| ÉCARTER1, verbe trans. A.− [L'obj. désigne des choses naturellement jointes, ou des choses ou des pers. formant un ensemble] 1. Repousser plusieurs personnes ou plusieurs choses à une faible distance l'une de l'autre; disjoindre. Je me faisois un chemin dans la foule, en l'écartant du coude à droite et à gauche (Nodier, Jean-François,1832, p. 12).Les narines écartées, il respirait de toute la poitrine (Pourrat, Gaspard,1925, p. 149): 1. Anna, (...) se voilant les yeux de ses mains, dont elle écartait et rapprochait alternativement les doigts, en poussant de petits cris effrayés.
Reider, MlleVallantin,1862, p. 49. − Emploi pronom. à sens passif. Se disperser, se pousser. Il restait encore des nuages épars de distance en distance. Nous aperçûmes néanmoins entre ces nuages qui s'écartaient de plus en plus, et par dessus les Pyrénées, de grands espaces diversement colorés (Dusaulx, Voy. Barège,t. 1, 1796, p. 244).Les passagers s'écartent les uns des autres, consternés. À droite, cependant, deux Français se joignent (Malraux, Conquér.,1928, p. 11). 2. En partic. Séparer en deux parties ou en deux groupes; fendre. Écarter les bras, les cuisses, les jambes. Il ouvre des placards du bas et écarte les portes, comme si un landau allait entrer (Renard, Journal,1895, p. 284). − Emploi pronom. à sens passif. Se disjoindre en deux parties, en deux groupes. Les deux battants de la grille se séparent et s'écartent l'un de l'autre en gémissant sur leurs gonds (Chateaubr., Martyrs,t. 1, 1810, p. 234).Un paon blanc grattant du bec sa queue qui s'écarta en deux gerbes comme l'eau d'une fontaine sous un doigt (Giraudoux, Suzanne,1921, p. 130). ♦ P. ext. La gorge (...) est un large et profond encaissement de rochers perpendiculaires qui s'écartent pour laisser passer le torrent (Lamart., Voy. Orient,t. 2, 1835, p. 246). 3. P. métaph. ou au fig. [Correspond à 1 et 2] À l'heure où le soleil s'élève, Où l'arbre sent monter la sève, La vallée est comme un beau rêve. La brume écarte son rideau. Partout la nature s'éveille (Hugo, Feuilles automne,1831, p. 783).Un obus souffle en écartant la nuit (Giono, Gd troupeau,1931, p. 243): 2. Tu ne connais ni le néant ni l'être, ni le bien ni le mal, et tu voudrais, ignorant les distances qui les écartent ou les affinités qui les unissent, discerner dans chacun les degrés qui les composent, le principe qui les constitue!
Flaubert, La Tentation de St Antoine,1849, p. 245. B.− [Avec une idée de direction] 1. Éloigner quelque chose ou quelqu'un à une faible distance d'un lieu donné, mettre de côté. Il [Montmorency] paroît debout au faîte des remparts, saute dans l'enceinte, se place devant la bannière sacrée, et, avec sa seule épée, écarte les infidèles et les empêche d'approcher (Cottin, Mathilde,t. 1, 1805, p. 208). − Au fig., domaine intellectuel ou moral.Un père est toujours autorisé à écarter son fils de la mauvaise voie dans laquelle il le voit s'engager (Dumas fils, Dame Cam.,1848, p. 215).Le livre [un manuel de théologie morale] est d'une sécheresse terrible. Tout ce qui atténue la faute est mis de côté et comme écarté. Rien n'est dit du bien qui se mêle parfois au mal et l'excuse ou l'explique (Green, Journal,1946, p. 68). − Emploi pronom. à sens réfl. S'éloigner; prendre une direction différente de celle que l'on s'était assignée. Messieurs les lieutenants et sous-lieutenants ne doivent jamais s'écarter, sans la permission du colonel, d'un rayon de deux lieues autour de la place (Stendhal, L. Leuwen, t. 1, 1836, p. 132).Au fig. Le principe dont on ne doit guère s'écarter, c'est de porter ses secours aux faibles; il est rare qu'on se trompe en se dirigeant sur cette boussole (Staël, Consid. Révol. fr.,t. 1, 1817, p. 263). ♦ P. ext. [Le