| ABANDONNER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− [L'agent est normalement une pers.] Rompre le lien qui attachait à une chose ou à une personne. 1. [L'obj. est une chose] a) [Le lien ant. avec l'obj. était un lien de possession réelle] − Renoncer à un pouvoir, à des droits, à la possession d'un bien ou à l'utilisation d'une chose : 1. La surcharge rendant la possession des terres onéreuse, l'humble propriétaire abandonna son champ, ou le vendit à l'homme puissant; et les fortunes se concentrèrent en un moindre nombre de mains.
C.-F. de Volney, Les Ruines,1791, p. 72. 2. On dit [proverbialement] n'abandonnez pas les étriers, c'est-à-dire servez-vous bien des avantages que vous avez, ne les quittez point.
J.-F. Rolland, Dict. du mauvais langage,1813, p. 1. 3. ... le 3 mai, des cris de Nab, posté à la fenêtre de sa cuisine, annoncèrent que la baleine était échouée sur le rivage de l'île. Harbert et Gédéon Spilett, qui allaient partir pour la chasse, abandonnèrent leur fusil, Pencroff jeta sa hache, Cyrus Smith et Nab rejoignirent leurs compagnons, et tous se dirigèrent rapidement vers le lieu d'échouage.
J. Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 307. 4. ... la molesquine, (...), commença de lui coller aux chausses. On ne s'en aperçut, hélas! qu'à la fin de la séance, au moment qu'il voulut se lever. Vains efforts! Il tenait à la chaise, et la chaise tenait à lui. Son mince pantalon (nous étions en été) si l'étoffe en était un peu mûre, le fond allait y rester, c'était sûr; il y eut quelques secondes d'angoisse ... et puis, non! Sur un nouvel effort, ce fut la molesquine qui céda, doucement, doucement, abandonnant du sien, comme par conciliation.
A. Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 459. 5. Oh! Mon père, mon père! Si je n'espérais pas que le ciel a quelque dessein sur moi, je mourrais ici de honte à vos pieds. Il est possible que vous ayez raison, que l'épreuve n'ait pas été poussée jusqu'au bout. Mais Dieu ne m'en voudra pas. Je lui sacrifie tout, j'abandonne tout, je renonce à tout pour qu'il me rende l'honneur.
G. Bernanos, Dialogues des carmélites,1948, I, 4, p. 1579. Rem. Dans l'ex. 2 l'emploi du verbe est fig. − Quitter un lieu, ne plus l'occuper; dans la lang. du dr.« abandonner le domicile conjugal », dans le lang. milit.« abandonner son poste » : 6. Julien vit le succès de son récit. Il comprit qu'il fallait tenter la dernière ressource : il arriva brusquement à la lettre qu'il venait de recevoir de Paris.
− J'ai pris congé de monseigneur l'évêque.
− Quoi, vous ne retournez pas à Besançon! Vous nous quittez pour toujours?
− Oui, répondit Julien d'un ton résolu; oui, j'abandonne un pays où je suis oublié même de ce que j'ai le plus aimé en ma vie, et je le quitte pour ne jamais le revoir. Je vais à Paris ...
Stendhal, Le Rouge et le Noir,t. 1, 1830, p. 219. 7. M. Clavier et Caroline rentrèrent dans le salon de plain-pied, dont ils prenaient ordinairement possession l'été, et qu'ils abandonnaient l'hiver à cause de la fraîcheur des murs.
L. Gozlan, Le Notaire de Chantilly,1836, p. 4. 8. ... maintenant que le général de Wimpffen succédait au général Ducrot, le premier plan de nouveau l'emportait, l'ordre arrivait de réoccuper Bazeilles coûte que coûte, pour jeter les bavarois à la Meuse. N'était-ce pas imbécile de leur avoir fait abandonner une position, qu'il leur fallait à cette heure reconquérir? On voulait bien se faire tuer, mais pas pour le plaisir, vraiment!
É. Zola, La Débâcle,1892, p. 277. 9. « Voilà mon Favery épouvanté. Une femme sur les bras, et, qui pis est, une femme bientôt divorcée, libre, qui allait exiger qu'on l'épouse... C'est alors qu'il a eu ce qu'il appelle lui-même son idée de génie. Il a écrit au mari : Monsieur, je reconnais que c'est pour me suivre que votre femme abandonne le domicile conjugal. Salutations. Favery. »
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Belle saison, 1923, p. 850. 10. Ils sont obsédés par la trahison. Non sans raison ... (...).
