TOUCHER1, verbe trans.
Étymol. et Hist. 1reSection. Trans. dir.
I. Entrer en contact avec
A. Suj.: être animé ou telle partie de son corps
1. ca 1100 « entrer en contact avec quelqu'un ou quelque chose par l'intermédiaire d'un objet, d'un instrument » (
Roland, éd. J. Bédier, 1316: Deus le guarit, qu'el cors ne l'ad
tuchet); 1130-40 (
Wace,
Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 694: Dame [...] ne t'ous
tocher);
2. ca 1100 « faire avancer des bêtes » (
Roland, 861: sur un mulet, od un bastun
tuchant); fin
xiiies. (
Perrot de Neeles, éd. L. Jordan, 44 ds T.-L.:
touce des esperons le boin ceval);
3. a) 1121-34 « entrer en contact avec quelqu'un ou quelque chose par quelque partie du corps » (
Philippe de Thaon,
Bestiaire, éd. E. Walberg, 912: veeir, oïr, parler,
tuchier e odurer);
ca 1145 (
Wace,
Conception ND, éd. W. R. Ashford, 1710: le raim
tochierent);
b) ca 1145 « avoir des rapports sexuels avec » (
Id.,
ibid., 537: ja ne sera d'ome
tochiee);
c) ca 1300
ne pas toucher (à) terre « marcher, courir, danser avec légèreté, rapidité, aisance » (
Guillaume de Saint-
Pathus,
Miracles de Saint-Louis, éd. P. B. Fay, p. 124: il sembloit que ele ne
touchast a terre); 1655 (
Cyrano de Bergerac,
Les Estats et empires de la lune, éd. F. Lachèvre, p. 10: je ne
touchois presque point à la terre); 1732 (
Lesage,
Gil Blas, éd. Étiemble, p. 839: à peine
touchions nous la terre);
d) 1456
toucher la main à qqn (en signe de salut, d'amitié) (
Antoine de La Sale,
Jehan de Saintré, éd. J. Misrahi et Ch. A. Knudson, p. 120: lui
toucha la main);
ca 1470
toucher qqn en la main (G.
Chastellain,
Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, t. 4, p. 385);
ca 1485
touchez là! (
Mistere du Viel Testament, éd. J. de Rothschild, 17709:
touchez la);
e) 1539
toucher du bout du doigt/des doigts (
Est.,
s.v. doigt); 1576
faire toucher du doigt (
Larivey,
Facétieuses nuits de Straparole, 7
enuit, fable 4, f
o83 v
o: je vous feray [...]
toucher au doigt vostre tort);
f) 1774 fig.
toucher le fond de (
Beaumarchais,
Mém. contre Goëzman, éd. 1828, p. 308: ceci ne
touche pas le fond de la question);
g) α) 1877 en parlant de quelqu'un qui est vaincu à la lutte (A.
Daudet,
Nabab, p. 113: je suis à terre [...] les épaules ont
touché);
β) 1900 fig. (
Barrès,
Appel soldat, p. 439: un terrain qu'il
touche de ses deux épaules); 1906 (
Id.,
Cahiers, t. 4, p. 266:
toucher terre);
h) 1882
toucher du fer (par superstition) (
Maupass.,
Contes et nouv., t. 2, Oncle Sosthène, p. 21); 1904
toucher du bois (
Bataille,
Maman Colibri, III, 4, p. 21);
4. a) ca 1138 « aborder un sujet, une question; mentionner » (
Geoffroi Gaimar,
Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 1637:
tucher m'estuet [empl. intrans.]) , 1241-57 (
St François, éd. A. Schmidt, 1235 ds T.-L.:
touche tout son porpos);
b) 1286-1316
toucher un mot (
Jean Maillard,
Roman du Comte d'Anjou, éd. M. Roques, 4724: Mez onques mot ne li
toucha);
5. 1176 « contrôler le titre d'un objet en or » (
Chrétien de Troyes,
Cligès, éd. A. Micha, 4202: por ce
toche an l'or a l'essai);
6. a) ca 1200 « jouer d'un instrument de musique
» (
Renart, éd. E. Martin, branche IX, 662: cor
tocher);
b) 1553 « jouer (un air, un morceau de musique) » (
La Bible, impr. J. Gérard, I
Cor. 14b ds
FEW t. 13, 2, p. 9b);
c) 1579
toucher une mauvaise corde (
Larivey,
Vefve ds
Anc. Théâtre fr., t. 5, p. 121: vous lui
touchiez une trop mauvaise corde); 1774
toucher la corde sensible (J.
