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ESPRIT, subst. masc.
1reSection
I.− Souffle.
A.− [En partic. chez les Anciens] Vx. Souffle vital, principe de vie. Esprit de vie, esprit vital :
1. L'esprit de vie souffle partout et dans les degrés où il veut; c'est lui qui produit et entretient tous les mouvements de l'univers, qui sent dans les animaux, agit et pense en nous; suivant que cet esprit de vie souffle plus ou moins en nous, nous sommes des génies ou des automates, forts ou faibles, courageux ou timides, etc... La volonté n'y peut rien. Maine de Biran, Journal,1818, p. 154.
Vieilli. Rendre l'esprit. Mourir. Synon. rendre l'âme*, rendre le dernier soupir*.Aphrodisia ferma les yeux. (...) Un sourire inexprimable allongea ses paupières bleues, et dans un soupir elle rendit l'esprit (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 160):
2. ... les maîtres de la scène actuelle estiment à livres, sous et deniers, ce que tel de leurs contemporains pourra leur valoir le jour où il aura rendu l'esprit. Jouy, Hermite,t. 5, 1814, p. 291.
Spéc., GRAMM. GR. ,,Souffle caractéristique d'une certaine prononciation de l'initiale vocalique (...)`` (Mar. Lex. 1933).
Esprit dur, esprit rude. Attaque aspirée de l'initiale vocalique. Je ne peux pas, par respect pour le lecteur français, écrire Hannibal et Hamilcar sans h, puisqu'il y a un esprit rude sur l'alpha (Flaub., Corresp.,1862, p. 60).Esprit doux. Attaque non aspirée de l'initiale vocalique.
P. méton. Signe [esprit doux (), esprit rude ()] qui indique ce mode de prononciation. En français, l'esprit rude grec est transcrit en général par un h (Ling.1972).
B.− [Terme biblique]
1. ANCIEN TESTAMENT. Souffle provenant de Dieu, en particulier souffle créateur, action créatrice et bienfaisante de Dieu. Ce saint Georges plein de feu, de matérialité, est l'âme de tout, son souffle vivifie tout. Le vent de l'esprit passe sur lui (Michelet, Chemins Europe,1874, p. 237):
3. Veni Creator Spiritus! Cet esprit en qui Dieu a créé le monde en soufflant dessus, (...) il n'a pas cessé de passer sur nous, et c'est le grand Alizé qui, depuis le jour de la Pentecôte, gonfle les voiles de l'Église. Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 253.
P. ext. Les odes des grands lyriques furent écrites sans retour, à la vitesse de la voix du délire et du vent de l'esprit soufflant en tempête (Valéry, Variété V,1944, p. 159):
4. Barrès parlait des « lieux où souffle l'esprit ». Je ne crois pas qu'il en eût imaginé aucun l'esprit soufflât davantage qu'en l'Université d'Oxford. De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 565.
Rem. De tels emplois dérivent d'un passage de l'Évangile selon saint Jean (III, 8), littéralement : « l'Esprit souffle où il veut ». Il est ordinairement fait allusion à ce passage pour signifier que l'intelligence est une faculté inégalement répartie.
Au fig. Inspiration d'origine divine. Je vous jure que l'esprit m'inspire ceci! (...) Je vous vois! Je vois périr votre âme! (Bernanos, Imposture,1927, p. 356):
5. ... poussé d'ailleurs par l'esprit prophétique qui lui montroit d'avance la célébrité de la parole et la puissance évangélique, David ne cesse de s'adresser au genre humain et de l'appeler tout entier à la vérité. J. de Maistre, Soirées St-Pétersb.,t. 2, 1821, p. 71.
Chercher l'esprit. ,,(...) se disait, entre les puritains, d'un recueillement mental de dévotion où l'on attendait quelque inspiration du Seigneur`` (Littré).
P. anal. Choulette, (...) parut, joyeux et comme plein de l'esprit d'un dieu (France, Lys rouge,1894, p. 201).
2. NOUVEAU TESTAMENT, THÉOL. CATH. et PROTESTANTE. Saint(-)Esprit ou Esprit(-)Saint ou, absol., Esprit. Troisième personne de la Sainte Trinité, procédant du Père et du Fils. Esprit vivifiant, consolateur. L'Esprit Saint descendit sur les apôtres, pour leur infuser le don des langues (Saint-Martin, Homme désir,1790, p. 407):
6. ... quand vient la saison favorable où souffle l'Esprit Saint, il faut savoir tirer parti de ce vent céleste et lever l'ancre à temps... Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 124.
Jour du Saint-Esprit. Dimanche de la Pentecôte.
P. méton. Représentation du Saint-Esprit. Elles étaient vêtues de bleu avec un bonnet blanc et un saint-esprit de vermeil ou de cuivre fixé sur la poitrine (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 584).Il l'obligeait (...) à porter au col, le dimanche, le saint-esprit d'or rouge enrichi de grenats (Pourrat, Gaspard,1922, p. 188).
Rem. 1. Pour Colin 1971, ,,(...) Esprit saint, variante de Saint-Esprit, (...) ne prend pas de trait d'union``. 2. La religion orthodoxe admet aussi l'existence du Saint-Esprit, mais refuse qu'il procède du Père et du Fils (querelle du filioque).
II.− P. anal. Substance, émanation de certains corps comparables, par leur subtilité, au vent, au souffle de la respiration, à une flamme.
A.− Au sing. ou au plur.
1. Essence, vapeur subtile; émanation odorante. Dans le temps des amours, les mâles et les femelles (...) se reconnaissent de loin, par l'intermède des esprits exhalés de leurs corps (Cabanis, Rapp. phys. et mor.,t. 2, 1808, p. 339).Ce peu de miel où notre nez grossier ne distingue rien, il en émane un esprit subtil qui remplit le ciel et la mer (Claudel, Rempart Ath.,1927, p. 1128):
7. Dieu propice, ô Bacchus! toi, dont les flots divins Versent le doux oubli de ces maux qu'on adore; Toi, devant qui l'amour s'enfuit et s'évapore, Comme de ce cristal aux mobiles éclairs Tes esprits odorants s'exhalent dans les airs. Chénier, Élégies,1794, p. 75.
2. CHIM., PHARM., vx. Substance liquide volatile obtenue par distillation. Il (...) les [des bouteilles] divisa en deux séries : celle des parfums simples, c'est-à-dire des extraits ou des esprits, et celle des parfums composés (Huysmans, À rebours,1884, p. 149).
Esprits parfumés. ,,(...) alcoolats employés en parfumerie, et surtout pour la fabrication des liqueurs : esprit ou alcoolat de fleur d'oranger, de lavande, etc.`` (Lar. mén. 1926).
Esprit (-) de (-) bois. ,,Syn. d'alcool méthylique`` (Méd. Biol. t. 2 1971). Du ragoût de la veille qu'elle réchaufferait à l'atelier sur sa lampe à esprit de bois (Huysmans, Sœurs Vatard,1879, p. 59).Esprit (-) de (-) sel. Acide chlorhydrique. Esprit (-) de (-) soufre. ,,Syn. désuet d'anhydride sulfureux`` (Méd. Biol. t. 2, 1971). Esprit (-) de (-) vitriol. ,,Syn. d'acide sulfureux`` (Méd. Biol. t. 2, 1971). On calmera les hémorragies par l'usage de quelque acide minéral, comme l'esprit de vitriol dulcifié (Geoffroy, Méd. prat.,1800, p. 461).
Esprit volatil (d'une substance animale). Sous-carbonate d'ammoniaque obtenu par distillation de cette substance (cf. Nysten 1814 et 1824 et Geoffroy, Méd. prat., 1800, p. 493).
Esprit-de-vin. Alcool éthylique. Esprit ardent. Alcool très rectifié (cf. Littré-Robin 1858 et 1865).
Absol. et au plur. Les esprits. Les liqueurs alcooliques (Ac. 1878-1932).
Esprits ou eaux spiritueuses. ,,(...) alcools chargés, par la distillation de substances aromatiques, de principes médicamenteux, de drogues simples, etc.`` (Bouillet 1859).
P. plaisant. :
8. ... l'ivresse du mouvement, la chaleur communicative de l'air, les esprits cachés dans les boissons les plus innocentes ont amolli les callosités des vieilles femmes qui, par complaisance, entrent dans les quadrilles et se prêtent à la folie d'un moment... Balzac, C. Birotteau,1837, p. 216.
B.− Au plur.
1. HIST. DE LA PSYCHO-PHYSIOL. Esprits. Éléments d'une matière très subtile, légère, chaude, mobile et invisible, considérés comme les agents de la vie et du sentiment qu'ils portent dans les différentes parties du corps qu'ils animent. La perte, la dissipation des esprits (Ac.1878-1932).