− Si ce type abandonne son poste, il doit être fusillé.
A. Malraux, L'Espoir,1937, p. 636. − Cesser de défendre une cause, renoncer à des principes, à une idée en la rejetant ou simplement en s'en séparant : 11. Ici, je vois répandre de dangereuses erreurs; ici je m'aperçois qu'on abandonne les premiers principes du bon sens et de la liberté, pour poursuivre de vaines abstractions métaphysiques.
M. de Robespierre, Discours,1793, p. 506. 12. Cette école pythagoricienne (...) succomba sous les efforts des tyrans. Un d'eux brûla les pythagoriciens dans leur école; et ce fut une raison suffisante sans doute, non pour abjurer la philosophie, non pour abandonner la cause des peuples, mais pour cesser de porter un nom devenu trop dangereux, et pour quitter des formes qui n'auraient plus servi qu'à réveiller les fureurs des ennemis de la liberté et de la raison.
A. de Goncourt, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,1794, p. 49. 13. ... les croyances religieuses ne sont plus l'unique sphère dans laquelle s'exerce l'esprit humain; sans les abandonner, il commence à s'en séparer, à se porter ailleurs.
F. Guizot, Hist. générale de la civilisation en Europe,1828, p. 27. b) [Le lien avec l'obj. était un lien de possession seulement envisagé] Renoncer à poursuivre une action, une recherche; renoncer à une entr., à un projet. D'où l'expr. abandonner la partie, et abandonner en empl. absol., dans la lang. du sportavec le sens de « renoncer à poursuivre une compétition ») : 14. J'ai lu, dans je ne sais quel voyageur, que certains sauvages de l'Afrique croient à l'immortalité de l'âme. Sans prétendre expliquer ce qu'elle devient, ils la croient errante, après la mort, dans les broussailles qui environnent leurs bourgades, et la cherchent plusieurs matinées de suite. Ne la trouvant pas, ils abandonnent cette recherche, et n'y pensent plus.
S. Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 17. 15. ... sous ses joies vivait un regret, celui de n'avoir pas tué. Quoi! Cette occasion de la guerre passerait donc en vain! Et cela lui laissait un sourd sentiment d'infériorité, analogue à celui qui lui venait jadis en songeant que sur le ring, dans les championnats d'amateurs, il avait battu de ses adversaires aux points, il en avait forcé d'autres à abandonner, mais jamais il n'avait pu réussir un knock-out.
H. de Montherlant, Le Songe,1922, p. 78. 16. Bientôt, je me heurtai à des difficultés éternelles. Un jour presque entier consumé à faire, à défaire et à refaire quelque partie de mon poème, j'en ai pris ce dégoût désespéré que connaissent tous les artistes. L'artiste serait peu de chose, s'il n'était le jouet de ce qu'il fait. Je décidai d'abandonner la partie; je m'assurai qu'il fallait renoncer; et voulant rompre par un acte le triste enchantement qui m'enchaînait à mes ébauches, je me suis contraint de sortir.
P. Valéry, Variété 5,1944, p. 121. 2. [L'obj. est une pers. (ou un être considéré comme tel); on laisse entendre qu'on mesure les conséquences résultant pour elle de la rupture du lien] Quitter qqn, s'en séparer; laisser qqn à lui-même, le laisser seul. (Anton. rester avec qqn, lui rester fidèle) : 17. ... je suis seul? ô Dieux! où sont donc mes amis
Ah! ce cœur qui, toujours à l'amitié soumis,
D'étendre ses liens fit son besoin suprême,
Faut-il l'abandonner, le laisser à lui-même?
A. Chénier, Élégies,Les Amours, amours diverses, 1794, p. 110. 18. ... il faut ordonner à l'âme non de se tirer à quartier, de s'entretenir à part, de mépriser et abandonner le corps (aussi ne le saurait-elle faire que par quelque singerie contrefaite), mais de se rallier à lui, de l'assister, le conseiller, le contrôler et le redresser quand il fourvoie, enfin l'épouser et lui servir de mari, à ce que leurs effets ne paraissent pas divers et contraires, ainsi accordants et uniformes ... etc.
