| ACCROÎTRE, verbe trans. I.− Emploi trans. Faire croître, rendre plus grand par une augmentation d'ordre quantitatif ou qualitatif. A.− [Le compl. du verbe désigne un nombre, une quantité, une intensité ou bien une chose concrète dont on envisage le nombre, la quantité, l'intensité] :
1. Ils laissent beaucoup à leur aîné, conservent et accroissent par lui le bien de la famille, fondent ainsi de petits majorats de quelques arpents et sont aristocrates sans le savoir.
A. de Vigny, Mémoires inédits,1863, p. 155. 2. Il faut accroître la production d'énergie électrique...
Des solutions, en voici..., L'Humanité,19 janv. 1952, p. 2, col. 6. 1. Accroître le nombre de..., la quantité de..., le chiffre des..., le volume de..., la masse de..., le montant de..., la somme des..., l'intensité de..., la valeur de... : 3. L'étendue et la fertilité du territoire d'une nation tiennent au bonheur de sa position. Son industrie et ses capitaux tiennent à sa conduite. Toujours il dépend d'elle de perfectionner l'une et d'accroître les autres.
J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832, p. 77. Rem. Syntagmes fréq. : accroître la recette, les ressources, les biens, les charges, un patrimoine, la production, les capitaux,... 2. Augmenter l'étendue de..., élargir des dimensions de... : 4. Mais si le clergé a défriché l'Europe sauvage, il a aussi multiplié nos hameaux, accru et embelli nos villes.
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 2, 1803, p. 545. 3. Augmenter l'intensité de... : 5. Nous savons, par exemple, que les travaux qui s'exécutent par de grands mouvemens, et qui demandent de grandes forces musculaires, cultivent ces mêmes forces, les développent et les accroissent; tandis qu'au contraire ils émoussent la sensibilité du système nerveux.
P. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 2, 1808, p. 449. B.− [Le compl. désigne une chose abstr., un sentiment, une activité, une faculté, des connaissances...] En augmenter l'intensité, l'efficacité, la portée, l'étendue : 6. ... et cette haine qu'on lui porte ne fait qu'accroître sa tendresse...
MmeCottin, Mathilde,t. 2, 1805, p. 258. 7. L'esprit de l'homme accroît ses forces à proportion des difficultés que lui oppose la nature.
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 295. 8. ... mon oncle, l'abbé Sigorgne, M. de Larnaud et cinq ou six hommes lettrés du pays y avaient, récemment encore, jeté les fondements d'une institution de nature à y accroître et à y perpétuer le goût des sciences, des arts et de la haute littérature.
A. de Lamartine, Nouvelles Confidences,1851, p. 104. − En partic. [Le compl. est un subst. signifiant l'idée d'étendue, de capacité (au fig.)] :
9. En augmentant la somme de ses désirs augmentera-t-elle la somme de son bonheur? Ne va-t-elle pas accroître démesurément sa capacité de souffrance?
A. de Vigny, Le Journal d'un poète,1937, p. 1078. Rem. Syntagmes fréq. : accroître les responsabilités, les charges, ses prétentions, son rôle, ses connaissances... II.− Emploi pronom. Augmenter en quantité ou en qualité. A.− Correspond à I A 1. [Le suj. désigne un nombre, une quantité, une intensité...] .
10. ... on verra que la plupart de ces terres ont été achetées par des gens qui en possédaient déjà d'autres; de sorte que, si la propriété a changé de mains, le nombre des propriétaires s'est bien moins accru qu'on ne l'imagine.
A. de Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution,1856, p. 89. 2. [Le suj. désigne un ensemble de pers.] Augmenter en nombre : 11. Notre enceinte se rétrécit chaque jour. Les sentinelles s'accroissent, tout nous rappelle à chaque instant notre horrible prison.
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 2, 1823, p. 204. 12. Il retrouve sa famille bien accrue en son absence (...) Méchante femme, je ne t'avais laissé qu'deux enfants, en voilà quatre à présent.
A. France, La Vie littéraire,t. 3, 1891, p. 111. 13. Ainsi qu'à Rome, il fut procédé au cens tous les cinq ans; et l'on s'aperçut, par ce moyen, que la population s'accroissait rapidement.
A. France, L'Île des pingouins,1908, p. 84. 3. Vx. [Le suj. désigne une plante, un animal...] Synon. de croître.Augmenter en taille, en volume : 14. De même qu'une plante, flétrie par l'ombre des arbres, se développe et s'accroît aussi-tôt qu'elle a été transplantée là où elle peut jouir des rosées du ciel et des rayons du soleil...
