| ACCULER, verbe. I.− Emploi trans. [Ce verbe est gén. suivi d'un compl. d'obj. second. introd. par les prép. à, contre, dans ou par des loc. prép.] A.− [L'obj. second. est un subst. désignant une chose concr. ou un lieu] Pousser dans un endroit où tout recul est impossible. 1. [L'obj. dir. est une pers.] Pousser quelqu'un contre (gén. un mur) ou dans (gén. un coin) : 1. ... transportée de rage, elle se précipita sur moi, m'étreignit dans ses bras et me repoussa vers le cabinet. (...) Moitié riant, moitié résistant, je la repoussai, je l'acculai contre le mur, jusqu'à ce qu'elle voulût me frapper; alors je levai le poing sur elle,...
G. Sand, Histoire de la vie,t. 3, 1855, p. 136. 2. Léo parvint à acculer l'ivrogne dans un coin et lui demanda des nouvelles de Marthe.
J.-K. Huysmans, Marthe,1876, p. 93. 3. Félicité reculait toujours devant le taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui l'aveuglaient, tandis qu'elle criait : − « Dépêchez-vous! Dépêchez-vous! » MmeAubain descendit le fossé, poussa Virginie, Paul ensuite, tomba plusieurs fois en tâchant de gravir le talus, et à force de courage y parvint.
Le taureau avait acculé Félicité contre une claire-voie; sa bave lui rejaillissait à la figure, une seconde de plus il l'éventrait. Elle eut le temps de se couler entre deux barreaux, et le grosse bête, toute surprise, s'arrêta.
G. Flaubert, Trois contes,Un cœur simple, 1877, p. 17. 4. Pourquoi n'avait-elle pas su ramener cette créature au fait? Si Gaspard avait été là, il l'aurait réduite et poussée jusqu'au mur où l'acculer, Gaspard avec sa tête en ordre, son idée terrible.
H. Pourrat, Gaspard des montagnes,La Tour du Levant, 1931, p. 249. Rem. Dans l'ex. 4, il s'agit d'un emploi fig., acculer contre le mur faisant image. − [L'obj. second. n'est pas exprimé] :
5. Un voleur qui a manœuvré pour échapper à un cercle de gendarmes, et qui, espérant toujours se sauver, s'est vu cerner, puis acculer peu à peu, n'est pas plus désespéré qu'Émile, qui brisait les ongles de sa volonté contre des difficultés insurmontables.
L.-E.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard,1860, p. 22. 2. [L'obj. dir. est un animal] Acculer le blaireau dans (ou au fond de) son terrier : 6. ... j'ai ouï dire que le chamois, lorsqu'on l'accule aux abîmes, se retourne contre le chasseur...
A. Daudet, Tartarin sur les Alpes,1885, p. 170. 7. Dans le jour, on peut l'[le blaireau] acculer au fond de son terrier en y faisant pénétrer un petit chien spécialement dressé dans ce but.
H. Coupin, Animaux de nos pays,dict. pratique, 1909, p. 37. 3. Plus rarement. [L'obj. dir. est une chose] Faire buter quelque chose (par la partie postérieure) contre quelque chose; acculer une voiture (un attelage) contre le trottoir; acculer un canon à un tertre : 8. Que le pionnier en chef sur ces deux points s'aligne,
Bien! De fondations tracez ici la ligne.
Artilleurs! À ce tertre acculez le canon.
La gueule sur la ville et sur la plaine. − Bon!
A. de Lamartine, Toussaint Louverture,1850, III, 1, p. 1311. 9. ... puis poussant l'animal à reculons et faisant marcher les grandes roues devant les petites acculèrent l'attelage au parapet du pont...
A. France, L'Île des pingouins,1908, p. 303. − [L'obj. second. n'est pas exprimé] :
10. La maraîchère avait pris Balthazar par la bride, le poussant, acculant la voiture, les roues contre le trottoir. Puis, la planche de derrière enlevée, après avoir marqué ses quatre mètres sur le trottoir avec des bouchons de paille, elle pria Florent de lui passer les légumes, bottes par bottes.