En partic. Esprits vitaux, animaux. Me relevant de toute ma hauteur, je me roidis pour rappeler dans mes membres engourdis les esprits animaux (Dusaulx, Voy. Barège,t. 1, 1796, p. 133).Il est en nage et hors de lui après chaque discours; (...) il est épuisé comme après une dépense prodigieuse d'esprits électriques et vitaux (Sainte-Beuve, Poisons,1869, p. 95):
9. Mais tous mes esprits animaux sont désordonnés. Une haine les transporte d'un bout à l'autre de mon individu. Je voudrais tenir et punir, − et il faut rester sur sa chaise... Valéry, Corresp.[avec Gide], 1898, p. 316.
2. Emplois, expr. et loc. (issus de cette théorie et encore plus ou moins usités) [Le plus souvent avec le poss.]
a) [Ces esprits en tant que principe de l'activité physique et psychique]
La peur glace les esprits (Ac. 1878-1932). La peur paralyse, fige.
Perdre ses esprits. [Au plan physique] Perdre connaissance, s'évanouir. [Au plan psychique] Être très troublé par quelque violente émotion. Reprendre ses esprits. [Au plan physique] Reprendre connaissance, revenir à soi. Recouvrer ses esprits. Il est évanoui; jetez-lui de l'eau, afin de lui faire revenir les esprits (Ac.1878).Regardons si cette bonne Isabelle est grièvement navrée; mais non, la voici qui rouvre l'œil et reprend ses esprits (Gautier, Fracasse,1863, p. 164).[Au plan psychique] . Se reprendre, se remettre, se ressaisir après quelque violente émotion. Apaisez-vous, monsieur, et reprenez vos esprits et veuillez me dire en ordre et posément ce que vous avez à me marquer (Claudel, Soulier,1944, 4ejournée, 4, p. 871):
10. ... je fus tellement ahuri de cette apparition quasi-fantastique, que le prince Cernuwicz eut le temps de me saluer à son tour et de se nommer avant que j'eusse bien recouvré mes esprits. Farrère, Homme qui assass.,1907, p. 62.
b) [Ces esprits en tant que principe de la vie affective et de la vie spirituelle] Esprits inquiets; esprits incertains qui s'adoucissent. La flûte dont il avoit coutume de jouer pour ranimer ses esprits abattus (Staël, Allemagne,t. 3, 1810, p. 135).Et je laissais flotter, au bord des flots assis, Dans le doute et l'effroi mes esprits indécis (Leconte de Lisle, Poèmes ant.,1852, p. 279).
c) [Ces esprits en tant que principe de la vie intellectuelle] Esprits trop lents. Une grave occupation (...) (la licence ès lettres à préparer en vue du doctorat) va donner une direction différente à mes esprits (Mallarmé, Corresp.,1869, p. 314):
11. ... j'aurais pu augurer le mouvement et le fracas de l'ouvrage qui devait me faire un nom, aux bouillonnements de mes esprits et aux palpitations de la muse. Chateaubr., Mém.,t. 1, 1848, p. 494.
III.− P. ext., PHILOS., RELIG. Principe immatériel.
A.− [P. oppos. à la matière, à la substance corporelle; en partic. dans la relig. chrét., en parlant de Dieu ou de l'âme de l'homme − faite à l'image de Dieu − en tant que principe de vie qui anime le corps et en tant que principe de la vie surnaturelle] Substance incorporelle. La divinité fit couler un souffle de sa vie dans l'univers, et en composa un troisième principe mixte, à la fois esprit et matière, appelé l'âme du monde (Chateaubr., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 222):
12. Ajoutons à cela que le dieu chrétien est esprit, que l'homme ne peut donc s'unir à Dieu que par l'esprit et qu'en effet c'est bien en esprit et en vérité que Dieu veut être adoré. Gilson, Espr. philos. médiév.,1931, p. 173.
En partic., dans un cont. relig. [P. oppos. à la chair (ou au corps), symbole de l'homme déchu, principe de l'activité instinctive considérée d'un ordre de perfection inférieur à celui de l'âme, ou esprit, principe des aspirations élevées] L'esprit est plus noble que le corps. Marchez selon l'esprit et non selon la chair. Les fruits de la chair sont l'adultère, l'impureté, etc., et les fruits de l'esprit sont la charité, la tempérance, la joie, la paix, etc. (Ac.).Le père du Verbe, source de tout esprit et dont la chair est l'ennemie (Flaub., Tentation,1856, p. 515):
13. L'abbé Boutarel l'avait mise en garde (...) : à perdre ainsi la messe et les sacrements, elle risquait de succomber un jour aux tentations : on se croit tout esprit et soudain on se voit tout chair. Pourrat, Gaspard,1925, p. 218.
Expr., loc. dans le lang. théol. ou mystique. En esprit. Spirituellement. Être ravi en esprit. ,,Avoir une vision qui transporte l'âme dans les régions célestes`` (Littré). En esprit et en vérité. Le temps est venu où l'on n'adorera le Père ni sur cette montagne ni à Jérusalem, mais en esprit et en vérité (Renan, Avenir sc.,1890, p. 474).Cf. aussi supra ex. 12.
[Allus. biblique]
α) [Saint Matthieu, V, 3] Heureux/bienheureux les pauvres en esprit (les pauvres/simples d'esprit). Ceux qui, acceptant ou choisissant de vivre dans une pauvreté qu'ils assument pleinement dans l'esprit de renonciation de l'Évangile, sont aimés de Dieu. Bienheureux les simples d'esprit, dit l'Écriture. Ils ont l'illusion du bonheur. Ils ne sentent pas, ceux-là, notre misère solitaire (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Solitude, 1884, p. 924).
β) L'esprit est prompt mais la chair est faible*.
Spéc. Esprits bienheureux. Âmes des saints qui jouissent, au Paradis, du bonheur éternel. Toute lumière ruisselle du sein de la divinité pour éclairer les contemplations des esprits bienheureux (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 224).
Rem. Se dit aussi des anges. Cf. infra B 2 a.
[Dans le même sens] Esprits immortels. Le ricanement de l'orgie a pris la place des larmes saintes des esprits immortels (Quinet, All. Ital.,1836, p. 115).
P. méton. L'homme, étant esprit, doit se retirer des choses mortelles. Toute action le dégrade. Je voudrais ne pas tenir à la terre, − même par la plante de mes pieds! (Flaub., Tentation,1874, p. 42).
B.− Être incorporel conscient de lui-même, de son existence, et doué d'une vie psychique, en particulier d'intelligence et de volonté. Pur esprit. Un souffle vague émeut les sphères vagabondes, Mais nul esprit n'existe en ces immensités (Nerval, Chimères,1854, p. 706):
14. Il [Dieu] connaissait toutes les choses à sa façon, c'est-à-dire absolument : mais il me semblait que, d'une certaine manière, il avait besoin de mes yeux pour que les arbres aient des couleurs. La brûlure du soleil, la fraîcheur de la rosée, comment un pur esprit les eût-il éprouvées, sinon à travers mon corps? Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 127.
Pur esprit (au fig. et fam.). Être humain qui n'est pas soumis à certaines contingences d'ordre physique ou matériel, ou qui affecte de ne pas l'être. Enfin (...) vous n'avez pas l'air d'un pur esprit. − J'en suis pourtant un (...) Plusieurs Pères (...) ont pensé que les anges ne sont pas purement spirituels (France, Révolte anges,1914, p. 103).Il est difficile d'être un pur esprit et de nourrir de pures amitiés (Duhamel, Maîtres,1937, p. 151).
1. Divinité. Céluta pria donc. Tantôt elle demandoit des conseils au grand esprit des Indiens, tantôt elle s'adressoit au grand esprit des Blancs (Chateaubr., Natchez,1826, p. 462):
15. Qui suis-je? Réponds-moi, Raison des Origines! (...) Parle, fixe à jamais mes vœux irrésolus, Afin que je m'oublie et que je ne sois plus, Et que la vérité m'absorbe et me consume. − Il se tut, et l'Esprit suprême, l'Être pur, Fixa sur lui ses yeux d'où naissent les Aurores... Leconte de : Lisle, Poèmes ant.,1874, p. 61.
[Dans le monothéisme judéo-chrétien; gén. avec une majuscule] L'Esprit; Esprit incréé, créateur, éternel, divin. Dieu*. Tu vois les diverses passions des hommes, (...) tu pénètres toutes ces misères, ô Esprit créateur! (Chateaubr., Martyrs,t. 2, 1810, p. 142).Esprit divin qui régnez dans les anges et dans les saints du ciel, je vous adore de tout mon cœur (Bremond, Hist. sent. relig.,t. 3, 1921, p. 462).
Péché/pécher contre l'Esprit/le Saint-Esprit. Mopse prétend pécher contre l'Esprit : c'est être Bien fat. Pour L'offenser, il faudrait Le connaître (Toulet, Contrerimes,1920, p. 127).
Rem. P. allus. à Matth. 12, 31 : ,,Tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera point pardonné. Quiconque parlera contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné; mais quiconque parlera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir``; et à Marc 3, 29 : ,,(...) mais quiconque blasphémera contre le Saint-Esprit n'obtiendra jamais de pardon : il est coupable d'un péché éternel``.
