| ABJURATION, subst. fém. I.− Sens propre. [Construit fréquemment avec un adj. poss., plus rarement avec un compl. indiquant la pers. qui abjure] Renonciation formelle et solennelle à une croyance religieuse; faire abjuration de « abjurer » : 1. Puisqu'ils auraient été toujours obligés de paraître croire des absurdités qu'ils rejetaient, ils ne trouvèrent pas un grand avantage à en diminuer un peu le nombre; ils craignirent même de se donner, par leur abjuration, l'apparence d'une hypocrisie volontaire : et en restant attachés à la vieille religion, ils la fortifièrent de l'autorité de leur renommée.
A. de Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'Esprit humain,1794, p. 128. 2. ... mais aussitôt qu'il [Henri IV] put s'éloigner de la cour, et qu'il se trouva au milieu des religionnaires, sur la rive gauche de la Loire, il déclara que son abjuration avait été forcée et rentra dans la communion protestante. Cette démarche le faisait caractériser relaps endurci; ...
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 2, 1823, p. 57. 3. L'abjuration peut se faire en secret, ...
F.-R. de Lamennais, Lettres inédites... à la baronne Cottu,1829, p. 207. 4. Frappés de terreur, les juifs obéirent et allèrent à l'église recevoir l'instruction chrétienne. Le roi se fit une gloire puérile d'assister, en grande pompe, aux cérémonies de leur baptême, et même de tenir sur les fonts plusieurs de ces convertis par force. Un homme, pourtant, osa lui résister et refuser de faire abjuration; ce fut ce même Priscus, dont la défense logique avait été si opiniâtre.
A. Thierry, Récits des temps mérovingiens,t. 2, 1840, p. 325. 5. ... elle quittait Paris, elle s'en allait à Poitiers, dans un cloître de carmélites. Là, tout d'abord, son abjuration, et plus tard, la prise de voile, les vœux solennels, irrévocables...
E. Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 284. 6. 18 décembre − abjuration, à Saint-Pierre du petit Montrouge, d'un jeune peintre calviniste qui se dit converti par moi. Idiot de naissance, j'avais pensé qu'une telle cérémonie pouvait enflammer des prêtres. Mais l'abjuration étant gratuite comme le baptême, tous ceux de la paroisse ont eu autre chose à faire, à l'exception d'un seul, très-pauvre et très-humble, ...
L. Bloy, Journal,1897, p. 264. 7. Souvenez-vous de votre abjuration, de votre baptême, de l'hospitalité que vous avez trouvée chez nous si longtemps, du pain que nous avons partagé, même au temps de la pire détresse, enfin de l'assistance que j'ai pu vous donner sous diverses formes, même sous la forme de pièces de 20 francs, quelquefois.
L. Bloy, Journal,1901, p. 59. 8. Les abjurations commencèrent. La jeune Apolline Bertrand, agenouillée avec six témoins au pied de la vierge, dans un magnifique décor de lumières et de fleurs, rejeta les erreurs de l'infâme secte.
M. Barrès, La Colline inspirée,1913, p. 211. 9. Mais la difficulté était toujours la même, car Henri IV voulait être reconnu sans conditions. Déjà résolu à « sauter le pas », à se convertir, il voulait que son abjuration fût volontaire.
J. Bainville, Histoire de France,t. 1, 1924, p. 191. Rem. L'abjuration peut n'avoir pas d'autre fin qu'elle-même (ex. 6, 8) ou être un préalable à une autre cérémonie : prise de voile, vœux solennels (ex. 5), baptême (ex. 7). Elle peut être volontaire (ex. 9), forcée (ex. 2), hypocrite (ex. 1), secrète (ex. 3)... II.− P. anal. [L'obj. de l'abjuration est gén. précisé par un compl. de nom] Toute forme de renonciation formelle ou raisonnée, et publiquement connue. − Renonciation à une idée, à une création de l'esprit : 10. On me dit ici que l'on dit là-bas que j'ai fait abjuration de mes hérésies littéraires, comme notre grand poète Soumet. Démentez le fait bien haut partout où vous serez, vous me rendrez service.
