| ACCORT, ORTE, adj. I.− Vx, rare. [En parlant d'une pers. de sexe fém.] Avisé, habile : 1. De toutes les pièces de Passerat, la plus jolie et la plus connue est la métamorphose d'un homme en oiseau, petit chef-d'œuvre de grâce et d'enjouement qui fait époque dans l'histoire de notre poésie, et honore le xviesiècle. (...). L'homme métamorphosé est un bourgeois de Corinthe, vieillard riche et quinteux, qui s'avise de prendre une jeune femme accorte et subtile...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Tableau hist. et crit. de la poésie française et du théâtre français au XVIesiècle,1828, p. 124. II.− Litt., mais plus fréq. Surtout au fém. A.− [En parlant d'une disposition réglementaire] Accommodant, souple : 2. Les trappistes étaient plus spécialement préposés aux œuvres de la mortification et de la pénitence et les bénédictins, proprement dits, au service divin des louanges; les uns, avaient, en conséquence, sous l'impulsion de saint Bernard, aggravé la règle dans ce qu'elle a de plus strict et de plus dur; les autres, au contraire, avaient adopté, en les assouplissant, les dispositions si accortes et si indulgentes qu'elle recèle.
J.-K. Huysmans, L'Oblat,t. 1, 1903, p. 8. B.− [En parlant des manières d'une pers.] Plein de civilité, courtois : 3. Alors la revue sera ma débitrice; après, la revue et moi serons libres, moi de demander beaucoup, car je reviendrai sur le passé, elle de me refuser, et nous nous quitterons, moi avec la certitude d'avoir mis tous les procédés les plus accorts et les plus courtois, et il ne lui sera pas permis d'être mal en paroles ou en articles à mon endroit.
H. de Balzac, Correspondance,1833, p. 275. 4. ... nous arrivâmes à Roosendaal, où nous quittions la Belgique pour entrer en Hollande. Je ne saurais vous dire combien j'ai été charmé de la politesse, je dirai plus, de l'exquise courtoisie des douaniers hollandais; tandis que, chez nous, les agents subalternes de l'autorité sont généralement durs, pleins de morgue et agressifs, je n'ai trouvé, à cette frontière, que bonnes façons et complaisance. Les officiers, vêtus de la courte tunique ornée à l'épaule gauche de deux glands d'argents, s'empressaient autour de nous avec mille amabilités et des manières accortes que relevaient encore leur jeunesse et leur jolie tournure.
M. Du Camp, En Hollande,1859, p. 4. 5. Beppo qui, dans le retrait du mur où il niche, achevait de croquer un croûton et quelques griffes de fenouil, est accouru à sa rencontre. Sans répondre à son accorte salutation, Anthime l'a saisi par l'épaule...
A. Gide, Les Caves du Vatican,1914, p. 699. C.− [En parlant d'une pers. ou de l'aspect d'une pers., gén. de sexe fém.] Aimable et enjoué : 6. Ce vieux chasseur ainsi apparu brusquement dans un pareil lieu, à une pareille heure, vous eût certainement semblé singulier ainsi qu'à moi; mais dans le bois des pas perdus on ne songe qu'à Roulon; ce vieillard n'était pas un nain, et cela suffit à Pécopin. Ce bonhomme, d'ailleurs, avait la mine gracieuse, accorte et avenante.
V. Hugo, Le Rhin,1842, p. 205. 7. D'ici à peu, je crains bien que la localité, le paysage où nous sommes ne nous apparaisse plus qu'au travers de la société, des gens, des visages mêmes qui nous serviront; qu'il n'y aura plus pour nous d'endroit de bonheur, de soleil que là où il y aura une population accorte, jolie, égayante, réjouissante à l'œil et à l'âme.
E. et J. de Goncourt, Journal,août 1863, p. 1319. 8. Véronique portait toujours, piquées à son caraco d'intérieur, sous le sein gauche, deux aiguilles tout enfilées, l'une de blanc, l'autre de noir. Près de la porte-fenêtre, sans même s'asseoir, elle commença la réparation. Anthime cependant la regardait. C'était une assez forte femme, aux traits marqués; entêtée comme lui, mais accorte après tout, et la plupart du temps souriante...
A. Gide, Les Caves du Vatican,1914, p. 686. − Spéc., avec une nuance à la fois enjouée et péj. [En parlant d'une jeune servante] Gracieuse, complaisante, sachant habilement faire valoir ses charmes : 9. ... je vis arriver une petite femme-de-chambre bien leste, bien accorte, dont j'examinai peut-être avec un peu trop de complaisance la grâce et la gentillesse...
V. de Jouy, L'Hermite de la chaussée d'Antin,t. 2, 1812, p. 225. 10. ... il se trouva, dans une petite habitation isolée, où Firion conduisit le manant en sortant de chez le médecin, il se trouva une jolie servante, vive, accorte, qui fit les honneurs de la maison au nouveau venu, et qui lui laissa voir assez adroitement que la chambre où elle demeurait n'était pas loin de celle qu'on avait destinée au remplaçant.
F. Soulié, Les Mémoires du diable,t. 2, 1837, p. 305. 11. Ce pauvre diable, (...), était sur le point de se marier avec une fillette fraîche, accorte et qui lui plaisait fort, comme plaît d'ailleurs aux gens du peuple la fiancée qu'ils se choisissent, c'est-à-dire uniquement entre toutes les femmes; car pour les gens du peuple, il n'existe qu'une manière d'avoir une femme, c'est de l'épouser.