2. Être incorporel inférieur à la divinité, unique ou principale, mais supérieur à l'homme.
a) [Dans le monothéisme judéo-chrétien] Synon. de ange*.
α) [Cet être incorporel est de nature bienfaisante, il est au service de Dieu et il joue le rôle d'intermédiaire entre Dieu et les hommes] Esprits célestes, angéliques, bienfaisants, bienheureux, etc. :
16. Marguerite retira l'anneau de son doigt, et le donna au pauvre. L'étranger poussa un cri de rage, − et étendit la main vers la jeune fille. Mais le pauvre, qui n'était autre que l'ange gardien de Marguerite, métamorphosé, − la couvrit de ses ailes. Et Satan, venu pour la tenter, recula devant l'esprit céleste... Murger, Nuits hiver,1861, p. 245.
β) [Cet être incorporel est de nature malfaisante]
L'esprit du Mal, l'esprit malin (ou malin esprit) l'esprit mauvais, immonde; l'esprit tentateur, l'esprit des ténèbres... Le diable*, le démon*, Satan*. Le saint évêque reconnut le malin esprit. Il fit le signe de la croix et aussitôt le petit diable (...) éclata avec un bruit horrible (France, Mir. Gd St Nic.,1909, p. 70):
17. Comme vous ne croyez pas en Dieu, vous ne croyez pas non plus à Satan; vous n'avez fait aucun pacte avec l'esprit du mal, car rien n'est mal, comme rien n'est bien à vos yeux. Sand, Lélia,1839, p. 524.
P. ext. Malin esprit, esprit du démon. Inspiration provenant de Satan. Être possédé du malin esprit. ,,Ce n'est point l'esprit de Dieu qui agit en lui, c'est l'esprit du démon`` (Ac.). Il est animé par l'esprit du démon (Littré).N'avons-nous pas aussi nos exorcistes, qui chassent le malin esprit du corps des possédés (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 431).
Esprit de l'abîme, des ténèbres; esprit infernal, immonde... Mauvais ange*, ange déchu, démon. Calme, il [Jésus] forçait l'essaim invisible et hideux Des noirs esprits du mal, rois des ténébreux mondes (Hugo, Fin Satan,1885, p. 815).
b) [Dans les croyances ou relig. polythéistes] Être incorporel inférieur aux dieux principaux, supérieur à l'homme, représentant selon les cas la puissance immanente à certains phénomènes naturels, ou certains objets, certains animaux, certains défunts, etc., et auquel on attribue une influence sur la destinée des hommes; divinité*, dieu* secondaire. De puissance malfaisante et redoutée, le mort devient un esprit tutélaire prié avec respect et vénération (Philos., Relig., 1957, p. 3207):
18. Il a sans doute fallu bien du temps, chez les Grecs, pour que l'esprit de la source devînt une nymphe gracieuse et celui du bois une hamadryade. Primitivement, l'esprit de la source n'a dû être que la source même, en tant que bienfaitrice de l'homme. Plus précisément, il était cette action bienfaisante, dans ce qu'elle a de permanent. Bergson, Deux sources,1932, p. 189.
3. P. ext. Être imaginaire, légendaire, le plus souvent inspiré du paganisme, des mythologies, des croyances magiques.
a) Esprit familier. Génie supposé attaché à une personne pour l'inspirer et la guider. On a dit que Socrate avait un esprit familier (Ac.) :
19. De Cellini moderne émule, Quand j'entre dans ton atelier, Je crois visiter la cellule Où Faust, Flamel et Raimond Lulle Avaient leur esprit familier. Pommier, Océanides,1839, p. 101.
b) Esprit follet. Lutin supposé attaché à une personne ou une maison et que la croyance populaire considère plus rusé que malveillant. On prétendait qu'il y avait dans cette maison un esprit follet (Ac.).Esprit du feu. Esprit supposé habiter l'intérieur igné de la terre par les adeptes moyenâgeux de la magie qui lui donnèrent le nom de la salamandre à laquelle on attribuait alors la faculté de vivre dans le feu.
4. Spéc., SPIRITISME. Âme des défunts désincarnée après la mort sans être devenue tout à fait immatérielle et qui se manifeste auprès des vivants, leur parle, leur apparaît. Croire aux esprits; craindre, évoquer, interroger les esprits. Esprit es-tu là? On leur dit qu'il revenait des esprits dans cette maison-là. Avoir peur des esprits (Ac.). Une masure visitée par la mort et hantée des esprits (Gautier, Fracasse,1863, p. 50):
20. Enfin, après plus de quarante minutes d'attente, M. Mouillard demanda de la voix qui convenait : − Esprit de Lénine, es-tu là? Qui sont ces deux nouveaux camarades? répondit une voix presque masculine, imitant assez bien l'accent des chauffeurs de taxi sarmates. Queneau, Odile,Paris, Gallimard, 1937, p. 94.
Esprits frappeurs. Âmes des morts qui manifestent leur présence et expriment leurs volontés en frappant un certain nombre de coups. À première vue, les tables tournantes, les esprits frappeurs ne semblent pas fournir un sujet bien intéressant d'étude (France, Vie littér.,t. 3, 1891, p. 144).
2eSection
I.− Principe de la pensée et de l'activité réfléchie de l'homme.
A.− [Dans un sens impersonnel; p. oppos. à la réalité pensée, à l'objet de la connaissance] La substance pensante, la réalité pensante, sujet de la connaissance. Une idée n'existe pas en soi, elle existe en tant qu'elle est pensée dans un esprit (Barrès, Cahiers,t. 13, 1920-22, p. 62).Comprendre c'est unifier, et notre esprit est tel qu'il ne peut connaître sans systématiser (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 52):
21. L'esprit et le corps forment les deux pôles opposés et absolument contraires, l'esprit étant le divin impersonnel qui est en nous, le corps tout ce qui, dans notre être, est perceptible aux sens. Béguin, Âme romant.,1939, p. 92.
Loc. Vue de l'esprit. Conception abstraite et toute théorique ne s'appuyant pas suffisamment sur le réel. C'est là l'origine commune des systèmes ou des doctrines médicales qui donnent toujours une prépondérance aux explications, aux vues de l'esprit, aux dépens de la réalité des faits (Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 57).
[P. oppos. à la matière, objet de la pensée] L'esprit s'approprie la matière, la monte à son niveau, l'annihile par abstraction (Flaub., Tentation,1849, p. 418):
22. ... en séparant l'homme de la nature et l'esprit de la matière, on finit toujours par creuser à l'intérieur de l'homme et de l'esprit eux-mêmes des failles et des abîmes nouveaux. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 241.
[P. oppos. à l'âme] :
23. ... la question se pose de savoir quelle est la relation de l'âme aux idées (l'âme étant conventionnellement définie comme sujet de ce devenir, de cette création de soi qui est l'esprit; l'âme serait en quelque sorte la matière de l'esprit, ce que l'esprit trouve en soi). L'âme apparaît ici comme la base du vouloir, l'esprit comme l'unité transcendante et achevée du vouloir... Marcel, Journal,1914, p. 120.
SYNT. Éveil, développement, évolution, progrès de l'esprit (humain); étude, connaissance de l'esprit; besoin, exigences, facultés, grandeur, dignité de l'esprit; assujettissement, émancipation, liberté de l'esprit; structure, organisation, constitution, complexité de l'esprit humain; fonctionnement, activité, travail, gymnastique, démarche de l'esprit; propriété, aptitude, capacité de l'esprit; domaine, champ, limitation, limites, bornes de l'esprit; produit, production, chef-d'œuvre, monument, création, conquête de l'esprit; les choses de l'esprit; l'esprit procède par déduction, opère par abstraction; pure conception, création, construction de l'esprit; pur jeu de l'esprit; ce n'est qu'une abstraction de l'esprit.
B.−
1. Principe de la vie psychique; ensemble des facultés psychologiques tant affectives qu'intellectuelles. J'ai l'esprit plein de tristesse (Champfl., Souffr. profess. Delteil,1855, p. 104).Il lui suffisait d'une bonne amitié; elle avait des sens tranquilles et un esprit affectueux (Rolland, J.-Chr.,Matin, 1904, p. 183):
24. ... j'étais dans un état de stupeur en quelque sorte mécanique qui, me laissant l'esprit libre de toute émotion, mettait entre ma conscience et moi comme une barrière. Daniel-Rops, Mort,1934, p. 340.