V. Hugo, Correspondance,t. 1, 1825, p. 402. 11. Depuis quelque temps, comme un pécheur converti, je m'efforce d'aimer ce que je haïssais et de haïr ce que j'aimais. J'ai fait abjuration solennelle de poésie, de contemplation, de toute ma vie idéale.
M. de Guérin, Journal intime ou le Cahier vert,1833, p. 175. 12. Mais parce que la grande sagesse païenne ne peut pas être retranchée de la tradition humaniste, nous sommes avertis en tout cas de ne pas définir l'humanisme par l'exclusion de toute ordination au surhumain et par l'abjuration de toute transcendance.
J. Maritain, Humanisme intégral, problèmes temporels et spirituels d'une nouvelle chrétienté,1936, p. 10. − Renonciation à un sentiment, à une attitude morale : 13. Le maréchal Soult demanda qu'un monument fût élevé aux émigrés de Quiberon, lui qui, depuis vingt ans, avait combattu pour la cause opposée à la leur; c'était désavouer toute sa vie passée, et cette abjuration cependant charma beaucoup de royalistes. Mais en quoi consiste la force d'un général, dès l'instant qu'il perd la faveur de ses compagnons d'armes? Quand on oblige un homme du parti populaire à sacrifier sa popularité, il n'est plus bon à rien au nouveau parti qu'il embrasse.
G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 2, 1817, p. 215. 14. Toutes les théories devraient être admises et j'accorderais celle de la fidélité conjugale aux âmes d'exception. La majorité a d'autres besoins, d'autres puissances. A ceux-ci la liberté réciproque, la mutuelle tolérance, l'abjuration de tout égoïsme jaloux.
G. Sand, Lélia,1833, p. 230. 15. Ils lui auraient pardonné de fréquenter des ennuyeux (auxquels d'ailleurs, dans le fond de son cœur, il préférait mille fois les Verdurin et tout le petit noyau), s'il avait consenti, pour le bon exemple, à les renier en présence des fidèles. Mais c'est une abjuration qu'ils comprirent qu'on ne pourrait pas lui arracher.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Du côté de chez Swann, 1913, p. 250. Rem. gén. On observe une tendance de plus en plus marquée à substituer la loc. faire abjuration au verbe simple abjurer. III.− Vocab. hist. Cf. hist. II B. Stylistique − Terme du vocab. étendu à d'autres domaines moraux, abjuration appartient à la lang. litt., même dans un cont. parodique comme celui de l'ex. 10. Dans les ex. 13 et 15 l'emploi absolu donne plus de vigueur à l'expr. Le caractère solennel de l'acte relig. d'abjuration distingue abjuration de ses princ. synon. apostasie, reniement (pris en mauvaise part) et renonciation.Prononc. : [abʒyʀasjɔ
̃]. Enq. : / abʒyʀasiõ /. Étymol. − Corresp. rom. : n. prov. abjuracioun, abjuracien, abjuraciéu; esp. abjuración; cat. abjuració; ital. abbiurazzione.
1. Fin xives. abiuratio-cionis : abjuracion ou abnegacion (Glos. Aalma, B. N. lat. 13 032 ds M. Roques, Rec. gén. des lexiques fr. du Moy. Âge, II, 6, 26), prob. donc « action de renier par serment »; 2. 1557 terme de dr. anglo-norm. « serment prêté par un criminel bénéficiaire du droit d'asile, qui s'engage à quitter définitivement le pays pour échapper à la loi » (Guillaume de Stanford, Plets de la Couronne, II, 40; du Cange s.v.).
Empr. au b. lat. abjuratio, attesté d'abord au sens 1 (dep. 341-345, Itineraria Alexandri ad Constant. Aug., 41; TLL s.v., 102, 5; cf. lat. médiév. : viros in abjurationem nostre fidei compellendo, Constitutions imp. et reg., II, 193, 5; Mittellat. W. s.v., 2, 7, 46). Équivalent lat. médiév. de 2 n'est attesté dans aucune aire ling.; cf. lat. médiév. abjurare « jurer de ne plus entrer dans un territoire », passim xiies. ds Mittellat. W. s.v., 28, 18 sq. et Nierm. s.v.