Maine de Biran, Journal,1815, p. 71. 19. Antoine, il faut le dire, avait quelque sujet de prétendre à l'attachement et à la fidélité des siens. Tous ceux qui le quittèrent ne se plaignaient point de lui, mais de Cléopâtre. Au moment de la bataille, son vieil ami Domitius l'ayant abandonné, Antoine lui renvoya généreusement ses serviteurs, ses esclaves, tout ce qui était à lui.
J. Michelet, Histoire romaine,t. 2, 1831, p. 323. 20. Mes amis, dit-elle, en tournant le dos au docteur, allez me chercher un prêtre : je vois que le médecin m'abandonne.
G. Sand, Lélia,1833, p. 64. 21. − Vous avez bien fait de me parler, vous avez bien fait de me prier; car j'allais former un autre plan et m'éloigner de vous. Mais votre âge me rassure, je vous rejoindrai, attendez-moi.
− Quand cela?
− Il faut que je calcule nos chances, laissez-moi vous donner le signal.
− Mais vous ne m'abandonnerez pas, vous ne me laisserez pas seul, vous viendrez à moi, ou vous me permettrez d'aller à vous?
A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 181. 22. − Je vais te faire une confidence, ajouta-t-il (...), si ce nom seul m'émeut, ce nom de Suresnes, c'est que là demeure celle que j'aime, la femme que j'aime, ma femme, mon épouse, mon épouse qui m'a quitté, qui m'a abandonné, qui m'a plaqué car elle m'a laissé tomber la garce, après dix ans de mariage, la méchante, la vilaine, mais je l'aime toujours, ...
R. Queneau, Loin de Rueil,1944, p. 84. 23. Nous pensons, au contraire que des principes trop abstraits échouent pour définir l'action. Encore une fois, prenez le cas de cet élève; au nom de quoi, au nom de quelle grande maxime morale pensez-vous qu'il aurait pu décider en toute tranquillité d'esprit d'abandonner sa mère ou de rester avec elle Oui, il n'y a aucun moyen de juger. Le contenu est toujours concret, et par conséquent imprévisible; il y a toujours invention.
J.-P. Sartre, L'Existentialisme est un humanisme,1946, p. 85. − Except. l'agent peut être un inanimé : 24. Je vous en prie, écrivez-moi. Moi qui ne croyais pas à l'influence du physique, je sens que mes inquiétudes sont accrues par l'état où je suis, et que mes forces sont prêtes à m'abandonner quand vous ne les soutenez pas.
G. de Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1792, p. 38. 25. Chant de Minona.
Colma.
Loin de moi Salgar est errant;
Par-tout règne la nuit profonde;
Sous mes pieds mugit le torrent,
Sur ma tête la foudre gronde,
Pas un asile où me cacher;
Tout me délaisse et m'abandonne.
Je suis seule sur le rocher
Que la sombre mer environne.
P.-M.-F.-L. Baour-Lormian, Ossian,Les Chants de Selma, 1827, p. 115. 3. Abandonner un cheval « laisser aller librement un cheval en relâchant les rênes » (cf. Ac. 1932) : 26. Il n'est pas moins dangereux d'abandonner un cheval de trait. Les chevaux (...) venant à tomber peuvent se couronner, et même se tuer.
F. Cardini, Dict. d'hippiatrique et d'équitation,t. 1, 1848, p. 12. B.− [Avec un obj. second. toujours précédé de à introduisant l'idée de « confier, remettre ou livrer à »] 1. Laisser à qqn la possession ou le soin d'un bien (ou d'une pers.), laisser qqc. à l'entière disposition de qqn. Noter l'expr.abandonner à qqn le soin de faire qqc. : 27. Si c'est la femme survivante qui a, moyennant une somme convenue, le droit de retenir toute la communauté contre les héritiers du mari, elle a le choix ou de leur payer cette somme, en demeurant obligée à toutes les dettes, ou de renoncer à la communauté, et d'en abandonner aux héritiers du mari les biens et les charges.
Code civil, 1804, p. 282. 28. Elle pourrait m'abandonner tout son être et même me donner son cœur sans m'arracher à ce désespoir qui grandit à mesure que je l'approche.
