| CHANGER, verbe. Faire ou devenir autre. I.− Emploi trans. dir. [Le changement affecte le compl. d'obj.] Faire autre, faire que quelque chose ou quelqu'un soit autre. A.− 1. [Sans compl. second. prép.] a) Rendre plus ou moins différent, transformer, modifier. Changer ses projets; changer le sens d'un texte; le fard change son visage. − Comment avez-vous pu la changer [ma fille], à ce point? (Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 148): 1. Maintenant elle croyait voir M. Delaunay jouant pour la cent vingtième fois le cinquième acte d'une pièce à succès. Il fallait changer ses effets.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Le Rendez-vous, 1889, p. 1113. 2. Sur ces entrefaites, il tomba malade, d'une fluxion de poitrine. Cela changea le tour de ses pensées.
Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 180. − P. brachylogie, MAR. Changer la barre. Modifier (la position) de la barre. De même : changer les voiles, les écoutes. Rem. Avec des déterminants du verbe indiquant le degré de la transformation. Changer complètement, partiellement, etc. b) Remplacer, renouveler, mettre à la place quelque chose de différent mais de même nature ou fonction. Changer l'air; changer les rideaux, les draps : 3. Son nom de baptême est Radégonde. − Je n'aime pas beaucoup (...) changer, comme c'est l'usage, le nom des serviteurs.
A. France, Le Petit Pierre,1918, p. 201. 4. ... Justin, pressé par la vérité, n'a pensé, pas même un instant, à regrouper les traits, à changer les noms propres, à recomposer les événements, à se livrer enfin à la véritable besogne du romancier.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,La Nuit de la Saint-Jean, 1935, p. 8. ♦ P. ell. Changer un bébé, un malade. Leur mettre du linge propre : 5. [La princesse :] − ... Moi, je ne voyais que mon fils, je vivais avec mon fils, je ne laissais pas sa gouvernante l'habiller, le déshabiller, le changer.
Balzac, Les Secrets de la princesse de Cadignan,1839, p. 353. Rem. 1. Avec des déterminants de l'obj. indiquant l'étendue du renouvellement : changer tous les rideaux. 2. La langue dispose de plusieurs moyens d'expression pour indiquer qui est intéressé au changement. a) La pers. intéressée est le suj. : adj. poss. changer ses habitudes; pron. réfl. ind. je me change les idées. b) La pers. intéressée n'est pas le suj. : changer (à) + pron. ou nom désignant la pers. cela me changera les idées. 2. [Avec un compl. second. précisant l'aboutissement du changement] a) Emplois prép. − [Le changement est une transformation, une mutation affectant la substance de l'obj.] Changer qqc. en + subst. (indiquant la forme ou la nature nouvelle de l'obj.).Rendre autre. Changer le plomb en or : 6. Votre maison possède une propriété merveilleuse, celle de changer les perles en diamants.
A. Dumas Père, Piquillo,1837, II, 3, p. 234. 7. Si le paysan changeait son champ en pré, il privait le curé de sa dîme; ...
Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 1, 1870, p. 11. Rem. La construction arch. changer au (au = en le). « Vous, Marie-Augustine! ô ma fille et ma sœur!... Vous changez le nom d'Ève au saint nom de Marie... » (A. France, Poésies, Les Noces corinthiennes, Paris, Calmann-Lévy, 1876 [1925], p. 387). − [Le changement est une modification de la manière d'être de l'obj.] ♦ Changer qqc. ou qqn de + subst. (indiquant la nouvelle manière d'être de l'obj.).Changer un objet de place. Déplacer un objet. Changer qqn de poste. Placer sur un autre poste − quelqu'un : 8. Notre-Dame de Bétharram (...) est un des lieux d'excursion les plus connus des pèlerins qui vont y passer quelques heures, afin de changer leur piété de place.
