| ACHARNEMENT, subst. masc. A.− [En parlant d'un animal] Action de s'acharner sur sa proie. L'acharnement d'un loup, d'un animal carnassier (Ac. 1835, 1878, Ac. t. 1 1932). B.− Au fig. [En parlant princ. des hommes] Action de s'acharner; état de ce qui est acharné. L'acharnement de deux dogues l'un contre l'autre; ces deux animaux, ces deux hommes se sont battus avec acharnement (Ac. 1835, 1878, Ac. t. 1 1932); l'acharnement de plaideurs (Ac. 1835, 1878, Ac. t. 1 1932, Besch. 1845, Littré). 1. [L'acharnement a pour obj. une pers.; l'agent de l'acharnement peut rester implicite ou s'exprimer par un compl. introd. par de; idée dominante d'hostilité] :
1. Certes, personne ne comprend et n'admet plus que moi la critique haute et sérieuse, à laquelle Eschyle, Isaïe, Dante et Shakespeare eux-mêmes appartiennent, et qui a les mêmes droits sur les taches d'Homère que l'astronome sur les taches du soleil; mais la sauvagerie des haines littéraires, mais des acharnements d'hommes contre une femme, mais jusqu'à de la rhétorique de cour d'assises dépensée contre un noble et illustre écrivain, voilà ce qui m'étonne et me froisse profondément.
V. Hugo, Correspondance,1860, p. 327. 2. Je vous ai raconté notre campagne de Vendée, ce que les Vendéens eux-mêmes appellent la grande guerre. Nous avions exterminé la mauvaise race sur les deux rives de la Loire, mais les trois quarts d'entre nous avaient laissé leurs os en route. Tout ce qu'on a vu depuis n'est rien auprès d'un acharnement pareil.
Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 2, 1870, p. 299. 3. On me donne la chasse comme si j'avais tué Lisardo par traîtrise. Tant d'injuste acharnement me pousse au désespoir et m'oblige à défendre ma vie, de quelque crime qu'il faille la payer. Mes biens sont saisis, mes terres confisquées, je suis traité avec tant de dureté que la nourriture elle-même m'est refusée.
A. Camus, La Dévotion à la croix,adapté de Calderon de La Barca, 1953, p. 550. Rem. 1. Le plur. de l'ex. 1 est exceptionnel. 2. Dans l'ex. 2, acharnement désigne l'action elle-même (combat remarquable par sa violence); ailleurs, la modalité de l'action (opiniâtreté et virulence partic.). 2. [L'acharnement a pour obj. une chose; idée dominante d'obstination, d'entêtement] :
4. La bête rugit toujours en moi. Et l'acharnement du travail contribue aussi à me rendre farouche.
J. Michelet, Journal,oct. 1850, p. 137. 5. Il faut travailler avec acharnement, d'un coup, et sans que rien vous distraie; c'est le vrai moyen de l'unité de l'œuvre. Puis, une fois faite, et quand l'écriture repose, il faut lire avec acharnement, voracement, comme il sied après un tel jeûne, et jusqu'au bout, car il faut tout connaître. Et les idées de nouveau s'agiteront; ...
A. Gide, Journal,1890, p. 16. 6. Les clous des vérités ne s'arrachent jamais,
Malgré l'acharnement des ongles et des mains,
D'entre les joints soudés d'une cloison d'airain.
É. Verhaeren, La Multiple splendeur,1906, p. 97. 7. M. Pacaris s'inquiétait en secret de son état mais ne s'en plaignait jamais. Il disait que la volonté et l'acharnement au travail sont les meilleurs remèdes pour l'homme énergique.
J. Chardonne, L'Épithalame,1921, p. 131. Rem. 1. L'agent de l'acharnement peut rester implicite, ou s'exprimer par un compl. introd. par de (ex. 6). 2. Ce compl. peut aussi équivaloir au suj. d'une prop. attributive (l'acharnement du travail < le fait que le travail est acharné : ex. 4). 3. Constr. communes aux 2 accept. Acharnement + prép. autre que de.Acharnement à; acharnement contre a) Avec acharnement. Cette locution joue le rôle d'un adverbe (*acharnéement) convenant également aux 2 accept. − [Avec idée dominante d'hostilité] :
8. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien considérer dans cette affaire que M. Debeaune est depuis longtemps l'ennemi déclaré de cet homme qu'il poursuit avec acharnement, et qui j'espère vous déterminera à exiger des preuves rigoureuses du délit dont on l'accuse.