J. Bousquet, Traduit du silence,1936, p. 248. 29. ... je pris soudain conscience de ceci : que j'avais assis mon humaine souveraineté sur un crime, de sorte que tout ce qui s'ensuivait en fût conséquemment souillé non seulement toutes mes décisions personnelles, mais même celles des deux fils à qui j'abandonnai la couronne; car je me démis aussitôt de la glissante royauté que m'avait octroyée mon crime.
A. Gide, Thésée,1946, p. 1452. 30. ... le texte de l'accord équivalait à une transmission pure et simple de la Syrie et du Liban aux Britanniques. Pas un mot des droits de la France, ni pour le présent, ni pour l'avenir. Aucune mention des états du Levant. Vichy abandonnait tout à la discrétion d'une puissance étrangère et ne cherchait à obtenir qu'une chose : le départ de toutes les troupes, ainsi que du maximum de fonctionnaires et de ressortissants français.
Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,L'Appel, t. 1, 1954, p. 164. 31. Nos rapports se situaient dans une sphère limpide où ne pouvait se produire aucun heurt. Il ne se penchait pas sur moi, mais me haussait jusqu'à lui et j'avais la fierté de me sentir alors une grande personne. Quand je retombais au niveau ordinaire, c'est de maman que je dépendais; papa lui avait abandonné sans réserve le soin de veiller sur ma vie organique et de diriger ma formation morale.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 39. 2. Laisser qqc. ou qqn en proie à qqc. (gén. une force hostile). [Noter l'expr. abandonner un ecclésiastique au bras séculier, « le renvoyer au juge laïque afin qu'il le punisse selon les lois » (cf. Ac. 1932, et hist. II A 2)] : 32. Scipion se retira derrière le Pô, derrière la Trébie, abandonnant aux ravages les terres des Gaulois, qui restaient fidèles aux Romains.
J. Michelet, Histoire romaine,t. 2, 1831, p. 17. 33. La loi romaine, qui était celle de tous les ecclésiastiques sans distinction de race, punissait de mort l'imputation calomnieuse d'un crime capital, tel que celui de lèse-majesté; cette loi fut appliquée dans toute sa rigueur, et le synode porta contre le clerc Rikulf une sentence qui l'abandonnait au bras séculier.
A. Thierry, Récits des temps mérovingiens,t. 2, 1840, p. 287. 34. ... dès qu'un Rebendart de la seconde zone avait volé, déserté, ou violé, le Rebendart ministre venait lui-même au prétoire témoigner contre lui et publiquement le renier. Il est mieux vu d'abandonner un enfant au bagne qu'à l'assistance. Cette vaniteuse humilité suffisait au jury qui acquittait largement. De sorte qu'une espèce d'impunité était octroyée en fin de compte à tous les Rebendart et que leurs écarts publics, vol, grivèlerie, ou exhibition, restaient des affaires et des fautes de famille.
J. Giraudoux, Bella,1926, p. 57. II.− Emploi pronom. S'abandonner A.− Emploi absolu 1. [Correspond à abandonner qqn au sens de « le laisser à lui-même, le laisser seul »] :
35. La Gazette perd les royalistes et la France et l'Europe entière, et ils méritent d'être perdus, des hommes qui s'abandonnent eux-mêmes et revient leur propre existence comme citoyens.
A. de Lamartine, Correspondance,1831, p. 175. 36. Il [Lamartine] s'est abandonné lui-même, il gît dans une solitude qui semble au premier regard un désert de prosaïsme, il a depuis longtemps abdiqué.
M. Barrès, Les Maîtres,1923, p. 234. 2. Se laisser aller. a) Renoncer à agir, à lutter. Anton. résister, se défendre : 37. Eh bien! la passion était fatale, Hélène ne se défendait plus. Elle se sentait à bout de force contre son cœur. Henri pouvait la prendre, elle s'abandonnait. Alors, elle goûta un bonheur infini à ne plus lutter.
É. Zola, Une Page d'amour,1878, p. 906. 38. Songe à ces petits Français, nés dans des maisons en deuil, à l'ombre de la défaite, nourris de ces pensées découragées, élevés pour une revanche sanglante, fatale, et peut-être inutile : car, si petits qu'ils fussent, la première chose dont ils avaient pris conscience, c'était qu'il n'y a pas de justice, il n'y a pas de justice en ce monde : la force écrase le droit! De pareilles découvertes laissent l'âme d'un enfant dégradée ou grandie pour jamais. Beaucoup s'abandonnèrent : ils se dirent : « puisque c'est ainsi, pourquoi lutter? Pourquoi agir? Rien n'est rien. N'y pensons pas. Jouissons. »
− Mais ceux qui ont résisté sont à l'épreuve du feu; nulle désillusion ne peut atteindre leur foi : ...
R. Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 988. b) Renoncer à la surveillance ou à la possession de soi-même (anton. se tenir); se laisser aller (plan moral), en partic. laisser aller son corps (se donner, dans le lang. de l'amour), son âme, son esprit : 39. Gisors, du 6 au 24 septembre. C'est ici un lieu où je m'épanouis. J'y suis à l'aise. J'y amuse et je m'y amuse. J'y ai de l'assurance, de la gaieté, de l'esprit et de tous les esprits, − du gros surtout. Je fais des imitations, des queues de mots, des bêtises, tout ce qui délasse une pensée tendue et une langue obligée de se surveiller. Je me détends et je m'abandonne. Ce sont les vacances de ma tête et de mon caractère. Il y a un grand enfant en moi, que je lâche dans cette maison qui m'a vu petit.
E. et J. de Goncourt, Journal,sept. 1859, p. 629. 40. ... la communauté des plaisirs, des toilettes, des promenades, a fait la ligne de démarcation si mince et si facilement franchie ... entre une lorette qui se tient et une marquise qui s'abandonne, que les plus experts, à première vue, peuvent s'y tromper ...
A. Daudet, Jack,t. 1, 1876, p. 13. 41. ... elle [Benedetta] ne voulait s'abandonner qu'en légitime union. Et quelle torture, pour cette âme enflammée, que de résister à son amour! Quel continuel combat du devoir, du serment fait à la Vierge, contre la passion ...
É. Zola, Rome,1896, p. 166. 42. laurency, posant son casque sur la table. − Pourquoi rit-elle
clotilde. − Je ne sais pas. Elle est très enjouée, maintenant, avec moi. Elle a compris que je ne lui voulais pas de mal.
laurency. − Elle ne se défie plus. Elle s'abandonne. Toi, ne t'abandonne pas trop. Ne te confie pas à elle.
H.-R. Lenormand, Le Simoun,1921, p. 93. c) Ne plus prendre soin de soi-même, se négliger : 43. Hélène, (...) était tellement changée, que les époux ne purent, à sa vue, retenir un mouvement de surprise. Elle devait s'abandonner, négliger de se teindre et de se maquiller. Ce n'était plus la poupée d'enfant devenue vieille, aux joues luisantes de fard, aux sourires puérils; c'était une pauvre femme dont les cheveux gris et la face ridée exprimaient une tristesse sale et honteuse.
É. Zola, Madeleine Férat,1868, p. 254. 44. Il est évident qu'il s'est produit dans sa vie, en ces années 1812-1813, une catastrophe sentimentale, − la plus pénible de celles que l'amour lui a réservées, − et qu'il en est sorti brisé. (...). Il se néglige. Il s'abandonne. Il n'a plus goût à rien.
R. Rolland, Beethoven,t. 1, 1903, p. 73. − [L'agent peut aussi être une partie du corps] : 45. ... il ne s'aperçut pas de la torpeur qui s'emparait de lui : ses muscles se détendirent, ses épaules s'abandonnèrent contre le mur : il dormait.
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Belle saison, 1923, p. 883. B.− S'abandonner à.Se donner, se confier, se livrer à. 1. S'abandonner à qqn : 46. O mères! Apprenez donc à vos enfants à prier dès qu'ils savent cueillir un fruit : leur reconnaissance envers Dieu assurera leur reconnaissance envers vous. Accoutumez-les, au lever et au coucher du soleil, à élever leurs mains et leur cœur vers le ciel. Qu'ils prient en ouvrant et en fermant leurs yeux à la lumière; qu'ils se fassent une douce habitude de mettre leur confiance en Dieu, et de s'abandonner à lui dans toutes les actions de leur vie.
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 133. 2. S'abandonner à qqc. : − RELIG. S'abandonner à la miséricorde de Dieu, à la grâce divine : 47. − L'important, c'est de se mettre dans la miséricorde de Dieu, et de s'y abandonner en toute confiance, par le sentiment d'un amour vrai et humble qui chasse la crainte, d'un amour confiant de cette bonté, de cette miséricorde infinie. Il est impossible de n'y pas croire de ne pas l'aimer, de ne pas s'y confier.
