Police de caractères:

Surligner les objets textuels
Colorer les objets :
 
 
 
 
 
 

Entrez une forme

notices corrigéescatégorie :
ESPÈCE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1. a) xiies. vraie espesse « signe, révélation (de Dieu) » (Alexis, ms. S, éd. Paris et Pannier, 1298), attest. isolée; b) 1314 « apparence » (H. de Mondeville, Chirurgie, éd. A. Bos, § 210 et 215); c) 1545 spéc. théol. « présentation matérielle de l'eucharistie, apparence (le pain) sous laquelle est offert le corps du Christ » (Calvin, Institution chrétienne, éd. J.-D. Benoît, IV, XVII, 13); av. 1656 « id. » au plur. (A. Arnauld, Lettre citée par Pascal, Provinciales, XVI, éd. L. Lafuma, Œuvres, p. 447); 2. a) 1269-78 « catégorie d'êtres vivants du même type » ici « genre humain » (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 6939); b) 1314 plus gén. « catégorie, sorte » (H. de Mondeville, op. cit., 1826); d'où 3. 1587 espèce de « sorte de » ceste espece de magiciens (Lanoue, Discours politiques et militaires, 136 ds Littré); 1725 report de l'accord de l'article sur le nom complément un espèce de Dictionnaire (Grandval, Le Vice puni ou Cartouche, p. IV). 4. 1670-81 dr. (O. Patru, Plaidoié, 9 ds Rich.). Empr. au lat. class. species « vue, regard » d'où « apparence, aspect, type, cas particulier (terme de dr.), catégorie » et spéc. en lat. chrét. « matière d'un sacrement (en parlant du sel du baptême) ».

Mise à jour de la notice étymologique par le programme de recherche TLF-Étym :