É. Zola, Le Ventre de Paris,1873, p. 608. − Région. Acculer un tombereau : 11. Acculer, v. a. − (...) Vider un tombereau en le renversant par l'arrière, le cul.
Verr.-On. t. 1 1908, p. 11. B.− [L'obj. second. est un subst. d'action ou d'état ou bien un inf.; l'obj. dir. est un subst. désignant une pers. ou bien un pays, un peuple (subst. coll.), une doctrine, un syst., etc.] Mettre (par force et sans autre issue possible) dans une position extrême, contraindre à une action (non souhaitée) : 12. Le livre de M. de Maistre est dirigé contre l'église gallicane. Quoique le jansénisme (nous l'avons assez établi) se sépare du gallicanisme, et qu'il y ait même entre eux une séparation profonde, bien qu'étroite d'apparence, M. de Maistre, dont c'est le jeu de pousser le gallicanisme et de l'acculer aux extrémités, débute par faire le procès au jansénisme...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 161. 13. ... résumé de ces entretiens :
Le comte Oberndorff a demandé, tout d'abord, si les alliés ont fixé des conditions aussi dures en vue d'acculer l'Allemagne à les refuser.
Il est répondu que les alliés font connaître les conditions auxquelles ils peuvent accorder l'armistice. Il n'y a dans leurs intentions rien de caché.
F. Foch, Mémoires,t. 2, 1929, p. 298. 14. C'est la mort qui donne son unité à la vie, en ce sens que seule une situation de catastrophe, en m'acculant à choisir entre ma vie et celle de mes amis, a le pouvoir de mettre globalement en question mon existence. L'éventualité de cet événement simple, ma mort, mon mourir, rassemble soudain tout ce que je suis comme corps dans une accolade également simple. Du mourir, le vivre reçoit toute la simplicité dont il est capable...
P. Ricœur, Philosophie de la volonté,1949, p. 116. 15. La civilisation de l'image :
Avec le xixesiècle s'achève la civilisation du livre. Le machinisme a d'abord hâté son accomplissement; mais bientôt, emporté par sa course, il l'a acculée à se dépasser. L'homme, traqué par la rapidité, avait préféré penser plutôt qu'éprouver; voici qu'à son tour, la pensée devient trop lente...
R. Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 39. Rem. Le suj. du verbe acculer est le plus souvent une pers. Cependant, except., il peut être un animal (ex. 3) ou une chose abstr. considérée comme détentrice d'un pouvoir (ex. 14, 15). − [L'obj. second. n'est pas exprimé] :
16. Je serais donc fort exposé à n'en jamais prendre aucune [de résolution], si les somnambules n'existaient pas. Je vais à leur repaire. Je les interroge. Je reçois le plus souvent des réponses molles et obscures; mais je pousse mon oracle, je l'accule, je le serre dans l'étau d'une alternative : oui ou non? Il se prononce. Me voilà soulagé. Si c'est non, j'oublie mon dessein, et je regarde passer les fiacres. Si c'est oui, je m'élance.
J. Romains, Les Copains,1913, p. 34. 17. Il [A. Gide] nous entoure, nous accule, et nous contraint peu à peu à nous avouer pareil à lui-même, par toute la sympathie, par la subtile « connivence » qu'il faut lui consentir pour le rejoindre et nous perdre à sa suite.
H. Massis, Jugements,t. 2, 1924, p. 20. II.− Emploi pronom. S'acculer.[Correspond toujours à l'accept. A de l'emploi trans.] A.− [L'obj. second. est exprimé] 1. [Le suj. est une pers.] S'appuyer contre quelque chose pour se défendre et n'être pas pris par-derrière (cf. s'adosser). − Au fig., rare. S'acculer dans une impasse. Se mettre dans une situation sans issue, ou sans issue favorable : 18. À force de s'ausculter, en errant ainsi, il finissait par s'acculer dans une impasse, aboutissait à cette conclusion : je ne pratique pas ma religion parce que je cède à d'ignobles instincts et je cède à ces instincts parce que je ne pratique pas ma religion. Mais ainsi au pied du mur, il regimbait, se demandant si cette dernière observation était bien juste...
