| ACCOUTUMER, verbe. I.− Emploi trans. A.− Accoutumer qqn à qqc.Lui faire prendre une habitude, le disposer à supporter quelque chose : 1. Au bout de ce temps, il servoit les malades pendant un mois, dans un hôpital, et faisoit un pélérinage à pied, en demandant l'aumône : par-là on prétendoit l'accoutumer au spectacle des douleurs humaines, et le préparer aux fatigues des missions.
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 2, 1803, p. 528. Rem. Synon. de habituer. Mais s'emploie dans une langue recherchée, rarement dans la langue parlée. − [L'obj. du verbe désigne une des facultés, un des sens, un organe dont une pers. est dotée] :
2. ... on était même loin du temps où l'imagination cesserait d'être obsédée de ces fantômes : il fallait donc l'y accoutumer, l'y aguerrir, lui faire entendre et croire que ces périls surnaturels avaient eux-mêmes leur issue, et qu'aux puissances malfaisantes que pouvait évoquer le crime, le ciel en opposait de secourables pour l'innocence, de favorables à la vertu.
J.-F. Marmontel, Essai sur les romans,1799, pp. 300-301. − Plus rare [L'obj. du verbe désigne un animal] : 3. Accoutumer un cheval à galoper sur le bon pied.
Ac.1798-1932. 4. Quoique ce ne soient pas précisément les mêmes stimulans qui conviennent aux différentes espèces, peut-être n'est-il aucun de ceux que nous avons fait entrer dans l'usage commun, auquel on ne puisse accoutumer assez vite, presque tous les animaux qui vivent auprès de nous, dans l'état de domesticité.
P. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 2, 1808, p. 62. Rem. Vx. Accoutumer qqc. « prendre l'habitude de qqc., être accoutumé à qqc. ». Expr. vieillie, condamnée par DG. Elle est pourtant supposée dans les tours où accoutumé a le sens de « habituel » (cf. accoutumé II) : 5. Ne dites pas : J'ai accoutumé mon livre. Dites : Je suis accoutumé à mon livre.
DG. B.− Accoutumer qqn à faire qqc. : 6. ... l'habitude qu'ils [les philosophes] nous imposent de rapporter inconsciemment tout événement, tout être, toute expression, tout détail, − aux plus grandes choses visibles et aux plus stables, − nous façonnent, nous accoutument, nous induisent à ressentir sans effort et sans réflexion la véritable proportion de notre nature, à trouver en nous, sans difficulté, le passage à notre degré le plus élevé, qui est aussi le plus « humain ».
P. Valéry, Variété 3,1936, pp. 241-242. II.− Emploi pronom. S'habituer (à). Rem. Pour l'oppos. s'accoutumer/s'habituer, même rem. que sup. I. A.− S'accoutumer à qqc. : 7. À force d'y réfléchir, je me rendis peu à peu cette idée plus familière; je m'y accoutumai enfin, au point de pouvoir en parler à Augustine, sans lui découvrir une répugnance plutôt vaincue que détruite.
J. Fiévée, La Dot de Suzette,1798, p. 86. 8. Tout cela me parut bien extraordinaire et bien nouveau; mais en réfléchissant sur la nature de l'homme, à qui dans cette vallée de larmes et de misères, il faut des consolations et des espérances, dont les yeux ne peuvent conttempler le soleil ni la vérité, qu'à travers les nuages et les illusions, je m'accoutumai à cette forme de culte avec beaucoup moins de répugnance.
J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'État de New-York,t. 3, 1801, p. 21. B.− S'accoutumer à qqn : 9. Il faut que je m'accoutume à vous. Tout cela est une question d'adaptation. Vous dites qu'il est plus grave qu'il y ait entre nous ces heurts avant le mariage, que cinq ans après. C'est cinq ans après que ce serait plus grave. Un jour viendra où l'habitude...
H. de Montherlant, Le Démon du bien,1937, p. 1356. − Absolument : 10. Il quittait une fois encore des habitudes et des amis. La guerre le reprenait dans son tourbillon. Il partait pour son dépôt, il n'imaginait plus l'avenir. Quelle vie! On s'attache, puis on s'arrache, et toujours du nouveau, alors qu'un cœur simple et tendre s'accoutume si vite. Il se trouva tout désorienté dans la rue.