Histoire :
I. A. 0. « signe, révélation ». Attesté au 12e siècle [hapax] (AlexissH, vers 1298 = TL = TLF : N'i vient enfers de cele enfremeté A cel saint cors, lues ne soit rasenés ; Auquant i vienent, auquant s'i font porter. Si vraie espesse lor a Dius demoustré, Qui vient plorant, cantant l'en fait aler). - 
I. A. 1. « image extérieure des objets affectant les sens et y produisant le phénomène de la perception (terme de philosophie) ». Attesté depuis 1268 (PAbernLumH1, vers 8441: Mes tute veie dit em ceo k'en veit, ke par seignes ke l'en veit dehors Si guge l'en le quer al cors ; Pur ceo fet espece de mal Eschiwre ausi cum le mal [attestation que nous a aimablement fournie Marc Kiwitt]). Le sens « image, forme (au sens aristotélicien) de la chose vue » est relevé en 1393 (MelusArrS : espice espirituelle) et ca 1450/1500 (Gordon, Prat. : espece de la chose visible, tous les deux in DMF2009). Tandis que Ac5 signale que ce sens est encore utilisé dans la philosophie scolastique (cf. FEW 12, 155b), Ac6 et Ac7 indiquent que ce sémantisme a disparu. Cependant, alors que cette valeur n'est plus relevée par Ac8, elle est à nouveau enregistrée par Ac9, qui ne précise pas que cette acception est sortie de l'usage. Quant à Robert1, Robert2 et Petit Robert 2008, ils indiquent « anciennement » ou « vieux ». - 
I. A. 2. sous les espèces (l'espèce) de loc. prép. « sous la forme de ». Attesté depuis 1918 (Proust, Recherche, volume 1 : A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 601 = Frantext : En tous cas les amies de Mme Swann étaient impressionnées de voir chez elle une femme qu'on ne se représentait habituellement que dans son propre salon, entourée d'un cadre inséparable d'invités, de tout un petit groupe qu'on s'émerveillait de voir ainsi, évoqué, résumé, resserré, dans un seul fauteuil, sous les espèces de la Patronne devenue visiteuse dans l'emmitouflement de son manteau fourré de grèbe). On relève une attestation isolée de la locution prépositionnelle sour espese de avec la valeur de « sous l'apparence de » au 14e siècle (GilMuisK, in TL 3, 1166, 30), mais sans rapport direct avec le sémantisme moderne. - 
I. B. « apparence(s) du pain et du vin après la transsubstantiation (terme de théologie chrétienne) ». Attesté depuis 1545 (Calvin, Institution, volume 4, livre 4, chapitre 17, page 387 : Toutesfois la somme revient là, qu'ils enseignent de chercher Iesus Christ en l'espèce du pain, qu'ils appellent, Qu'ainsi soit, quand ils disent que la substance du pain est convertie en luy). La forme plurielle, de nos jours la plus usuelle, est attestée depuis 1656 chez Pascal, Œuvres, Provinciales, Seizième lettre, page 447. Antérieurement, la locution prépositionnelle desouz la especie de pain « sous la forme, sous l'apparence de pain » se rencontre à la fin du 13e siècle dans un traité de vie monastique écrit en anglo‑normand (AncrRiwlecH, in AND2), et vers 1500, soubz espece de pain et de vin « sous l'apparence de pain et de vin » est recensé dans ElucidaireSeciR (RLiR 59, [1995], 330). - 
II. D./III. « sorte, catégorie ». Attesté depuis 4e quart 13e siècle (ManuelPéchF, in AND2 : Ore vus dirrum de Glotonie, […]. Ces especes covient ore cunter). On relève une autre occurrence du mot vers 1280 (ClefD, vers 1450 [communication de Marc Kiwitt]). Pour d'autres attestations du 14e siècle au 15e siècle, voir TLF, AND2 et DMF2009. Première attestation lexicographique : 1530 (Palsgrave, page 274 : Spyce a kynde – espece s, f.). - 
II. C. 1./II. C. 2. espèce subst. fém. « genre humain ». Attesté depuis ca 1275 (RoseMLec, vers 16597 : Ainz conmant que mout les [= les fames] prisiez Et par reson les essauciez ; Bien les vestez, bien les chauciez, Et tourjorz a ce laboroiz Que les servoiz et honoroiz Por continuer vostre espiece Si que ja mort ne la despiece). La locution espèce humaine est attestée depuis 1370 (OresmeEthM, in DMF2009 : Mais non obstant ce, en espece humaine l'amour du pere est plus noble et meilleur). - 
II. C. 3. d. de toute espèce loc. adj. « de toute condition, de toute sorte ». Attesté depuis 1541 (Calvin, Institution, volume 4, livre 4, chapitre 2, page 51 = Frantext : Finalement, au lieu d'y avoir le ministère de la Parolle, on n'y a que des escoles d'impiété, et un abysme de toutes espèces d'erreur). - 
II. C. 4. « individu de basse condition ou méprisable ». Attesté depuis 1671 (Molière, Fourberies, acte 1, scène 3 = Frantext : Silvestre. Voilà votre père qui vient. Octave. Ô Ciel ! je suis perdu. Scapin. Holà ! Octave, demeurez. Octave ! Le voilà enfui. Quelle pauvre espèce d'homme ! Ne laissons pas d'attendre le vieillard). - 
II. C. 3. b. de ton (son, votre, cette) espèce loc. adj. « semblable à toi (lui, elle, vous) ». Attesté depuis 1679 (Retz, Mémoires, partie 2, page 293 = Frantext : Jugez, je vous supplie, quel plaisir il y a d'avoir un négociateur de cette espèce, dans une cour où nous devions avoir plus d'une affaire). - 
II. C. 3. c. de la grande, de nouvelle espèce loc. adj. « se dit d'un individu original, singulier d'un caractère assez plaisant (qqf. avec une valeur laudative) ; de nouvelle nature ». Attesté depuis 1690 (Furetière1 : Espece, se dit quelquefois des individus de chaque espece à part. Voilà un homme singulier, d'une nouvelle espece). - 
II. C. 3. a. (de) la pire espèce loc. adj. « se dit d'un individu sans grand mérite ni valeur morale » . Attesté depuis 1693 (La Fontaine, Œuvres, volume 1, livre 12, Fable 19, Le Singe, page 491, vers 14 = Frantext : Il hante la taverne et souvent il s'enivre. N'attendez rien de bon du Peuple imitateur, Qu'il soit Singe ou qu'il fasse un livre. La pire espèce, c'est l'Auteur). - 
II. A./II. B. « ensemble des êtres vivants, des corps, des substances, des figures ou formes géométriques ayant des propriétés semblables ». Attesté depuis 1734 (Réaumur, Insectes, Premier discours, Second mémoire, page 52, in Gallica : Il reste pourtant une difficulté considerable par rapport à l'établissement des classes, des genres, & des especes de ces insectes). Première attestation lexicographique : 1755 (Encyclopédie, volume 5, page 955a : espece, (Hist. nat.) « Tous les individus semblables qui existent sur la surface de la terre, sont regardés comme composant l'espece de ces individus. - 