SYNT. a) Liberté, calme, sérénité, tranquillité d'esprit; fraîcheur d'esprit; inquiétude, tourments d'esprit; esprit aimable, agréable, doux, paisible, tolérant, compréhensif; esprit primesautier, enjoué; esprit incertain, timide, timoré, changeant; esprit audacieux, aventurier; esprit désenchanté, aigri, ombrageux, soupçonneux, belliqueux, impatient; esprit souple, facile; esprit tranchant, entier, froid, inquiet; esprit sombre, tourmenté; esprit abattu; esprit porté à s'assombrir, agité de mille craintes; alarmer, attrister, agiter, calmer l'esprit; avoir l'esprit plein de tristesse; avoir l'esprit calme, dispos; avoir l'esprit préoccupé; ne pas avoir l'esprit tranquille; avoir, mettre l'esprit en repos, en fête; laisser l'esprit libre de toute émotion; laisser dans l'esprit une impression triste; se torturer l'esprit; garder l'esprit libre; mettre une crainte dans l'esprit de qqn; remplir l'esprit de qqn d'étonnement, d'effroi; frapper l'esprit de qqn de terreur; jeter le désarroi dans l'esprit de qqn; lire, pénétrer dans l'esprit de qqn; esprit qui s'agite; impression qui traverse l'esprit; soupçon, inquiétude qui s'empare de l'esprit. b) Santé, pathologie, psychologie de l'esprit; désordre, dérangement, égarement de l'esprit; esprit sain et reposé; esprit fatigué et malade; esprit en délire; esprit aliéné; (être) sain de corps et d'esprit; perdre l'esprit; avoir l'esprit dérangé, égaré, troublé; esprit qui bat la campagne; esprit malade qui chavire.
Locutions
Disposition, état d'esprit. Manière d'être, à un certain moment, qui détermine une façon de voir les choses et de se comporter. Une manière vive de sentir n'est pas compatible avec cette disposition d'esprit et de l'ame qu'on appelle gaieté (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1886).La variété « riche amateur » est plutôt un état d'esprit qu'un fait social économique (Larbaud, Journal,1935, p. 350).Laulerque rappela en deux mots par quels états d'esprit il était passé durant des années qui avaient précédé la guerre (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 151).
Tour, tournure, forme d'esprit. Manière d'envisager les choses, d'agir et d'être, caractéristique d'une personne. Il est une satisfaction, une joie de tempérament qui s'allie quelquefois avec une tournure d'esprit inquiet et des idées sombres (Maine de Biran, Journal,1820, p. 289):
25. − Mais enfin, qu'y a-t-il de commun entre vous et un ouvrier? − Les différences sont en effet sensibles, moins fortes toutefois qu'entre le tour d'esprit d'un fonctionnaire, par exemple, et le mien. Barrès, Jard. Bérén.,1891, p. 143.
Présence d'esprit. Promptitude à agir, à parler avec à-propos. Tisselin eut seul la présence d'esprit de fermer la pièce qui précédait le salon et d'en emporter la clef (Péladan, Vice supr.,1884, p. 302).Ah! son trouble, ce manque de présence d'esprit, ce désarroi! Il me fit pitié (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 337).
Vieilli. En esprit, d'esprit. Par la pensée, par l'imagination. Je fus transporté en esprit dans les temps anciens (Lamennais, Paroles croyant,1834, p. 84).Marché-je comme le bourgeois attardé qui d'esprit goûte la soupe déjà et le cercle habituel de visages et se réjouit de son feu? (Claudel, Tête d'Or,1890, 1repart., p. 39).
Vx. État d'âme passager, humeur momentanée, disposition intérieure particulière. Changer d'esprit. Ne te dirai-je pas : Prends un esprit plus doux? Vois : cette paix. Respire. Une parfaite tranquillité est commune, au grand ciel et à la terre (Claudel, Ville,1893, I, p. 309).
Avoir/ne pas avoir l'esprit à ... Être/ne pas être dans de bonnes dispositions pour... Et je vous voyais peindre et le voyais Maman Vous n'aviez pas l'esprit à ce bouquet de fleurs (Aragon, Rom. inach.,1956, p. 27).
Se mettre dans l'esprit de + inf. Prendre la décision bien arrêtée de + inf. (cf. se mettre en tête de...). Un vieil agoyate se mit dans l'esprit de le rejoindre (About, Grèce,1854, p. 142).Se mettre bien dans l'esprit de qqn. Lui donner une bonne opinion de soi. Être bien dans l'esprit de qqn; rester au mieux dans l'esprit de qqn. Quoiqu'une pareille demande fût contre les principes de la mère, j'étais encore si bien dans son esprit, que j'osai la faire, et qu'elle me fut accordée (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 70).Perdre qqn dans l'esprit de qqn. Faire perdre à quelqu'un la confiance, l'estime de quelqu'un. Madame Aquet employait tous les moyens pour perdre le fils dans l'esprit de son père (Champfl., Avent. MlleMariette,1853, p. 114).Monter l'esprit de qqn contre qqn. Lui inspirer de l'animosité contre quelqu'un :
26. De ce moment, le procès Dreyfus ne signifie plus rien, sinon qu'on veut monter l'esprit des jurés contre Zola et le faire condamner à toute peine qu'il plaira... Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 20.
[L'esprit considéré d'un point de vue moral] Les cravates vert-pomme d'Arcangeli, son esprit bas, étroit, mesquin, et qui puait par trop, (...) commençaient à fatiguer le duc (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 153):
27. Procure-toi le numéro de la Revue des deux mondes du 1erdécembre. Tu y liras un article de Renan que je trouve incomparable comme élévation d'esprit et hauteur morale. Flaub., Corresp.,1876, p. 372.
SYNT. Grandeur, noblesse d'esprit; force, faiblesse d'esprit; largeur, étroitesse d'esprit; bassesse d'esprit; esprit élevé, noble, généreux; esprit fort; esprit courageux, bien trempé, lâche; esprit large, étroit; esprit frivole; esprit retors, méchant; esprit dégradé, avili; avoir l'esprit large; être d'esprit large.
2. [Par restriction de sens] Intention, point de vue particulier déterminant une attitude, une action ponctuelle. Tel est l'esprit que j'ai porté dans cette discussion : j'ai mieux aimé la traiter sous ce point de vue (Robesp., Discours,Sur la guerre, t. 8, 1792, p. 98).
Dans un esprit de + subst.Avec une idée de..., dans une intention de..., dans un but de... Dans un esprit de + adj.Dans une intention..., d'un point de vue... Il écrivit, dans un esprit satirique, cet opéra où Walpole et ses ministres figurent, déguisés en bandits et en vagabonds (Morand, Londres,1933, p. 95).Tu vois dans quel esprit impersonnel je tâche de t'expliquer ça (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 212).
C'est dans cet esprit que... C'est sous cet angle, dans cette perspective, de ce point de vue que... :
28. On sentira que ce n'est pas assez qu'une idée soit bonne, mais qu'il faut encore qu'elle soit exprimée avec clarté pour être facilement comprise et avec charme pour être généralement adoptée. C'est dans cet esprit qu'il faut commencer la lecture des ouvrages de belles-lettres. Laclos, Éduc. femmes,1803, p. 475.
3. [L'accent est mis sur une faculté en partic.]
a) Mémoire. Avoir l'esprit en proie à mille souvenirs; éveiller, réveiller des souvenirs dans l'esprit; laisser une trace dans l'esprit; souvenirs, pensées qui reviennent à l'esprit. La figure hagarde des Verlaine, des Villiers, et autres épaves est toujours restée gravée pour moi dans mon esprit en traits ineffaçables (Claudel, Corresp.[avec Gide], 1910, p. 118).
b) Attention, application mentale. Avoir l'esprit distrait, absent; ne plus avoir l'esprit présent; ne pas avoir l'esprit à ce que l'on fait. Il travailla un peu, mais il avait l'esprit ailleurs (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 201).
Vieilli ,,Fig., fam. Il a l'esprit aux talons, se dit d'un homme qui, par étourderie ou par préoccupation, ne pense point à ce qu'il dit`` (Ac.).
[Formules utilisées pour s'excuser d'un manque d'attention] Où ai-je l'esprit? Où avais-je l'esprit? [Pour s'excuser d'une conduite inconsidérée] J'ai eu tort de m'emporter tout à l'heure, je ne sais où j'avais l'esprit, j'ai été beaucoup trop loin, j'ai dit des extravagances (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 951).
c) Imagination. Esprit porté au rêve, rempli de rêveries; avoir l'esprit occupé de rêveries, perdu dans des rêveries, des visions. Mon esprit voyageait partout, dans les forêts pleines de fougères de l'île délicieuse, dans les sables du sombre Sénégal (Loti, Rom. enf.,1890, p. 307).
C.− [Par restriction des sens A et B : p. oppos. aux manifestations de la sensibilité] Principe de l'activité intellectuelle. Les soins du maître tendaient à développer l'esprit de l'enfant (Verne, 500 millions,1879, p. 172).Concevoir bien est la suprême fonction de l'esprit (Bloch, Dest. du S.,1931, p. 20):
29. Quand l'intelligence n'a plus de poids intérieur, la réflexion au lieu d'en concentrer le regard, l'épuise. Elle dissipe toute assurance de l'esprit, le prive de son assiette. Mounier, Traité caract.,1946, p. 669.