Huysmans, Les Foules de Lourdes,1906, p. 7. Changer le fusil d'épaule. Placer sur une autre épaule − le fusil. Fig. Changer son fusil d'épaule. Adopter une autre manière d'agir, de penser. ♦ Changer qqc. à qqn ou qqc.Ne rien changer à rien; changer les idées à quelqu'un : 9. − Faudra que tu viennes passer quelque temps avec moi, à l'île de Grâce, ça te changera les idées.
G. Guèvremont, Le Survenant,1945, p. 265. − [Le changement est un échange qui affecte l'obj., une substitution à l'identique affectant l'obj.] Changer qqn, qqc. pour/contre + subst. (indiquant ce qui est substitué à ce que désigne le compl. d'obj.) : 10. Dans une ville d'Andalousie, une comédienne aux membres maigres, pour qui il [don Quichotte] avait mangé les trois quarts de sa terre, l'avait changé contre un plus riche, en riant de lui.
P.-J. Toulet, Le Mariage de Don Quichotte,1902, p. 22. 11. ... il en [des lapins] mange tant qu'il veut et il en met de côté, à sa cave, pour les changer, après, contre des pommes de terre, avec ce vieux fou des Bourettes.
Giono, Regain,1930, p. 53. Proverbe. Changer son cheval borgne pour un aveugle. Échanger une chose mauvaise contre une plus mauvaise encore. ♦ BANQUE. Changer des dollars contre des francs. Convertir des dollars en francs. b) Emplois abs. [Avec ell. du compl. d'obj. dir.] − Ceci me change [les idées, mes habitudes] : 12. simon. − Alors, le genre, chez vous, est d'aimer les maîtres?
mariette. − Oui, mon cher; si ça ne vous va pas...
simon. − Oh! ça m'est égal... Ça me change!
E. Augier, Lions et renards,1870, VI, p. 156. − Changer des francs. Les convertir dans une autre monnaie (cf. supra banque). ♦ Fam. Faire de la monnaie : 13. Avant de lâcher l'argent nécessaire à leur subsistance journalière, la Sauviat fouillait dans ses deux poches cachées entre sa robe et son jupon, et n'en ramenait jamais que de mauvaises pièces rognées, des écus de six livres ou de cinquante-cinq sous, qu'elle regardait avec désespoir avant d'en changer une.
Balzac, Le Curé de village,1839, p. 7. B.− Emplois pronom. 1. Absol. Ôter ses vêtements pour en mettre d'autres : 14. − Envoyez Moan se changer, avait-il [le capitaine] dit.
Et Moan, quatre à quatre, était monté se mettre en toilette de ville...
Loti, Pêcheur d'Islande,1886, p. 110. 2. [Constr. trans.] Se changer les idées. Se distraire : 15. MmeRosenthal tapota la main de MmeKamenskaia et MmeLyons dit que la comtesse devrait bien chanter des choses russes pour se changer les idées; ...
Nizan, La Conspiration,1938, p. 147. 3. [Constr. prép.] Se changer en a) Réfl. Se transformer en : 16. Elle l'attendait, elle n'était pas surprise de le voir enfin se changer en prince.
Zola, Le Rêve,1888, p. 120. b) Passif. Être transformé en : 17. ... Ce métal [l'or] si pesant, quand il s'associe d'une fantaisie, prend les vertus les plus actives de l'esprit. Il en a la nature inquiète. Son essence est de fuir. Il se change en toutes choses, sans être changé lui-même.
Valéry, Eupalinos,1923, p. 136. II.− Emploi abs. [Le changement affecte le suj. animé ou inanimé] Devenir autre, être fait autre. A.− [Le verbe en dehors de ses déterminations] Tout change, le monde change, les gouvernements changent; j'ai changé : 18. Sinon l'équipe gouvernante changera peut-être, mais l'oppression et l'injustice renaîtront d'elles-mêmes.
B. Cacérès, Hist. de l'éduc. pop.,1964, p. 116. − P. antiphrase. Pour changer! (fam. iron.). Comme d'habitude : 19. Je crois même que Boulanger
M'enthousiasme, pour changer!
Et la Femme donc, dieux cléments!