de Lespinasse,
Lettres à M. de Guilbert, éd. E. Asse, p. 94);
7. a) 1311 « recevoir (une somme d'argent) » (Texte ds
Mém. de la Sté de l'hist. de Paris, t. 30, p. 223 ds
Fonds Barbier: recevoient et
touchoient [...] quarante livres), attest. isolée; à nouv. 1578 (
Ronsard,
Œuvres compl., éd. P. Laumonier, t. 17, p. 394: la main [...] aura le pris
touché); 1585 (
Lettres missives de Henri IV, t. 3, p. 70 ds
Gdf. Compl.:
touchent argent);
b) 1807 p. ext. « recevoir (notamment dans le vocabulaire militaire) » (
Courier,
Lettres Fr. et Ital., p. 740: je ne
touche aucune ration); 1892 (
Zola,
Débâcle, p. 1:
toucher les vivres);
8. a) 1547 « atteindre avec un projectile » (N.
Du Fail,
Propos rustiques, éd. J. Assézat, t. 1, p. 20: que je
touche le blanc [ici au fig.: que j'aille droit au but]); 1636 (
Monet : il a
touché le blanc);
b) 1846 fig.
toucher juste « atteindre son but » (
Dumas père,
Monte-Cristo, t. 1, p. 146); av. 1860 (
Lamartine, s. réf. ds
Dochez 1860);
c) 1872 escr. « atteindre (son adversaire) » (
Littré); av. 1876 (G.
Sand, s. réf. ds
Guérin 1892);
9. a) 1610 « palper, explorer avec la main un objet pour en reconnaître la forme, la nature, les caractéristiques » (D'
Urfé,
Astrée, t. 2, p. 254: voulurent
toucher le charbon pour sçavoir s'il estoit chaud);
b) 1812 méd. « examiner au moyen du toucher vaginal » (
Baudelocque, loc. cit.);
10. a) 1621 peint. (R.
François,
Essay des Merveilles de Nature, p. 202 ds
Brunot t. 6, p. 689, note 11: le Peintre
touche bien, c'est-à-dire, fait bien la carnation du nud);
b) 1662 p. ext. litt. « exprimer, décrire (par l'écriture) » (
Molière, Les Fâcheux, avertissement, éd. R. Bray, t. 2, p. 152:
toucher [...] un petit nombre d'Importuns);
11. 1623 « atteindre un lieu par mer, y aborder » (
Sorel,
Les Nouvelles fr., p. 142: ils
toucherent la terre);
12. av. 1964 « prendre contact, entrer en rapport avec quelqu'un » (J.
Romains, s. réf. ds
Lar. encyclop.).
B. Suj.: être inanimé
1. ca 1140 « rencontrer, atteindre, heurter » (
Voyage Charlemagne, éd. G. Favati, 549: [arme] qui m'a[i]t en char
tuchet);
2. ca 1160 fig. « éprouver, altérer » (
Troie, éd. L. Constans, 1353: quant ire e mautalenz les
toche); 1550 (
Ronsard,
op. cit., t. 1, p. 254: le tens qui encor ne nous
touche);
3. 1539 fig. « atteindre, gagner (en parlant de ce qui s'étend, progresse) » (
Est.,
s.v. ville: ville ferue et
touchee de rage);
4. 1642 mar. « atteindre (une terre, un port) » (
Oudin Fr.-Ital.:
toucher terre);
5. 1874 « parvenir à son destinataire (en parlant d'une correspondance, d'une communication) » (
Gazette des tribunaux, 16-17 nov., p. 1103c ds
Littré Suppl. 1877: n'ont pas été
touchés par la notification).
C. 1. a) Ca 1150 « affecter; faire une impression sur (dans le domaine affectif) » (
Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 5940: l'amour de lui au cuer li
touche); 1540 (
Amadis de Gaule, 1
erlivre, éd. H. Vaganay-Y. Giraud, p. 285: son frere et Olinde estoient
touchez par grand amour l'ung de l'aultre);
b) ca 1485 relig. (
Mistere du Viel Testament, 28473: ma grace
touche [...] ceulx qu'i me plait);
2. mil.
xves. « émouvoir » (P.