SYNT. 1. a) Éducation, culture de l'esprit; étendue, ouverture, qualités de l'esprit; travail, activité, concentration de l'esprit; vivacité, clarté, finesse de l'esprit; joie, délices de l'esprit; lenteur, lourdeur, épaisseur, défaillance de l'esprit. b) Précocité, maturité d'esprit; discipline, solidité, puissance, sagacité, profondeur d'esprit; hauteur, supériorité d'esprit; travers, fausseté d'esprit. 2. a) Esprit bien/mal fait, actif, infatigable, lent, lourd, sclérosé; esprit solide, puissant; esprit vif, prompt; esprit ouvert, universel, curieux, éclectique, borné, obtus; esprit réfléchi, profond, mûr, pondéré, logique, cartésien, clair, lucide, subtil, pénétrant; esprit superficiel, creux, raisonneur, compliqué, tortueux, confus, brouillon, fumeux; esprit médiocre, vulgaire, original; esprit orné, cultivé, brillant, fin, raffiné; esprit inculte, illettré. b) Esprit accoutumé à réfléchir, porté aux considérations générales; esprit plein de pensées toutes faites. 3. a) Former, développer, entretenir, nourrir, orner l'esprit; se reposer, s'occuper, se fatiguer l'esprit; mettre de l'ordre dans son esprit; laisser parler son esprit; s'élever, être grand par l'esprit; être jeune d'esprit; avoir qqc. présent à l'esprit; fixer son esprit sur un sujet; arrêter son esprit à/ sur qqc.; agiter une question dans son esprit, rouler dans son esprit mille projets; ouvrir son esprit à une pensée, faire pénétrer qqc. dans son esprit; chercher qqc. dans son esprit, trouver des idées dans son esprit; écarter, repousser, chasser, effacer, ôter une idée de son esprit; détourner son esprit d'une question; garder, graver qqc. dans son esprit; épuiser son esprit à réfléchir continuellement, faire le vide dans son esprit. b) Éveiller, former, façonner l'esprit de qqn; mettre qqc. dans l'esprit de qqn, faire naître une idée dans l'esprit de qqn; ôter une idée de l'esprit de qqn. c) Esprit qui pense, se concentre, se disperse, se développe, mûrit; esprit qui s'échauffe, conserve sa vigueur, retrouve toute sa lucidité; esprit qui nourrit de vastes pensées, se remplit d'idées vagues; esprit qui excelle dans qqc. d) Idée qui se présente, (re)vient à l'esprit; idée qui s'insinue, entre, se forme, grandit, jaillit dans l'esprit; idée qui effleure l'esprit; idée qui s'impose à, s'empare de l'esprit; idée qui envahit l'esprit; idée qui se fixe, se grave dans l'esprit; idée qui traverse l'esprit, sort de l'esprit; idée qui dérange, accable, agite l'esprit; fatigue qui paralyse l'esprit.
[P. oppos. au cœur ou à l'âme en tant que principes de la sensibilité, de l'affectivité] J'éprouve que mon imagination a tout à fait vieilli en ce qu'il n'y a plus aucune sympathie entre les idées de l'esprit et les sentiments de l'âme (Maine de Biran, Journal,1818, p. 109):
30. On répétera qu'il est infiniment bon. Je le sais bien, mais je voudrais qu'il fût permis de dire qu'il a aussi l'intelligence de sa bonté, entendant par là qu'il n'a pas moins d'esprit que de cœur, ou, si l'on veut, que le cœur, chez lui, élève l'esprit, comme aussi bien l'esprit élève le cœur. Bremond, Hist. sent. relig.,t. 3, 1921, p. 241.
P. méton. La personne même, du point de vue intellectuel. Un esprit orné, éclairé, distingué, éminent, brillant, rare, supérieur, inférieur :
31. C'était [le général Ruffey] un esprit brillant très imaginatif, dont les qualités de technicien auraient à s'employer utilement dans les opérations que son armée serait amenée probablement à exécuter dans la région de Metz... Joffre, Mém.,t. 1, 1931, p. 205.
Locutions
a) Grand esprit. Esprit supérieur, élevé et de large envergure. P. méton. Personne douée d'un tel esprit :
32. À George Sand. Vous venez de m'écrire, dans l'Avenir national, une admirable lettre. Cette page me paye mon livre. Vous êtes un des plus grands esprits de la France et du monde... Hugo, Corresp.,1865, p. 506.
Proverbe. Les grands (ou les beaux) esprits se rencontrent.
Petit esprit. Esprit médiocre, mesquin. Madame Trevor était extrêmement coquette et avait le petit esprit fin et maniéré que la coquetterie donne aux femmes qui n'en ont pas d'autre (Constant,Cahier rouge, 1830, p. 19).Ce gros homme de petit esprit [Louis XVIII] (Balzac,Langeais,1834,p. 323)P. méton. Personne douée d'un tel esprit :
33. Depuis qu'on veut tout savoir, tout connaître, depuis que chaque petit esprit tend à tout rabaisser à son niveau, à tout comprendre dans sa petite capacité, la sphère des croyances ou du monde invisible s'est rétrécie de plus en plus. Maine de Biran, Journal,1820, p. 280.
Simple d'esprit. Personne dont les facultés intellectuelles ne se sont pas développées normalement et qui souffre d'arriération ou de débilité mentale. Ce Sieurin, qui a subi trente-sept condamnations pour vagabondage, est incapable de tuer une mouche. Il n'a jamais commis de vol. C'est un simple d'esprit, un être inoffensif (France, Orme,1897, p. 210).Faible* d'esprit.
b) Esprit droit. Esprit au raisonnement rigoureux, au jugement sain. Cette enfant est absurde, on aura bien de la peine à lui rendre l'esprit droit! (Duranty, Malh. H. Gérard,1860, p. 123).P. méton. Il admirait qu'aucune difficulté ne résiste à un esprit droit et qui raisonne juste (Mauriac, Th. Desqueyroux,1927, p. 250).
P. oppos. Esprit faux. C'est un esprit faux et malveillant (Proust, Filles en fleurs,1918, p. 573).
c) Bon esprit
Vieilli. Capacité de l'esprit de porter des jugements sains, de bon sens :
34. Ce dont on a le plus horreur en France, c'est d'être dupe. On aime mieux passer pour leste et dégagé que pour un honnête nigaud, et, du moment que l'on associe à la morale quelque idée de pesanteur d'esprit, c'est assez pour qu'on la tienne en suspicion. De là l'extrême rabais où est tombé le titre de bon esprit. Ce titre, qui devrait être le plus beau des éloges est devenu presque synonyme d'esprit faible, et est accordé avec une étrange libéralité; on accorde, en effet, volontiers aux autres les qualités auxquelles on ne tient pas pour soi-même, et on pense qu'en accordant aux autres le bon esprit, on fera entendre qu'on est soi-même un grand ou brillant esprit. Renan, Avenir sc.,1890, p. 444.
De nos jours. Avoir le bon esprit de + inf. Avoir la perspicacité, l'intelligence de + inf. Il [Pascal] eut à son lit de mort un curé très prudent (de Saint-Sulpice?) qui eut le bon esprit d'oublier de lui parler de signature (Barrès, Cahiers,t. 7, 1908, p. 36).
d) Bel esprit. [Souvent ironiquement] Finesse et distinction de l'intelligence jointe à la culture des belles-lettres. L'esprit même devenu plus général, tout le monde y prétend bientôt; de là le bon esprit devient rare et la pointe, le faux bel esprit et la prétention prennent sa place (Benda, Fr. byz.,1945, p. 225).
P. méton. Un bel esprit lui [le curé de Costerel-sur-Meuse] donna même un nom : il l'appela le « confesseur de bonnes ». Le mot fit fortune; il courut les salons bien pensants (Bernanos, Imposture,1927, p. 339).
Emploi adj. Il avait vu récemment une jeune femme de Neuchâtel, savante et bel esprit, et qui avait « la manie de s'afficher » (Guéhenno, Jean-Jacques,1952, p. 145).
Péj. Faire le bel esprit. Chercher, avec affectation, à paraître brillant, spirituel. J'ai eu tort, j'en conviens et je fais le bel esprit mal à propos (Gobineau, Pléiades,1874, p. 5).
e) Esprit fort. Personne qui croit faire preuve de force d'esprit en se situant au-dessus des croyances religieuses :
35. Par ailleurs, on avait beau s'afficher matérialiste, libertin ou esprit fort, le monde, autour de vous, était tellement croyant, on baignait dans une si générale promesse de justice distributive au-delà, que tout conspirait à vous assurer un usage sans trouble des biens de la terre. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 105.
Emploi adj. Hippolyte étant déjà assez esprit fort, et moi ayant été habituée par ma mère et ma grand'mère (...) à regarder l'existence du diable comme une imposture (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 375).