J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'État de New-York,t. 1, 1801, p. 68. 15. ... on peut reconnoître que l'organisation très-simple de ces corps vivans n'offre qu'un tissu cellulaire, dans lequel les fluides qui le vivifient se meuvent avec lenteur, et que ces corps, dépourvus d'organes spéciaux, ne se développent, ne s'accroissent, et ne se multiplient ou ne se régénèrent que par une faculté d'extension et de séparation de parties reproductives qu'ils possèdent dans un degré très-éminent.
J.-B. Lamarck, Philosophie zoologique,t. 2, 1809, p. 49. 4. [Le suj. désigne une chose] a) Augmenter en surface, en étendue, en volume : 16. Dans cette glorieuse lutte, il était puissamment secondé par son frère aîné, Cornélis, qui fut inspecteur du gouvernement sur les vaisseaux de la confédération et bailli de Putten. Combattant et traitant avec l'Angleterre, surveillant la France qui devenait inquiétante, s'affermissant au dedans et s'accroissant au dehors, on gagna l'année 1672...
M. Du Camp, En Hollande,1859, p. 55. 17. L'arbre dès lors se fait à lui-même son fond, sa terre, quelque chose comme son milieu biologique particulier, (...) Constitué d'assises superposées dans le sens de la profondeur, incessamment accru, entassé, ce sol forestier est littéralement son œuvre.
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 2, 1928, p. 10. b) Augmenter en intensité : 18. ... la sensation est plus ou moins douloureuse, et dans ce cas, ou le principe sensitif fait de vains efforts pour ramener l'équilibre et lutter contre la cause, et la douleur persiste et s'accroît, ou le rapport des forces ne se rétablit que par une succession lente...
Maine de Biran, De l'Influence de l'habitude sur la faculté de penser,1803, p. 52. 19. Mais le son meurtrier et s'accroît et redouble...
P.-M.-F.-L. Baour-Lormian, Ossian,La Bataille de Témora, 1827, p. 191. − S'accroître en + subst. indiquant la nature de l'accroissement : 20. Cela ne peut mourir et cela n'a pu naître,
Cela ne peut s'accroître ou décroître en clarté,
Toute cette lumière étant l'éternité.
V. Hugo, La Légende des siècles,Le Titan, t. 3, 1877, p. 114. − S'accroître de + subst. indiquant ce qui cause l'accroissement : 21. Pendant un instant la bicyclette tangua, et le jeune corps semblait s'être accru d'une voile, d'une aile immense; et bientôt nous vîmes s'éloigner à toute vitesse la jeune créature mi-humaine, mi-ailée, ange ou péri poursuivant son voyage.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Prisonnière, 1922, p. 172. B.− Correspond à I B. Gagner en force, en vigueur, en intensité, en étendue. 1. [En parlant d'une faculté hum., d'une force psychol., pol. ...] :
22. « C'est là que l'imagination, devenue faculté créatrice, s'accroît, s'élève et plane dans le vague d'objets nouveaux, qu'elle décore de ses plus brillantes couleurs. »
J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'État de New-York,t. 2, 1801, p. 163. 23. La force méditative, qui aurait pu s'accroître avec l'âge, s'est affaiblie et presque perdue dans les dissipations.
Maine de Biran, Journal,1816, p. 188. 24. Depuis environ cinq siècles, l'indépendance et les lumières ont agi dans tous les sens, et presque au hasard; mais la puissance royale s'est constamment accrue par diverses causes et par divers moyens.
G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 1, 1817, p. 11. 2. [En parlant d'un sentiment, d'une disposition d'esprit...] :
25. ... leur embarras et le peu de vraisemblance de leur récit, me font concevoir des soupçons qui s'accroissent et se changent en certitude...
R.-Ch. Guilbert de Pixerécourt, Coelina,1801, II, 9, p. 38. 26. Il est extrêmement difficile d'écrire l'histoire. On ne sait jamais au juste comment les choses se sont passées; et l'embarras de l'historien s'accroît avec l'abondance des documents.
A. France, L'Île des pingouins,préf., 1908, p. 4. 27. La liberté de fait ne s'est pas accrue proportionnellement à la conscience que l'homme en a prise.
A. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 33. Rem. Syntagmes fréq. : l'attachement, l'estime, le respect, la reconnaissance, l'amour, la confiance s'accroissent; l'inquiétude, l'impatience, le trouble, l'anxiété, l'angoisse, l'épouvante, l'effroi, la vivacité, la hardiesse, la colère, la fureur, la violence s'accroissent; les regrets, la peine, les maux s'accroissent. 3. [En parlant d'une activité, d'un système pol., soc. ...] :
28. ... un fonctionnarisme sans cesse accru, immense, avide, malfaisant, en qui la république croit s'assurer une clientèle et qu'elle nourrit pour sa ruine...
A. France, L'Orme du mail,1897, p. 151. 29. La solution du matériel, je ne la vois pour l'heure que dans un travail sans cesse intensifié et accru et dans cette faculté réaliste (qu'heureusement personne ou presque à Paris ne soupçonne)...
Ch. Du Bos, Journal,mai 1927, p. 278. 4. [En parlant du résultat d'une activité, d'une œuvre, de connaissance...] Gagner en ampleur, en richesse, en étendue... : 30. ... le texte perd peu à peu du terrain à mesure que l'élément musical s'accroît et s'enrichit.
Bénédictins de Solesmes, Paléographie musicale,t. 2, 1889, p. 125. 31. Car c'est une œuvre qui pourra indéfiniment s'accroître et se parfaire; une œuvre qui ne sera jamais achevée pour moi et qui cependant pourra être, à n'importe quel moment, interrompue par ma mort.
R. Martin du Gard, Souvenirs autobiographiques,1955, p. CX. 5. LITT. [En parlant d'une pers.] Gagner en force, en élévation intellectuelle ou morale; développer sa personnalité, son influence : 32. Dès lors ce jeune homme ne s'accroîtra plus; il perdra au contraire, parce que les principes scientifiques manquent, à moins qu'il ne se fasse lui-même ou par d'autres maîtres l'éducation de son esprit.
C. Bernard, Principes de médecine expérimentale,1878, p. 217. 33. Je suis venu à Venise pour m'accroître et pour me créer heureux. Voici cet instant arrivé. Ce soir-là, quand...
M. Barrès, Un Homme libre,1889, p. 170. 34. Je veux apprendre − c'est-à-dire prendre, saisir − je veux m'accroître, peut-être parce que j'appartiens à une famille en pleine poussée de sève, en pleine ascension, comme dit Joseph qui, lui, confond ascension et richesse. Ce que je demande, ce n'est pas de me délivrer de toute responsabilité, ce n'est pas de marcher les yeux clos, ce que je demande, c'est de la nourriture, de la substance. Je veux un enseignement.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Les Maîtres, 1937, p. 30. Rem. 1. Comme dans la 1repart. de l'art. (cf. sém. I A 3) certains ex. montrent qu'un accroissement est rarement fortuit, inconditionné, indépendant, mais progressif, dépendant; il se fait : à mesure que, avec, en raison de, en raison inverse de, à proportion de, proportionnellement. 2. À l'inf. ou au part. passé, accroître est souvent constr. avec des adv. de manière tels que : régulièrement, constamment, continuellement, progressivement, lentement, rapidement, subitement, sensiblement, insensiblement, démesurément, indéfiniment, infiniment, immensément, éternellement. 3. Assoc. paradigm. rencontrées : synon. s'étendre, s'élargir, se renforcer; anton. décroître, dépérir. III.− DR., emploi intrans. Revenir à quelqu'un, à son profit : 35. 786. La part du renonçant accroît à ses cohéritiers; s'il est seul, elle est dévolue au degré subséquent.