Crapillet,
Trad. du « Cur Deus homo », éd. R. Bultot et G. Hasenohr,347: il vient pour toy
touchier); 1567 (
Ronsard,
op. cit., t. 14, p. 157:
toucher [...] mon ame); 1571 (
Id.,
ibid., t. 15, p. 302: nul ne peut par larmes la
toucher [la mort]);
3. ca 1470 fig.
toucher au vif (G.
Chastellain,
op. cit., t. 5, p. 184: quand ce vint à
toucher au vif du cas); 1559 (
Amyot,
Vies des hommes illustres, Pélopidas, f
o202 v
o: cette parole
toucha au vif Thebe);
ca 1485 sens propre (
Mistere du Viel Testament, 28427: que noz ennemis on
touche au vif).
II. Être en contact avec.
1. ca 1270 « avoir à faire avec, concerner » (
Seneschaucie, éd. D. Oschinsky, 1971, 47 ds
Möhren Landw. Texte 1986, p. 258: choses ke
touchent sa baillie); 1400-17 expr.
en ce qui touche « en ce qui concerne » (
Nicolas de Baye,
Journal, éd. A. Tuetey, t. 1, p. 8);
2. 1579
toucher de près qqn « être son proche parent, son allié » (
Larivey,
Laquais ds
Anc. Théâtre fr., t. 5, p. 80: ce qui vous
touchoit de plus près [votre fille]); 1588 « avoir un lien de parenté » (
Montaigne,
Essais, III, 9, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 968: ceux qui me
touchent);
3. 1580 « être en contact avec quelque chose dans l'espace; être contigu » (
Id.,
ibid., I, 31, p. 204: cette Isle [...]
touchoit quasi l'Espaigne).
2eSection. Trans. indir.
I. entrer en contact avec
A. toucher à quelque chose ou quelqu'un (suj.: être animé)
1. ca 1145 « porter la main sur » (
Wace,
Conception ND, 1693:
toche a la biere de tes mains);
2. 1283 fig. « s'occuper de quelque chose, en aborder l'étude, en parler » (
Philippe de Beaumanoir,
Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, 19: des biens qui pueent venir au baillif [...]
toucherons nous un petit briement);
3. a) ca 1360 « porter atteinte à » (
Froissart, s. réf. ds
Dochez 1860: que le dépit et l'outrage [...]
touchoit trop grandement à la majesté royale);
b) 1450-65
y toucher « être mêlé à quelque chose » (
Charles d'Orléans,
Poés., éd. P. Champion, p. 360: Soubz visieres de Semblant qu'on n'y
touche); 1834 (
Musset,
loc. cit.);
c) 1538 « porter atteinte à quelque chose, y introduire des modifications, des corrections, des restrictions, etc. » (
Est. ds
FEW t. 13, 2, p. 6a); 1539 (
Est.: on n'a point
touché aux temples [...] il ne
toucha a la ville);
4. a) 1539 « prendre, prélever une partie de quelque chose » (
Est.: ne
toucher au tribut, ne l'accroistre ne diminuer);
b) 1564
ne pas toucher à une nourriture, une boisson (
Ronsard,
op. cit., t. 12, p. 149: ma levre au gobelet n'a
touché pour y boire; p. 216: je suis Tantale [...] qui ne puis
toucher Au doux fruit que je sens sur ma levre aprocher); 1580 (
Montaigne,
op. cit., I, 34, p. 220: qu'on n'auroit pas
touché à sa bouteille); 1588 (
Id.,
ibid., III, 13, p. 1101: je n'y
toucheray point [à un mets]);
5. 1797 « faire usage de quelque chose » (
Sénac de Meilhan,
Émigré, p. 1740:
toucher à un pistolet).
B. Toucher à quelque chose (arriver, parvenir à)
1. 1176-81 « arriver à tel lieu, en être tout proche » (
Chrétien de Troyes,
Chevalier Charrette, éd. M. Roques, 6440: ele i
toche [à la tour]); 1170-83 fig. (
Wace,
Rou, éd. A. J. Holden, III, 446: en la veie esteit de pechié, Mais n'i aveit uncor
tuchié); 1547 fig.
toucher au but (N.