P. ext. Personne qui se place au-dessus des idées communément reçues. Faire l'esprit fort :
36. ... il est bien trop fin pour ne pas comprendre qu'avec certains il en serait pour ses frais, aussi proportionne-t-il ses effets au crédit dont il sent qu'il dispose. Avec Marchant, il ne se risque guère, mais fait l'esprit fort et plaisante; il réserve le pathétique pour l'abbé qui le trouve « édifiant », pour papa qui le trouve « antique »... Gide, École femmes,1929, p. 1292.
f) Avoir l'esprit de + inf.Avoir l'intelligence de (+ inf.), être assez intelligent pour (+ inf.). Mais, mon pauvre Téran, reprit Madame d'Hocquincourt (...) on ne menace pas de s'enivrer, on s'enivre. Il faut avoir l'esprit de voir cette différence (Stendhal, L. Leuwen,t. 2, 1835, p. 111).
D.− [Par restriction du sens C]
1. [Avec un compl. de nom sans article ou avec un adj.] Esprit de + subst. ou esprit + adj.Disposition intellectuelle dominante déterminant l'orientation de l'intelligence lorsqu'elle s'applique à un objet. L'esprit d'abstraction (Barrès avait admirablement attrapé l'apparence de cet esprit; il a volé l'outil, a dit un philosophe) (Benda, Trahis. clercs,1927, p. 85).L'esprit mystique qui déifie chaque chose a du bon, et même, en un certain sens, du vrai (Ruyer, Esq. philos. struct.,1930, p. 224):
37. Qui nous a appris à connaître les analogies véritables, profondes, celles que les yeux ne voient pas et que la raison devine? C'est l'esprit mathématique, qui dédaigne la matière pour ne s'attacher qu'à la forme pure. C'est lui qui nous a enseigné à nommer du même nom des êtres qui ne diffèrent que par la matière... H. Poincaré, Valeur sc.,1905, p. 142.
SYNT. Esprit d'examen, de doute, de méthode, de comparaison, d'analogie, de classification, de généralisation, de synthèse; esprit critique, analytique, synthétique.
Spéc. Esprit de géométrie. Aptitude au raisonnement logique, déductif. Esprit de finesse. Intuition synthétique, inspiration. Un art aussi catégorique que subtil, où l'esprit de finesse et l'esprit géométrique se confondent (Faure, Espr. formes,1927, p. 230):
38. ... j'ai expliqué à mes élèves le début de la section I des Pensées sur la différence entre l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse. Je me suis efforcé de leur faire sentir la prodigieuse probité de la pensée de Pascal en général... Du Bos, Journal,1922, p. 105.
2. Absolument
a) Vieilli. Valeur intellectuelle. Oxford n'est qu'un collège, la cité de l'esprit, d'un doux repos avant les agitations de la vie, ses combats, ses orages (Michelet, Chemins Europe,1874, p. 57).Ernst n'était point sot. Sans culture, il n'était pas sans esprit (Rolland, J.-Chr.,Adolesc., 1905, p. 350).
Homme, femme d'esprit. Personne douée de qualités d'esprit et de cœur particulières, cultivée, au goût excellent. Je vois des hommes d'esprit qui ne croient qu'en eux-mêmes; ils sont bouffis d'orgueil (Maine de Biran, Journal,1820, p. 276).À moins d'une grande passion, prise peu à peu et dans la première jeunesse, une femme d'esprit n'aime pas longtemps un homme commun (Stendhal, Amour,1822, p. 108).
Ouvrage d'esprit. Ouvrage littéraire. Œuvres de l'esprit; travaux d'esprit. Au fond, il y a de la métaphysique dans tous les ouvrages d'esprit, depuis les méditations de Descartes jusqu'aux poésies de Dorat (Bonald, Essai analyt.,1800, p. 19).
b) Spéc. [De nos jours] Forme d'intelligence aiguë, vive et mordante, qui excelle dans l'art d'opérer des rapprochements inattendus et drôles, dans l'art d'exposer des idées, de converser avec une verve piquante pleine d'ingénieuses saillies. On ne doit mettre dans un livre que la dose d'esprit qu'il faut; mais on peut en avoir, dans la conversation, plus qu'il ne faut (Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 240).Prêter de l'esprit aux sots est le plus sûr moyen de les flatter (Sandeau, Sacs,1851, p. 33):
39. On peut pourtant faire des calembourgs avec de l'esprit, ou quoiqu'on ait de l'esprit : M. de Bièvre l'a prouvé; mais qu'en conclure, lorsque tant de sots y réussissent? Que le calembourg prouve quelque esprit dans une bête? Ne prouverait-il pas plutôt qu'il y a toujours un petit coin de bêtise dans un homme d'esprit? Jouy, Hermite,t. 5, 1814, p. 233.
SYNT. Homme (plein) d'esprit; réponse, répartie (pleine) d'esprit; tour plein d'esprit, jeu d'esprit, plaisanteries sans esprit; esprit scintillant, vif, mordant; esprit comique, gaulois; esprit de saillie; esprit d'emprunt, de boulevard; avoir de l'esprit, beaucoup d'esprit; être plein d'esprit, faire assaut d'esprit, pétiller d'esprit, (ne pas) manquer d'esprit, déployer son esprit le plus scintillant, montrer de l'esprit à peu de frais, conversation qui ne brille pas par l'esprit.
Trait, mot d'esprit. Pensée fine et ingénieuse, pointe, saillie. Et des mots d'esprit qui sont des mots des Goncourt au forceps (Goncourt, Journal,1889, p. 913).Un trait d'esprit annonce toujours la mort d'une idée (Alain, Propos,1923, p. 462).
Bureau d'esprit (vieilli). Salon dans lequel évoluent des personnes pleines d'esprit. Tenir bureau d'esprit. P. iron. Hier j'allai passer un quart-d'heure au grand club où tant de sots tiennent bureau d'esprit (Marat, Pamphlets, Charlatans mod., 1791, p. 279).
Faux esprit. Pensée à la fois fausse et recherchée (cf. Littré).
Avoir de l'esprit jusqu'au bout des doigts, des ongles. Avoir beaucoup d'esprit en toutes circonstances, jusque dans les moindres choses. Avoir de l'esprit à revendre. Un homme qui, comme un frère, avait du cœur et de l'esprit à revendre, un jour sur trois, sur quatre, ou sur cinq, selon « le vent », disaient-ils (Sand, Hist. vie,t. 4, 1855, p. 64).Je préfère mille fois la petite étude de M. Vibert que nous avons vue à l'exposition des aquarellistes. Ce n'est rien si vous voulez, cela tiendrait dans le creux de la main, mais il y a de l'esprit jusqu'au bout des ongles (Proust, Guermantes,1921, p. 501).
Faire de l'esprit (péj.). Vouloir absolument se montrer spirituel, chercher avec affectation à faire preuve d'esprit :
40. madeleine. − Tu as bien changé depuis! richard. − Non!... C'est l'honneur qui a changé de côté!... Faut croire que ça se déplace... madeleine. − Ne fais pas d'esprit. richard. − Je n'en ai jamais moins fait... H. Bataille, Maman Colibri,1904, IV, 6, p. 30.
Proverbe. L'esprit court les rues. L'esprit est chose commune, chacun se pique d'en avoir. À l'heure qu'il est, je suis écœuré par la population qui se rue sous mes fenêtres à la suite du bœuf gras! Et on dit que l'esprit court les rues! (Flaub., Corresp.,1868, p. 356).
[Allus. littér.]
[Montesquieu, Variétés] Quand on court après l'esprit, on attrape la sottise :
41. Ainsi, quand l'Europe est en feu, quand Paris est en rumeur, quand la propriété chancelle, quand le droit divin trébuche, quand on perd l'esprit en courant après le bon sens, quand il n'y a plus rien de stable, plus rien de certain au monde, quand tout est remis en question, les lois, les mœurs, les richesses et les gloires, tout un quartier s'obstine à parfiler! Musset dsLe Temps,1831, p. 55.
[Delavigne, Enf. d'Édouard, I, 2] Quand ils ont tant d'esprit les enfants vivent peu. ,,Se dit d'un enfant qui a beaucoup d'esprit, et, plus souvent ironiquement, d'un enfant qui n'a guère de dispositions. Cet enfant a trop d'esprit, il ne vivra pas`` (Littré).
[La Fontaine, Conte] Comment l'esprit vient aux filles. ,,(...) l'amour fait venir l'esprit aux filles`` (Littré) :
42. Indépendamment des affections, ou des idées qui se rapportent aux fonctions particulières de ces organes, l'époque qui nous occupe produit souvent une révolution complète dans les habitudes de l'intelligence. Ce n'est pas sans fondement, qu'on a dit que l'esprit venait alors aux filles; et les plaisanteries relatives au moyen par lequel ce prétendu miracle s'opère, porte sur un fond réel et physique. Cabanis, Rapp. phys. et mor.,t. 1, 1808, p. 311.