Code civil,1804, p. 144. Rem. Le Nouveau répertoire de droit (Paris, Dalloz, t. 4, 1965) commente l'art. 786 du Code civil de la façon suivante : ,,Ce texte doit être interprété à la lueur de celui qui le précède : de la disparition de la vocation successorale du renonçant il déduit que la succession doit être déférée ainsi qu'elle l'eût été si le renonçant n'avait jamais eu de vocation héréditaire...`` (Planiolet et Ripert, nos317-318). Prononc. − 1. Forme phon. : [akʀwa:tʀ
̥], j'accrois [ʒakʀwa]. Passy 1914, Barbeau-Rodhe 1930, Dub. transcrivent la 2esyllabe de ce mot avec [ɑ] post. Cf. croître. Harrap's 1963 et Warn. 1968 donnent la possibilité de 2 prononc. avec [ɑ] post. et avec [a] ant. Pt Rob. et Pt Lar. 1968 transcrivent ce mot avec un [a] ant. Enq. : /akʀwa, akʀwas, akʀwat/. Conjug. paraître; inf. /akʀwatʀ, D/; part. /akʀwasã, akʀy/. 2. Dér. et composés : cf. croître. 3. Conjug. − Se conjugue comme croître, mais ne prend d'accent qu'à la 3epers. du sing. du prés. de l'ind. et à toutes celles du fut. et du cond. 4.− Hist. − Fér. 1768 préconise la prononc. : akrêtre; Fér. Crit. t. 1 1787 note les 2 prononc. : [acrêtre] et [akroâtre]; Littré remarque que cette prononc. (akrêtr') est ,,aujourd'hui tout-à-fait abandonnée``. Étymol. ET HIST. − 1. a) Mil. xiies. trans. « magnifier, donner de l'éclat (obj. inanimé) » dans trad. (Li Quatre Livre des Reis, 226, p. 112, éd. E. R. Curtius : Deu acreissed le num Salemun sur le tuen e magnified sun trone sur le tuen! [amplificet Deus nomen Salomonis super nomen tuum et magnificet thronum ejus super thronum tuum, III, Reg. I, 47]; 1180 id. « augmenter (inanimé abstr.) » (Marie de France, Fables, 1, 13, éd. Warnke ds T.-L. : d'or vus honurast, Si acrëust vostre clarté Par l'or); av. 1220 id. « augmenter, développer (un bien) » (H. de Valenciennes, § 601 ds Gdf. Compl. : Desirans de m'onnour acroistre); b) xiiies. intrans. « s'augmenter en quantité et en puissance (d'hommes) » (Brut, ms. Munich, 1381 ds Gdf. Compl. : Toz tens acroissent Peitevin, Troien nes puent metre a fin). − fr. mod. avec suj. inanimé (Ac. t. 1 1932 s.v. : son revenu accroît tous les jours); 1690 terme jur. (Fur. : accroistre se dit de ce qui tourne au profit de quelque associé ou confrere par la mort ou l'absence d'un autre); c) 1498 pronom. « augmenter sa puissance (d'hommes) » (Commines, Mém. I, 9 ds Littré : Naturellement la plupart des gens ont l'œil ou à s'accroistre ou à se saulver); 2. xiies. « ajouter » (La Vie de St Thomas le Martyr, 81 a 19, éd. Bekker ds T.-L. : Se quarante semaines öust suraconpli, E puis apres i fussent acru quarante di), attest. isolée.
Du lat. accrescere, seulement intrans. en lat. class. et en b. lat., devenu trans. en lat. médiév., jamais pronom. (attest. dep. Plaute, Curc., 219 ds TLL s.v., 337, 17 au sens de « croître » : adcrescit labor); emploi 1 b ds Aug., Civ., 16, 10 ds TLL s.v., 337, 60 : ut intellegamus unde potuerint populi adcrescere; cf. xiiies. Iocalis, 957 ds Mittellat. W. s.v., 101, 35 : cui res accrescunt, huic accrescunt et amici; terme jur. ds Gaius, Inst., 2, 199 ds TLL, ibid., 337, 75 : deficientis portionem collegatario adcrescere; cf. 1195-1280 Chartae ordinis Teutonici, 306 ds Mittellat. W., ibid., 101, 58 : si quid juris ex successione hereditaria... nobis possit accrescere in futurum. L'emploi trans. est seulement attesté en lat. médiév. : 1 a « augmenter, développer (un bien) » en 826-1280 Chartae eccles. S. Lamberti Leodiensis, 122 ds Mittelat. W., ibid., 101, 66 : episcopus mihi accrevit... feodum meum de quindecim libris alborum; 2 « ajouter » au xie-xiiies., Chronicon Hildesheimense, 24, ibid., 101, 71 : ut... prebendis fratrum XXX solidorum redditus accresceretur. STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 701. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 3 472, b) 1 793; xxes. : a) 2063, b) 2 066. BBG. − Bar 1960. − Baudr. Chasses 1834. − Baudr. Pêches 1827. − Bénac 1956. − Blanche 1857. − Dainv. 1964. − Dupin-Lab. 1846. − Hanse 1949. − Kold. 1902. − Mots rares 1965. − Plais.-Caill. 1958. − Thomas 1956. |