J.-K. Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 68. 2. [Le suj. est un animal] Se mettre contre quelque chose (l'arrière-train contre qqc.) : 19. Voici une chasse d'Abraham Hondius qui ferait pâlir tous les animaliers de notre époque. Une laie attaquée s'est acculée à un arbre et fait tête aux chiens; de ses pattes de devant étendues elle semble vouloir protéger ses marcassins, qui fuient épouvantés à travers les morsures et les abois.
M. du Camp, En Hollande,1859, p. 21. − P. anal., rare. [En parlant de pers. comp. à des animaux] Se presser les uns contre les autres : 20. ... pendant que ceux qu'il contient sont accablés de ce désespoir que vous savez, celui-là ne connaît pas les accidents de la vie. Enfin, il s'échappe un cri universel de douleur immense d'entre les flancs du vaisseau, tandis que la mer redouble ses attaques redoutables. C'est le cri qu'a fait pousser l'abandon des forces humaines. Chacun s'enveloppe dans le manteau de la résignation et remet son sort entre les mains de Dieu. On s'accule comme un troupeau de moutons.
Lautréamont, Les Chants de Maldoror,1869, p. 205. 3. [Le suj. est une chose (p. ex. une constr., une montagne)] S'appuyer (par sa partie postérieure) à quelque chose : 21. Le faubourg et sa redoute se prêtaient main-forte. Le faubourg s'épaulait à la redoute, la redoute s'acculait au faubourg.
V. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 411. 22. ... ces déchirures, ces perspectives qui s'ouvrent tout à coup, donnant sur des amoncellements de rocs à figure de citadelles; ces groupes de sommets en dos d'âne, en dents de scie, dont la masse tourne, ayant obéi, on dirait, à un mouvement voulu, et semble travaillée et comme fouillée à coups de pouce; ces faisceaux d'aiguilles enfin, criblés de lumière, si hardis et si fins qu'ils se fondent dans la vibration aérienne. Ou bien ce sont des croupes monstrueuses accotées, avec des plis entre elles qui forment précipices, ou des croupes tournées les unes contre les autres comme pour s'acculer...
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 1, 1925, p. 174. Rem. Dans l'ex. 22 s'acculer est à la forme réciproque. B.− Emploi pronom. abs. − [Le suj. est une voiture, une charrette] Aller à cul, pencher à l'arrière : 23. Ils devaient tourner devant notre maison, pour prendre la rue Charles-Blanc. Ils laissaient s'acculer les charrettes : le feuillage et les branches des arbres faisaient frein sur la chaussée, et ainsi les voitures, dans la pente, tournaient plus aisément.
J. Guéhenno, Journal d'un homme de quarante ans,1934, p. 113. − ÉQUIT. [En parlant d'un cheval] ,,Qui ne va pas assez en avant à chacune des voltes.`` (Quillet 1934), ou ,,Qui se cabre de telle sorte que sa croupe touche presque le sol.`` (Rob.). III.− Emploi intrans., rare. ,,Pencher de manière... que l'arrière baisse.`` (DG). − [En parlant d'une voiture trop chargée à l'arrière] (cf. emploi II B). − MAR. [,,En parlant d'un navire dont on fait enfoncer l'arrière soit en chargeant particulièrement les cales arrières, soit en remplissant le peak arrière``] (Le Clère 1960, s.v. acculée). ,,Le tangage fait acculer le navire.`` (DG). Prononc. − 1. Forme phon. : [akyle], j'accule [zakyl]. Pour le redoublement du c, cf. accabler. Enq. : /akyl/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : accul, acculée subst. fém., acculement. Cf. cul. Étymol. ET HIST.