P. anal. :
43. ... 89 montra comment l'esprit vient aux villes. Mais, au bon vieux temps, la capitale avait peu de tête; elle ne savait faire ses affaires ni moralement ni matériellement, et pas mieux balayer les ordures que les abus. Tout était obstacle, tout faisait question. Hugo, Misér.,t. 2, 1862, p. 514.
II.− Principe de pensée et d'action.
A.− [Avec un compl. de nom sans article ou avec un adj.] Esprit de + subst. ou esprit + adj.Disposition psychique dominante d'une personne ou d'un groupe, déterminant le choix d'une attitude et l'orientation de l'action. Esprit d'indépendance, de soumission; esprit conciliateur, chicanier. Il réclama le travail comme d'autres enfants réclament des jouets, non par esprit de devoir, mais par instinct, par besoin de nature (Zola, Th. Raquin,1867, p. 11).Mais elle passa outre, comme elle faisait parfois, poussée par un goût du risque et un esprit de décision qu'elle confondait avec le courage (Martin du G., Thib.,Cah. gr., 1922, p. 596):
44. Nos messieurs sont à Oron. J'en ai profité pour prier ma sœur de m'accorder un bout de causerie après souper. Mais bah! l'esprit de contradiction fait dans ces cas-là désirer exactement le contraire de ce qui est demandé. Amiel, Journal,1866, p. 243.
P. méton. C'était sans nul doute l'esprit le plus positif du groupe. Il disposait, dans les milieux de la finance, de la politique, du barreau et du livre, de relations sur lesquelles il ne comptait jamais en vain (Arland, Ordre,1929, p. 158).
Locutions
Esprit d'à-propos. Synon. de présence d'esprit (cf. supra).J'avais été séduit par sa haute et brillante intelligence; sur la carte, il avait été merveilleux de clarté, de lucidité, de jugement et d'esprit d'à-propos (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 370).Esprit de suite. Continuité, suite dans une idée, une attitude, une action. En politique extérieure, une vraie démocratie, bien républicaine, demeure dépourvue de la continuité et de l'esprit de suite qui permet aux aristocrates et aux monarchies de se marquer un but politique (Maurras, Kiel et Tanger,1914, p. 12).Esprit de clocher. Attachement borné, excessif à son village, à sa ville. L'esprit de clocher, mon ami, n'est pas autre chose que le patriotisme naturel. J'aime ma maison, ma ville et ma province par extension, parce que j'y trouve encore les habitudes de mon village (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Rosier MmeHusson, 1887, p. 684).Sans esprit de retour. Sans avoir l'intention de revenir. Les deux tiers de ses enfants l'ayant abandonnée sans esprit de retour, la malheureuse ville est comme un corps qui a perdu son sang (Maeterl., Vie abeilles,1901, p. 165).Esprit de sacrifice. Disposition intérieure à l'abnégation qui porte à se dévouer, à se sacrifier pour autrui. Mais ce départ que je voulais à tout instant effectuer, M. et Mmede Guermantes poussaient l'esprit de sacrifice jusqu'à le reculer en me retenant (Proust, Guermantes,1921, p. 543).
Avoir bon esprit. Être naturellement enclin à apprécier, juger les intentions ou les actes d'autrui avec bienveillance; accepter de bonne grâce une autorité, une discipline. La proclamation (...) produisit une impression excellente. Elle se terminait par un appel au bon esprit des citoyens (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 244).Le commandant d'armes, le préposé au maintien du bon ordre, du bon esprit et de la bonne tenue des troupes (Courteline, Train 8 h 47,1888, 2epartie, p. 206).Avoir mauvais esprit. Être enclin à apprécier, juger les intentions ou les actes d'autrui avec malveillance (fam.avoir l'esprit mal tourné). Se rebeller plus ou moins sourdement contre une autorité, une discipline. Faire du mauvais esprit. Il me met surtout en garde contre le mauvais esprit de la population qui, gavée depuis la guerre, dit-il, a besoin de cuire dans son jus (Bernanos,Journal curé camp.,1936,p. 1063) :
45. Elle regardait les autres garçons, aussi, quelquefois. Quand, à la lecture du communiqué, elle en voyait « faire du mauvais esprit », elle se disait (...) que leur moralité devait être sur tous les points également basse... Montherl.,Songe,1922,p. 72.
[P. allus. à la formule utilisée par le ministre Spuller en 1894 pour définir la politique du gouvernement à l'égard de l'Église] L'esprit nouveau :
46. − Il y a une question de droit. Je l'eusse tranchée en faveur des congrégations. Il y a aussi une question de fait. Les congrégations faisaient beaucoup de bien. Le préfet concluait dans la fumée de son cigare : − Il n'y a pas à revenir sur ce qui a été fait. Mais l'esprit nouveau est un esprit de conciliation. France, Orme,1897, p. 36.
B.− Ensemble des dispositions psychiques dominantes qui déterminent et caractérisent les sentiments et les actions d'une personne ou d'un groupe social. Tu seras donc toujours le même fou que j'ai connu, (...) il y a en toi l'esprit de ton père : c'était un vieux braque (Erckm.-Chatr., Ami Fritz,1864, p. 5).Vieil esprit français de clarté et de bon sens (Barrès, Cahiers,t. 13, 1920-22, p. 168):
47. Sa confiance était absolue dans un outil militaire supérieur à tout ce qui avait été vu jusqu'alors par le nombre des unités mobilisées, le degré de leur instruction, (...) l'esprit qui les animait, le savoir qui les guidait. Foch, Mém.,t. 1, 1929, p. 10.
SYNT. Esprit du groupe, de la société, d'une nation; esprit de Port-Royal; esprit de la république, de l'Église, de l'armée; esprit civique; esprit moderne.
Vieilli. Esprit du monde. ,,Humeur égale, manières affables, habitudes de souplesse et de ménagement`` (Ac.). Esprit national, social, général, public. Synon. mod. opinion publique :
48. Les historiens qui traitent du moyen âge ne parlent guère de cette opinion qui se forme dans une nation sur les objets qui l'intéressent et qu'on appelle l'esprit public. Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 213.
Bureau d'esprit public. ,,(...) salon, réunion dont les habitués paraissent avoir la prétention de diriger l'opinion en fait de politique`` (Littré). Bureau de l'esprit public. ,,(...) s'est dit d'une division du ministère de l'intérieur ou de la police où l'on s'occupe de faire ou de diriger l'esprit public par des pièces de théâtre, des fêtes, par la presse, etc.`` (Littré). Cf. supra I D 2 b.
Esprit du temps/de son temps, de l'époque, du siècle. Ensemble des tendances générales caractéristiques du temps, de l'époque, du siècle. Je demande, une fois de plus, l'indépendance pour être en état de faire mon œuvre qui est de combattre l'esprit du siècle (Bloy, Journal,1902, p. 126).« Ne pas être poire ». Le mot courait autour de lui et symbolisait l'esprit de l'époque (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 467).
Esprit de famille, d'équipe. [Souvent péj.] Esprit de parti, de corps (cf. ce mot III B 2), de clan, de secte :
49. ... l'esprit de parti présente les opinions par ce qu'elles ont de saillant pour les faire comprendre au vulgaire; et l'esprit de secte, (...) tend toujours vers ce qu'il y a de plus abstrait (...) L'esprit de parti excite dans les hommes de certaines passions communes qui les réunissent en masse. (...) L'esprit de secte n'aspire qu'à convaincre; l'esprit de parti veut rallier. L'esprit de secte se dispute sur les idées; l'esprit de parti veut du pouvoir sur les hommes. Il y a de la discipline dans l'esprit de parti, et de l'anarchie dans l'esprit de secte. Staël, Allemagne,t. 5, 1810, pp. 139-140.
Avoir l'esprit de..., prendre l'esprit de...; entrer, cadrer (bien) dans l'esprit de... Banville se bouchant l'œil chez Buloz pour tâcher de prendre l'esprit de la maison (Renard, Journal,1893, p. 147):
50. ... les vieux officiers passaient leurs soirées chez moi et préféraient mon appartement au café. Je ne sais d'où cela venait, n'était peut-être de ma facilité à entrer dans l'esprit et à prendre les mœurs des autres. Chateaubr., Mém.,t. 1, 1848, p. 67.
Avoir l'esprit de son âge, avoir l'esprit de son état. Avoir la connaissance, la conscience des idées, des sentiments, des façons d'être et d'agir qui sont ordinairement considérés comme convenant à son âge ou à sa situation, et s'y conformer. Qui n'a pas l'esprit de son âge, de son âge a tout le malheur, dit Voltaire; et non-seulement il faut avoir l'esprit de son âge, mais aussi l'esprit de sa fortune et de sa santé (Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 229):
51. Cet homme n'a jamais eu l'esprit de son état; dans le gouvernement il ne fut pas magistrat, et dans l'ermitage il ne fut pas ermite... Senancour, Obermann,t. 2, 1840, p. 51.