F.-A.-P. Dupanloup, Journal intime,1873, p. 340. 48. Toute l'économie de notre sanctification personnelle se ramène à cette règle unique : se prêter, s'ouvrir, s'abandonner à la grâce, ...
H. Bremond, Hist. littéraire du sentiment religieux en France,t. 3, 1921, p. 133. − expr. dial.-région. s'abandonner aux mouches : 49. Abandonner (s'), v. réf. − S'abandonner aux mouches, − ne plus avoir de souci de sa personne ou de ses intérêts; être dégoûté de tout; jeter le manche après la cognée.
Verr.-On.1908. − [S'abandonner] à un état, un sent., un plaisir, une passion, une action. Noter la constr. s'abandonner à faire qqc. : 50. Je voudrais savoir si vous finirez par avoir tout à fait de la confiance en moi, si vous vous abandonnerez à m'ouvrir tout à fait votre âme.
G. de Staël, Lettres diverses,t. 2, 1793, p. 511. 51. ... ne vous interdisez pas non plus tout à fait ces pensées graves et tristes, quand la nature ou le spectacle de la société vous les envoie. (...). Il est donc bon de sentir la mélancolie dont vous parlez; il serait faible de s'y abandonner sans résistance. Et le moyen d'y résister, c'est de considérer le but nécessairement plus élevé et nécessairement religieux donné par le créateur à notre destinée.
A. de Lamartine, Correspondance,1832, p. 244. 52. Il n'y avait plus guère que le chevalier de Lacy, dont l'habitation était distante d'une lieue environ, qui la vînt visiter une ou deux fois par semaine. Et encore n'était-ce que lorsque le digne gentilhomme n'avait pas la goutte lui-même, ou que la chasse était fermée; car, tant qu'il pouvait se livrer à son exercice favori il s'y abandonnait avec passion et négligeait sa vieille voisine, ...
P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 407. 53. Je comprenais la vanité de toute intention, de toute poursuite, de tout vouloir. Dans une voluptueuse détresse, je renonçais, je m'abandonnais à ma lassitude, je me confiais en ce repos qui est la mort ou l'éternité.
J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,lettre de J. R. à A.-F., oct. 1906, p. 287. 54. ... je ne vois pas beaucoup de différence entre un homme qui s'abandonne à la colère et un homme qui se livre à une quinte de toux.
Alain, Propos,1912, p. 144. 55. Loin de m'abandonner à une amertume diffuse, je pris de face ma tristesse. Ainsi elle offre sa figure forte et l'on a toujours avantage à se confronter à cet aspect d'une puissance dont il faut redouter la nature insaisissable.
H. Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 120. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abɑ
̃dɔne], j'abandonne [ʒabɑ
̃dɔn]. Enq. : /abɑ
̃do2n/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : abandon- : abandonnataire, abandonnateur (-atrice), abandonné, abandonnement, abandonnément, abandonneur, abandonnique. 3. Forme graph. − L'adj. abandon(n)ique, récemment entré dans la lang., est noté ds le Vocab. de la psychanalyse (Lapl.-Pont. 1967, p. 273), ds Pt Lar. et le suppl. du Lar. encyclop. avec redoublement de l'n p. anal. avec les autres mots de la famille. Selon les principes de Thimonnier, le redoublement de n ne répond pas au syst. orth. du fr., le suff. -ique étant d'orig. sav. (cf. -on). 4. Hist. − Le mot apparaît sous sa forme graph. actuelle dès le xiies. (cf. ex. étymol.); cette graph. est attestée régulièrement ds les dict. dep. Cotgr. 1611. En a. et m. fr., on trouve sans redoublement de consonne : abanduner (xies., cf. étymol.), abandoner (xiiies., cf. étymol.). Pour les formes du type abbandonner, cf. Nicot 1606. − Rem. Fér. Crit. t. 1 1787 emploie comme vedette la forme mod. abandonner avec la rem. ,,(ou abandoner, avec une seule n).`` ÉTYMOLOGIE
I.− Trans. 1. Obj. inanimé a) ca 1100 le frein abanduner « lâcher la bride » (Rol., éd. Bédier, 1536 : Brochet le [ceval], le frein li abandunet), d'où part. prés. « à disposition » (ibid., 1522 : Seint pareis vos est abandunant); 1207 abandonner que « permettre que » (Villehard., éd. Wailly, 377 ds Gdf. : Li marchis li abandona qu'il i alast); b) 1165-70 « mettre en activité, appliquer » (Chrét. de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 6110 : Erec le [cor] prant et si le sone; tote sa force i abandone); 1225-30 abandonner la lance en « enfoncer la lance dans » (Beuve d'Hanst., Vat. chr., 1632 ds Gdf. : el cors li a la lance abandoné); 2. obj. animé a) début xiies. « laisser aller (un cheval) la bride sur le cou » (Mon. Guill., Bibl. nat., 368, ibid. : Parmi la presse son cheval abandonne); b) ca 1200 « livrer (une femme) à la débauche » (Jourdains de Blaivies, éd. Hofmann, 3368 ds T.-L. : a un bordel sera mise et boutee, Lors si sera a touz abandonnee); xves. « laisser (qqn) à lui-même » (Cent Nouvelles nouvelles, Bartsch., 92, 3 : qu'il abandonne sa belle et bonne femme).