HISTORIQUE
I.− Disparition av. 1789. − Abjuration « document... » : Acte en forme par lequel on justifie que l'on a abjuré. Son abjuration est signée de l'Évêque. Fur. 1701. − Attesté pour la dernière fois ds Trév. 1771.
II.− Hist. des sens attestés apr. 1789. − A.− Sens I et II « action de renier par serment » cf. étymol. 1 et aussi : 1. En considérant la chose abjurée : a) Une hérésie, une religion (en principe) chrét. : Ce fut là où les jésuites dressèrent la forme d'abjuration que nous avons alléguée. D'Aubigné, Hist., II, 484 (Littré). Action par laquelle on renonce à une mauvaise religion... Ac. 1718. − Au xixes., le mot tend à perdre son caractère dépréciatif (cf. abjurer, hist. II, A rem.). − Rem. ,,On a prétendu qu'il ne pouvait y avoir abjuration que dans le sein du christianisme, c.-à-d. que le mot ne s'employait que pour exprimer l'action de passer d'une secte chrétienne dissidente dans le sein du catholicisme. Cela n'est pas fondé. Abjuration ne comporte rien d'aussi précis; et on peut dire en parlant d'un juif : l'abjuration du judaïsme.`` (Littré). b) P. ext., une chose considérée comme mauvaise ou erronée : Une abjuration plus parfaite de l'ancienne philosophie. Fontenelle, Régis. (DG). Il a fait abjuration de ses erreurs. Ac. 1835. 2. En considérant la pers. qui abjure : Recevoir l'abjuration de quelqu'un. Ac. 1740. L'abjuration de George Mergy l'avait presque entièrement séparé de sa famille. Mérimée, Charles IX, 1829, p. 40 (IGLF). L'abjuration d'Henri IV. Littré. B.− Abjuration désigne certains usages jur. de diverses civilis. anc. Mais si les choses ont disparu av. 1789, le mot survit après cette date ds des dict. ou des ouvrages à caractère hist. 1. Dr. anglo-norm. − a) « Serment prêté par un criminel bénéficiaire du droit d'asile, qui s'engage à quitter définitivement le pays pour échapper à la loi » (cf. étymol. 2, FEW, s.v. jurare II, 3 b et abjurer, hist. I B); xves. cf. étymol. 2; apparaît ds Trév. 1752 et 1771 (cf. abjurer, hist. I B) qui précisent qu'il signifie « exil perpétuel »; au xixes. mentionné ds Ac. Compl. 1842 et Guérin 1886. b) Anc. jurispr. angl. (cf. abjurer, hist. I A) : ... serment par lequel on jurait de ne reconnaître aucune autorité royale au Prétendant. Ac. Compl. 1842. Dans les lois anglaises, l'abjuration d'une personne signifiait renoncement à l'autorité ou au domaine de cette personne. Besch. − Attesté encore ds Guérin 1886. 2. Dr. romain (à rapprocher de abjurer, hist. I C) : Chez les Romains le mot d'abjuration signifiait dénégation avec faux serment d'une dette, d'un gage, d'un dépôt ou autre chose semblable, auparavant confiée. En ce sens l'abjuration est la même chose que le parjure. Elle diffère de l'éjuration qui suppose le serment juste. Trév. 1771 (Ant. rom.) Dénégation avec faux serment. Ac. Compl. 1842. 3. Dr. coutumier franc (en Gaule) − Abjuration de parenté (attest. au xixes. ds Besch. et Guérin) : Coutume apportée en Gaule par les Francs, consistant à renoncer à ses parents pour se rédimer de l'obligation de prendre part aux guerres privées qui avaient lieu entre deux familles, après quelque crime ou délit commis par un membre d'une famille. Guérin. − Mentionné ensuite ds Lar. encyclop. STAT. − Fréq. abs. litt. : 64. BBG. − Bouillet 1859. − Bouyer 1963. − Lavedan 1964. − Lep. 1948. − Marcel 1938. − Nelli 1968. − Pol. 1868. − St-Edme. t. 1 1824 − Théol. cath. t. 1 1909. |