BICHE, subst. fém.
ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Ca 1135
bisse « animal (sauvage), biche? » (
Peler. de Charl., éd. E. Koschwitz, 599 : Nule
bisse salvage, ne chevroels ne golpilz), forme fréq. aux
xiieet
xiiies. (
Gdf. Compl.);
ca 1160
biche « femelle du cerf » (
Eneas, 287,
ibid.); p. anal. 1835 ébénisterie
table à pieds de biche (Ac.);
id. dentaire
pied-de-biche (ibid.);
2. a) fin
xvies. fig. p. métaph., péj.
destourner la biche « attirer les femmes » (
Beroalde de Verville,
Le Moyen de parvenir, Article − I, 308 − dans
Hug.); puis 1730-65 « femme entretenue » (
Caylus,
Œuvres badines, p. 29), attest. isolée, le mot ne devenant usuel qu'au cours du
xixes. où il concurrence le mot
lorette;
b) 1837 hypocoristique fam.
ma biche, ma petite biche, appellation affectueuse envers une pers. de sexe féminin (
Barbey d'Aurevilly,
1erMemorandum, p. 142).
Bisse, du lat. vulg.
bistia « bête »,
vies. (Grégoire de Tours dans
TLL s.v., 1935, 34) plus vraisemblablement issu de
bēstia avec
ē
devenu
ī
sous l'action combinée de
s implosif et de
y (
Bl.-W.5;
Fouché t. 2, p. 417) sur le modèle de
ostium, *
ūstium (huis*
) que forme dial. osque du lat.
bestia (bête*
) (Brüch, v. bbg.). La forme
biche fait difficulté; l'explication traditionnelle (
DG;
FEW t. 1, p. 343a;
Bl.-W.5) est d'y voir une forme normanno-pic. qui aurait gagné Paris d'où elle se serait ensuite généralisée; il faut cependant noter que ces dial. connaissent aussi
bisse (
cf. bise, Ambroise,
Estoire de la Guerre sainte, 10548 dans T.-L. et Ch.
T. Gossen,
Gramm. de l'anc. pic., Paris, 1970, p. 93) tandis que
biche est anc. dans les autres dial. (
cf. Ch. Bruneau, v. bbg.). La tradition manuscrite de Chr. de Troyes révèle que
bisse est la forme la plus courante jusqu'au milieu du 13
es., à partir duquel la forme
biche (déjà dans le ms. Guiot des œuvres de Chrétien,
Erec et Enide, éd. M. Roques, 3917) tend à se généraliser d'abord dans les manuscrits pic., puis dans la lang. littér. commune. − La vraie difficulté procède du traitement du groupe
-sty- entre voyelles, qui sur tout le domaine d'oïl, picard compris, aboutit à
-ys- (
angustia > angoisse, bistia > bisse). On pourrait supposer, dans ces conditions, que
bistia est entré tardivement dans la lang. comme terme de chasse, et qu'il a alors suivi l'évolution gén. du groupe (consonne +)
ty (+ voyelle), qui en francien, en champenois, etc., aboutit à
-ts-, puis à
-s- (
fortia > force, tertia > tierce, mais en picard et au nord de la Normandie à
-ch- (
fortia > forche, tertia > tierche). D'où
bistia > bische > biche. − Il resterait que même dans cette hyp. l'amuissement précoce de
s fait problème. On peut dès lors émettre une 3
ehyp. :
-isse aura été compris comme un suff. et il aura été remplacé par le suff. dimin. affectif
-iche (
Meyer-L. t. 2, 1966, § 169); d'où l'opposition
bisse/biche, qu'on retrouvera un peu plus tard dans les couples
génisse/géniche (
cf. Gdf. Compl., s.v. genisse),
cornisse/corniche. Cf. encore
caniche, pouliche.