| ÉVALUER, verbe trans. A.− Estimer, juger pour déterminer la valeur. 1. [Le compl. désigne une pers.] Il toise impertinemment la plus jolie duchesse, l'évalue quand elle descend l'escalier d'un théâtre (Balzac,
Œuvres div.,t. 3, 1836-48, p. 199).Elle [une jeune fille], de son côté, évaluait le garçon dont les cheveux lisses brillaient sous une lampe à arc (Arnoux, Gentilsh. ceinture,1928, p. 151).Tout en faisant ça, il continuait à m'évaluer (Céline, Mort à crédit,1936, p. 437). − Emploi pronom réfl. Rouart est un charmant ami (...) Mais il flotte un peu. Il a besoin d'apprendre à se faire violence, à s'évaluer (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1894, p. 215). − En partic. Reconnaître la valeur de, être sensible aux qualités de, aimer (quelqu'un). Sois gaie, et aie bien soin de toi, toi que dans mon cœur j'évalue plus que l'univers! (Napoléon Ier, Lettre Joséph.,1796, p. 32). − [Le compl. désigne un élément du corps hum., des vêtements] Mais, par exemple, vous vous êtes informé si j'étais une femme « chic!... » vous avez évalué mes robes et commenté mes dessous! (Gyp, Pas jalouse,1893, p. 216).Haudouin évaluait avec tendresse les formes pleines et lourdes qui allaient combler ses bras d'homme (Aymé, Jument,1933, p. 300).Regardant avidement Alexis, elle [Lise] évaluait sa taille, la grosseur des mollets nus et du cou un peu jaune qui sortait d'un jersey bleu foncé (Lacretelle, Hts ponts,t. 3, 1935, p. 12). 2. [Avec un compl. prép.] a) [Avec un compl. prép. d'après/sur désignant un attribut hum., un comportement, une action ou son résultat] Juger (une personne) d'après (quelque chose). C'est une preuve de plus qu'il ne faut évaluer un homme que sur son œuvre, quelle que soit son origine (Dumas fils, Fils natur.,1858, p. 185).Barnery ignorait ce monde intérieur auquel Jean rêvait. Il évaluait un homme d'après ses talents, ses travaux, son succès (Chardonne, Dest. sent.,I, 1934, p. 104). b) [Avec un compl. prép. de désignant le moyen] Juger à l'aide, au moyen de. Évaluer de l'œil : 1. Le patron, sorti de la cuisine, les évalua du regard, et en jugea autrement que sa femme, car il les conduisit dans l'arrière-salle où ils mangèrent une omelette et des haricots verts pour cent dix-huit francs. Il est vrai qu'il y avait deux verres de vin.
Triolet, Prem. accroc,1945, p. 214. 3. [Le compl. désigne une chose] Estimer (une qualité, la valeur de quelque chose, le résultat d'une action). Elle se mit alors à si bien évaluer la vie, à la si profondément considérer sous ses diverses faces, que ces froids calculs me révélèrent le dégoût qui l'avait saisie pour toutes les choses d'ici-bas (Balzac, Lys,1836, p. 251).Il possédait même une sorte de flair pour distinguer la manière d'un écrivain, évaluer sûrement son mérite, et, dans un livre, apercevoir l'effort inédit (Martin du G., Devenir,1909, p. 84): 2. ... il n'y a aucune raison pour qu'un inventeur soit capable de bien voir ce qu'est son invention, qu'elle en est la portée et le devenir. On peut même remarquer qu'en général, l'inventeur est le moins bien placé pour évaluer sa trouvaille.
Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 195. a) En partic. − Apprécier, se rendre compte de l'importance (d'un acte). J'attribue cette insensibilité anormale à ce fait, non moins singulier, que je n'évaluais pas moralement ce meurtre (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 104). − Déterminer, délimiter, fixer avec précision. N'y a-t-il pas eu un instant, impossible à évaluer, où j'aurais lapidé l'homme qui avançait, où, devant ses pas, j'aurais (...) jeté le râteau et la bêche? (Colette, Naiss. jour,1928, p. 44). ♦ Reconnaître, déterminer. Incapable d'évaluer le vrai, cette intelligence se révolte à la pensée d'un choix « Moi, dit-il [l'idéaliste], je choisis tout » (Massis, Jugements,1924, p. 141). b) [Avec un compl. prép. à l'aide, d'après] Estimer à l'aide, d'après (un repère). Qui nous a dit qu'il fallût évaluer la vie à l'aide de la mort, et non pas la mort à l'aide de la vie? (Maeterl., Sag. et dest.,1898, p. 22).L'habitude prise de juger les vers selon la prose et sa fonction, de les évaluer, en quelque sorte, d'après la quantité de prose qu'ils contiennent (Valéry, Variété III,1936, p. 49). B.− Estimer, mesurer (une quantité, une grandeur, un ensemble mesurables). 1. Évaluer un prix, des dimensions; évaluer le chemin parcouru; évaluer la durée de qqc. Aussitôt j'ai vu une femme qui m'observait avec sollicitude, une femme très belle et dont je ne pouvais pas évaluer l'âge (J. BousquetTrad. du silence,1935-36, p. 160).Autour de 1850 avant notre ère, les Égyptiens découvrirent une formule pour calculer le volume d'une pyramide carrée tronquée et évaluèrent correctement la surface d'un hémisphère mille six cents ans environ avant les Grecs (Lowie, Anthropol. cult.,1936, p. 367).Cf. apprécier ex. 4 : 3. Vous vous trompez, cher, le bateau file à bonne allure. Mais le Zuyderzee est une mer morte (...), on ne sait où elle commence, où elle finit. Alors, nous marchons sans aucun repère, nous ne pouvons évaluer notre vitesse. Nous avançons, et rien ne change.