II.− Réfl. a) ca 1100 s'abandonner de « se laisser aller à » (Rol., éd. Bédier, 390 : Kar chascun jur de mort s'abandunet); emploi absolu 1160-70 « se livrer (en parlant d'une femme) » (Wace, Rou, éd. Andresen, 2845 ds T.-L. : Tute se pout abanduner Senz sa chemise reverser); b) ca 1100 s'abandoner a « se précipiter vers » (Rol., 928 : Franceis murrunt si a nus s'abandunent), emploi absolu 1160-70 « s'exposer au danger » (Wace, ibid., 3917 d'apr. Keller, Vocab. Wace, 250b : Trop vus abandunates si feïstes folie).
Dér. de abandon*.
HIST. − Mot entré très tôt dans la lang. (xiies., cf. étymol.) et attesté régulièrement jusqu'à nos jours. Offrant dès l'orig. une grande richesse sém., il donne lieu à de nombreux emplois (surtout à partir du xviies.) dont la plupart subsistent.
I.− Accept. disparues av. 1789. − A.− Trans. − 1. « Mettre en activité, appliquer »; attesté uniquement au xiies. (1165-60, cf. étymol. I 1). 2. « Permettre que »; attesté régulièrement du début du xiiieau début du xves. (cf. étymol. I 1 b et 5 ex. ds Gdf.). 3. Abandonner en « enfoncer dans »; une seule attest. au xiiies. (1225-30, cf. étymol. I 1). B.− Réfl. − S'abandonner à « se précipiter vers », emploi absolu « s'exposer au danger », attesté dep. le xiies. (cf. étymol. II b) jusqu'au début du xves. : Onques sanglier escumant ne loup enragé plus fierement ne s'abandonna. Hist. de Boucicaut [1409], I, 24, Buchon (Gdf.). Se rencontre fréquemment au xives. surtout ds Froissart (cf. 5 ex. ds Gdf.).
