon de cheviotte; une frange de soie achèverait bien ces deux tuniques mais taillées beaucoup plus courtes.
S. Mallarmé, La Dernière mode,1874, p. 748. C.− [Le compl. d'obj. est un n. d'être animé] 1. [L'être animé est un animal] Porter un coup mortel à un animal déjà atteint physiquement; donner le coup de grâce : 16. − C'est par rapport au dîner de ce soir... Nous allons crever, voici trente-six heures que nous ne nous sommes rien mis dans le ventre... Alors, comme il y a là des chevaux, et que ce n'est pas mauvais, la viande des chevaux...
− N'est-ce pas? caporal, vous en êtes, continua Loubet, parce que plus nous serons, mieux ça vaudra, avec une si grosse bête... Tenez! Il y en a un, là-bas, que nous guettons depuis une heure, ce grand rouge qui a l'air malade. Ce sera plus facile de l'achever. Et il montrait un cheval que la faim venait d'abattre, au bord d'un champ ravagé de betteraves.
É. Zola, La Débâcle,1892, p. 449. 2. P. ext. [En parlant de pers.] Syntagme fréq. : achever les blessés (Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan, t. 3, 1870, p. 196). − [En parlant de choses] :
17. La comédie des Précieuses ridicules tua le genre (1659) : Boileau survenant l'acheva par les coups précis et bien dirigés dont il atteignit les fuyards.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 324. 18. Nous y aurions perdu, certes, le beau plaidoyer de Valéry qui l'eût accusé « de confondre l'exercice avec l'œuvre », mais nous y aurions gagné des œuvres moins achevées (au sens où l'on achève un blessé), mais vivantes et considérablement plus éloquentes.
A. Lhote, Peinture d'abord,1942, p. 144. − Au fig. Mettre le comble à une situation critique : 19. Une à une, les images épuisent sur nous leur dessin, puis, en plein désordre de la conscience, la raison vient qui nous achève. Autant que l'instinct même, la haute faculté dont nous sommes fiers a sa panique.
G. Bernanos, Sous le soleil de Satan,1926, p. 263. − Fam. Enivrer entièrement : 20. Quelle belle soirée j'ai passée vendredi dans les coulisses du Cirque, en compagnie du coiffeur de ces dames! Frédérick Lemaître l'avait soûlé et Person l'avait achevé. Il était plus rouge que les boîtes de fard étalées sur la table de toilette, il ruisselait de cold-cream, de sueur et de vin.
G. Flaubert, Correspondance,1856, p. 108. II.− Emploi pronom. A.− [Le suj. du verbe est un n. d'être inanimé ou animé] 1. Conduire à sa fin une action commencée (cf. sup. I A 1 a). − Pronom. réfl. : 21. Jésus mort répandait un rayonnement blême;
La mort, comme n'osant s'achever elle-même,
Laissait flotter, au trou morne et sanglant des yeux,
Le reste d'un regard tendre et mystérieux.
V. Hugo, La Fin de Satan,1885, p. 877. − Pronom. passif : 22. C'est de ce chaste, de ce sauvage, que je voulais faire mon héritier. Je raconterai, par la suite, ce qui fut le deuil de ma vie. Car il ne suffit pas d'être, puis d'avoir été : il faut léguer et faire en sorte que l'on ne s'achève pas à soi-même, me répétait déjà mon grand-père.
A. Gide, Thésée,1946, p. 1418. 2. Devenir complet (cf. sup. I A 1 a) : 23. Deneulin (...) visita la fosse. Il était pâle, très calme (...) il s'arrêta devant le puits (...) regarda les câbles coupés (...) Puis, il descendit aux chaudières, marcha lentement devant les foyers éteints, béants et inondés (...) Allons! c'était bien fini, sa ruine s'achevait.
É. Zola, Germinal,1885, p. 1416. 3. Arriver à la dernière perfection (cf. sup. I B) : 24. La science s'achève par le style comme une plante par sa fleur.
H. Taine (Nouv. Lar. ill.). Rem. Cette accept. n'a été rencontrée que ds Nouv. Lar. ill. et Lar. 20e. B.− [Le suj. du verbe est un n. de pers.] 1. Se mettre dans une situation critique (cf. sup. I C 2) : 25. − Eh bien! nous y voilà encore, dit-il [le docteur Cazenove]. Je suis accouru pour vous serrer la main. Mais vous savez que je n'en ferai pas plus que cette enfant. Mon cher, quand on a hérité de la goutte et qu'on a dépassé la cinquantaine, on doit en prendre le deuil. Ajoutez que vous vous êtes achevé avec un tas de drogues... Vous connaissez le seul remède : patience et flanelle!
É. Zola, La Joie de vivre,1884, p. 836. 2. S'enivrer entièrement (cf. sup. I C 2) : 26. Des soldats ouvrirent plusieurs fenêtres (...). Ils furent stupéfaits. Une certaine de camarades étaient là, en train de s'achever, soûls comme des grives, heureux, incapables de gestes, chahutant du képi dans un frémissement clair de baïonnettes.