Camus, Chute,1956, p. 1523. − Emploi pronom. à sens passif. Tout ce qui dans les corps et leurs propriétés peut s'évaluer en durée, en mouvement, en étendue, est parfaitement mesuré et démontré (Destutt de Tr., Idéol.,1, 1801, p. 207). − P. anal. [Le compl. désigne qqc. qui n'est gén. pas considéré comme étant mesurable] :
4. Les musiciens de l'orchestre éclataient de rire, et félicitaient le petit, qui refusait de les regarder et de leur donner la main. Melchior, l'oreille aux aguets, évaluait les acclamations qui ne s'arrêtaient point, et voulait ramener Christophe sur la scène.
Rolland, J.-Chr.,Aube, 1904, p. 105. − En partic. Conjecturer, faire l'estimation d'une quantité, d'une durée qui n'est pas encore vérifiable. Il demandait souvent à Tarrou d'évaluer la durée probable de l'épidémie (Camus, Peste,1947, p. 1311). 2. Évaluer que.Juger que. Des états provisoires permettaient d'évaluer qu'à la date du 21 mars ces totaux, à compter du début de la bataille, s'élevaient respectivement à 1 900 officiers et 80 000 hommes (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 190).V. décati ex. 2. 3. En partic. a) [Avec un compl. second désignant des données chiffrées] Fixer (précisément ou approximativement) à. Lorsqu'on évalue une maison « vingt mille francs » en argent, on a une idée un peu plus précise de sa valeur que lorsqu'on l'évalue « mille hectolitres » de froment (Say, Écon. pol.,1832, p. 313). Rem. La docum. atteste un emploi dans lequel le compl. d'obj. désigne une pers. Savez-vous que c'est une chose bien impertinente que d'évaluer un savant tel que moi quatre méchants écus? (Hugo, Han d'Isl., 1823, p. 245). [Avec un compl. prép. à désignant une mesure, une somme quantifiée] − Évaluer des dettes à quarante mille francs environ. J'évalue donc ce travail d'horloger de précision, que vous me confiez, à trois semaines (Villiers de l'I.-A., Corresp.,1886, p. 112).Monsieur votre frère a perdu sur le papier, une somme que je peux évaluer à trente mille francs, pas un louis de plus (Duhamel, Maîtres,1937, p. 72):5. Quant aux forces de l'intérieur, le professeur Pasteur Vallery-Radot, qui a pris en charge le service de santé, évalue à 2 500 hommes tués ou blessés ce que leur ont coûté les combats qu'elles mènent depuis six jours. En outre, plus de 1 000 civils sont tombés.
De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 309. Emploi pronom. à sens passif. Le vaisseau est à moi seul, et la totalité du voyage peut s'évaluer ici à 60 ou 80 000 francs au minimum (Lamart., Corresp.,1832, p. 285).b) [Avec un compl. prép. à/avec désignant le moyen] Estimer, déterminer (une quantité, une durée d'après un repère quelconque). Nous évaluons l'intensité d'une douleur à l'intérêt qu'une partie plus ou moins grande de l'organisme veut bien y prendre (Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 39).« Une montre, disait-il, c'est cher et c'est bête ». Il évaluait le temps, et surtout l'heure des repas qui était la seule qui lui importât, avec ses deux marmites dont l'une était pleine de pois à son réveil (Camus, Peste,1947, p. 1313). SYNT. Évaluer algébriquement, approximativement, avec précision, correctement, globalement, mathématiquement, quantitativement, statistiquement. Rem. La docum. atteste a) L'emploi subst. masc. C'est la loi de combinaison et composition de ces trois types d'évaluer qui est la tâche théorique et pratique de l'économiste (Perroux, Écon. XXes., 1964, p. 473). b) Évaluant, ante, part. prés. en emploi adj. Qui a la capacité, le pouvoir d'évaluer. Ces valeurs [créées par l'homme], et, par suite, les états affectifs, sont élaborées, spécifiées par la conscience évaluante (Ruyer, Conscience, 1937, p. 141). c) Évaluateur, subst. masc. Ce qui sert à déterminer la valeur d'une chose. L'argent, comme toute autre marchandise, est un signe représentatif du travail : à ce titre, il a pu servir d'évaluateur commun, et d'intermédiaire aux transactions (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 46). d) Évaluatif, ive, adj. Qui évalue, qui permet d'évaluer; qui est déterminé par évaluation. Crédits évaluatifs; répartition évaluative des temps de travail. Pour répartir équitablement (...) [la] contribution [foncière], il fallait connaître l'étendue et la valeur des biens de chacun et en évaluer le revenu : d'où la nécessité d'un état descriptif et évaluatif des propriétés foncières (Fonteneau, Conseil munic., 1965, p. 8). ,,Méthode évaluative d'assertion. Procédure par laquelle, en analyse de contenu, on soumet aux sujets testés des propositions dont ils ont à établir les termes, ou qu'ils ont à apprécier`` (Ling. 1972). Prononc. et Orth. : [evalɥe], (il) évalue [evaly]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1366 esvaluer « déterminer la valeur, le prix de quelque chose » (Arch. hospitalières de Béthune, 56, H. Loriquet ds R. Hist. litt. Fr. t. 12, p. 145). Dér. avec préf. é-* et dés. -er de value « valeur, prix » (xiie-xviies., v. moins-value, plus-value). Évaluer s'est substitué à avaluer « id. » (1283, Ph. de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 459 − 1660, Oudin Fr.-Esp.). Fréq. abs. littér. : 519 (évaluant : 23). Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 916, b) 364; xxes. : a) 423, b) 973. |