Du Fail,
Propos rustiques, éd. J. Assézat, t. 1, p. 123); 1655 fig.
toucher au port (
Cyrano de Bergerac, Les Estats et empires du soleil, éd. F. Lachèvre, p. 188);
2. a) 1635 « parvenir à telle époque, à tel événement » ici, trans. dir. (
Corneille,
Médée, V, 4: ce royal hyménée Dont nous pensions
toucher la pompeuse journée!), 1659 (F.
de Boisrobert,
Epistres en vers, éd. M. Cauchie, t. 2, p. 163: je
touche à mon climaterique);
b) 1673
toucher à son heure dernière, à sa fin, etc. « être près de mourir » (
Racine,
Mithridate, V, 4: le Roi
touche à son heure dernière); 1677 (
Id.,
Phèdre, I, 2: la Reine
touche presque à son terme fatal); 1763 (
Voltaire,
Hist. de l'Empire de Russie, t. 2, p. 168: M
mede Maintenon [...]
touchait à sa fin);
c) 1733
toucher au terme (
Marivaux,
Heureux stratagème, éd. F. Deloffre, p. 93: nous
touchons au terme); 1736
toucher à la fin (
Destouches,
Le Dissipateur, éd. 1757, p. 72: nous
touchons à la fin des deux ans de veuvage); 1739
toucher à sa fin (
Prévost,
Le Philosophe anglois, éd. 1777, t. 5, p. 23: [mes peines]
touchoient à leur fin).
II. Être en contact avec
1. a) ca 1150 « être en contact avec, être attenant, contigu » (
Thèbes, éd. L. Constans, 3854: les manches [...] a terre
tochent);
b) ca 1345 « être presque au contact de quelque chose » (
Isopet-Avionnet, éd. J. Bastin, t. 2, p. 249: si que aus oreille leur
touche [la bouche]);
2. 1267 « avoir un rapport avec, concerner » (Bonne-Nouv., KP
3A, A. Loiret ds
Gdf. Compl.: en tant comme a lui
tuiche); 1283 (
Philippe de Beaumanoir,
op. cit.,57: querele qui
touche a la persone; § 553 [var.]: chose qui
touche a proprieté);
3. 1567 « être lié à quelqu'un par le sang ou par alliance » (
Ronsard,
op. cit., t. 14, p. 174: ceux qui luy
touchoient);
4. 1739 fig. « être très voisin de, être presque assimilable à » (
Prévost,
op. cit., p. 10: si le bonheur
touche de si près à la peine).
3eSection. Intrans.
1. apr. 1515 mar. « heurter de la quille le fond ou un ouvrage » (E.
de La Fosse,
Voyage, p. 9 ds
Gdf. Compl.: nous
touchasmes en glisçant sur une roche); 1529 − mil.
xvies. ([J.
Crignon],
Le Discours de la navigation de Jean et Raoul Parmentier de Dieppe, éd. Ch. Schefer, 1883, p. 5);
2. 1964 pêche « mordre à l'hameçon » (
Lar. encyclop.).
4eSection. Pronom.
1. av. 1558 [éd. 1574] « être en contact, être tangents » (
Mellin de Saint-
Gelais,
Œuvres compl., éd. P. Blanchemain, t. 1, p. 202: espics [de blé] non se
touchans); 1580 (
Montaigne,
op. cit., II, 12, p. 571: ne pouvoir jamais [...] arriver à se
toucher [il s'agit de l'hyperbole]);
2. 1657-62 fig. « avoir des rapports étroits, des points communs » (
Pascal,
Pensées, éd. L. Lafuma, n
o83, p. 509: les sciences ont deux extrémités qui se
touchent); 1751
se toucher de près (
Crébillon fils,
Ah quel conte, éd. 1779, p. 250); 1755 expr.
les extrêmes se touchent (
Mirabeau,
L'Ami des hommes, éd. 1756, t. 1, p. 328);
3. 1655 « se masturber » (
Cyrano de Bergerac,
op. cit., p. 66: quand je me
touche par la pièce du milieu); 1766 (
Buffon,
Hist. nat., t. 14, p. 135: [le babouin] est insolemment lubrique, et affecte [...] de
se toucher). D'un lat. pop. *
toccare « heurter, frapper », propr. « faire toc », issu du rad. onomat.
tok évoquant le bruit sec produit par le choc de deux objets durs (v.
Schuchardt ds
Z. rom. Philol. t. 22, p. 397 et t. 23, p. 331;
EWFS;
FEW t. 13, 2, pp. 14-16,
s.v. tokk-).
Cf. toc, tocsin, toquer et les correspondants de
toucher dans les autres lang. rom.: esp., port., cat., a. prov.
tocar, prov.
touca, ital.
toccare, roum.
toca.