II.− Accept. attestées apr. 1789. − Nombreuses et anc. pour la plupart (xiies.), elles ont pour composante dominante une idée de recherche d'autonomie, obtenue par une rupture de liens, par une séparation; d'où la valeur dépréc. du verbe (xviies.). Ainsi abandonner évolue-t-il non sans anal. avec abandon dont il est dér. A.− Trans. − 1. Abandonner, cf. sém. I A. Ca 1100 « lâcher la bride » (cf. étymol. I 1 a), abandonner les rênes, une corde; début xiies. « lâcher en liberté, laisser courir » en parlant d'animaux (cf. étymol. I 2 a et ds Gdf.); d'où au xviies. « lâcher, laisser échapper » notamment un cheval attelé (FEW). Dans un sens analogue apparaissent un emploi techn. en fauconn. : abandonner l'oiseau « le lâcher dans la campagne » (Fur. 1690 et sqq), arch. de nos jours, et l'expr. proverbiale et fam. abandonner les étriers « retirer les pieds de dedans les étriers », empl. souvent au fig. : n'abandonnez pas les étriers « servez-vous bien des avantages que vous avez » (de Fur. 1701 à Lar.). xiies. et sqq « quitter, délaisser entièrement »; dep. le xves. abandonner une affaire « ne pas continuer à s'occuper de » (FEW), d'où abandonner son poste, la partie, etc. (cf. sém.), et en partic. dep. le xxes. (cf. Lar.; mais déjà : ,,La victoire est revenue à Sébille, car Rouault a dû abandonner au quatrième round.`` La vie au grand air, 5 mai 1904, p. 357) « renoncer » terme de sport peut-être par l'intermédiaire de la lang. des jeux; xves. et sqq. aussi « laisser (qqn) à soi-même » (cf. étymol. I 2 b in fine), d'où « quitter qqn, s'en séparer » (abandonner ses enfants, un malade, etc. cf. sém.); xvies. (1553 ds FEW) « venir à manquer de » en parlant des forces phys. et morales, toujours attesté (cf. Besch. 1845, Littré, DG, Rob.). − Rem. A signaler dans le même sens 2 emplois techn. de faible vitalité : anc. jurispr. (Ac. Compl. 1842) « faire un abandon, un abandonnement » (sens conforme à l'étymol., alors que le verbe est davantage usité dans des accept. moins spécialisées; toutefois abandonner [p. ex. le domicile conjugal] peut appartenir à la lang. jur.), et mar. (Lar. encyclop.) : abandonner son bâtiment « le quitter après avoir sauvé l'équipage; en faire le délaissement aux assureurs ». 2. Abandonner... à, cf. sém. I B. xiies. et sqq : abandonner (qqc. ou qqn) à (qqn ou qqc.) « mettre à son entière disposition, laisser agir en toute liberté » (FEW); « exposer à, livrer à », prenant le sens partic. de « livrer à la débauche » ca 1200 (cf. étymol. I 1 b), qui s'emploie plus souvent avec le pron. pers. (cf. inf.); xviiies. [Ac. 1718-Lar., cf. FEW] « remettre, confier à », etc. (cf. ex. 35 à 44). Avec ce sens, les expr. abandonner au bras séculier « remettre un ecclésiastique au juge laïc », ou, proverbial et au fig. : abandonner (de la nourriture, etc.) au bras séculier « laisser à la discrétion des domestiques après s'être servi » se disent dep. Fur. 1690, l'une désignant une réalité jusqu'à Ac. 1798, et ne subsistant plus ensuite dans les dict. qu'avec une valeur hist., l'autre n'étant plus attestée au-delà de Ac. 1835. Ac., 1835 et sqq : abandonner un point à qqn, « le lui concéder ». B.− Réfl. − 1. Ca 1100 et sqq : s'abandoner de « se laisser aller à » (cf. étymol. II a); d'où, au xiiies. (1270, cf. FEW) et sqq, s'abandonner à, « se livrer à »; à partir du xvies. (1553, cf. FEW) « s'en remettre à qqn, à sa volonté » ensuite « se confier à »; dep. le xviies. (1636, Monet ds FEW) s'abandonner à la fortune, à un sentiment, etc. (cf. sém. II B). 2. S'abandonner, empl. absolument, connaît certaines accept. partic. : 1160-70 et sqq « se prostituer », désuet de nos jours (peut se construire aussi avec un compl.); xviies. (1636, Monet ds FEW) « se négliger dans son maintien, dans son habillement », encore en usage (cf. ex. 56 à 58); dep. le xviies. aussi (cf. FEW) « se laisser aller à des mouvements naturels », d'où « se détendre »; en outre, au xixes., en parlant d'un orateur qui se lance sans ménagement dans l'improvisation, ou à propos d'un enfant qui commence à faire ses premiers pas (cf. Littré); au xixes. s'abandonner « ralentir sa marche (en parlant d'un cheval) » est mentionné ds Littré comme terme d'équit. STAT. − Fréq. abs. litt. : 7 249. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 11 018, b) 9 573; xxes. : a) 9 584, b) 10 532. BBG. − Banque 1963. − Baudr. Chasses 1834. − Chabat 1875-76. − Dupin-Lab. 1846. − Gramm. 1789. − Jal 1848. − Marcel 1938. − Remig. 1963. − Soé-Dup. 1906. − Théol. cath. 1909. − Will. 1831. |