suj. désigne une chose concr.] La route s'écarte de l'eau pour cheminer entre deux rangées de maisons (Farrère, Homme qui assass.,1907, p. 49).Aux approches de la région forestière mieux pourvue d'eau, on voit peu à peu les villages s'éparpiller, s'écarter des rivières, et former (...) des oasis de plus en plus petites dans des forêts immenses (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 185). SYNT. Écarter un coup, un danger, une menace, un obstacle; écarter une hypothèse, une idée, une objection, les soupçons; écarter le (mauvais) sort; écarter qqc. de sa vue; s'écarter du sujet. 2. En partic., domaine soc.Écarter (d'un emploi, d'une situation). Chasser, éliminer, évincer. Ma résolution était prise : j'écarterai les chefs incapables, et je les remplacerai par des chefs plus jeunes et plus énergiques (Joffre, Mém.,t. 1, 1931, p. 258). 3. Spécialement a) Vieilli [En parlant d'une arme à feu imprécise et p. réf. au plomb qui s'éparpille et se disperse] Écarter (le plomb). En prenant de gros pistolets d'arçon et les chargeant jusqu'à la gueule, on ne risque jamais rien, les pistolets écartent, et chacun se retire en homme d'honneur (Balzac, Gaudissart,1834, p. 48). − P. ext. ou p. métaph. Éparpiller, étendre. La nouvelle génération est venue, comme une seiche, écarter son encre noire sur le bleu de la mer (Renard, Journal,1893, p. 187).Mais si d'abord nous demandions aux voisins chacun une tranche de pain avec du lait caillé pour écarter dessus? (Renard, Poil Carotte,1894, p. 50). ♦ En partic., vx, pop. Écarter la dragée. (Quasi-) synon. postillonner. Rem. Attesté ds Littré, Guérin 1892, France 1907, Lar. 20e. b) TAUROM. Écarter une vache. Il ne s'agit plus d'écarter le taureau à la Landaise ni de le raser à la Provençale, il faut le renverser (A. Daudet, Crit. dram.,1897, p. 171). Rem. On rencontre ds la docum. a) L'emploi intrans. de écarter dans le sens de « faire un écart » (cf. B 1). Ils s'étaient placés pour lui barrer la route mais la bête [un cheval sans cavalier] écarta brusquement, presque sous leur nez et prit au galop à travers la lande (Giono, Hussard, 1951, p. 259; attesté aussi ds Lar. Lang. fr.). b) Une illustration de la loc. embrasser en écarte-lèvres dans le sens de « avec les lèvres écartées, à pleine bouche ». Le Joseph qui l'embrassait en écarte-lèvres, à grands coups de bouche, comme s'il mordait dans une tranche de melon (Id., Gd troupeau, 1931, p. 47). Prononc. et Orth. : [ekaʀte], (j')écarte [ekaʀt], (je m') écarte [ekaʀt]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. [Fin xiiies. « s'être éloigné du gros de l'armée » (Chronique de Terre Sainte ds Mémoires Histoire de France, éd. Michaud et Poujoulat, I, p. 365 : avoir escarté l'ost)]; 1. a) ca 1450 pronom. « se mettre à l'écart, s'éloigner d'un lieu » (Mistere du Viel Testament, éd. J. de Rothschild, 8772); b) 1604 « mettre à une certaine distance (d'une chose, d'une personne) » (Montchrestien, Hector, éd. P. de Julleville, p. 18); c) 1672 fig. « éloigner (de quelqu'un) » (Racine, Bajazet, II, 1); 2. 1573 « mettre les parties d'une chose à quelque distance les unes des autres » (Vigenère, Chron. de pol., 444 ds Gdf. Compl.); 3. a) 1585 pronom. « s'éloigner du sujet, faire des digressions » (N. du Fail, Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, II, p. 43); b) 1647 la raison dont vous vous écartez (Du Ryer, Scevole, V, 5 ds Littré). Empr. au lat. * exquartare, dér. du lat. class. quartus « quart ». Bbg. Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 326. − Gottsch. Redens. 1930, p. 412. − Lindström (A.). Dispensare-distornare. In : [Mél. Wahlund (K.)]. Mâcon, 1896, p. 288. − Weil (A.). En Marge d'un nouv. dict. R. Philol. fr. 1932, t. 45, p. 17. |