R. Benjamin, Gaspard,1915, p. 104. Rem. S'accoutumer et s'apprivoiser : s'accoutumer suppose ,,un médiocre éloignement pour la chose ou la personne dont on se rapproche``, et s'apprivoiser ,,une grande aversion et par conséquent une grande difficulté à sympathiser avec cette personne.`` (Laf. 1858). Cf. ex. 12. C.− S'accoutumer à faire qqc. : 11. ... car on s'accoutume à croire comme des faits vrais des aventures supposées, quand une foule de récits et de monuments semblent en attester l'existence.
Ch.-F. Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes,1796, p. 359. 12. Peu à peu, je m'accoutumai, je m'apprivoisai à revivre mon adolescence.
P. Valéry, Variété 5,1944, p. 120. D.− Rare. S'accoutumer avec.Se familiariser avec : 13. S'accoutumer avec le péril, c'est devenir familier avec le péril et en faire une sorte de connaissance.
Littré. III.− Emploi intrans., vieilli. Avoir accoutumé de faire qqc.Rem. ,,Cette expression commence à vieillir`` (Besch. 1845); ,,vieilli dans cette acception`` (Ac. 1932). Cette loc. pourrait aussi bien figurer sous la rubrique accoutumé; il faut en effet supposer une constr. où accoutumé serait un neutre en constr. d'attribut de l'obj. qui suit, et qu'on pourrait paraphraser ainsi : J'ai pour chose accoutumée le fait de + inf. A.− [Le suj. désigne une pers.] : 14. Voilà les osiers pliants... que j'avois accoutumé de tresser en corbeilles;...
F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 248. − Absolument : 15. Faites comme vous avez accoutumé.
Ac.1835, 1878. 16. Il s'enfonça, comme il avait accoutumé, dans le coin des bouquins,...
A. France, L'Orme du mail,1897, p. 161. B.− Rare. [Le suj. désigne un inanimé, plus ou moins personnifié] :
17. L'automne n'a pas accoutumé d'être si pluvieux.
Ac.1835, 1878, 1932. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [akutyme], j'accoutume [ʒakutym]. − Rem. Fér. 1768 note la 2esyllabe longue. Enq. : /akutɥm/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : accoutumance, accoutumé. Cf. coutume. − Rem. Fér. Crit. t. 1 1787 propose les graph. accoutumer et acoutumer avec un seul c. Étymol. ET HIST. − 1. 1160 trans. « s'habituer à (qqc.) » (Eneas, 7958, éd. Salverda de Grave ds T.-L. : Söef trait mal ki l'acostume). − 1653, Vaugelas ds Dict. hist. de la lang. fr. publ. par l'Ac. fr., Paris, t. 1, 1865; 2. ca 1170 acoutumer (qqn) à (qqc.) « amener (qqn) à la pratique de (qqc.) » (Rois, 66 ds Gdf. Compl. : Cume il ot la spee ceinte, alad e asaiad s'il se poust cumbatre si armez, Kar ne fud pas a tels armes acustumez); 1751 manège, Encyclop. t. 1 : Accoutumer un cheval, c'est le styler, le faire aux exercices et à tout bruit, pour qu'il n'ait point peur; 3. 1177 avoir acostumé « avoir habitude » (Chrét. de Troyes, Chevalier au lyon, éd. Förster, 5447, ds T.-L. : Et ses lions just a ses piez Si com il ot acostumé).
Dér. de coutume*; préf. a-*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 512. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 1 324, b) 650; xxes. : a) 515, b) 386. BBG. − Bar 1960. − Bénac 1956. − Gramm. t. 1 1789. − Hanse 1949. − Martin (E.). Si l'on peut dire : il avait accoutumé. Le courrier de Vaugelas : 1873, t. 4, p. 12. − Spr. 1967. − Thomas 1956. − Wey (F.). Remarques sur la langue française au dix-neuvième siècle... Paris, 1845, t. 2, pp. 89-90. |