− Dans le domaine du théâtre.Esprit d'un personnage, esprit d'un rôle; entrer dans l'esprit d'un rôle. Pour mieux faire comprendre à Fanny l'esprit du personnage dont elle devait jouer le rôle (Murger, Scènes vie jeun.,1851, p. 92).Du moment où l'esprit du rôle lui échappait, il vaudrait mieux pour tout le monde qu'il ne le jouât pas (Zola, Nana,1880, p. 1340).
P. méton., au plur. [Pour désigner un ensemble de personnes considérées par rapport à leurs dispositions, leurs idées, leurs sentiments, leurs réactions communes] Les esprits. Échauffer, remuer, égarer les esprits. Calmer les esprits. Il se fit une grande révolution dans les esprits. Éclairer les esprits (Ac.). Les esprits s'échauffaient chaque jour davantage parmi le peuple et la bourgeoisie de Paris (Barante, Hist. ducs Bourg.,t. 3, 1821-24, p. 120).Cet argument inattendu frappa les esprits (Romains, Copains,1913, p. 43).
C.− P. anal. Pensée dominante, idée centrale, principe qui anime une œuvre et lui donne son sens profond; inspiration dominante et caractéristique d'un auteur, essence de sa pensée. C'est l'esprit de Locke qui anime et dirige toute l'école sensualiste de ce siècle (Cousin, Hist. philos.,t. 1, 1829, p. 66).Jésuites et ultras travaillaient efficacement à détruire l'esprit de la charte, à falsifier la loi (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 245).Il reste à pénétrer l'esprit même de l'œuvre, c'est-à-dire sa qualité (Faure, Espr. formes,1927, p. 210):
52. La pensée d'autrefois circulait à travers les consciences d'aujourd'hui. L'esprit de Pascal était vivant, non seulement chez l'élite raisonneuse et religieuse, mais chez d'obscurs bourgeois, ou chez les syndicalistes révolutionnaires. Rolland, J.-Chr.,Maison, 1909, p. 962.
SYNT. Esprit d'une institution, d'un traité, d'une loi; esprit d'un livre, d'un texte; esprit d'un cours, d'une doctrine; saisir l'esprit de...; entrer, pénétrer dans l'esprit de...; fausser, détruire l'esprit de...
[Le compl. de nom désigne une publication] Tendance dominante, orientation générale, intention principale. Pourquoi donc t'amuses-tu à changer l'esprit de mes articles? dit Lucien, qui n'avait fait ce brillant article que pour donner plus de force à ses griefs (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 432).
[P. allus. à la 3eépître de Saint Paul aux Corinthiens, III, 6] La lettre tue, mais l'esprit vivifie. C'est au sens profond d'un texte qu'il y a lieu de s'attacher, et non à son sens littéral, apparent, à sa forme. C'était un homme de sens et d'esprit, un prêtre facile et qui accommodait tout au précepte : « la lettre tue et l'esprit vivifie » (Goncourt, R. Mauperin,1864, p. 68).Je cherchai (...) s'il était possible, en dégageant l'esprit de la lettre du décret du 2 décembre 1915, de donner à mes attributions toute l'ampleur et toute l'autorité qui me paraissaient indispensables (Joffre, Mém.,t. 2, 1931, p. 431).
Spéc., vx. Recueil de textes et de pensées extraits de l'œuvre d'un auteur pour faire connaître et comprendre l'essence de sa pensée. L'Esprit de Montaigne, de J.-J. Rousseau (Ac.).
Prononc. et Orth. : [εspʀi]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. [Fin du xes. spiritus « principe de vie, âme » (Passion de Clermont, éd. D'Arco Silvio Avalle, 320 [Mt. 27, 50])]; début xiies. espirit (Psautier d'Oxford, 30 [31], 6, éd. F. Michel); 2. a) début xiies. « vent, souffle, air » (ibid., 148, 8); b) début xiies. « souffle créateur envoyé par Dieu » (ibid., 103, 31 [104, 30]); 3. début xiies. « inspiration divine » (ibid., 50 [51], 13); 4. 1655 gramm. gr. (Cl. Lancelot, Nouv. méthode pour apprendre facilement la lang. gr., Paris, p. 21). B. Être immatériel 1. a) [fin xes. spéc. Saint-Esprit (Passion de Clermont, 515 : Sanz Spiritum)]; 1119 (Ph. de Thaon Comput, éd. E. Mall, 516 : Sainz Espirs); b) ca 1170 en parlant de Dieu, des anges, des démons, des bienheureux (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 31 [1 Sam. 16, 14] : li mals esperiz); 2. [fin du xes. spiritus « fantôme, revenant » (Passion de Clermont, 440 [Lc 24, 37])]; ca 1458 (A. Gréban, Mystère de la Passion, 31377 ds IGLF); 3. ca 1155 « être imaginaire (génie, elfe, etc.) » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 7440 : une manere d'esperit). C. 1. Début xiies. « principe de la vie psychique, conscience » (Psautier d'Oxford, 50, 18 [51, 19]); 2. ca 1155 « principe de la vie intellectuelle, entendement, intelligence » (Wace, Brut, 8311 : sis esperiz repaira); 3. 1478-80 p. méton., d'une pers. (G. Coquillart, Enquête, 813 ds Œuvres, éd. M. J. Freeman, p. 103 : hanta tous legiers esperiz); 4. 1511 « humeur, caractère » (P. Gringore, Jeu du Prince des Sotz, Sottie, éd. Ch. d'Héricault et A. de Montaiglon, t. 1, p. 213 : Je suis ... Liger d'esperit, fort variable). D. Émanation 1. 1370 « corps légers et subtils qui étaient considérés comme les véhicules de la vie et du sentiment » (N. Oresme, Ethiques, I, 20, éd. A. D. Menut, p. 142 : esperilz [sic]); 2. 1575 anc. chim. « produit d'une distillation » (A. Paré, Œuvres, 1. 26, chap. 8 ds Œuvres, éd. J.-F. Malgaigne, t. 3, p. 623 : l'eau de vie, appelée l'ame ou l'esprit de vin). E. 1. 1547 « vivacité de l'esprit, finesse » (N. Du Fail, Propos rustiques, t. 1, p. 132 ds IGLF; une femme qui a quelque peu d'esprit); 2. 1690 « aptitude particulière, don, sens » (Fur. : l'esprit du jeu, des affaires). F. 1. 1547 « sens profond d'un texte » (Marg. de Navarre, Com. du Désert, 160 ds IGLF : L'esprit caché dedens la lettre morte); 2. 1585 « principe d'action, intention » (N. Du Fail, Contes et discours d'Eutrapel, t. 2, p. 45, ibid : esprit de contradiction); 3. 1656 « ensemble d'idées, de sentiments de valeurs propres à un groupe humain » (Pascal, Provinciales, 9 ds Œuvres, éd. L. Lafuma, p. 409 : l'esprit de la Société [Jésuites]); 4. 1684 « choix de textes d'un auteur » (L'Esprit de M. Arnaud, Deventer ds FEW t. 12, p. 196b, note 9 s.v. spiritus). Empr. au lat. class. spiritus « souffle, air; vie; aspiration (gramm.); émanation, odeur; inspiration divine; souffle créateur, inspiration poétique; sentiment; âme, esprit; personne », lat. chrét. « esprit, mentalité; intention; principe de vie morale, spirituelle; intelligence; être immatériel : Saint-Esprit, esprit, ange, démon, bienheureux, fantôme; p. méton. : personne animée d'un bon ou d'un mauvais esprit ». Mot introduit en fr. principalement par l'intermédiaire de textes relig. chrétiens. Fréq. abs. littér. : 47 687. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 80 600, b) 61 658; xxes. : a) 58 551, b) 65 780. Bbg. Brooks (H.F.). Taste, perfection and delight in Guez de Balzac's criticism. Studies in philology. 1971, t. 68, pp. 70-87. − Bruneau (Ch.). Esprit : essai d'un classement hist. des sens. In : [Mél. Roques (M.)]. Paris, 1946, pp. 168-180. − Cabeen (D.C.). The Esprit of the Esprit des lois. P.M.L.A. 1939, t. 54, pp. 439-453. − Essai de sém. : esprit. R. de Philol. fr. et de Litt. 1914, t. 28, pp. 98-146. − Gohin 1903, p. 335, 362. − Hempel (W.). Zur Geschichte von spiritus, mens und ingenium in den romanischen Sprachen. Rom. Jahrb. 1965, t. 16, pp. 21-33. − Matoré (G.). Proust linguiste. In : [Mél. Wartburg (W. von)] Tübingen, 1968, t. 1, p. 284. − Mercier (R.). L'Esprit et le cœur. In : [Mél. Pintard (R.)]. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1975, t. 13, pp. 339-351. − Tinsley (L.). The French expressions for spirituality and devotion. Washington, 1953, pp. 15-21, 153-158. − Wandruszka (M.). Der Geist der frz. Sprache. Hamburg, 1958, pp. 97-111. − Wechssler (E.). Esprit und Geist. Bielefeld, 1927, 604 p.