A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 781. Rem. 1. Dans ce dernier emploi se résume toute l'hist. du mot. 2. Certaines ext. anal. de cet emploi sont des créations d'aut.; le ton en est volontiers fam. ou plais. : − [En parlant d'un jeune homme du peuple] :
12. Il doit être un peu gris le long des journées, mais tout phosphorescent l'ombre venue, et apte à l'amour, accort pendant l'amour comme sont les paysans jeunes, les ouvriers en fleur...
Colette, La Naissance du jour,1929, p. 53. − [En parlant d'un animal du sexe fém.] À la chair appétissante : 13. La bécasse est timide, simple d'allure comme d'atours. Elle est accorte cependant, rondelette et bien en chair. Rien qu'à la voir se couler sous les fougères, souple et dodue, on la devine savoureuse. Ni l'homme ni l'animal ne s'y trompent...
J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 1, 1921, p. 202. Prononc. − 1. Forme phon. : [akɔ:ʀ], fém. [akɔ
ʀt]. 2. Homon. : cf. accord. 3. Dér. et composés : accor-tement (arch.), accortesse (arch.), accortise (arch.). Étymol. ET HIST. − 1. a) Mil. xives. (d'une pers.) « avisé, adroit, habile » (L'Entrée d'Espagne, éd. A. Thomas, Société des Anc. Textes fr., Paris 1913, t. 1, vers 4965 : ... ja se fusent detort Quand le cosins Hestos, dan Rollart, le secort O le bier Berençer, que pros fu et acort); 1555 mal accort « mal habile » (Baïf, Amour de Francine, L. I, I, 114 ds Hug. : Tout ainsi moy, qu'Amour blessa d'un beau visage Dont j'osay, mal acort, dans mon cœur recevoir Le portrait mon meurdrier); b) (d'un inanimé en partic. d'un sentiment) « id. » 1552-xviies. (Ronsard, Les Amours ds
Œuvres complètes, éd. Laumonier, IV, 86 : Au feu d'un œil, qui d'une flamme accorte Brulle mon cuœur d'un ulcere profond); [mais le sens est peu sûr; cf. éd. Laumonier, loc. cit., qui indique : ,,Muret traduit accorte par gentile et ajoute mot italien``]; 1644, Corneille, Pompée, IV, 72 ds éd. Marty-Laveaux, XI, 26 : Il poursuivoit Pompée, et chérit sa mémoire; Et veut tirer à soi, par un courroux accort, L'homme de sa vengeance et le fruit de sa mort [1764, mauvaise interprétation de Voltaire qui ds Comment. sur Corneille, Pompée IV, éd. Marty-Laveaux, loc. cit., déclare : ,,accort signifie conciliant; il vient d'accorder; il ne signifie pas feint. C'est d'ailleurs un mot qui n'est plus en usage dans le style noble, et on doit regretter qu'il n'y soit plus``]; autres ex. ds Corneille, éd. Marty-Laveaux, loc. cit., sens encore mentionné ds Fur. 1690, 1701, Trév. 1752, 1771 et Ac. 1798; qualifié de vieilli ds Fur. 1690, 1701, DG, Rob.; 2. 1609 « gracieux, attirant » (Régnier, Satire, VII, p. 102, v. 137-138, chez Lyon & Woodman, Londres 1729 : Voyant une beauté folâtrement accorte); Ac. 1932 note empl. surtout au fém., d'un animé ou inanimé; 1680-1878 (en parlant d'un homme, d'un inanimé) « civil, courtois, complaisant » (Rich. s.v. : manières accortes). − (Ac. s.v. : Cet homme est très accort), noté vieilli ds Rich. 1680, signalé comme remis en usage vers 1750 par les auteurs de style troubadour ds Brunot t. 6, p. 1167.
Empr. à l'ital. accorto « id. » (dér. de l'ital. accorgersi « s'apercevoir », composé du lat. *accorrigere litt. « redresser, améliorer une opinion fausse en considérant les faits ») au sens 1 dep. xiiies. (Bonagiunta Orbicciani, II, Poesia Lirica del Duecento, éd. Salinari ds Batt.); cf. av. 1527 : Machiavelli, 324, ibid. : Moltinel passare i fiumi, sono stati rotti da un loro nimico accorto; à l'appui de l'orig. ital. : Pasquier, Lettres, II, 12, 1586 ds Hug. : J'ay usé de propos deliberé en ce lieu de ce mot Accort, qui est emprunté de l'Italien aussi bien que Reussir, mais le temps nous les a naturalisez. − Sens 2 non attesté en ital., développement propre au fr. Du faux rapprochement avec cour (Ac. 1694) est prob. issue la notion de « civil, courtois »; de celui avec accorder, (Voltaire, sup.) celle de « complaisant, accommodant ». − Tracc. 1907, p. 98; Wind 1928, p. 183; Nyrop, 62, Brunot t. 1, p. 510; 2, p. 209; 6, p. 1167; Marty-Laveaux, Pléiade, I, 181; Kohlm. 1901, p. 27. STAT. − Fréq. abs. litt. : 31. BBG. − Bar 1960. − Bénac 1956. − Tracc. 1907, p. 98. − Wind 1928, p. 183. |