I.− A.− Ca 1200 pronom. « s'appuyer de son postérieur contre qqc. » (Renart, 9136-9139, éd. M. Roques : Or, dan Bernart, qui fort rains as, Va si t'acule a cel huiset, Et si l'entrueve un pestitet, tant que li leus i puist entrer); 1534 id. « s'asseoir » (Marot, L. I. de la Métamorphose, III, 193 : [Argus] occupe et gaigne legerement le hault d'une montaigne Assez loingtaine où se sied et acule, Et là séant en toutes partz spécule); d'où terme de manège, 1678 id. « se dit d'un cheval dont la croupe s'approche trop du centre de la volte » (Guillet, Les arts de l'homme d'épée : Dans le manège un cheval s'accule lorsque maniant sur les voltes, il ne va pas assez en avant à chacun de ses temps ou de ses mouvements en sorte que ses épaules n'embrassent pas assez de terrain et que sa croupe s'approche trop du centre de la volte. Votre cheval s'acule et s'entable tout à la fois); 1751 « se jeter sur sa croupe (d'un cheval qu'on tire en arrière) » (Encyclop. s.v. : acculer a un autre sens parmi le vulgaire et se dit d'un cheval qui se jette et s'abandonne sur la croupe en désordre lorsqu'on l'arrête ou qu'on le tire en arrière). − 1863, Littré. B.− 1564 trans. « pousser (une bête) dans un endroit où elle ne peut plus reculer » (Ch. Estienne, L'Agriculture et la maison rustique, p. 150 b : Il est requis de mettre les bassets par le dessous devers la vallée, afin d'acculer les tessons sur le haut du costau). C.− P. anal. 1. av. 1307 trans. « repousser contre » (G. Guiart, Branches des Royaux Lignages, II, 7043 ds T.-L. : souz les arbres retenues, S'estoient (les eschieles) a destre tenues, Ou l'en ainçois les acula); 2. 1532 « renverser » (Rab., I, 23 ds Hug. : De sa lance... rompoit un huys, enfonçoit un harnoys, acculloyt un arbre, enclavoyt un aneau), attest. isolée; 3. 1532 « éculer (un soulier) » (Id., I, 11, ibid. : Tousjours se vaultroit par les fanges... aculoyt ses souliers). − 1835; 4. 1564 pronom. « se retirer au fond de son terrier (du blaireau) » (Ch. Estienne, Op. cit., ibid.) : pour cette cause faut ... avoir ... demie douzaine de bons chiens bassets, pour le moins, qui ayant chacun un collier au col, large de trois doigts et garny de sonnettes, pour l'entrée des terriers, à fin que les tessons s'acculent plustost, et aussi que les colliers les garderont d'estre blessez.
II.− Fig. a) 1247 trans. « tourner le dos à qqc. » (Huon le Roi de Cambrai, Li Regrès Nostre Dame, 62, 7 (éd. Langfors) : Trestous li mons mout tost l'acule [la chair, après la séparation de l'âme et du corps]); b) 2emoitié xiiies. « pousser à la dernière extrémité, ruiner (qqn) » emploi fig. (Le Dit de Cointise, v. 153, 157 ds R. Lang. Rom., 68 pp. 184-193 : Et quant ele l'a deffulé De son mari, tost aculé L'a pour autrui ki le rafule; Par cointien [cointier?] son mari acule, Ki cointement l'ot afulee); 2emoitié xives. « pousser, faire tomber dans un piège » (G. de S. André, Libvre du bon Jeh., 1961 ds Gdf. Compl. : Les Angloys estoient aculez); c) 1549 « retarder, différer (un procès) » (R. Estienne Dict. français lat. s.v. : acculer ung proces qui estoit en beau chemin, In medio litis curriculo remoram admouere). − 1625.
Dér. de cul*, préf. a-*; dés. -er. STAT. − Fréq. abs. litt. : 92. BBG. − Bar 1960. − Baudr. Chasses 1834. − Grandm. 1852. − Gruss 1952. − Jal 1848. − Le Clère 1960. − Littré-Robin 1865. − Mots rares 1965. − Remig. 1963. − Soé-Dup. 1906. − Thomas 1956. − Will. 1831. |