P.-L. Courier, Lettres de France et d'Italie,1819, p. 886. 9. Avec une obstination sournoise et aigre, et basse, avec des lâchetés constantes d'écriture, avec une hypocrisie laborieuse, avec un acharnement fatigué M. Langlois m'accuse proprement de vénalité.
Ch. Péguy, L'Argent,1913, p. 1145. − [Avec idée dominante d'opiniâtreté] (ex. 5) : 10. Les poètes romantiques allemands, par des voies diverses, dont chacune est unique, mais qui toutes les menèrent aux marges de la nuit, tentèrent avant les penseurs de saisir quelques-unes des figures de l'inconscient; ils le tentèrent avec un acharnement héroïque, qui tient justement à ce qu'ils assimilaient leur art, instrument de ces évocations, à leur destin personnel.
A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 147. Rem. 1. Cf. également : E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 1, 1823, p. 332; G. Flaubert, Correspondance, 1853, p. 293; L. Bloy, Journal, 1895, p. 42; P. Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie, 1939, p. 218, etc. 2. Dans environ 1/3 des cas, acharnement est lui-même l'obj. d'une spécification (adj., prop. rel., compl. de n., etc.). Spécifié par un adj. : M. de Robespierre, Discours, Sur la guerre, t. 8, 1791, p. 55; É. Zola, La Débâcle, 1892, p. 376; R. Grousset, L'Épopée des croisades, 1939, p. 240, etc. Spécifié par un compl. de n. : G. Duhamel, Chronique des Pasquier, La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 173, etc. Spécifié par une prop. rel. : J. Verne, L'Île mystérieuse, 1874, p. 147. b) [Le compl. est presque toujours un verbe ou un dév.] Acharnement à (ex. 7).Cf. également : − Acharnement à (G. de Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1794, p. 183; É. Zola, Madeleine Férat, 1868, p. 209; S. Weil, La Pesanteur et la grâce, 1943, p. 119, etc.). − Mettre (...) acharnement à (V. Hugo, Notre-Dame de Paris, 1832, p. 334; J. Renard, Journal, 1905, p. 961; A. Camus, Le Mythe de Sisyphe, 1942, p. 52, etc.). c) [L'idée dominante est l'hostilité, suggérée parfois par le cont. et toujours par la prép.] Acharnement contre (ex. 1, et aussi Marat, Les Pamphlets, Les Charlatans modernes, 1791, p. 292; Ch. Baudelaire, Paradis artificiels, 1860, p. 327, etc.). C.− Arg. Achar, d'achar. Acharnement, avec acharnement : 11. − Acharnement (argot du peuple); cité déjà par VIDOCQ d'achar − avec acharnement, délibérément, etc., courant surtout dans l'expression d'autor et d'achar (voir d'autor); cf. en outre Sainéan, Sources II 215 et Bruant p. 8, 149.
H. Kjellman, Mots abrégés et tendance d'abréviation en français,1920, p. 32. − D'achar : 12. J'aimerais mieux encore turbiner d'achar du matois à la sorgue (...). Travailler rudement du matin à la nuit.
F. Vidocq, Les Vrais mystères de Paris,t. 3, 1844, p. 317. − D'achar et d'auto(r) : 13. Achar et d'auto (d'), achar et d'autor (d'). Avec acharnement (...) D'achar et d'auto ou d'autor (...) « Qu'on enguel' d'Aumale et Totor (...). J'applaudis d'achar et d'autor. » (A. B[ruant].)
Bruant1901, p. 8. − D'achar et de rif : 14. Achar et de rif (d'). Avec acharnement (...) D'achar et de rif ou de riffe ou encore de rifle.
