| ÉMOTION, subst. fém. A.− Vieilli. Mouvement assez vif. L'émotion de l'air. La douceur de l'air, cette émotion de l'été qui nous entre dans la gorge en certains jours (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Rendez-vous, 1889, p. 60): 1. Il [l'abbé Mouret] était resté le visage tourné vers les rideaux, suivant sur la transparence du linge (...) toutes les émotions du ciel.
Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 150. − Au fig. Émotion collective, populaire. Il ressent une émotion, une vibration intérieure qui est un véritable mouvement (Arts et litt.,1935, p. 2808). B.− Conduite réactive, réflexe, involontaire vécue simultanément au niveau du corps d'une manière plus ou moins violente et affectivement sur le mode du plaisir ou de la douleur. Éprouver, ressentir une émotion. La plupart des émotions sont grosses de mille sensations, sentiments ou idées qui les pénètrent (Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 26).Les émotions et les sentiments sont constitués par des sensations organiques (Ruyer, Esq. philos. struct.,1930, p. 170): 2. À présent nous pouvons concevoir ce qu'est une émotion. C'est une transformation du monde.
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Le passage à l'émotion est une modification totale de « l'être-dans-le-monde » selon les lois très particulières de la magie.
Sartre, Esquisse d'une théorie des émotions,Paris, Hermann, 1939, p. 43, 66. 1. [La cause de l'émotion est extérieure au sujet] Bouleversement, secousse, saisissement qui rompent la tranquillité, se manifestent par des modifications physiologiques violentes, parfois explosives ou paralysantes. Une émotion forte; crier, trembler d'émotion. Une émotion terrible lui serrait la gorge, la faisait vaciller sur ses pieds (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Abandonné, 1884, p. 469).Les émotions ressemblent, selon l'expression de M. Pradines, à des séismes mentaux (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 111): 3. ... l'émotion apparaît comme une vraie crise d'infirmité spasmodique. Le peureux reste cloué sur place, le timide bafouille, le menteur se coupe, l'anxieux sombre dans l'impuissance. On a parlé d'« ataxie psychique », d'« hémorragie de la sensibilité ».
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 228. SYNT. Émotion aiguë, intense, simple; l'émotion du danger, de la frayeur, de la peur; être bouleversé, brisé, étranglé d'émotion; être rouge, blanc d'émotion; être en proie à la plus vive émotion; être sous le coup d'une émotion; être à bout d'émotion, au plus haut point, au comble de l'émotion; n'en plus pouvoir d'émotion. − Expr. Après toutes ces émotions. Pourvu qu'aucun de vous deux ne tombe malade, après toutes ces émotions! (Flaubert, Corresp.,1875, p. 266).Que d'émotions! Que de complications! que d'émotions! que de dangers! (Pailleron, Âge ingrat,1879, II, 7, p. 69). Rem. On rencontre ds la docum. a) Émotion-choc. Émotion-choc avec phénomènes salivaires, circulatoires, musculaires, glandulaires, etc. (Mounier, Traité caract., 1946, p. 47). b) Émotion-surprise. Le caractère circulaire de l'émotion-surprise (Ricœur, Philos. volonté, 1949, p. 238). 2. [La cause de l'émotion n'est pas seulement extérieure] a) [Elle est alimentée par les différents niveaux de la sensibilité, du sentiment et des passions propres à la personnalité du sujet] L'émotion de l'inquiétude, de la joie. L'amour est un art, comme la musique. Il donne des émotions du même ordre (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 16).Miss est rose de surprise, d'émotion, d'une sorte de saisissement délicieux (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1350): 4. Dans une détente délicieuse, je m'épanouissais. Je me rappelle ce dégel de tout mon être sous ton regard, ces émotions jaillissantes, ces sources délivrées.
Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 46. SYNT. Émotion douloureuse, heureuse, passionnelle, poignante, sentimentale; l'émotion du chagrin, de la tendresse, de la tristesse; cacher, contenir son émotion; enfouir ses émotions dans son cœur; éprouver une émotion de plaisir; se laisser aller à l'émotion; être ivre d'émotion. − Expr. Trahir son émotion. Garder toujours son sang-froid (...) ne jamais trahir son émotion (L. Febvre, Combats pour hist.,Sensibilité et histoire, 1941, p. 226).Sans aucune émotion. Sans broncher, sans sourciller, sans manifester. C'est un visage dur, sans émotion, un visage politique et nullement humain (Du Camp, Hollande,1859, p. 70). b) [L'émotion est d'orig. esthétique, spirituelle, mystique] Émotion mystérieuse, rare. La vie de la musique divine et illimitée, dans le monde des émotions sans nom (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 191): 5. Certaines combinaisons de paroles peuvent produire une émotion que d'autres ne produisent pas, et que nous appellerons poétique.
Valéry, Variété V,1944, p. 137. SYNT. Émotion esthétique, littéraire, musicale, religieuse; émotion délicate, diffuse, fine, intime; l'émotion du rêve; émotions d'art. C.− Qualité chaleureuse, lyrique de la sensibilité; cœur, ardeur. Avoir de l'émotion, de la chaleur. Toute éloquence doit venir d'émotion, et toute émotion donne naturellement de l'éloquence (Joubert, Pensées,t. 2, 1824, p. 118).On a senti combien le ton s'élève : l'émotion lui donne la netteté du langage et la force (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 203). − Péj. Excès de sensibilité, sensiblerie, sentimentalisme. « Je hais les émotions, les sentiments, tout ce qui est cœur imprimé, tout ce qui est cœur mis sur le papier ». (Goncourt, Journal,1852, p. 61).Je fais sauter tout ce qui relève de l'émotion, tout ce qui est lyrique, et tout ce qui sent l'apitoiement sur soi-même (Green, Journal,1948, p. 209). Rem. On rencontre ds la docum. a) Émotionalisme, subst. masc. Goût de l'émotion. La piété anglicane (...) contraste avec l'émotionalisme de certains « revivals » non-conformistes (Philos., Relig., 1957, p. 5012). b) Émotionaliste, subst. masc. Qui cultive l'émotion. Ceux-ci se divisent selon leurs tempéraments créateurs en rationalistes et émotionalistes (Arts et litt., 1936, p. 6407). Prononc. et Orth. : [emosjɔ
̃]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Av. 1475 « trouble moral » (G. Chastellain, Chronique, éd. Kervyn de Lettenhove,
Œuvres, t. 4, p. 224); 2. 1512 « troubles, mouvements (d'une population ou lors d'une guerre) » (J. Lemaire de Belges, Illustrations de Gaule et Singularitez de Troyes, Livre II, éd. J. Stecher,
Œuvres, t. 2, p. 107). Dér. de émouvoir* d'apr. l'a. fr. et m. fr. motion « mouvement » (ca 1223, G. de Coincy, Mir. Vierge, éd. V.-F. Kœnig, II, Mir. 21, 307) empr. au lat. motio « mouvement » et « trouble, frisson (de fièvre) ». Fréq. abs. littér. : 8 026. Fréq. rel. littér. : xixes. : 8 980, b) 11 233; xxes. : a) 12 920, b) 12 682. Bbg. Lerch (E.). Passion und « Gefühl ». Archivum Romanicum. 1938, t. 22, p. 332. |