Verlaine, Les Épigrammes,1894, p. 256. Rem. L'opposition j'ai changé/je suis changé : procès dans son déroulement/état résultant de ce déroulement : 20. carr, amèrement.
Ah! qu'Olivier est changé!
Un vieux républicain fait tache en son cortège!
Broghill, − un cavalier, − chez Cromwell me protège!
Hugo, Cromwell,1827, p. 128. 21. madame de vertpré. − Mais les circonstances politiques sont bien changées!
de vertpré. − Changées, changées...
A. Dumas Père, Le Mari de la veuve,1832, 9, p. 258. B.− [Les déterminations du verbe] Devenir différent. Il a changé en bien, en mal; il a beaucoup changé; il a changé du tout au tout. « Il fait trop chaud. Regardez à la girouette si le vent ne change point » (A. France, La Leçon bien apprise,Paris, Calmann-Lévy, 1908 [1930], p. 75): 22. Comme les choses changent! changeons aussi, mon amie, désabusons-nous du monde, des créatures, de tout.
E. de Guérin, Lettres,1839, p. 302. 23. Quatre ans seulement après Hiroshima, le rapport des forces dans le monde changea brusquement à nouveau.
Goldschmidt, L'Aventure atomique,1962, p. 82. Rem. Les déterminations sont de 2 ordres a) internes, précisant l'étendue, la fréquence, les modalités du changement (changer beaucoup, vite, complètement, lentement, etc.); b) externes, précisant l'aboutissement du changement (changer en mieux, en mal), la nature du changement : changer de + subst., indiquant une manière d'être du suj. Changer de couleur, de caractère (cette dernière constr. se confondant avec la constr. analysée sous II). III.− Emploi trans. indir. [Le changement affecte le suj. et l'obj.] Changer + de + subst. A.− [Rapport du verbe avec le suj.] 1. [Le suj. est à l'origine du fait qu'il a provoqué] Changer de voiture. Acquérir une autre voiture. Changer d'assiettes. − En partic. Changer de disque. Remplacer un disque par un autre sur le plateau du tourne-disque. Au fig. Cesser de répéter toujours la même chose. ♦ Changer d'air. Quitter une région pour une autre dont le climat est plus tonique. Au fig. S'en aller vivre ailleurs (cf. également changer de crémerie) : 24. − Nous tiendrons le coup cette fois encore, dit-il d'une voix qui s'affermissait à mesure. Mais je devrais changer d'air. Hein? répondez donc! Un changement d'air me ferait du bien, hé?...
Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 914. ♦ Changer de train, et p. ell., changer. Quitter un train pour prendre une correspondance : 25. − Nous allons changer de train dans dix minutes. Comment faire pour le chat? Il ne voudra jamais se laisser enfermer.
Colette, Sept dialogues de bêtes,1905, p. 49. a) MAN. Changer de main. ,,Porter la tête du cheval d'une main à l'autre, pour le faire aller à droite ou à gauche`` (Littré). b) TECHNOL. Changer de vitesse. Passer d'une vitesse à une vitesse inférieure ou supérieure dans la conduite d'un véhicule automobile. 2. [Le suj. subit le fait] ♦ Changer de couleur. Laisser, malgré soi, percevoir son trouble : 26. Je sentis que je changeais de couleur...
Fromentin, Dominique,1863, p. 175. ♦ Changer de visage. Perdre contenance : 27. ... Que dites-vous? Ah! ciel! quel adieu! quel langage! Prince, vous vous troublez et changez de visage.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Cécile parmi nous, 1938, p. 201. 3. [Le suj. est témoin du fait] Nous avons changé de gouvernement. B.− [Rapport du verbe avec l'obj. Celui-ci est nouveau mais appartient à la même catégorie que l'ancien; le compl. désigne cette catégorie dont les plus usuelles sont : une personne familière, un objet d'usage courant (changer de directeur, de livres), un lieu (changer de maison, de train), une occupation, un état (changer de profession, d'état), un comportement moral, intellectuel, affectif (changer de conduite, de manière)] :
28. Ce prototype de tous les charlatans nés et à naître, échappé d'Angleterre, où il avait été condamné à être pendu, changea en quelques années de pays, de religion, d'état et de fortune; ...
Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 4, 1813, p. 143. 29. lord ormond [à Broghill]
...
Moi, j'ai changé d'habits, mais toi, de cœur et d'âme.
Hugo, Cromwell,1827, p. 53. 30. Les Grecs sont ainsi faits; ils n'aiment rien tant que changer de place.
About, La Grèce contemporaine,1854, p. 20. Rem. 1. Dans l'oppos. changer de rythme, changer de manière et changer son rythme, changer sa manière il faut voir que dans le premier cas l'obj. n'est pas déterminé, l'accent est mis sur le changement alors que dans le second cas l'obj. est déterminé, l'accent est mis sur l'obj. que l'on change. 2. Changer de... avec (rare). Ils changent de nom avec eux (Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature, 1814, p. 313). Ah! si vous vouliez changer de peau avec moi! (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 4, 1848, p. 32). Prononc. et Orth. : [ʃ
ɑ
̃
ʒe], (je) change [ʃ
ɑ
̃:ʒ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) [1ertiers du xiies. franco-prov. trans. « rendre autre, modifier » (Albéric de Pisançon, Alexandre ds Bartsch Chrestomathie, 7, 52, p. 13)]; 1160 « id. » (Enéas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 6196); 1580 changer en (Montaigne, Essais, 1, 61 ds Littré) d'où 1668 « modifier les dispositions de qqn » (J. de La Fontaine, éd. H. Regnier, IV, 476); b) ca 1175 pronom. « se transformer » (Benoit, Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 1077); c) 1172-75 intrans. « devenir différent » (Chr. de Troyes, Chevalier Lion, éd. W. Foerster, 4368); 2. 1155 trans. « remplacer quelque chose par une autre chose de même nature » (Wace, Brut, Paris, éd. I. Arnold, 1938, 3196); a) 1580 changer de (Montaigne, Essais, I, 298 ds Littré : Changer d'advis); b) 1798 changer, pour changer de linge (Ac.), d'où changer un enfant (ibid.); 3. 1155 intrans. « changer les monnaies en cours contre des valeurs équivalentes » (Wace, St Nicholas, 675 ds Keller, s.v. tolneu, p. 171); 1165-70 changer à « troquer contre » (Chr. de Troyes, Erec et Enide, éd. W. Foerster, 1637); 1165-70 changer por (Id., Chevalier Lion, éd. W. Foerster, 2437). Issu du lat. tardif cambiare « troquer », attesté dep. Apulée ds TLL s.v., 200, 71. Mot prob. d'orig. celt. qui a remplacé progressivement l'anc. muer*. Fréq. abs. littér. : 11 095. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 17 162, b) 13 352; xxes. : a) 13 273, b) 17 404. DÉR. Changeable adj.Qui peut être changé. Le caractère d'une nation, modifiable très-lentement à travers les siècles, toujours très-particulier, est moins changeable encore que celui d'un individu, lequel lui-même ne se change guère (Sainte-Beuve, Portraits littér.,t. 2, 1844-64, p. 163).− [ʃ
ɑ
̃
ʒabl̥]. − 1resattest. 1170 « changeant » [valeur active] (Benoit, Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 28327) − xves. ds Gdf. Compl.; d'où mil. xiiies. « sujet au changement » [valeur passive] (Pierre d'Abernun, Secré de secrez, B.N. 25407, fo180bds Gdf. Compl.); de changer, suff. -able*. BBG. − Gottsch. Redens. 1930, p. 52, 110, 114; pp. 200-201. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 66. − Keller (H.-E.). Notes étymol. gallo-romane et romane. In : [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, t. 2, p. 240. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, pp. 241-243. − Moura Santos (M. J. de). R. port. Filol. 1962-63, t. 12, no2, p. 654. − Quem. Fichier. |