Bruant1901, p. 8 D.− Princ. assoc. notées. 1. Syntagmes. Lorsque l'idée d'obstination est seule, assoc. avec labeur, obstination (cf. inf.);acharnement au travail (J. de Pesquidoux, Le Livre de raison, t. 3, 1932, p. 217); acharnement du travail (J. Michelet, Journal, 1850, p. 134); travailler avec acharnement (L. Bloy, Journal, 1892, p. 42; O. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre, 1900, p. 275; P. Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie, 1939, p. 218). Ou bien, il s'y mêle l'idée d'hostilité :l'acharnement des adversaires (J. Giraudoux, Pour Lucrèce, 1944, p. 152); l'acharnement de mon antagoniste (L. Reybaud, Jérôme Paturot, 1842, p. 449); acharnement au combat (F. Guizot, Hist. générale de la civilisation en Europe, 1828, p. 15); acharnement dans le combat (A. Thierry, Récits des temps mérovingiens, t. 2, 1840, p. 14); détester avec acharnement (A. de Musset, Le Temps, 1831, p. 135); lutter avec acharnement(L.-E.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard, 1860, p. 36; J. Joffre, Mémoires, t. 2, 1931, p. 444); pourchasser avec acharnement (J. de Pesquidoux, Chez nous, t. 2, 1923, p. 169). Mais le combat peut également être défensif :défendre avec acharnement(J. Sandeau, Sacs et parchemins, 1851, p. 59; J. et J. de Tharaud, Dingley, l'illustre écrivain, 1906, p. 147) et l'ennemi, être représenté par une force abstr. :l'acharnement du sort (É. Zola, La Fortune des Rougon, 1871, p. 60; Id., L'Argent, 1891, p. 381). Selon le cont., acharnement peut donner lieu à toutes sortes de qualifications, gén. laud. lorsqu'il ne s'agit que d'obstination :acharnement de bravoure (É. Zola, La Débâcle, 1892, p. 60); acharnement dans le courage (A. Malraux, L'Espoir, 1937, p. 758) acharnement peut aussi donner lieu à toutes sortes de qualifications péj. lorsque l'hostilité est en cause :acharnement atroce (M. de Robespierre, Discours, Sur la guerre, t. 8, 1791, p. 55); acharnement horrible (Ch.-M. Leconte de Lisle, Poèmes barbares, Le Soir d'une bataille, 1878, p. 230); acharnement sauvage et imbécile (É. Zola, La Bête humaine, 1890, p. 19). À noter enfin, quel que soit le cont., des assoc. nombreuses avec les verbes :mettre de l'acharnement (H. de Montherlant, Les Lépreuses, 1939, p. 1376); mettre un acharnement désespéré (L.-E.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard, 1860, p. 234); poursuivre avec acharnement(A. de Vigny, Le Journal d'un poète, 1830, p. 925; A. Thierry, Récits des temps mérovingiens, t. 2, 1840, p. 17; Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869, p. 168-169-170). 2. Assoc. paradigm. : acharnement/labeur (M. Druon, Les Grandes familles, t. 2, 1948, p. 97); acharnement/obstination (L.-E.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard, 1860, p. 244). Prononc. : [aʃaʀnəmɑ
̃]. Enq. : /aʃaʀn(ə)mã/. Étymol. ET HIST. − 1. Sens propre a) 1611 terme de vén. et fauconn. « action de donner le goût du sang, de nourrir ou appâter avec de la chair; action de garnir de chair (le leurre) » (Cotgr. : Acharnement. A fleshing; a feeding, or baiting with flesh; a laying of flesh upon); n'est plus attesté au-delà du xviies. et le sens propre ne subsiste qu'avec la signif. ci-après b) 1680 « ardeur d'un animal qui s'attache à sa proie » (Rich. ds FEW s.v. caro); 2. emploi fig. a) 1611 « fureur avec laquelle se battent des animaux ou des hommes » (Cotgr. : Acharnement... Also, an entering in, or provocation unto, crueltic); b) 1664 « animosité opiniâtre » (Molière, Tartuffe, I, sc. 5 : Jamais contre un pécheur ils n'ont d'acharnement. Ils attachent leur haine au péché seulement).
Dér. de acharner*; suff. -ment1*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 435. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 503, b) 912; xxes. : a) 579, b) 582. BBG. − Bar 1960. − Bénac 1956. |