Origine :
I. A. 0. Transfert linguistique : emprunt au latin species subst. fém. « ce par quoi se manifeste, se révèle extérieurement une notion, un principe » (attesté depuis Cicéron, Gaffiot). Cf. Pfister in FEW 12, 155a, species II 1 b.
I. A. 1. /I. A. 2. Transfert linguistique : emprunt au latin species subst. fém. « image ou représentation qu'on se fait d'une chose (terme de philosophie) » (attesté depuis Cicéron, Gaffiot). Cf. Pfister in FEW 12, 155b, species II 1 b.
I. B. Transfert linguistique : calque du latin species subst. fém. « apparence(s), espèce(s) (du pain et du vin dans l'eucharistie) » (attesté dans la langue de la théologie chrétienne depuis Innocent III, Blaise, Lexicon). Cf. Pfister in FEW 12, 155b, species II 1 b.
II. A./II. B./II. C. 1./II. C. 2. Transfert linguistique : emprunt au latin species subst. fém. « espèce [subdivision du genre] » (attesté comme terme scientifique depuis Cicéron, Gaffiot). Cf. Pfister in FEW 12, 155b‑156a, species II 1 c.
II. D./II. C. 3./II. C. 4./III. Transfert linguistique : emprunt au latin species subst. fém. « sorte, catégorie » (attesté depuis Varron, Cicéron, OLD 8, 1799c, 10). À partir de la Renaissance, le mot s'est fixé dans différentes locutions (II. C. 3./II. C. 4./III.). Cf. Pfister in FEW 12, 155b‑156a, species II 1 c. Le mot espèce apparaît tout d'abord dans une attestation isolée au 12e siècle comme terme religieux au sens de « signe, révélation » (I. A. 0.), puis il est utilisé en philosophie, dès la seconde moitié du 13e siècle, pour exprimer « l'image extérieure des objets affectant les sens et y produisant le phénomène de la perception » (I. A. 1.). Il sert en théologie, une première fois au 13e siècle, puis de nouveau au 16e siècle sous l'impulsion de Calvin (I. B.), à désigner d'abord au singulier, et ensuite au pluriel (depuis 1656), le corps et le sang de Jésus‑Christ, sous les apparences du pain et du vin dans le sacrement de l'eucharistie. Dès le 13e siècle, il est relevé au sens général de « sorte, catégorie » (II. D./ III.) et, dans la littérature didactique, il est employé pour désigner le genre humain (II. C. 1./ II. C. 2.). Le système de classification du monde vivant utilisé aujourd'hui est fondé sur l'œuvre du grand naturaliste suédois Carolus Linnaeus [1707‑1778], appelé Carl von Linné depuis son anoblissement officialisé en 1762. Dans le système de Linné, chaque espèce reçoit deux noms, le premier identifiant l'espèce elle‑même et le second le genre auquel l'espèce appartient. La catégorie supérieure au genre dans cette hiérarchie est la famille. Les familles sont regroupées à leur tour en ordres, et les ordres en classes. Les classes chez les animaux sont regroupées en phyla et en divisions chez les végétaux, les bactéries et les champignons. Les phyla ou les divisions regroupés constituent des règnes. À l'origine, Linné ne décrit que deux règnes : les plantes et les animaux. Actuellement, on connaît six règnes (Bacteria, Archaea, Protista, Plantae, Fungi, Animalia). En outre, depuis peu, les biologistes utilisent un niveau supérieur à celui des règnes, les domaines. Les trois domaines définis sont Bacteria, Archaea et Eucarya. En français, c'est le physicien et naturaliste René Antoine Ferchault de Réaumur [1683‑1757] qui a introduit le terme espèce comme unité taxonomique dans les sciences naturelles, à travers l'un de ses ouvrages majeurs, ses Mémoires pour servir à l'histoire naturelle des insectes paru de 1734 à 1742 (II. A./ II. B.). Qu'est‑ce que l'espèce? Pour les naturalistes du 18e siècle, « ce n'est ni le nombre ni la collection des individus semblables qui fait l'espece […] c'est la succession constante & le renouvellement non‑interrompu de ces individus qui la constituent : car un être qui dureroit toûjours ne feroit pas une espece, non plus qu'un million d'êtres semblables qui dureroient aussi toûjours. L'espece est donc un mot abstrait & général, dont la chose n'existe qu'en considérant la nature dans la succession des tems, & dans la destruction constante & le renouvellement tout aussi constant des êtres » (Encyclopédie, 1755, s.v. espèce, 955‑970). Quant à Darwin [1809‑1882], il explique que les espèces descendent les unes des autres, par le moyen de modifications sélectionnées et transmises. D'après la conception darwinienne, l'espèce est une entité localisée dans le temps et dans l'espace (Darwin, Origine Bec., chapitre 13, Affinités mutuelles des êtres organisés ; morphologie ; embryologie ; organes rudimentaires, pages 467‑468). En 1940, le naturaliste allemand Ernst Mayr définit les espèces sur la base du critère décisif de l'isolement reproductif. Ainsi, une espèce est un groupe de populations naturelles interfécondes qui est, en ce qui concerne sa reproduction, isolé des autres groupes de même nature. Tous les éléments de cette formulation, généralement acceptée aujourd'hui, identifient des aspects importants du concept d'espèce biologique (Tort, Darwinisme, s.v. espèce, 1392‑1396 ; s.v. Mayr, 2848‑2849 ; Cain, Biologie, 26‑27 ; 339‑353).


Rédaction TLF 1980 : Etienne Ammann. - Mise à jour 2009 : Cécile Haut. - Relecture mise à jour 2009 : Nadine Steinfeld ; Yan Greub ; May Plouzeau ; Marc Kiwitt.