L. Hennique, Les Soirées de Médan,L'Affaire du Grand 7, 1880, p. 251. Prononc. − 1. Forme phon. : [aʃve], j'achève [ʒaʃ
ε:v]. Bardeau-Rodhe 1930 transcrit : aʃve, aʃfe. Enq. : /aʃe2v, aʃ(ə)v/. Conjug. croire; inf. /aʃve1/;part. /aʃvã, aʃve1/. 2. Dér. et composés : achevable, achevage, achevant, achevé, achèvement, acheveur, achevoir, inachevé, parachever. Étymol. ET HIST. − 1. 1100 trans. « mener à terme » (Roland, éd. Bédier, 3578 : Ceste bataille n'en est mais destornee : Seinz hume mort ne poet estre achevee); apr. 1170 « se terminer », pronom. (Benoit de Sainte Maure, Chron. des Ducs de Norm., éd. C. Fahlin, 6525 : Se il puent, si se desfendent; S'achever puet ci nostre afaire); xiies. intrans. « être mené à fin, prendre fin » (Vie de Ste Cath. d'Alexandrie, Richel. 23 112, LX, 41 ds Gdf. : La vie d'ome tost achieve) qualifié de vieilli par Littré et DG; xvies. loc. fam. pour l'achever de peindre « mettre le comble à son malheur » (Rabelais, Pant., III, 9 ds Littré : Si ma femme se mocquoit de ma calamité, ce seroit pour m'achever de peindre) syntagme qualifié de vieilli par DG; 1559 emploi abs. « terminer son discours » (Amyot, trad. Plutarque,
Œuvres morales, Comment il fault ouïr, IV ds Dict. hist. de la lang. fr. publ. par l'Ac. fr., t. 1, 1865 : Il a patience, neantmoins, et attend jusques à ce que celuy qui parle ait achevé); 2. a) 1534 « donner le coup de grâce, tuer » (Rabelais, Gargantua, I, 27, ibid. : Adoncques... commençarent esgorgeter et achever ceulx qu'avoit desja meurtris); b) xvies. part. passé adj. achevé « accompli, qui a les qualités de son genre » (Marguerite de Valois, Mémoires, année 1577, ibid. : Ce que je recognus en ceste ville [Cambray] d'estime et de remarque, fust la citadelle, des plus belles et des mieux achevées de la chrestienté); c) 1614 « consommer la ruine de qqn, l'accabler » (Hulsius, Dict. françois-alemand et alemand-françois, d'apr. FEW t. 2, p. 339b).
Dér. du syntagme a. fr. a chief (a chief venir de « venir à bout de », xiies.; traire a chief, intrans. « se terminer » xiies.; id. trans. « mener à bonne fin, terminer » xiies.), dés. -er. L'a. fr. eschever xiies., chever xiiies., sont des réfections de achever. Malgré l'ancienneté des corresp. rom. (a. esp., 1140, Cid ds Cor.; a. cat., 2emoitié xiiies., Llul ds Alc.-Moll; a. port. xiiies. ds Mach. t. 1 1967; a. prov., xiies., Peire Vidal ds Rayn.), le fait que le mot n'est pas autochtone en ital. (ital. accapare « achever », 1531-1601, Caporali ds Batt.) et qu'il n'est pas attesté en roum. rend moins vraisemblable l'hyp. d'un lat. vulg. *accapare, dér. de *capum (lat. *caput; voir chief, chef*), Brüch ds Z. fr. Spr. Lit. t. 49, 1927, p. 290; Ascoli ds Archivio glottologico italiano, t. 11, p. 427 interprète *accapare comme un reflet d'un gaul. *dopenno, de do-, lat. ad et d'un celt. *quenno « tête, extrémité ». STAT. − Fréq. abs. litt. : 6 797. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 8 521, b) 10 002 : xxes. : a) 10 969, b) 9 678. BBG. − Ascoli (G.I.). Saggiuoli diversi. Archivio glottologico italiano, 1890, t. 11, pp. 428-430. − Bailly (R.) 1969. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bernitt (P. F.). Lat. caput und capum nebst ihren Wortsippen im Französischen. Kiel, 1905, 229 p. [Cr. Meyer-Lübke (W.). Literaturblatt für germanische und romanische Philologie. 1906, t. 27, p. 370]. − Bonnaire 1835. − Bruant 1901. − Brüch (Josef). Bemerkungen zum Französischen etymologischen Wörterbuch E. Gamillschegs. Z. fr. Spr. Lit. 1927, t. 49, p. 290. − Brun 1968. − Canada 1930. − Caput 1969. − Chamb. 1970. − Comte-Pern. 1963. − Éd. 1913. − Girard 1756. − Guizot 1864. − Kold. 1902. − Laf. 1878. − Lav. Diffic. 1846. − Littré-Robin 1865. − Martin (E.). L'Expression cet ouvrage sera achevé d'imprimer est-elle française? Le Courrier de Vaugelas. 1870, t. 2, p. 92. − Sardou 1877. − Sommer 1882. − Synon. 1818. |