| ABRUTISSEMENT, subst. masc. I.− [En parlant des facultés physiques (ex. 1), intellectuelles, spirituelles (ex. 2), ou de toutes ces facultés à la fois (ex. 3)] Action d'abrutir : 1. Feuillet dit que la discipline est la gardienne des grands instincts dans l'armée; moi, j'y vois seulement un aplatissement et un abrutissement du physique : ...
E. et J. de Goncourt, Journal,août 1858, p. 522. 2. Il est vrai que je connais cet ami de vingt ans; et que les sacrements lui sont, lui font une nourriture, (comme le pape vient si judicieusement de le rappeler); et non les dévotions un hébétement, un émoussement, un abrutissement de la pointe du bourgeon de la vie intérieure.
Ch. Péguy, Victor-Marie, Comte Hugo,t. 2, 1910, p. 753. 3. Il m'est difficile de concevoir sous la figure d'un livre ce qui fut ma vie de volonté intellectuelle, et ma résistance personnelle aux actions de dissipation, d'abrutissement, d'amollissement et d'insenséisme exercées sur le moderne par la vie qu'il lui faut mener ...
A. Gide, P. Valéry, Correspondance,Lettre de P. V. à A. G., mai 1921, p. 485. Rem. Abrutissement est associé à des mots comme aplatissement (ex. 1), amollissement, dissipation (ex. 3), émoussement (ex. 2), péj. comme lui. Comme nom d'action il peut être accompagné d'un compl. introd. par la prép. de et correspond au compl. d'obj. du verbe actif correspondant (ex. 1, 2). II.− État de celui qui est abruti (dans ses facultés physiques, intellectuelles, spirituelles ou morales) : 4. Il nous entretint aussi des anciens propriétaires de cette contrée, de l'abrutissement, de la dégradation dans laquelle les avoit plongés l'abus des liqueurs spiritueuses, abus qui les conduisit rapidement à l'anéantissement.
Saint John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'État de New-York,t. 3, 1801, p. 152. 5. Tel est le malheur de ces hommes qu'ils ne peuvent même plus désirer leur propre régénération, non point seulement par la raison connue qu'on ne peut désirer ce qu'on ne connoît pas, mais parce qu'ils trouvent dans leur abrutissement moral, je ne sais quel charme affreux qui est un châtiment épouvantable.
J. de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence,t. 1, 1821, p. 279. 6. Elle n'était pas dévote dans le mauvais sens du mot; elle n'avait aucune de ces terreurs, de ces puérilités, de ces asservissements de l'âme, de ces abrutissements de la pensée qui composent la dévotion chez quelques femmes et qui ne sont en elles qu'une enfance prolongée toute la vie, ou une vieillesse chagrine et jalouse qui se venge par une passion sacrée des passions profanes qu'elles ne peuvent plus avoir.
A. de Lamartine, Les Confidences,1849, p. 80. 7. Gérard tomba plutôt qu'il ne s'assit sur une chaise. Il y a des moments où l'émotion est si grande, qu'on est incapable de sentir le malheur qui vous arrive, de l'analyser et même de s'en souvenir. On sait qu'un grand malheur est arrivé, et on ne se rappelle pas les impressions du moment. Gérard était dans cet état qui touche à l'abrutissement et à l'idiotisme.
Champfleury, Les Aventures de Mademoiselle Mariette,1853, p. 259. 8. ... dès que le soir arrive, Marianne, sous l'influence de la boisson, tombe dans un complet abrutissement... son cerveau s'engourdit, sa langue s'empâte, ses lèvres pendent et luisent comme la margelle usée d'un vieux puits ...
O. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 281. 9. Elle absorbe plus d'une demi-bouteille par jour et tombe rapidement dans la plus complète ivresse, dans l'abrutissement le plus honteux ...
P. Janet, Les Obsessions et psychasthénie,1903, p. 54. 10. Il subit une série d'interrogatoires épuisants, qui le laissèrent exténué. Tous les inculpés connaissent cette impression de vide, d'abrutissement, d'exhaustion, que laisse une longue bataille avec les policiers ou le juge d'instruction.
M. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 250. 11. Cette torpeur, cet abrutissement que nous impose la température, nous est une leçon d'humilité.
F. Mauriac, Journal,1940, p. 212. Rem. 1. L'abrutissement est souvent attribué à l'alcool (ex. 4, 8, 9). L'abrutissement phys. est comparé à un vide (ex. 10), ou à une sorte de torpeur (ex. 11). Il précède l'épuisement (ex. 10, exhaustion) ou l'anéantissement (ex. 4). L'abrutissement intellectuel ou moral est associé à des termes tels que idiotisme (ex. 7) ou asservissement (ex. 6). Tous les termes associés sont péj. comme lui; l'ex. 5 suggère un sens mélioratif possible et donne régénération comme anton. de abrutissement moral. 2. Le n. marquant l'état est rarement accompagné d'un compl. de n. (ex. 6, où il exprime l'aboutissement de l'action plutôt que l'état); plus fréquemment d'un adj. qualificatif indiquant sa nature (ex. 5 : moral), son degré (ex. 8 : complet) ou l'impression qu'il produit (ex. 9 : honteuse). Prononc. : [abʀytismɑ
̃]. Cf. abrutir. Enq. : /abʀytismã/. Étymol. − 1588 « état comparable à celui de la brute » (d'un homme) (I. Lambert, Discours evangeliques, I, 120b ds Rom. Forsch. XXXII, 4 : Quel abrutissement est-ce là en un homme raisonnable?).
Dér. de abrutir* 1 à partir du thème du part. prés.; suff. -ment*.
HIST. − Apparu au xvies. (cf. étymol.), le mot désigne d'abord et uniquement l'état de celui qui est comme une brute. Littré est le 1erà le définir en outre comme l'action d'abrutir. Dès lors le mot garde une grande stab. sém. (cf. sém. I et II). STAT. − Fréq. abs. litt. : 179. BBG. − Littré-Robin 1865. |